La Ligue arabe a rendu possible une accélération et un approfondissement de la coopération entre les pays arabes qui la constituent. Néanmoins, cet objectif de solidarité arabe régionale est constamment mis à l’épreuve par les nombreux foyers de tensions et crises persistantes. Cela a largement tendance à reléguer au second plan la coopération régionale. Une carte commentée.
Le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Houssam Zaki, déclare le 29 juin 2024 “ La Ligue arabe ne considère plus le Hezbollah comme une entité terroriste”. Un changement de position d’autant plus remarquable que, depuis mars 2016, la Ligue arabe avait officiellement classé le “Parti de Dieu [2]” comme organisation terroriste, emboitant le pas au Conseil de coopération du Golfe. Cette évolution intervient dans un contexte de tensions accrues entre le Hezbollah et Israël au lendemain de l’opération “Déluge d’Al Aqsa” lancée par le Hamas le 7 octobre 2023. Un revirement de la Ligue arabe pourrait avoir des implications significatives sur les dynamiques politiques régionales et sur les efforts de résolution des conflits au Moyen-Orient.
La portée de cette annonce interroge sur le poids politique de la Ligue arabe, et l’unité des pays qui la constituent. Nous avons ainsi choisi de revenir sur cette organisation de coopération et sur son rôle dans le jeu politique régional.
Aux origines de la Ligue arabe, une aspiration à l’émancipation collective
Le 25 septembre 1944, la conférence d’Alexandrie réunissant sept pays arabes (Égypte, Irak, Arabie saoudite, Transjordanie, Liban, Syrie et Yémen du Nord [4]) se conclut par la rédaction d’un protocole qui pose les jalons d’une future association. Alors que la fin de la Seconde Guerre mondiale est proche, certains États comme l’Égypte (qui est à l’initiative de la conférence d’Alexandrie) souhaitent maintenir l’indépendance des nations arabes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, face à la menace que représentent les nations occidentales dans la région.
À l’issue de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni, qui s’était engagé à soutenir la création d’un État arabe indépendant, et la France, renoncent à leur promesse. La conférence de paix de 1919 refuse d’accorder aux Arabes un État. En vertu d’un accord secret signé en 1916, l’accord de Sykes-Picot, la France obtient un mandat sur la Syrie et le Liban. De plus, conformément aux promesses de la déclaration Balfour de 1917, la Palestine, placée sous mandat britannique et détachée de la Syrie, est ouverte à l’arrivée de populations juives.
Ainsi, le 22 mars 1945, sous l’égide du Royaume-Uni dont l’influence reste importante, les cinq fondateurs (Égypte, Irak, Liban, Syrie, Jordanie), rejoints deux semaines plus tard par le Yémen, signent au Caire la version finale de la constitution de la Ligue arabe. Son principal objectif est d’encourager la coopération entre les États membres, de protéger leur indépendance et leur souveraineté individuelles et collectives et de représenter les pays arabes au Moyen-Orient et en Afrique.
La Charte de l’organisation établit différents principes fondateurs :
. Réaliser une relation plus étroite entre les pays arabes
. Coordonner les plans et les politiques des États membres
. Promouvoir la coopération sociale, sanitaire et économique
. La coopération dans des domaines plus vastes, examiner les intérêts et les affaires des États arabes
. Réglementer les relations économiques et sociales avec les organisations internationales afin d’assurer la paix et la sécurité.
Pour définir les contours identitaires de cette nouvelle association, la charte établit que « Tout État arabe indépendant a le droit de devenir membre de la Ligue». Bien que la majorité des États membres de la Ligue arabe aient une population à majorité musulmane, une affiliation islamique stricte n’est pas une condition d’adhésion à la Ligue arabe. L’admission est plutôt basée sur le fait que la nation soit arabophone, que l’arabe soit l’une des langues officielles ou que la population soit d’origine arabe.
Ainsi, dans la seconde moitié du XXème siècle, quinze autres États [6] ont rejoint la Ligue arabe après leur indépendance. L’organisation est en 2024 composée de 22 membres.
Sa structure organisationnelle repose sur plusieurs institutions centrales. Nous pouvons notamment citer le « Conseil de la Ligue arabe », son organe principal, qui est composé des représentants de tous les États membres, se réunissant deux fois par an, ou de façon exceptionnelle en session extraordinaire si nécessaire, ou encore le secrétariat général, qui en est l’organe administratif.
L’organisation se décline ensuite en comités, commissions et organisations spécialisées traitant de questions spécifiques, sur des sujets plus techniques. Elle dispose également d’une cour de justice dont le but est de résoudre les différends entre ses États membres.
Pour décider des grandes orientations politiques, les chefs d’État des pays membres se réunissent une fois par an lors du “sommet arabe” ou “sommet des chefs d’État”.
Une spécialisation des coopérations sous l’égide de la Ligue arabe
La création d’organisations spécialisées sur les plans culturel, économique et scientifique sont les marqueurs de cette volonté de coopération multiforme entre ses États membres.
L’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) fondée au Caire le 25 juillet 1970, désormais basée à Tunis, s’inscrit pleinement dans cet objectif initial d’unification des nations arabes, avec comme socle commun la langue.
Dans le but d’assurer une meilleure intégration économique des pays membres, un pacte de libre échange est signé le 19 février 1997. Le GreaterArab Free Trade Area (GAFTA) , mis en œuvre à partir du 1er janvier 2005 permet notamment d’harmoniser les réglementations ainsi que de réduire ou éliminer les barrières tarifaires et non tarifaires entre les États membres afin de stimuler le commerce intrarégional et d’améliorer la compétitivité des entreprises. Cet accord représente une avancée inédite et significative, dont l’efficacité reste cependant contrastée, car conditionnée par la volonté et la capacité des États à surmonter leurs difficultés internes. Les tensions politiques entre certains membres mettent également à mal une application homogène de cet accord.
La Ligue arabe est également à l’origine du développement d’une coopération scientifique ambitieuse. Ses membres fondent le 15 février 1989 l’Agence Arabe de l’Énergie Atomique (AAEA). Cette coopération favorise le développement de capacités nucléaires pacifiques, et contribue à la sécurité énergétique tout en respectant les normes internationales. Le succès de l’AAEA peut être considéré comme partiel mais significatif, étant donné les contraintes et les complexités inhérentes à l’intégration de plusieurs pays avec des niveaux de développement variés. Ce succès de l’AAEA est symbolisé par la mise en exploitation de la centrale nucléaire de Barakah, la première du monde arabe, en août 2020, ouvrant ainsi la voie aux autres États membres.
L’instabilité politique, principal obstacle à la mise en œuvre d’une coopération pérenne
De facto, la Ligue arabe a rendu possible une accélération et un approfondissement de la coopération entre les pays arabes qui la constituent. Néanmoins, cet objectif de solidarité arabe régionale est constamment mis à l’épreuve par les nombreux foyers de tensions et crises persistantes. Cela a largement tendance à reléguer au second plan la coopération régionale.
Le Moyen-Orient est caractérisé par une instabilité politique forte, notamment en Syrie et en Libye. En 2011, dans la continuité des « printemps arabes [7] », les deux pays ont basculé dans des guerres civiles dont l’issue est aujourd’hui encore incertaine. En 2014, le Yémen bascule à son tour dans la guerre civile sur fond de rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran. En 2023, un conflit armé interne éclate au Soudan, issu de la rivalité entre deux généraux.
D’autres pays comme l’Irak et la Syrie se trouvent confrontés à la menace djihadiste. Celle-ci est principalement représentée par Daech (et ses ramifications) qui, au plus fort de son expansion, occupe une partie du territoire national, ayant sous son contrôle des villes importantes comme celle de Mossoul. Si l’organisation ne contrôle plus aucun de ces territoires aujourd’hui, elle reste une menace avec la présence de nombreuses cellules « dormantes » clandestines au Moyen-Orient .
Enfin, s’ajoutent à ces menaces des difficultés économiques structurelles dont le Liban est le symbole. Une crise économique mine le pays depuis quatre ans, et dans un contexte de regain de tensions régionales, la situation est dans l’impasse.
La question israélienne, marqueur des divisions au sein de la Ligue arabe
En parallèle à ces difficultés internes, des différences de visions sur certains enjeux régionaux sont également source de profondes divisions. La question israélienne en est le marqueur.
On distingue aujourd’hui trois groupes d’États, selon la position qu’ils tiennent vis-à-vis de l’État hébreu.
Tout d’abord, nous distinguons un premier groupe avec l’Egypte (reconnaissance en 1978) et la Jordanie (reconnaissance en 1994). Les deux pays ont été suivis par les Emirats Arabes Unis et Bahreïn, qui, avec la signature (sous l’égide des États-Unis) des accords d’Abraham en 2020 [10] ont officialisé la normalisation de leurs relations avec Israël. Ces accords témoignent d’une évolution stratégique des États du Golfe, accentuant la césure entre les États sunnites et l’Iran chiite. Ils impliquent également une marginalisation de la cause palestinienne et éloignent la perspective d’une solution à deux États.
Le Maroc a lui aussi signé un accord de normalisation avec Israël en date du 22 décembre 2020. Enfin, Eli Cohen, le ministre des affaires étrangères israélien, a déclaré le 2 février 2023, s’être « mis d’accord » avec le Soudan « pour signer un traité de paix » [11], ouvrant la voie à une normalisation. Ce traité est cependant toujours en attente de ratification compte tenu de la situation de guerre civile dans le pays depuis le 15 avril 2023.
Ensuite, un deuxième groupe d’États n’a toujours pas reconnu l’État d’Israël mais ne lui est pas hostile. C’est le cas de l’Arabie saoudite dont la position officielle est de ne pas avoir de relations diplomatiques formelles avec l’État hébreu, mais qui officieusement évolue vers un rapprochement. Le pays occupe une position particulièrement stratégique et complexe vis-à-vis d’Israël, reflétant un équilibre délicat entre pragmatisme géopolitique et respect des positions traditionnelles du monde arabe. Oman, le Qatar, le Koweït et la Mauritanie, n’ont pas reconnu Israël à ce jour mais acceptent dans quelques cas précis une certaine forme de relations diplomatiques avec le pays (médiation, aide humanitaire à Gaza), ou adoptent une position de neutralité prudente.
Enfin, troisième groupe, le Liban, la Syrie, l’Irak, la Libye et l’Algérie sont fermement opposés à toute forme de reconnaissance et de relations normalisées. Ces positions s’expliquent notamment par leur soutien fort à la cause palestinienne, ou par des tensions géopolitiques marquées géographiquement (plateau du Golan en Syrie, frontière libano-israélienne).
La réponse israélienne aux attaques du Hamas (7 octobre 2023) a porté un coup d’arrêt à ces différents processus de normalisation en poussant certains pays arabes à ralentir ou suspendre les négociations de normalisation avec Israël. Le processus n’est pas nécessairement remis en cause de manière définitive, mais il est entré dans une phase de réévaluation et de prudence accrue.
Il s’agit donc d’une nouvelle donne géopolitique pour les membres de la Ligue arabe, déjà confrontés à de nombreuses crises imbriquées les unes aux autres, et dont la résolution semble assez incertaine. Ainsi, la réalité du terrain, le pragmatisme politique dont ils font preuve et leur poids divergent sur la scène internationale sont autant de freins à la volonté affichée de coopération entre les membres.
La Ligue arabe a rendu possible une accélération et un approfondissement de la coopération entre les pays arabes qui la constituent. Néanmoins, cet objectif de solidarité arabe régionale est constamment mis à l’épreuve par les nombreux foyers de tensions et crises persistantes. Cela a largement tendance à reléguer au second plan la coopération régionale. Une carte commentée.
Par AB PICTORIS, Clément ALBERNI (Diploweb)