mars 15, 2025
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Sécurité

Combats au Soudan : «Hemetti est un produit des périphéries»

Les combats qui opposent, depuis le 15 avril, l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhan aux paramilitaires du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », ont plongé le Soudan dans le chaos. Clément Deshayes, spécialiste de la région, décrypte ce conflit.

Anthropologue, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem), Clément Deshayes est spécialiste de l’Afrique de l’Est. Auteur d’une thèse consacrée aux mouvements politiques clandestins du Soudan, il revient sur la genèse de la guerre qui, depuis le 15 avril, déchire le troisième plus grand pays du continent africain.

Pourquoi ce conflit a-t-il éclaté ?

À court terme, c’est à cause de la réforme des services de sécurité et, précisément, de l’intégration des Forces de soutien rapide (RSF, dirigées par le général Hemetti), qui sont une force paramilitaire, au sein de l’armée (dirigée par le général Al-Bourhan). Des discussions ont eu lieu, mais aucun accord n’avait pu être trouvé entre les deux parties. Moins d’une semaine plus tard ont débuté les hostilités. Mais d’autres dynamiques plus longues ont mené à cette situation.

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Qu’est-ce qui a empêché l’accord ?

L’armée souhaitait une intégration immédiate des RSF tandis que les RSF voulaient une intégration à horizon dix ans en disant : « on s’intégrera quand un gouvernement civil sera élu ». Il faut bien comprendre qu’on est dans un système à deux armées. Les RSF ont des commandements régionaux, des services de sécurité, un corps d’ingénieurs et de logisticiens, des unités blindées. Ces dernières années, ils se sont institutionnalisés, ont renforcé leurs circuits de financement. Leurs salaires ne sont pas les mêmes que dans l’armée, ce qui est un autre problème à leur intégration.

Cependant, tous s’accordent sur le principe d’une intégration des RSF à l’armée nationale ?

Oui. À terme, l’objectif de la transition est d’avoir une armée nationale qui intègre l’ensemble des groupes armés du pays. La question cruciale est de savoir qui contrôlerait cette armée. Les généraux veulent que ce soit eux ; les civils souhaitent une supervision. Enfin, passer sous le contrôle des généraux pose problème à Hemetti puisqu’ils sont hostiles à son pouvoir. Si la situation était tendue, personne ne pensait qu’elle dégénérerait dans des combats de cette ampleur.

Sur le plan militaire, quel est le rapport de forces entre les deux camps ?

C’est toujours un peu une boîte noire… Sur le papier, Hemetti disposerait à peu près de 100 000 hommes, peut-être un peu plus. Les RSF sont une force aguerrie : ceux qui la composent ont combattu en Libye, au Darfour et au Yémen dans des conditions difficiles. De son côté, l’armée a l’avantage de disposer d’un armement plus lourd – tanks, avions, hélicoptères – et d’avoir plus d’hommes. Mais ils ont pourtant été mis en difficulté dans de nombreux endroits car c’est une armée d’officiers et de généraux, avec une base relativement mal payée et d’une loyauté potentiellement discutable.

« Les guerres soudanaises ont tendance à ne pas rester au Soudan »

Est-ce exact que Hemetti est soutenu par les Émirats Arabes Unis (EAU) et l’Arabie Saoudite ?

Il faut être prudent… Oui, les EAU l’ont armé et financé pendant longtemps, mais ni eux ni l’Arabie Saoudite n’ont coupé les liens avec l’armée nationale, plutôt soutenue par l’Égypte. Ces liens vont-ils se transformer en un soutien actif ? Cela semble être infirmé par les initiatives prises par les EAU et l’Arabie Saoudite, deux pays qui ont investi massivement au Soudan et n’ont pas intérêt à ce qu’une guerre s’y installe durablement.

Qu’en est-il des relations entre Hemetti et Evgueni Prigojine, patron du groupe de miliciens russes Wagner ?

Wagner a des liens de business mais cela n’a pas du tout la même ampleur qu’au Mali ou en Centrafrique. En outre, la présence de la Russie au Soudan ne date pas de Wagner. Dans les années 2010, elle a fait dons de bateaux de blés lors de pénuries alimentaires, il existe aussi un accord de projet de port militaire sur la mer Rouge. En outre, des accords avaient également été passés sur l’extraction d’or dans des mines du nord du pays en échange de matériel militaire. La Russie entretient officiellement des liens assez importants avec l’armée, Wagner plutôt avec Hemetti.

De quel côté penchera la balance ? La question n’est pas tranchée. Mais ce qui se passe actuellement est avant tout une question soudanaise. Les dynamiques locales seront beaucoup plus fortes que les dynamiques internationales.

Vous mentionniez des dynamiques plus longues qui peuvent aider à comprendre la situation. Quelles sont-elles ?

Hemetti vient du Darfour. Il est un produit de l’histoire récente du Soudan, de la guerre et, précisément, de la manière dont celle-ci a été produite par le régime. Celui-ci avait fait le choix de privatiser la guerre et d’armer des milices sur des bases ethniques, tribales pour combattre des rebelles. Le régime a ainsi encouragé ces milices à développer une économie de guerre fondée sur le pillage – Hemetti a tiré une partie de sa richesse de l’exploitation de l’or au Darfour.

Hemetti et Al-Bourhan ont développé des économies de guerre à la fois parallèles et concurrentes. Le premier est sur un modèle milicien, vit du mercenariat, s’est battu au Yémen ; le second est issu d’une armée dont les officiers viennent du centre du pays et administrent les périphéries via des milices.

Hemetti est un outsider, un produit des périphéries, qui vient remettre en cause les circuits de domination et de hiérarchie sociale habituels au Soudan, la domination d’officiers issus d’une élite post-coloniale qui constitue le squelette du pouvoir depuis l’indépendance (en 1956).

Qu’en est-il du risque de déstabilisation dans la région ?

La logique de la guerre est une logique soudanaise, mais cela aura des conséquences dans la région, c’est évident – mouvements de population, circulation d’armes. La communauté internationale essaie de l’éviter mais on ne peut exclure qu’un certain nombre de pays de la région soutienne l’un ou l’autre camp, ce qui aurait des conséquences néfastes. Les guerres soudanaises ont tendance à ne pas rester au Soudan.

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