- La cheffe du gouvernement italien veut freiner l’immigration, garantir les intérêts énergétiques de Rome et s’imposer comme l’interlocutrice incontournable du continent. La cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, a réuni, ce vendredi 20 juin, dans les jardins de la Villa Doria Pamphilj à Rome, plusieurs dirigeants africains et responsables européens. En ligne de mire : donner un second souffle au « plan Mattei pour l’Afrique », du nom d’Enrico Mattei, fondateur du groupe pétrolier Eni et promoteur d’accords plus équitables avec les pays producteurs. Ce plan, lancé officiellement en 2024, entend se conjuguer avec le Global Gateway, l’initiative infrastructurelle et numérique portée par l’Union européenne.
Objectif affiché : s’attaquer aux causes profondes de l’émigration clandestine en soutenant les économies africaines, tout en réaffirmant l’influence italienne – et européenne – sur un continent où la Chine, la Russie et la Turquie creusent leur sillon. « Renforcer l’Afrique, c’est renforcer l’Europe », a martelé Meloni, soutenue sur scène par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Dette, investissements et diplomatie économique
Dès l’ouverture du sommet, Meloni a annoncé une initiative conjointe avec Bruxelles : transformer 235 millions d’euros de dette africaine, d’ici à dix ans, en investissements directs dans des projets de développement. Cette conversion viserait à alléger de moitié le poids de la dette dans certains pays à revenus intermédiaires, sans qu’on en connaisse encore les modalités concrètes.
Plus concrètement, 1,2 milliard d’euros ont été officialisés sous forme d’engagements conjoints pour financer des projets structurants, parmi lesquels figure le corridor ferroviaire Lobito, qui reliera l’Angola, la Zambie et la RDC. Une illustration de la volonté de Rome de s’aligner sur une diplomatie économique offensive, à la manière de la « Belt and Road » chinoise, mais dans un format annoncé comme plus équitable.
Un plan jugé ambitieux… et encore flou
Le gouvernement italien affirme vouloir mobiliser 5,5 milliards d’euros d’ici à 2027 pour financer son plan, via des dons, des prêts ou des garanties répartis dans quatorze pays africains. Trop peu pour bousculer la hiérarchie européenne en matière de coopération et booster les entreprises italiennes au sud de la Méditerranée. Et selon un rapport officiel publié en novembre dernier, moins de 2 milliards ont, à ce stade, été réellement assignés à des projets concrets. De quoi nourrir le scepticisme de plusieurs analystes, qui voient dans le plan Mattei un dispositif encore largement incantatoire. D’où l’idée de Rome de structurer son action en signant des partenariats avec la Banque africaine de développement.
Pour Meloni, ce plan n’est pas qu’une vitrine diplomatique : il s’inscrit dans la continuité d’une promesse faite dès son arrivée au pouvoir en 2022 – « supprimer les causes profondes » de l’immigration illégale vers l’Italie. En d’autres termes, déplacer la frontière migratoire bien au sud de la Méditerranée, en stabilisant les économies fragiles tout en sécurisant les approvisionnements énergétiques de la péninsule.
Vers un axe Rome-Bruxelles ?
La Première ministre insiste : il ne s’agira pas d’une énième politique de coopération imposée du Nord vers le Sud. Rome revendique une approche « non paternaliste », inspirée des contrats passés par Enrico Mattei dans les années 1950, qui garantissaient une répartition plus juste des revenus pétroliers entre l’Italie et les pays producteurs. En filigrane, une critique à peine voilée de la France, dont l’influence en Afrique s’est nettement érodée, notamment au Sahel, où plusieurs régimes militaires ont exigé le départ des troupes françaises.
En se présentant comme un partenaire « pragmatique » et moins intrusif, l’Italie entend tirer parti du vide laissé par Paris pour se repositionner sur l’échiquier africain. Le ton est donné : Rome veut incarner une nouvelle forme de coopération, moins idéologique, plus orientée vers les intérêts mutuels.
La présence d’Ursula von der Leyen confère une dimension européenne au sommet. Le Global Gateway – doté de 150 milliards d’euros – pourrait, à terme, servir de levier complémentaire pour soutenir le plan Mattei. Mais cette convergence reste encore fragile : certains États membres de l’UE s’inquiètent d’une initiative trop personnalisée par Meloni, dont la ligne politique ultraconservatrice suscite des crispations à Bruxelles.
À un an des élections italiennes, la Première ministre espère capitaliser sur cette vitrine diplomatique pour renforcer son image de leader capable de gérer la question migratoire à l’échelle continentale. Avec ce plan Mattei, elle envoie un signal clair : l’Italie veut jouer dans la cour des grands en Afrique – quitte à rebattre les cartes des anciennes influences. Par Le Point Afrique