En novembre 2018, le président
français Emmanuel Macron a partagé une heure et quarante minutes avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI à bord de l’« Al Boraq »,TGV reliant Tanger à Rabat lors de son inauguration. Une durée suffisante pour échanger sur l’avenir des relations bilatérales, sans entrer dans les détails bien sûr, à l’époque, tout le monde pensait que ces relations étaient déjà solidement ancrées, tant sur le plan économique que politique.
Je n’aurais donc jamais imaginé, en observant depuis la fenêtre de mon appartement à Agdal l’arrivée du cortège royal à la gare, que ce voyage s’arrêterait ici, et que ce serait la dernière visite du locataire de l’Élysée dans notre pays.
Les journalistes qui accompagnaient le président, également à bord de l’« Al Boraq », capturant chaque instant de l’accueil officiel et populaire, étaient fascinés par la profondeur et la qualité des relations entre les deux nations et leurs dirigeants. Ce qui les intriguait pourtant était le nom donné à ce train rapide : « Al Boraq ». Cela déclencha diverses questions et hypothèses, jusqu’à ce qu’un journaliste s’interroge sur les implications géostratégiques de cette appellation. Pourtant, « Al Boraq » n’est rien de plus qu’une créature mythologique ailée, d’un blanc éclatant, « plus grande qu’un âne et plus petite qu’une mule », selon la mythologie islamique.
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la Seine et de l’Oued Bouregreg. La pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde, éloignant les individus et confinant villes, pays et continents. Ensuite, l’année 2021 a marqué les élections présidentielles en France et législatives au Maroc. Pourtant, après cela, les tensions ont commencé à monter progressivement, aboutissant à une crise qui frôlait la rupture — une idée autrefois inimaginable pour nos deux pays.
Trois ans ont passé, et la froideur persiste. Ce n’est plus une simple turbulence passagère, mais la plus longue crise entre Rabat et Paris depuis la création de la Cinquième République. Pendant cette période, les analystes des deux côtés se sont concentrés sur la question de savoir qui en sortait gagnant ou perdant. Seuls quelques esprits sages se sont demandé : qu’avons-nous appris de cet épisode ? Quelles leçons en tirer ? Était-ce une crise, ou une opportunité de renouveau ?
On ne peut oublier que, malgré les bonnes intentions, les relations entre le Maroc et la France restent celles entre un pays ancien colonisateur et un autre colonisé durant près d’un demi-siècle. La France, en entrant au Maroc, invoquait la mission de protection et de développement, une promesse non tenue, car lorsqu’elle le quitta, le nombre de médecins et d’ingénieurs marocains se comptait à peine sur les doigts d’une main. C’est peut-être cette image qui demeure dans l’esprit des politiciens français. Pendant ce temps, le Maroc construisait son propre modèle, et à chaque pas, les relations se tendaient, parfois subtilement, sous diverses formes.
On se souvient de Nicolas Sarkozy, ami indéniable du Maroc, mais dont l’amitié s’était refroidie lorsque le Maroc avait préféré acheter des F-16 américains plutôt que des Rafale français. Sans parler des mandats de François Hollande, de François Mitterrand avec le livre « Notre ami le Roi » de Gilles Perrault, ou même du général de Gaulle avec l’affaire de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka en 1965, au cœur de Paris, en coopération avec les services de plusieurs pays .
Ce que l’on reproche au jeune président Emmanuel Macron, c’est de ne pas avoir saisi que le Maroc avait changé, que le nombre de médecins, d’ingénieurs, et autres professionnels marocains s’élève désormais à des milliers, et que nombre d’entre eux contribuent aujourd’hui à la qualité de vie en France. Mais il faut lui reconnaître une chose : il a porté la tension avec le Maroc à son paroxysme, un niveau que nul président avant lui n’avait osé atteindre — un excès peut-être dû à l’ardeur de la jeunesse.
Cela lui a permis de découvrir que le Maroc est devenu un autre pays, prêt à envisager toutes les éventualités, même les plus improbables. Cette crise a donc offert au Maroc l’occasion précieuse d’envoyer un message clair, aux amis comme aux adversaires : le Royaume chérifien est désormais maître de ses décisions politiques et économiques, bâtissant ses alliances et ses partenariats en fonction de sa vision et de ses propres intérêts stratégiques.
Enfin, il faut saluer le locataire de l’Élysée pour avoir su, au plus fort des tensions, choisir de reculer. Cette compétence et ce courage, rares chez les dirigeants, sont le propre des grands, car il a su écouter la sagesse des voix modérées de Paris et intégrer le poids du passé et les potentialités de l’avenir. Il a alors repris l’« Al Boraq » qu’il avait quitté à la gare d’Agdal à Rabat en novembre 2018, reprenant ainsi le fil du dialogue avec un partenaire sur .
Dans les affaires, les amitiés, les partenariats et les relations politiques, la transparence, la logique gagnant-gagnant, et le respect mutuel sont les seuls ingrédients d’une relation durable et fructueuse, tant à court terme qu’à long terme. L’histoire retiendra qu’avec les récentes positions, d’Emmanuel Macron “ nous avons enterré le passé “ — comme le suggère le titre du roman du grand écrivain marocain Abdelkarim Ghallab. Mais la visite du président attendue le 28 octobre pourrait être le début d’une lecture approfondie du livre “Une brève histoire de l’avenir” de Jacques Attali, une figure qui, comme on le sait, a partagé un bout de chemin avec le président Macron.
Abderrafie Hamdi