avril 19, 2025
LA SOCIÉTÉ "MY MEDIA GROUP " SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU QUOTIDIEN "DAKARTIMES" DERKLE CITE MARINE N° 37. EMAIL: courrierdkt@gmail.com. SITE WEB: www.dakartimes.net.
A la une

Les écueils la position de France dans une Libye divisée : le soutien à Haftar et ses conséquences

Presque treize ans après l’intervention de l’OTAN qui a renversé le régime de Kadhafi, la Libye demeure plongée dans une instabilité politique et sécuritaire. Malgré le cessez-le-feu en vigueur depuis le 23 octobre 2020 entre les principales parties belligérantes — le Gouvernement d’union nationale (GUN) et l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar —, la situation reste précaire. Les élections générales pourtant prévues par l’accord de cessez-le-feu sont d’ailleurs constamment repoussées depuis 2021[1]. Le 18 avril 2023 encore, le Représentant spécial du Secrétaire général pour la Libye et Chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL), Abdoulaye Bathily, réitérait le souhait que les élections puissent avoir lieu avant la fin de l’année. Il appelait « tous les partenaires internationaux [à] appuyer la dynamique actuelle et parler d’une seule voix sur le dossier libyen».

Officiellement, la France s’est toujours rangée derrière la ligne onusienne. Elle a par exemple soutenu le processus ayant mené à la signature des accords de Skhirat en décembre 2015. C’est cet accord qui a permis l’émergence du GUN, dont les membres ont été choisis par les Nations unies sur la base des propositions soumises par les participants au dialogue inter libyen. En coulisse, toutefois, Paris a longtemps appuyé le maréchal Haftar, chef de l’ANL. Cette dernière est le bras armé du gouvernement du Parlement de Tobrouk établi à la suite des élections législatives de 2014. Bien qu’ayant participé au dialogue inter libyen, le gouvernement du Parlement de Tobrouk refuse l’autorité du GUN au moment de son instauration en mars 2016.

Le soutien français à Haftar prend différentes formes ; il est militaire (via la fourniture d’armes, notamment) et diplomatique (en présentant le maréchal comme une personne clé pour la résolution du conflit). Il faut attendre avril 2019 et l’échec de l’offensive de l’ANL sur Tripoli pour que Paris réévalue sa position. La France adopte une posture de médiatrice et s’engage plus fermement en faveur du processus de paix mené sous l’égide d’Abdoulaye Bathily. Alors qu’elle est à l’origine de l’intervention de l’OTAN en 2011 et s’est encore ingérée dans la guerre civile libyenne par la suite, Paris déploie une communication qui condamne toute « victoire militaire » au profit d’une « solution politique».

Cet Éclairage revient sur la politique française à l’égard de la Libye depuis le début de la seconde guerre civile en 2014. Il met en évidence les ambiguïtés de la position française et leurs impacts sur la crédibilité de Paris pour se présenter en médiatrice dans le conflit.

Le texte procède en trois étapes. La première revient sur les raisons qui ont poussé la France à soutenir le maréchal Haftar qu’elle perçoit comme soutien dans le cadre de sa politique au Sahel et de ses alliances régionales. La deuxième analyse le discours déployé par les autorités françaises qui, alors qu’elles sont accusées de jouer un double-jeu, se défendent de soutenir Haftar tout en insistant pour le légitimer comme un acteur incontournable dans la stabilisation de la Libye. La troisième étape illustre la manière dont les errements de la politique française en Libye ont affaibli la position de Paris vis-à-vis de ses alliés à l’égard du dossier libyen.

Le rationnel du soutien de Paris à Haftar : la part des alliances régionales dans un Sahel conflictuel

À la suite de l’intervention militaire qui renverse le régime de Kadhafi en 2011, la Libye sombre dans l’instabilité politique et la guerre civile. Diverses milices soutenues par des forces étrangères cherchent à contrôler une partie du territoire libyen, voire à s’emparer du pouvoir central. Cette situation chaotique se propage rapidement aux pays limitrophes, principalement le long d’une bande sahélo-saharienne déjà parcourue d’autres tensions.

Plusieurs caractéristiques propres à la Libye contribuent à la dégradation des conditions de sécurité dans la région. Par exemple, les combattants étrangers recrutés par Kadhafi depuis la fin des années 1970 retournent dans leur pays d’origine, militairement formés et équipés d’armes provenant des arsenaux de l’ancien Raïs. Au Mali, en particulier, les armes et les anciens mercenaires affluent et renforcent les rangs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) — un mouvement indépendantiste touareg — et la rébellion contre le gouvernement malien. En janvier 2013, la France lance l’opération Serval afin de faire cesser l’avancée des djihadistes au Mali. Cette mission est remplacée en 2014 par l’opération Barkhane dont le théâtre d’action s’étend à l’ensemble des pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) afin de lutter contre les groupes terroristes présents dans la région. La tâche de l’armée française est néanmoins rendue compliquée par l’utilisation du Fezzan (une région du sud de la Libye bordant l’Algérie, le Niger et le Tchad) comme base arrière par les djihadistes.

Haftar apparaît alors comme un partenaire crédible, la France ayant déjà coopéré avec lui lors de l’intervention de 2011. L’engagement du maréchal libyen à lutter contre l’islamisme politique et le djihadisme s’aligne avec les priorités de l’Élysée. Pour contrer la propagation du terrorisme au Sahel, Haftar reçoit le soutien des forces spéciales françaises et de frappes aériennes lors de son opération antiterroriste « Dignité » conduite en mai 2014. La France s’inquiète aussi de l’implantation progressive de l’État islamique dans la ville de Derna (sur la côte nord), ce qui pousse le ministère de la Défense et les services de renseignements à y déployer des agents.

La France n’est alors pas seule pour soutenir Haftar. Elle rejoint l’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) qui offraient déjà un appui tactique au maréchal et approvisionnaient l’ANL en armes. Comme la France, l’Égypte et les EAU considéraient que la lutte contre le terrorisme et l’endiguement des mouvements influencés par les Frères musulmans impliquaient de soutenir Haftar. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi avait d’ailleurs déjà cherché à encourager François Hollande à se ranger au côté du maréchal en 2015 dans le but affiché d’éviter que la Libye ne devienne islamiste et que ne s’y installe un pouvoir susceptible déstabiliser par la suite l’Égypte.

Il faut également souligner que les EAU et l’Égypte sont des destinations importantes des armements produits dans l’hexagone. Les licences octroyées vers ces deux pays se seraient élevées respectivement à 4,6 milliards EUR et 12,3 milliards EUR entre 2012 et 2021. Le soutien français devient donc aussi vraisemblablement indirect, une partie des équipements militaires fournis à ces pays étant ensuite transférée à l’ANL ou utilisée pour soutenir les opérations menées par le maréchal. En mai 2017, par exemple, l’armée égyptienne mène un raid aérien contre le GUN sur la ville de Derna à l’aide des avions de combat Rafale livrés par la France en 2015 et 2016. Le 16 novembre 2020, Mediapart révèle que des avions Mirage employés par les EAU pour des actions en Libye ayant causé de nombreuses pertes civiles auraient bénéficié du soutien de sociétés françaises impliquées dans l’entretien et la modernisation des appareils. Paris se défend de toute violation de l’embargo onusien sur les armes, arguant que la Résolution 1970 du Conseil de sécurité ne s’applique pas aux activités d’assistance et de fourniture d’armes à d’autres pays, même si ces armes peuvent être amenées à être utilisées en Libye.

En dépit de déclarations officielles dans lesquelles l’exécutif français soutient le GUN basé à Tripoli, la France et ses alliés appuient de facto le maréchal Haftar dans l’espoir de voir émerger une Libye unifiée sous son autorité qui participerait à lutte contre le terrorisme dans la région sahélo-saharienne. Cet objectif implique de faire peu de cas de l’embargo onusien sur les armes à destination de la Libye décrété quelques années auparavant, mais aussi de minimiser voir de passer sous silence les allégations de crimes de guerre visant l’ANL.

Le double discours français : entre contestation du soutien à l’ANL et légitimation de la figure Haftar

S’embourbant dans ses contradictions, le discours français vacille entre contestation face aux accusations de son soutien à l’ANL et tentative de légitimer la figure du maréchal Haftar comme acteur de premier plan dans le cadre des différents processus politiques engagés afin de mettre un terme à la guerre civile.

La France multiplie d’abord les déclarations favorables aux initiatives de paix lancées par les Nations unies, en prônant la nécessité de dialoguer « avec l’ensemble des parties pour les inciter à reprendre le chemin de la négociation ». En 2016, par exemple, Jean-Yves Le Drian — alors ministre de la Défense — affirmait « souten[ir] le processus politique en cours et la formation d’un gouvernement d’union nationale, sous l’autorité du Premier ministre Fayez al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale » tout en précisant qu’« il convient d’œuvrer pour un rapprochement de Sarraj et de Haftar, les deux personnages clés du pays». C’est dans ce but qu’Emmanuel Macron, fraîchement élu, réunit le chef du GUN et de l’ANL à La Celle-Saint-Cloud en juillet 2017. Le président français est le premier dirigeant européen à prendre une telle initiative alors que la plupart des chancelleries occidentales perçoivent Haftar comme un « obstacle à la paix libyenne » et comme une figure peu fréquentable.

Le discours français se fait de plus en plus ouvertement favorable à Haftar. Le gouvernement met tout particulièrement en avant son rôle dans la lutte antiterroriste en insistant en contraste sur l’impuissance du GUN à cet égard. Ainsi, en 2017, Le Drian (alors devenu ministre des Affaires étrangères) déclare que « grâce à l’action […] du maréchal Haftar […], on peut considérer que le risque de Daech est à peu près éliminé» alors que « M. Fayez el-Sarraj est reconnu par la communauté internationale, mais il ne parvient pas à asseoir son autorité au-delà de la ville de Tripoli ». En somme, le gouvernement de Tripoli est dépeint comme impuissant pendant que Haftar est promu comme une alternative robuste pour la sortie de crise libyenne.

Bien qu’il soit difficile de dater avec précision le début de l’aide française à l’ANL ou d’en connaître la portée exacte, il semble que tout au long de l’année 2016 Paris envoie plusieurs dizaines d’agents de renseignement et de conseillers des Forces spéciales et des services secrets en appui aux opérations de lutte contre les djihadistes en Libye. Cette même année, le ministère des Armées est d’ailleurs contraint de reconnaître la présence de militaires français en Libye à la suite d’un accident d’hélicoptère qui coûte la vie à trois agents du renseignement français. Interrogé sur le sujet, Le Drian dira simplement : « Nous menons — heureusement — des actions de renseignement. […] Je ne peux en dire davantage»

Le 27 juin 2019, ce sont des missiles antichars Javelin endommagés, provenant des stocks français, qui sont découverts au sein des troupes d’Haftar. La France se défend en expliquant qu’ils devaient servir à la lutte antiterroriste conformément à la Résolution 2214 (2015) du Conseil de sécurité qui « exhorte les États membres à combattre par tous les moyens[] les groupes terroristes qui opèrent en Libye ». Interrogée à ce sujet à l’Assemblée nationale, la ministre des Armées, Florence Parly, ajoute que « ces armes étaient destinées à l’autoprotection d’un détachement français déployé pour assurer des missions de renseignement en matière de contre-terrorisme» et insiste sur le fait qu’elles n’ont jamais été transférées à Haftar. Elle finit, par ailleurs, par invoquer le « secret-défense » face aux demandes insistantes des députés souhaitant obtenir des clarifications quant aux opérations de renseignement menées par la France en Libye et qui pourraient justifier l’usage de missiles antichars.

Un double jeu et des lenteurs qui relativisent la position de la France en Libye

Les justifications fournies par la France peinent à convaincre. Rapidement accusée de jouer un « double-jeu », la position de Paris est affaiblie auprès de plusieurs de ses alliés et ses tentatives de se placer en médiateur dans le conflit libyen sont reçues avec scepticisme.

Entre Paris et Rome, la relation se tend. L’Italie est l’ancienne puissance coloniale européenne en Libye. Elle a entretenu des liens étroits avec Kadhafi. Elle possède d’importantes concessions pétrolières dans le pays et elle est aussi l’État européen géographiquement le plus proche. Pour toutes ces raisons, Rome porte un intérêt particulier à la résolution de la crise libyenne. À la suite de la rencontre organisée à La Celle-Saint-Cloud en juillet 2017, le ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano, s’inquiète des initiatives de médiation françaises estimant que celles-ci pourraient délégitimer ou court-circuiter le travail mené par l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé. En mai 2018, Macron réunit à nouveau les principaux acteurs de la guerre civile libyenne à Paris. À la suite de cette rencontre, c’est au tour du ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, d’évoquer la responsabilité de la France dans cette crise et de l’accuser de ne n’écouter ni ses alliés ni les factions locales. Le Drian reconnaît en mai 2019, les « dissensions » et « divergences d’interprétation et d’analyse » que la France et l’Italie ont connues au sujet de la Libye.

L’Italie n’est toutefois pas le seul pays de l’Union européenne (UE) avec lequel la France connait des différends sur la question libyenne. En avril 2019, alors que Haftar lance son offensive sur Tripoli, Paris tente de bloquer la déclaration de l’UE condamnant cette attaque et appelant au retrait de l’ANL. Si elle se résout à s’associer au texte élaboré par la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, la France se place brièvement en opposition à l’ensemble de ses partenaires au sein de l’UE. Peu de temps après, Paris contribue à faire échouer le processus de Berlin initié à l’automne 2019 par le gouvernement allemand et Ghassan Salamé. Ce processus visait à faire cesser les diverses ingérences étrangères dans la guerre civile libyenne ainsi que les violations de l’embargo. Selon Wolfram Lacher – chercheur à la Stiftung Wissenschaft und Politik – la France se saisit des discussions et les détourne en insistant sur les concessions que le GUN doit faire pour aboutir à un cessez-le-feu.

Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Abdoulaye Bathily, a lui aussi évoqué les divisions internationales quant au processus de paix en Libye. Il a estimé ces divisions responsables de l’offensive de l’ANL sur Tripoli et dénoncé à plusieurs reprises les ingérences étrangères ainsi que le soutien de certains pays à Haftar sous couvert de la lutte contre le terrorisme. Il s’est abstenu, toutefois, de citer un État en particulier.

Les manœuvres unilatérales de Paris combinées aux dissensions au sein de l’UE au sujet du processus politique en Libye ont contribué aux échecs répétés des négociations. Ce contexte a ouvert la voie à des interventions plus poussées de part de la Turquie, des EAU et même de la Russie, contribuant à relativiser la place de la France du jeu libyen.

Comme le reconnaît Emmanuel Macron le 23 mars 2021, la France a une « dette » envers la Libye.. L’intervention militaire de 2011 dans laquelle la France s’est mise de l’avant a entraîné un chaos qui perdure depuis maintenant bientôt treize ans. Mais la dette française ne s’arrête pas aux conséquences de l’intervention militaire voulue par Nicolas Sarkozy. En soutenant Haftar, la France s’est — au même titre que la Russie, la Turquie, l’Égypte et les EAU — ingérée dans la guerre civile libyenne et a contribué à la poursuite et à l’intensification des hostilités. Maintenant que son « champion de la lutte antiterroriste » a échoué à prendre le pouvoir avec son offensive sur Tripoli, stoppée par les forces soutenues par la Turquie[47], la France ne peut plus entièrement miser sur Haftar pour devenir l’homme fort libyen.

Consciente de la position délicate dans laquelle elle s’est mise, la France cherche à rétablir son image de puissance médiatrice. Elle s’emploie à plaider pour la tenue des élections prévues par l’accord de cessez-le-feu d’octobre 2020. En août 2023, Nathalie Broadhurst — représentante permanente adjointe de la France auprès des Nations unies — déclarait encore que la « tenue d’élections transparentes et impartiales dans l’ensemble de la Libye et dans les meilleurs délais est essentielle». Haftar, qui s’est déclaré candidat en décembre 2021, est pour l’instant écarté des élections du fait de sa binationalité américano-libyenne, Les élections, si tant est qu’elles aient lieu dans un avenir proche, devraient se jouer probablement entre Abdel Hamid Dbeibah — actuel Premier ministre libyen réputé proche de la Turquie — et Fathi Bachagha — ancien ministre de l’Intérieur au sein du GUN dirigé par el-Sarraj, à qui Haftar a, pour l’instant, apporté son soutien.

SOURCE : GRIP

Par

Violette Trégarot

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *