décembre 7, 2024
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Sécurité

Au Mozambique, l’Europe sur le pied de guerre

Depuis quelques années, l’Union européenne multiplie les missions de formation militaire sur le continent. Au Mozambique, l’EUTM forme l’armée nationale à combattre une insurrection djihadiste dans le nord du pays. Mais au fil du temps, cette mission prend un caractère de plus en plus offensif.

Alors qu’activistes, politiciens et journalistes se penchent sur les missions militaires de l’Union européenne (UE) en Afrique de l’Ouest, dans le golfe de Guinée, au Soudan du Sud ou encore dans la Corne de l’Afrique, qui ont échoué pour la plupart, une mission sur le continent est jusqu’à présent passée relativement inaperçue : celle déployée en 2021 au Mozambique. La Mission de formation de l’UE au Mozambique (EUTM-Mozambique) vise à renforcer l’armée mozambicaine dans le cadre du conflit qui l’oppose, dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du pays, à une insurrection djihadiste. L’UE a récemment accepté une prolongation et une extension de la mission, qui ont pris effet le 1er septembre 2024.

Les attaques menées par des combattants islamistes d’Al-Shabaab (« Les jeunes », en arabe) contre des postes de police ont commencé en octobre 2017. Le conflit de Cabo Delgado est complexe. Ses causes sont nombreuses et imbriquées. La radicalisation religieuse d’une partie de la population musulmane a probablement commencé au début des années 2000, dans un contexte de tensions et de rivalités ethniques, mais aussi de frustration. Tant pendant la période coloniale portugaise qu’après l’indépendance du Mozambique (1975), le Nord est resté marginalisé et éloigné du centre politique du Sud. Mais en dépit de sa situation périphérique, Cabo Delgado est devenue une zone prisée depuis la découverte de gisements de gaz naturel. TotalEnergies (France), ExxonMobil (États-Unis) et ENI (Italie) ont commencé à y forer pour trouver du gaz (ou prévoient de le faire). Les impacts redoutés et réels de ces investissements sur la population locale, tels que les déplacements qui ont déjà eu lieu et qui s’accompagnent d’un sentiment de marginalisation, ont été le troisième moteur de la violence.

Exit la force de la SADC

En juillet 2021, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a lancé une mission militaire au Mozambique, la Samim, afin de combattre les djihadistes. Plusieurs pays ont déployé des soldats, mais ils les ont retirés au cours des dernières semaines. Les avis divergent sur les raisons de ce retrait. Certains évoquent un financement insuffisant, d’autres suggèrent que la Samim quitterait le pays tout simplement parce qu’elle aurait rempli sa mission (ce qui, compte tenu des activités croissantes des insurgés depuis janvier 2024, est discutable). Il semble en réalité que les tensions actuelles entre le gouvernement mozambicain et la SADC constituent l’explication la plus plausible. Les chefs d’État de la SADC n’étaient pas d’accord avec le déploiement de troupes rwandaises dans le Cabo Delgado.

Le régime autocratique de Paul Kagame tente de se positionner en tant que partenaire fournisseur de sécurité sur le continent – avec l’appui de la France, qui a probablement invité le Rwanda à protéger les investissements de TotalEnergies. Une société de sécurité rwandaise est notamment impliquée dans la protection des installations de la multinationale française, et des entreprises de construction rwandaises en bénéficieraient.

Les critiques du régime de Kagame le soupçonnent de vouloir ainsi détourner l’attention sur son implication dans la guerre dans l’est du Congo. Le pays a en outre un œil sur les dissidents rwandais vivant au Mozambique et a besoin de la bonne volonté des autorités mozambicaines pour les faire arrêter et les rapatrier. Fin février 2024, le Parlement mozambicain a ratifié un accord d’extradition controversé avec le Rwanda, qui a suscité des inquiétudes quant à la persécution éventuelle de dissidents en exil.

Les millions de l’Union européenne

Il y a trois ans – en juillet 2021, l’UE a décidé de lancer une mission de formation au Mozambique, qui devait initialement durer deux ans. L’information est passée relativement inaperçue. L’EUTM-Mozambique a été conçue dans le but de former et de soutenir les forces armées mozambicaines dans la lutte contre l’insurrection djihadiste dans la province de Cabo Delgado, en particulier les unités de la Force de réaction rapide (Quick Reaction Force, QRF). Très vite, 40 millions d’euros sont venus compléter les 4 millions initialement débloqués pour la financer, puis 45 millions d’euros supplémentaires provenant de la Facilité européenne de soutien à la paix (FEP) lui ont été alloués en avril 2022. Onze unités comptant plus de 1 700 militaires ont été formées jusqu’à présent. En outre, par l’intermédiaire de la FEP, l’UE a aidé les forces armées mozambicaines à acheter des équipements non létaux pour les unités formées par l’EUTM-Mozambique.

Un large éventail de pays participe à cette mission. Sans surprise, le Portugal (l’ancienne puissance coloniale) et la France y jouent un rôle de premier plan. Plusieurs autres États membres de l’UE sont présents en conséquence, mais la Serbie, candidate à l’adhésion à l’UE, et le Cap-Vert y participent également avec l’envoi de quelques soldats.

Début 2024, le gouvernement mozambicain a demandé à l’UE de prolonger la mission. Selon le journal en ligne Canal de Moçambique, la représentation de l’UE au Mozambique a un temps hésité. Avant cela, en décembre 2023, le gouvernement du Portugal avait déclaré, sans surprise, que la mission de l’UE devait être prolongée. Finalement, le Conseil de l’UE a décidé de prolonger le mandat de la mission jusqu’au 30 juillet 2026. La nouvelle mission sera financée à hauteur de 14 millions d’euros. Toutefois, cette prolongation s’accompagne d’un changement d’objectif : au lieu de se concentrer sur la formation, l’accent est désormais mis sur le soutien opérationnel.

La rhétorique reflète ce changement d’optique. L’EUTM-Mozambique est devenue en septembre la Mission d’assistance militaire de l’UE au Mozambique (EUMAM-Mozambique). Outre des armes légères, le Mozambique souhaite désormais recevoir du matériel de guerre de la part de l’Europe. Cette demande, maintes fois formulée et constamment refusée, a été présentée une énième fois à Bruxelles en mai 2024 par le ministre mozambicain de la Défense, Cristóvão Chume.

Faciliter les livraisons d’armes

L’engagement au Mozambique s’inscrit dans le cadre de la « Politique européenne de sécurité et de défense commune » (PSDC), qui a été lancée il y a quelques années et qui a été renforcée en 2022 avec la « Boussole stratégique », un plan d’action visant à renforcer la politique de sécurité et de défense de l’UE d’ici à 2030. La Facilité européenne pour la paix en est l’instrument de financement. Selon le traité de l’UE, il n’est pas permis à l’institution de financer des mesures militaires à partir de son budget. Pour contourner cette interdiction, un budget pour le financement militaire en dehors du budget de l’UE a été créé. Il est doté de 17 milliards d’euros pour la période 2021-2027 (principalement pour soutenir l’Ukraine).

Avec la FEP, l’UE recherche une plus grande flexibilité qui lui permettra de contourner l’Union africaine (UA) et de financer directement des initiatives militaires nationales et sous-régionales. Le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, a déclaré que la FEP « ferait de l’UE un fournisseur de sécurité encore plus efficace dans le monde entier ». La mission au Mozambique a été l’un des premiers signes visibles de cette évolution – elle fut la troisième mesure de soutien adoptée par le Conseil après la création de la FEP.

L’UE souhaite notamment se servir de la FEP pour faciliter les livraisons d’armes aux pays en crise et pour financer directement la formation et l’équipement des armées nationales. Selon le think tank International Crisis Group (ainsi que d’autres organisations), cela pourrait exacerber les tensions dans les États fragiles. Bien que les demandes de livraisons d’armes du gouvernement mozambicain aient été rejetées jusqu’à présent, son partenaire, le Rwanda, a lui bénéficié de l’aide de l’UE. En 2022, l’armée rwandaise a reçu pour la première fois un soutien financier direct de 20 millions d’euros au titre de la FEP. Et, selon une enquête de Bloomberg, l’UE envisagerait d’augmenter encore ce soutien. La Samim a également bénéficié d’un soutien de près de 17 millions d’euros pour l’achat d’équipements tels que des fortifications de camps et des véhicules.

Primauté des militaires sur les civils

Jusqu’à présent, aucune étude critique n’a été menée pour évaluer le succès de la mission et l’effet de la formation sur les forces de réaction rapide. Les succès attendus par l’UE se concentrent sur la quantité (par exemple, le nombre de soldats formés) plutôt que sur la qualité. L’International Crisis Group indique dans un rapport de 2023 que les autorités mozambicaines n’accordent pas aux formateurs militaires de l’UE l’accès à la région. D’une manière générale, la menace djihadiste reste élevée dans le Cabo Delgado. […]

Certes, la protection de la population – y compris par le renforcement des forces armées mozambicaines – est indispensable. Néanmoins, la mission de l’UE donne l’impression d’une primauté politique des militaires sur les civils. Or ce conflit ne prendra pas fin sans l’ouverture d’un canal de dialogue, notamment par le biais des communautés directement concernées. Des initiatives locales ont déjà produit des résultats, comme la libération par les djihadistes d’une soixantaine de pêcheurs qui avaient été kidnappés en août 2024.

En outre, des mesures socio-économiques allant au-delà des « projets de développement » doivent être prises. Or, en mettant l’accent sur la réponse armée, et en soutenant les forces de sécurité dont l’image est dégradée auprès des populations locales, l’UE nie les causes sociales et économiques de la guerre dans le Cabo Delgado. La façon dont l’« imposition de la paix » (créer la paix par la violence) doit devenir le « maintien de la paix » n’est pas claire. Ainsi, même si elle n’est pas directement impliquée, l’UE participe à la militarisation croissante du pays.

Alors que la rhétorique de la diplomatie européenne tend à mettre l’accent sur une position défensive européenne, ses missions, comme celle au Mozambique, suggèrent désormais un caractère beaucoup plus offensif. Il s’agit ici de défendre un projet extractiviste et la sécurité européenne de l’approvisionnement en gaz. Source : Afrique XXI

 

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