Le dessalement d’eau s’impose progressivement comme la solution de premier plan pour faire face au stress hydrique croissant, c’est-à-dire au déséquilibre entre la demande en eau et la quantité disponible. Les Nations unies estiment qu’en 2025, les deux tiers de la population mondiale seront concernés par ces défis. Si les causes de la raréfaction de l’eau sont multiples (changement climatique, agriculture intensive et croissance démographique), elle impose aux États de repenser leurs politiques hydriques, centrales pour la préservation de leur stabilité, résilience et souveraineté. Un véritable « boom » des industries de dessalement est à l’œuvre.
La majorité des pays du Golfe dépendent désormais en grande partie de l’eau dessalée pour la consommation de leurs habitants : aux Émirats arabes unis (EAU), 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement représentant plus de 7 millions de mètres cubes (m3) par jour, 90 % pour le Koweït, 86 % pour Oman, 70 % pour l’Arabie Saoudite. En 2022, plus de 21 000 stations de dessalement d’eau de mer sont opérationnelles dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a dix ans, et le secteur connaît une croissance de l’ordre de + 6 % à + 12 % de capacité par an. En 2030, les capacités de dessalement des pays du Moyen-Orient devraient quasiment doubler, s’inscrivant dans le cadre de plans quinquennaux annoncés afin de préparer la transition de ces économies à « l’après pétrole ».
Les capacités de dessalement de l’Arabie Saoudite passeront de 5,6 millions de m3 par jour en 2022 à 8,5 millions de m3 par jour en 2025, et devront couvrir plus de 90 % de la consommation en eau du pays. De même aux EAU, au Koweït, à Bahreïn ou en Israël, où la production d’eau dessalée va plus que doubler d’ici à 2030. Avec l’essor des solutions disponibles pour répondre à tous les besoins, ces technologies sont désormais demandées sur pratiquement tous les continents et le Moyen-Orient ne représente plus que 50 % des capacités installées dans le monde. En Afrique, des projets d’envergure ont été récemment annoncés en Algérie et au Maroc, pays jusqu’alors dotés d’eau potable en quantité suffisante. D’autres comme le Ghana, le Sénégal et le Kenya alimentent de nombreuses villes grâce à de l’eau de mer dessalée. C’est aussi le cas de la ville du Caire. Dans la zone indopacifique, notamment en Chine et en Inde, les besoins en eau dessalée augmentent, tirés vers le haut par une industrie en croissance et une eau disponible qui diminue. Pour la seule année 2020, plus de 35 usines de dessalement ont été annoncées en Chine, six aux Philippines et six à Taïwan. Sur le continent Américain, la côte ouest des États-Unis se démarque par d’importants projets en la matière (Californie), et le Texas n’est pas en reste. En Amérique latine, de nouveaux projets naissent au Pérou et au Chili majoritairement poussés par les besoins de l’industrie minière tandis qu’au Mexique la demande d’eau dessalée vient plutôt de la population. Enfin, les zones insulaires se démarquent par leur besoin élevé en eau dessalée : Cebu aux Philippines, le Cap-Vert, les Canaries ou encore les Maldives font de plus en plus appel à des capacités de dessalement.
Des leaders européens mais les acteurs asiatiques, ou locaux, prennent de l’essor
Les acteurs industriels sont nombreux et de tailles diverses bien que certains s’imposent depuis plus de dix ans comme les leaders incontestés du marché : en France, Engie et Veolia dont la fusion avec Suez ouvre de nouvelles perspectives sur le continent américain, au Moyen-Orient et en Europe, mais aussi IDE Technologies, champion israélien du dessalement, le coréen Doosan Heavy, le chinois Abengoa ou l’espagnol Acciona. Plus récemment, des entreprises des pays émergents se sont singularisées par l’obtention de contrats d’envergure. C’est notamment le cas des acteurs du Golfe, l’émirati Metitoet le saoudien Advanced Water Technologies. L’Égypte dispose également d’industriels. Dans l’ensemble, si la technologie de l’osmose inverse est largement maîtrisée, la différenciation se fait sur les capacités, les coûts opérationnels, la consommation d’électricité et la durée de vie des installations.
Un immense défi pour le climat
Dessaler l’eau de mer est un procédé cher, énergivore et qui rejette des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) dans la plupart des pays dotés d’un mix électrique très intensif en CO2. La consommation électrique des usines est élevée, variant selon les techniques à l’œuvre ; si les procédés de dessalement thermique, de moins en moins utilisés, consomment plus de 5 kilowattheures (kWh) d’énergie par m3 d’eau dessalée, le procédé de dessalement par osmose inverse, le plus répandu désormais, permet de dessaler 1 mètre cube (m3) d’eau avec en moyenne entre 2,5 et 3 kWh, le record étant établi par une usine saoudienne à 2,27 kWh. Dans les pays du Moyen-Orient, les usines de dessalement ont largement bénéficié d’un mix énergétique fondé sur les énergies fossiles et permettant un dessalement bon marché.
La consommation d’électricité du secteur du dessalement d’eau a été multipliée par trois en Arabie Saoudite pendant la période 2005- 2020, pour atteindre environ 6 % de la consommation totale d’électricité du royaume, soit environ 17 térawattheures (TWh) en 2020, où l’équivalent de la production annuelle d’une grosse centrale nucléaire. Un doublement des capacités de dessalement fera donc bondir la demande d’électricité, et les émissions associées si le mix électrique largement dominé par les hydrocarbures reste inchangé. La demande de gaz et de pétrole pour produire cette électricité en serait aussi augmentée. Plusieurs pays du Golfe commencent ainsi à mobiliser les énergies renouvelables, à l’image de la centrale par osmose inverse d’Al Khafji en Arabie Saoudite qui dessale chaque jour 60 000 m3 ,alimentée par des panneaux photovoltaïques. Enfin, on trouve également des centrales qui fonctionnent par énergie houlomotrice et géothermique. Un autre enjeu qui se pose quant au dessalement est la gestion des saumures, c’est-à-dire des particules de sel qui ont été séparées de l’eau de mer et qui sont souvent rejetées dans la mer causant une augmentation des niveaux de salinité de l’eau. Enfin, dernier enjeu clé : améliorer les performances sur l’ensemble de la chaîne, et pas seulement au niveau de la production.
Les pertes sur les réseaux de transmission et de distribution à la sortie des usines jusqu’aux consommateurs finaux sont extrêmement élevées, atteignant des niveaux de plus de 50 % dans la plupart des pays du Golfe. Dès lors, si le recours au dessalement semble inévitable et voué à connaître une expansion très forte, il est urgent de sortir de la dépendance de ces procédés aux énergies fossiles car le doublement des capacités installées au Moyen-Orient d’ici à 2030 devrait provoquer une hausse importante des émissions, à moins que les mix électriques, à l’instar des EAU qui ont notamment déployé du nucléaire, ne se verdissent. Deux solutions sont donc requises : d’une part la mise en place d’usines de dessalement alimentées par des sources d’énergies bas carbone (champs de panneaux solaires, solaire à concentration, éoliennes, énergie houlomotrice, voire nucléaire) et éventuellement des centrales à cycle combiné pour l’appoint (éventuellement en cycle fermé), et donc la décarbonation des mix électriques pour assurer une alimentation bas carbone de ces usines.
D’autre part, la construction d’infrastructures de la sorte ne doit pas se substituer à une politique d’efficacité énergétique, d’optimisation des parcs, de chasse aux pertes et gaspillages et de collecte et retraitement des eaux : il est indispensable d’améliorer la gouvernance de la ressource dans de nombreux pays, ainsi que de réduire les subventions à la consommation, pour réduire les pertes et inciter à mettre en œuvre des politiques durables d’utilisation de l’eau dans l’industrie, l’agriculture et le secteur résidentiel. L’année 2023 sera marquée par la Conférence des Nations unie sur l’eau, et la présidence émirienne de la COP28, succédant à celle de l’Égypte, deux pays affichant de forts besoins, le développement d’une industrie durable et la rationalisation du marché de l’eau doivent être une priorité.
L’été 2022 a été marqué par une période de sécheresse exceptionnelle en Europe et dans de nombreux pays du monde, comme dans la Corne de l’Afrique. Le stress hydrique se renforce et progresse géographiquement. Un pays est en stress hydrique si la disponibilité en eau est inférieure à 1 700 mètres cubes (m3)/an/habitant et en pénurie d’eau en dessous de ce seuil. Un certain nombre de pays d’Afrique, du Proche et du Moyen-Orient sont d’ores et déjà touchés par ces phénomènes extrêmes, et la région de la Méditerranée est de plus en plus concernée. Dans un tel contexte de fort accroissement de la demande en eau, pour les besoins de l’industrie, de l’agriculture et des populations, l’industrie du dessalement d’eau de mer connaît une très forte croissance au cours de ces vingt dernières années. Outre le changement climatique qui entraîne la raréfaction des sources d’eau douce et des sécheresses, mais aussi en parallèle la croissance démographique, l’augmentation de la demande d’eau vient de l’épuisement des ressources disponibles, comme c’est le cas des nappes phréatiques en Arabie Saoudite par exemple.
Dès lors, l’écart entre les ressources d’eau disponibles et la demande de celle-ci se creuse : c’est ce que l’on appelle le water demand gap. Conscients de cette limite, un certain nombre de pays se sont lancés dans le déploiement de capacités de dessalement d’eau de mer dans une double stratégie de réponse d’urgence et d’anticipation du futur. Les infrastructures de dessalement sont passées de 18 000 usines en 2017, générant environ 97 millions de m3 , à plus de 21 000 en 2022, produisant près de 110 millions de m3 avec une croissance des capacités du secteur entre 6 à 12 % par an. Depuis 2000, la capacité mondiale a été multipliée par cinq. Entre 2019 et 2020, on estime que les capacités de dessalement dans le monde ont augmenté de 4,7 millions de m3/jour, ce qui est considérable. Chaque jour, plus de 300 millions de personnes bénéficient d’eau dessalée1 . Le dessalement est largement concentré dans les pays du MoyenOrient qui représentent à peu près 50 % des capacités mondiales. Rien que dans les pays du Golfe, entre 2019 et 2020, la croissance des capacités installées est de l’ordre de 1,2 million de m3 d’eau dessalée. Les États du Golfe se démarquent dans ce processus avec des immenses usines.
Ainsi, l’Arabie Saoudite ou le Qatar ont construit des usines capables de dessaler plus de 200 000 m3/jour par unité alors que d’autres usines se contentent de capacités inférieures à 1 000 m3/jour. Par exemple, l’usine de Umm al Houl au Qatar a une capacité de 282 000 m3/jour ; celle de Jebel Ali aux Émirats arabes unis (EAU) a une capacité de 2 millions de m3 par jour. L’eau dessalée par ces nouvelles méga-usines permet majoritairement d’alimenter des centres urbains en expansion. Aux EAU, 90 % de l’eau potable vient du dessalement, 95 % au Koweït et 90 % au Qatar. D’autres marchés émergent progressivement ailleurs, alimentés par les sécheresses et la croissance démographique. C’est le cas en Afrique du Nord, en Amérique mais aussi dans certaines zones d’Asie. Cette étude entend analyser dans quelle mesure le marché du dessalement de l’eau de mer va se développer au cours de la décennie, quelles stratégies adoptent les acteurs industriels, étatiques et locaux, et comment cette hausse des besoins peut-elle être conciliable avec les enjeux de la transition énergétique et la préservation de l’environnement ?
Le dessalement : un secteur à la croissance exponentielle alimentée par la diminution des ressources en eau Les perspectives de stress hydrique rendent inéluctable l’augmentation de la demande d’eau dessalée
Les perspectives de stress hydrique se multiplient dans le monde. Déjà, plus de 2,2 milliards de personnes manquent d’eau potable. D’ici 2050, la désertification menacera à elle seule les moyens de subsistance de près d’un milliard de personnes dans environ 100 pays. Le Moyen-Orient est particulièrement touché par ce phénomène et l’on considère qu’en 2050, le nombre de personnes exposées au stress hydrique devrait doubler. Plus de 60 % de la population du Moyen-Orient vit dans des zones exposées à un fort stress hydrique et 70 % des activités économiques sont également situées dans ces zones. Cette raréfaction de la ressource concerne non seulement les eaux de surface mais aussi les eaux souterraines.
L’agriculture est en partie responsable du manque de ressource en eau car le secteur consomme environ 85 % de l’eau de la région. Plus de 41 millions de personnes dans la région manquent d’un accès à l’eau bien géré et 66 millions de personnes sont dépourvues de services d’assainissement de base. Certaines zones sont particulièrement sujettes à ces conditions extrêmes comme la région irakienne de Bassora mais aussi en Jordanie, au Soudan ou au Yémen, des pays pauvres touchés par des épisodes de sécheresse importants. Ailleurs, la raréfaction de la ressource en eau s’expérimente progressivement dans des zones qui autrefois bénéficiaient d’un apport riche en eau douce grâce à des nappes phréatiques bien alimentées. Sur la côte ouest des États-Unis, en Afrique du Nord notamment au Maroc en Tunisie, en Algérie et en Libye, au sud de l’Afrique, en Asie centrale, et dans certaines zones d’Amérique du Sud. Les problématiques hydriques n’épargnent pas les États insulaires, l’Australie, le Cap-Vert, les Philippines, les Canaries, Madagascar : l’ensemble de ces États souffrent d’une raréfaction de leur ressource en eau. Les projections réalisées par le think tank indépendant, le World Ressource Institute montrent que, dans un scénario de continuité (business as usual), l’ensemble de ces zones est susceptible d’expérimenter un stress hydrique 2,8 fois plus fort.

Un enjeu de souveraineté et de tensions
Israël comme précurseur
Si le recours au dessalement est désormais généralisé dans un certain nombre de pays, Israël se distingue comme pionnier en matière de dessalement. L’État hébreu de 9 millions d’habitants a depuis toujours inclus l’eau comme un paramètre clé de sa stratégie de résilience nationale. Jusqu’à présent approvisionné par le lac Tibériade, Israël est contraint de repenser sa stratégie hydrique au début des années 2000, sous l’effet d’un assèchement sans précédent du lac. C’est dans l’urgence que le gouvernement israélien construit, entre 2005 et 2016, cinq usines de dessalement le long de la Méditerranée. Le premier projet de dessalement a émergé en 2005 avec la construction d’une usine au sud du pays, à Ashkelon, permettant initialement de fournir 50 millions de m3/an (ses capacités ont été augmentées à 118 millions de m3). On estime que l’eau dessalée en Israël est passée de 505 millions de m3 en 2013 à 750 millions de m3 en 2020.
En Israël, le dessalement est pris en charge par l’État et ses agences de l’eau. À l’heure actuelle, quatre stations de dessalement de taille moyenne, fonctionnent dans le pays et assurent l’ensemble des besoins en eau de la population. À ces quatre stations qui fournissent déjà 495 millions m3/an s’ajoute l’élargissement de la centrale de Sorek qui fournit de l’eau aux habitants de Tel-Aviv (200 millions de m3/jour additionnels) et la construction d’une nouvelle usine en Galilée (100 millions de m3/jour). Au total, en 2022, les capacités de dessalement du pays devraient atteindre 800 millions de m3/an et subvenir à plus de 80 % de la consommation domestique d’eau. En 2030, l’eau dessalée devrait atteindre 1,2 milliard de m3/an selon le ministère des Finances4 . La construction de nouvelles usines est régulièrement subventionnée par de grands bailleurs multilatéraux. Par exemple, la Banque européenne d’investissement (BEI) a octroyé un prêt de 150 millions d’euros pour le développement de la centrale de dessalement de Sorek II. D’une capacité de 200 millions de m3 par an, cette centrale deviendra l’une des plus grandes usines de dessalement au monde. Le projet marque une étape importante dans l’industrie du dessalement avec une technologie de pointe permettant de réduire la consommation d’énergie ainsi que les émissions de CO2.

Le risque de conflits autour de la ressource en eau
Les projections de « crise de l’eau » à venir dans les régions fortement impactées par le changement climatique s’accompagnent de risques géopolitiques accrus. Les barrages font l’objet de fortes tensions. C’est le cas du barrage de la Renaissance qui cristallise les tensions entre le Soudan, l’Égypte et l’Éthiopie, c’est aussi le cas des barrages turcs sur l’Euphrate et le Tigre qui impactent la Syrie et l’Irak. Bien que moins étudiées, les infrastructures de dessalement sont également au cœur de négociations entre les États de la région, comme en témoigne le cas jordanien. La Jordanie, pays d’un peu plus de 10 millions d’habitants dont 2,9 millions de non-ressortissants, fait face à une situation économique dégradée avec une dette publique qui s’élève à 88,4 % du produit intérieur brut (PIB) et 24 % de chômage.
Le royaume est fortement impacté par le changement climatique avec des précipitations qui devraient diminuer de 30 % d’ici 2030. Si, la capitale du pays, Amman, est actuellement alimentée par de l’eau puisée dans les nappes à la frontière saoudienne, les projections montrent qu’en 2040, la ville pourrait souffrir d’une pénurie complète d’eau. La pression sur les ressources est amplifiée par l’arrivée massive de réfugiés en provenance des pays voisins : Irakiens, Palestiniens mais aussi Syriens. Par exemple, dans le seul camp de Zaatari cohabitent plus de 80 000 personnes qui sont alimentées par 65 camions d’eau au quotidien. Cette crise de l’eau appelle les pays de la région à renforcer leur coopération, mais surmonter les tensions est un défi. C’est dans ce cadre qu’a été conclu un protocole d’accord tripartite, en 2021, entre Israël, les EAU et la Jordanie, dans le prolongement des accords d’Abraham. En échange de l’installation de panneaux solaires dans le désert jordanien pour fournir Israël en électricité (600 MW), la Jordanie bénéficiera de 200 millions de m3 d’eau dessalée annuels.
En plus, il est prévu que Jérusalem verse chaque année 180 millions de dollars à partager entre le gouvernement jordanien et la société émiratie en charge de la construction de la ferme solaire. Ce projet d’accord, qui a été salué en 2022 lors de la visite de Joe Biden aux EAU, n’a pas encore été finalisé et provoque un rejet politique de la part de la population jordanienne, qui s’oppose à toute coopération avec Israël. Lors de l’annonce du projet, plusieurs députés jordaniens ont quitté l’hémicycle en signe de protestation. En parallèle, la construction d’une usine de dessalement dans le golfe d’Aqaba a été annoncée : elle devrait produire entre 250 et 300 millions de m3 d’eau potable par an à compter de 2025 ou 2026.
Très forte croissance des activités de dessalement : projets annoncés à horizon 2030 et 2050
Face aux prévisions de stress hydrique, les États d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO) s’engagent dans des plans d’action à long terme afin d’augmenter leurs capacités de résilience au stress hydrique. Le développement du dessalement est au cœur de ces plans quinquennaux : dans la grande majorité des pays de la région, les capacités de dessalement vont doubler d’ici à 2030, 2050 au plus tard. En Égypte dans le cadre de la stratégie Égypte 2030 est prévu le développement d’au moins 14 nouvelles usines de dessalement dès 2022, puis une deuxième et une troisième phase pour arriver en 2050 à une capacité de dessalement de 6,4 millions m3/jour avec environ 142 usines. L’Égypte vit actuellement un déficit d’eau majeur estimé à 25 milliards de m3 qui se heurte à une croissance démographique forte.
Aux EAU, le ministère de l’Énergie et des Infrastructures a dévoilé en 2017 sa stratégie de sécurité de l’eau 2036, UAE Water Security Strategy 2036, qui vise à garantir un accès durable à l’eau dans des conditions normales et d’urgence. Ce plan vise notamment à réduire de 50 % la consommation moyenne d’eau par habitant et réduire la demande publique d’eau de 21 %. Ce sont des défis majeurs car la consommation moyenne d’eau par jour y est de 550 litres, un des taux les plus élevés au monde et la demande devraient au total augmenter de 30 % d’ici 2030. Les capacités de dessalement du pays représentent actuellement 14 % du total mondial et 9 % rien que pour Abou Dhabi. La capacité de production d’Abou Dhabi devrait passer de 1,5 million de m3/jour en 2017 à plus de 3,3 millions de m3/jour en 2030.
Au total, le pays devrait produire plus de 8,5 millions de m3/jour en 2030, si l’on inclut aussi l’eau saumâtre dessalée. L’Arabie Saoudite produit 22 % de l’eau dessalée dans le monde. Le pays dispose d’usines de dessalement qui sont particulièrement puissantes et qui permettent chaque jour de produire plus de 5,6 millions de m3 d’eau douce (2020) et fournissent plus de 70 % des besoins en eau potable du pays. Comme la majorité des États de la région, le royaume saoudien fait face à un double défi : d’une part l’augmentation de la population, qui devrait atteindre 40 millions en 2030, et donc de la demande moyenne en eau qui augmente de 7-8 % par an, d’autre part, la diminution de la ressource, ce qui explique le recours massif au dessalement. Les questions hydriques sont au cœur du plan Vision 2030 et la stratégie nationale de l’eau qui vise à atteindre en 2030 une production d’eau issue à 90 % du dessalement, la réduction de la consommation en eau du pays de 43 % et la réutilisation, en 2040 de 90 % de ses eaux.
Le Plan national pour la conservation de l’eau a été annoncé en 2019. On estime que la capacité de dessalement devrait passer de 5,6 millions de m3/jour à 8,5 millions de m3/jour en 2030. Au Qatar, le dessalement a été introduit dès les années 1950 en raison d’un stress hydrique très fort dans le pays. Le Qatar se trouve sous la limite des 1 000 m3 disponibles par an et par habitant en plus d’une croissance démographique élevée avec une population qui devrait passer de 2,6 millions en 2018 à 4,4 millions en 2030. Le plan Vision nationale 2030 prévoit l’augmentation des énergies renouvelables, la baisse des émissions et le recours à des procédés moins énergivores.

Un coût du dessalement en baisse ces dix dernières années
L’augmentation des capacités de dessalement s’explique par la raréfaction de la ressource en eau, elle s’explique aussi par la rentabilité croissante de cette technologie. Le montant du CAPEX (capital expenditure) pour une usine de dessalement est estimé entre 0,65 et 1,2 million de dollars américains ($) pour chaque 100 m3/jour d’eau dessalée, et a largement diminué ces dernières années. Ensuite, on considère que l’énergie nécessaire au dessalement représente deux tiers du montant des OPEX (operating expense) de celui-ci.
Selon que l’usine est de type thermique ou par osmose inverse, les coûts d’un mètre cube d’eau dessalée sont sensiblement différents. En effet, la technologie par osmose inverse consomme en moyenne deux fois moins d’énergie, ce qui réduit l’OPEX. Cela n’est pas vrai pour une majorité de pays du Golfe pour qui, en raison de la salinité de leur eau, les procédés thermiques sont plus efficaces et moins dommageables pour les membranes. En règle générale, on considère que plus l’usine est importante plus les coûts de dessalement diminuent. Ainsi, le coût moyen de production d’un mètre cube d’eau dessalée varie entre 0,5 $/m3 pour des grandes usines à plus de 1,25 $/m3 pour les plus petites usines.
Dernièrement, l’eau dessalée atteint des coûts de production très compétitifs dans les méga-usines du Golfe (plus de 500 000 m3/jour) où le prix du mètre cube réussi à passer sous la barre des 50 centimes : il coûtait 0,47 $/m3 à Yanbu IV, et 0,32 $/m3 à Soreq II. Il y a dix ans, ce coût était encore estimé à 1 $ les 1 000 litres.
Des acteurs industriels très variés, avec un leadership européen : Différents types d’installations répondant à différents besoins
Les installations de dessalement sont diverses. Par leur taille d’abord puisque les 22 000 usines recensées dans le monde comportent aussi bien des très petites usines capables de dessaler moins de 1 000 m3 d’eau par jour, que des usines, notamment dans les pays du Golfe, capables de dessaler plus d’un million de m3 par jour. C’est le cas de l’Usine de Ras al Khair en Arabie Saoudite ou Soreq en Israël. Il existe plusieurs procédés de dessalement. Il y a d’abord les procédés de dessalement thermiques : le procédé de distillation à détentes étagées (multi-stage flash) ; le procédé de distillation à multiples effets (multieffect distillation ou MED). Ensuite il y a les procédés utilisant des membranes à savoir l’osmose inverse et l’électrodialyse. Initialement, la majorité des usines étaient construites sur un modèle thermique, et notamment dans les pays du Golfe car le processus de MED est peu affecté par le degré de salinité de l’eau, qui peut détériorer les membres. L’osmose inverse représente désormais plus de 70 % des usines et est majoritaire. Enfin, les usines de dessalement répondent à des besoins agricoles, industriels et de consommation. Si à l’échelle mondiale, 70 % de l’eau est dédiée à l’agriculture, 20 % à l’industrie et 10 % aux ménages, la répartition varie selon les régions. Par exemple, au Moyen-Orient l’agriculture représente plutôt 80 % de la demande en eau et le secteur augmente constamment son empreinte hydrique du fait des ambitions de résilience alimentaire.
Les acteurs français et européens sont très présents et intégrés au sein des marchés locaux
Les acteurs européens, notamment les Français et les Espagnols, ont une position de leader sur le marché du dessalement. Leur facilité à réunir des fonds rapidement, leur expertise et leur capacité à s’adapter aux besoins industriels des pays contractants participent au rayonnement de ces entreprises. En France, Veolia et Engie se démarquent par un très fort dynamisme dans leurs activités de dessalement à l’étranger. Après la fusion de Suez et Veolia, les activités de Suez Moyen-Orient ont été ajoutées à celle de Veolia ce qui fait du groupe un acteur stratégique dans la région et lui permet d’envisager de nouvelles perspectives de développement. Quant au nouveau Suez, il se recentre sur l’Afrique, une partie de l’Europe, l’Australie, la Chine et l’Inde. Aux côtés de Veolia, Engie conserve une position de leader dans la région Afrique du Nord/Moyen-Orient (ANMO). Les sociétés espagnoles se démarquent également dans le paysage du dessalement. Avec plus de 85 usines et environ 5 millions de m3 d’eau dessalés chaque jour, la société espagnole Acciona occupe un espace conséquent sur le marché du dessalement. En 2020, Acciona connaît un franc succès avec des projets en Arabie Saoudite, au Mexique ou encore aux Philippines. Abengoa, autre leader espagnol, continue d’ancrer son positionnement au Golfe et en Israël.
Les acteurs asiatiques, ou locaux, prennent de l’essor
Les entreprises asiatiques rejoignent progressivement le marché du dessalement et font concurrence aux leaders traditionnels du secteur. En Corée du Sud, Doosan Heavy Industries se démarque par une implantation internationale réussie avec plus de 30 usines construites détenues à l’international. Récemment, le coréen a notamment remporté la construction de la très grande usine Yanbu IV en Arabie Saoudite. En Chine, la Shandong Electrical Power Construction Co (SEPCO), fondée en 1985 et filiale du groupe China Power Construction compte aujourd’hui plus de 85 projets notamment en Arabie Saoudite, Jordanie, Nigeria, Oman, Singapour et en Inde, plus gros marché du groupe. La HEWITT, autre entreprise chinoise, a aussi sécurisé plusieurs projets importants de dessalement en Chine. Une grande partie des pays qui se trouvent en situation de stress hydrique ont développé une réelle expertise locale sur le dessalement. C’est le cas d’Israël avec l’entreprise IDE qui a construit la totalité des usines du pays et dirige désormais nombreux projets à l’international avec par exemple récemment l’obtention d’un contrat au Chili. En Arabie Saoudite, la Advanced Water Technologies a triplé ses activités et aux Émirats la société Métito est en plein essor. Ces fournisseurs locaux s’imposent progressivement dans la région par l’obtention de contrats d’envergure pour la construction de méga-usines.
Quelles perspectives face aux crises de la crise de l’eau et de l’environnement ?
La crise de l’eau est définie ici comme l’écart entre les ressources disponibles et la demande croissante en eau. Le déficit d’eau va être multiplié par cinq en 2050 et on estime qu’il faudrait environ 150 milliards de dollars par an pour le résorber, c’est-à-dire pour garantir l’accès universel à l’eau et à l’assainissement. Cela signifique que malgré une gestion adéquate de la demande d’eau potable dans les années à venir, la demande va dépasser l’offre de 40 % d’ici 2030. Dans un contexte où le respect de l’Accord de Paris impose aux pays signataires de s’engager sur une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et ou plus de 130 pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050, il semble évident que le modèle d’usines de dessalement dopées aux énergies fossiles n’est plus soutenable. Une majorité des pays du Golfe ont décidé d’adopter une stratégie « zéro carbone » à horizon 2050 ou 2060, parmi eux les EAU, l’Arabe Saoudite, Oman et le Bahreïn. Le Qatar s’est engagé à diminuer ses émissions de 25 % d’ici 2030, 23,5 % pour les EAU, et Israël de 27 % en 2030 à 85 % en 2050.
L’Arabie Saoudite s’est quant à elle engagée à réduire ses émissions de CO2 de 278 millions de tonnes d’ici à 2030 (contre environ 600 millions de tonnes émises en 20208). Ces engagements signifient que les usines de dessalement devront progressivement réduire non seulement leurs émissions de GES, mais aussi leur empreinte environnementale. Cette dernière partie esquisse des solutions pour contrer cette crise de l’eau, à la fois en termes de gestion de la demande que de l’offre d’eau. Deux leviers doivent être utilisés afin de prévenir la crise de l’eau : d’une part la rationalisation de la demande en eau dessalée, d’autre part l’augmentation du recours aux énergies renouvelables. A SUIVRE (P20). SOURCE : IFRI
Marc-Antoine EYL-MAZZEGA
Élise CASSIGNOL
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