Va-t-on vers une modification du parrainage citoyen avant l’élection présidentielle du 25 février 2023, ou sa suppression définitive ? Une question légitime si l’on se sait qu’il se susurre dans les coulisses du palais de la République que cette disposition de la Loi 2018-22 du 4 juillet 2018 portant code électoral modifié, ferait l’objet de ces hypothèses. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur devrait rencontrer les partis politiques pour apporter des réformes sur ce parrainage citoyen que la Cour de Justice de la Cedeao et l’Union européenne ont eu à rejeter dans la corbeille suite à des frustrations de victimes qui ont été empêchées « illégalement » de participer à des élections.
Dans un rapport de l’Union européenne à l’issue d’une Mission de suivi électoral, en avril 2022, il est établi que le parrainage citoyen édicté par le code électoral reste le point le plus controversé depuis sa généralisation lors de la présidentielle. D’ailleurs, cet aspect figure parmi les « recommandations prioritaires » de la MOE UE 2019. Pour sa part, la Cour de justice de la Cedeao, en avril 2021, avait indiqué que cette loi porte atteinte au principe de la libre participation aux élections. Cette décision était prise suite à un recours qu’avait introduit, en 2020, l’Union sociale libérale (USL) de l’avocat Abdoulaye Tine. « Ce qu’on a demandé à la Cour, c’est très simple. C’est de constater que la loi du parrainage était une loi d’éviction qui violait les droits civils et politiques des sénégalais et des formations politiques sénégalaises qui étaient en lice pour l’élection présidentielle de 2019. Et qu’il fallait constater que c’était une loi imprécise qui ne répondait pas aux garanties de sécurité juridique. Et en tant que telle, il faut que la Cour constate l’illégalité de cette loi », avait justifié la robe noire à ce titre.
Dans ses recommandations prioritaires, l’Union européenne estime que le parrainage-citoyen pour les élections locales devrait être abandonné, et ce dans les plus brefs. Car, « si la procédure du parrainage-citoyen peut être justifiée dans son principe pour l’élection présidentielle, son application aux élections locales pose des problèmes politiques et organisationnels sérieux, et est attentatoire aux droits fondamentaux ».
En résumé, pour ce rapport, l’Union européenne a déployé une Mission de suivi électoral (MSE UE) au Sénégal du 12 mars au 09 avril 2022 conduite par Mme Elena Valenciano, Cheffe de la Mission d’Observation Electorale de l’Union européenne (MOE UE) lors de l’élection présidentielle de 2019. La MSE était également composée de deux experts électoraux. 1 L’objectif principal de la mission de suivi était d’évaluer l’état de mise en œuvre des recommandations de la Mission d’Observation Electorale de 2019 et de voir dans quelle mesure des initiatives de réformes ont été entreprises depuis au Sénégal. La Mission de suivi électoral de l’UE s’est entretenue avec des membres des institutions et des organes de gestion des élections, les représentants des partis politiques et des membres de la société civile. Depuis l’introduction de la démocratie multipartite intégrale en 1981, le Sénégal a conduit des réformes électorales régulières, innovantes et inclusives, et a ainsi développé un cadre juridique relatif aux élections solide et moderne. Depuis 1992, le Sénégal a notamment introduit : un système électoral mixte pour les élections à l’Assemblée nationale ; des sièges de députésréservés à la diaspora ; l’élection au suffrage universel direct des présidents de conseils départementaux et des Maires de communes et des villes ; la parité homme-femme dans les institutions totalement ou partiellement électives ; une commission autonome chargée de contrôler et de superviser la quasi-totalité du processus électoral (CENA) ; un mécanisme transparent d’arbitrage des résultats des élections (CNRV). Au cours des 20 dernières années, le Sénégal a également centralisé et aligné son fichier électoral sur celui de la carte nationale d’identité biométrique. En 2000 et en 2012, le Sénégal a réalisé deux alternances démocratiques pacifiques, sans aucune assistance électorale technique internationale. L’Union européenne a déployé une première Mission d’Observation Electorale (MOE) pour l’élection présidentielle de 2012, puis une deuxième lors de l’élection présidentielle de 2019. La MOE UE de 2012 a observé un retard conséquent dans la distribution des cartes d’électeurs. Sa recommandation phare à ce sujet a été mise en œuvre lorsque le Sénégal a couplé la carte d’identité nationale avec la carte d’électeur en vue de réduire le nombre de documents exigés pour voter. Le système permissif d’enregistrement des partis politiques au Sénégal et l’absence de contrôle de leur financement ont facilité le foisonnement de plus de trois cent formations politiques. En 2018, la révision constitutionnelle2 et la modification du code électoral ont conditionné toute candidature électorale à la présentation de parrainages citoyens (le parrainage était antérieurement exigé uniquement pour les candidatures indépendantes. Lors des élections présidentielles de 2007 et 20123 la totalité des candidatures indépendantes avait déjà été éliminée pour cause de signatures invalidées).
Lors des élections législatives de 2017, quarante-sept (47) listes ont concouru, ce qui a justifié l’imposition (par voie légale) du parrainage citoyen pour l’élection présidentielle de 2019. Or, les procédures de vérification de doublon des signatures y ont été appliquées dans l’ordre de dépôt, privilégiant les premiers dossiers déposés, et portant gravement préjudice aux derniers, ce qui a conduit à la disqualification de 22 des 27 candidats à la présidence. La Cour de Justice de la CEDEAO a mis en cause ce traitement des candidatures déclaré inégal dans sa décision rendue le 28 avril 2021. Parmi les candidats restant en lice, le Président Macky Sall a été réélu dès le premier tour avec 58 % des suffrages.
La MOE UE 2019 a désigné l’égalité de traitement de tous les dossiers de candidature comme une recommandation prioritaire. Le Sénégal a suspendu le parrainage citoyen pour les élections locales de 2022. Le Sénégal a ainsi pleinement mis en œuvre une recommandation prioritaire de la MOE UE de 2019, relative à la suspension du système des parrainages pour les élections locales.
En revanche, le parrainage citoyen a de nouveau été appliqué pour les élections législatives de 2022, mais l’ordre de vérification a été établi par tirage au sort. Il en ressort que la recommandation de la MOE UE de 2019 peut être considéréecomme partiellement mise en œuvre, du moins dans la pratique.
Il existe des exemples de mécanismes de capture de la pièce d’identité de chaque parrain par Smartphone, qui permettent de vérifier leur inscription au fichier électoral et de rejeter des doubles parrainages en temps réel. Cette approche garantit la validité et l’unicité de chaque parrainage aussi bien au moment de la collecte, qu’au moment du dépôt. Ainsi, aucune disqualification postérieure et/ou arbitraire n’est possible.
Parmi les autres recommandations formulées par la MOE UE de 2019, une minorité peut être considérée comme mise en œuvre, notamment l’autorisation pour les personnes souffrant de handicap de choisir le bureau de vote le plus accessible au sein de leur lieu de vote ainsi que la codification de l’accréditation des observateurs électoraux nationaux. Lors des législatives de 2022, une recommandation de 2019 portant sur la règlementation des radios communautaires a été également prise en compte par le Conseil national de la Régulation de l’audiovisuel (CNRA).
Dans l’ensemble, une recommandation a été entièrement mise en œuvre, tandis que cinq autres peuvent être considérées comme partiellement mises en œuvre.
Certaines recommandations de la MOE 2019 ont fait l’objet d’un consensus au sein de la Commission cellulaire du Dialogue politique, mais attendent encore leur adoption législative. Il s’agit de la transparence et de l’équité du financement politique par le biais de subventions publiques devant être accordées aux partis politiques, dont l’ensemble était déjà inscrit dans la réforme constitutionnelle de 2016.
Une troisième catégorie de recommandations n’a pas trouvé faveur auprès des autorités, qui a conservé un droit de véto sur les délibérations du Dialogue politique. Les recommandations non prises en compte incluent le remplacement du bulletin multiple par un bulletin unique pour simplifier le recomptage de voix individuelles et pour décourager l’achat de consciences ; le financement adéquat de la CENA et le renouvèlement des mandats de ses membres ; le renforcement de l’indépendance du CNRA ; la restitution du droit de vote (mais non de candidature) des condamnés après avoir purgé leur peine, ainsi que des personnes vivant avec handicap mental.
Pourquoi l’Union européenne avait recommandé la suppression du parrainage ?
Le parrainage citoyen édicté par le code électoral reste le point le plus controversé depuis sa généralisation lors de la présidentielle et figure parmi les recommandations prioritaires de la MOE UE 2019. Au vu des modalités de collecte et de contrôle des parrainages, il est apparu pour bon nombre d’acteurs comme un moyen visant à écarter de la compétition électorale certaines candidatures. Cette position a été confortée par la décision de la Cour de justice de la CEDEAO rendue contre l’Etat du Sénégal le 28 avril 2021. La Cour a ordonné « la suppression du système de parrainage qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote d’une part et une sérieuse attente du droit de participer aux élections en tant que candidat d’autre part ». Néanmoins le dialogue politique, en se limitant à l’examen des conditions de participation aux élections locales, a dû imposer de fait le maintien du système de parrainage citoyen aux élections législatives. L’article L149 du code électoral exige aux listes de candidats aux élections législatives de recueillir 0,5% de signatures au minimum et 0,8% au maximum du fichier général. L’arrêté pris par le Ministre de l’Intérieur a fixé ce nombre à 34 580 électeurs au minimum et 55 327. Cet arrêté a été attaqué devant la Cour suprême. Il s’est avéré qu’un nouveau logiciel été créé et que le tirage au sort est effectué pour déterminer l’ordre de contrôle des parrainages mais ce système comporte des lourdeurs et des contraintes pour la plupart des acteurs.
Abandon du parrainage citoyen : une recommandation prioritaire de l’UE
Le parrainage-citoyen pour les élections locales devrait être abandonné, et ce dans les plus brefs délais (Recommandation 8). Si la procédure du parrainage-citoyen peut être justifiée dans son principe pour l’élection présidentielle, son application aux élections locales pose des problèmes politiques et organisationnels sérieux, et est attentatoire aux droits fondamentaux
Cette recommandation peut être considérée comme mise en œuvre à l’exception des exigences du parrainage pour les listes indépendantes. La mise en œuvre a été obtenue par dérogation à l’exigence légale et constitutionnelle du parrainage.
Pour les autres élections, il est recommandé de mener une réflexion d’ensemble sur l’opportunité de conserver en l’état les dispositifs de parrainage-citoyen (règles, critères de validation, méthodes de vérification, institution en charge de vérifier les listes de parrainage) considérant les contraintes et difficultés observées lors de l’élection présidentielle. Ces discussions devraient être conduites dans un cadre de concertation impliquant l’opposition et la société civile.
C’est actuellement la recommandation la plus âprement débattue, d’autant plus que, le 03 mars 2022, le ministre de l’Intérieur a pris un arrêté rétablissant les procédures controversées de parrainage appliquées lors de l’élection présidentielle de 2019. Toutefois, il y a eu quelques évolutions par rapport à 2019 : l’introduction d’un nouveau critère lié à la taille de l’électeur, pour s’assurer que les collecteurs de signatures vérifient de facto la carte d’électeur CEDEAO de chaque parrain, et qu’ils ne copient pas les données du registre électoral lors de la présentation des listes de parrainage.
Les signatures étaient vérifiées dans l’ordre soumis de sorte que la première liste de parrainage vérifiée était assurément exempte de doublons externes, contrairement aux listes suivantes qui risquent de voir certaines de leurs signatures invalidées, car elles seront contrevérifiées avec celles de toutes les autres listes (Arrête ministériel en annexe).
Cependant, pour les législatives de 2022, il a été introduit un tirage au sort pour déterminer l’ordre de contrôle et de vérification des parrainages. Il y a lieu de souligner que ce procédé a permis d’éviter les tensions et bousculades vécues lors de la présidentielle de 2019 devant le Conseil constitutionnel. Toutefois elle n’est pas conforme aux dispositions du code électoral (L.149, dernier alinéa et L.76, alinéa 5). De plus, ce tirage au sort ne modifie pas le traitement inégal lié à l’antériorité du dépôt des candidatures qui conditionne l’ordre d’examen des listes de parrainages. Quel que soit l’ordre de vérification établi, en l’état actuel, le premier recueil de signatures vérifié a beaucoup plus de chances d’être approuvé que le dernier, car i) les signatures du premier dépôt sont validées sans vérification des doublons avec les dossiers suivants, ii) tandis que pour le dernier dépôt, la collection de signatures est vérifiée pour les doublons avec toutes les autres signatures précédemment vérifiées.
Le nouveau logiciel de traitement des parrainages, proposé par la DAF et présenté à la CENA, aux mandataires des listes de candidats ainsi qu’aux observateurs de la société civile, tient compte des erreurs matérielles qui ont constitué les principaux motifs de rejet en 2019 en intégrant un système de recherche multicritères à partir du croisement du numéro de la carte d’électeur et du discriminant (taille de l’électeur). Ainsi, le logiciel affecte automatiquement le parrain à sa région de vote alors qu’en 2019, un électeur inscrit sur une liste de parrainage d’une autre région faisait l’objet de rejet. A l’issue des opérations de contrôle des parrainages, dix (10) listes ont été écartées sur les quinze (15) ayant fait acte de candidature. Trois listes ont été admises après la régularisation et sept (7) définitivement disqualifiées en dépit des recours formés devant le Conseil constitutionnel.
En définitive, les procédures de collecte, d’enregistrement et de contrôle des parrainages demeurent hasardeuses mêmes pour les partis et coalitions politiques bien établis. Les modalités de régularisation n’offrent pas la possibilité de corriger les erreurs matérielles sur les listes de parrainages alors que le système de collecte, de vérification et de doublonnage n’est pas automatisé en temps réel.
Le parrainage reste un obstacle à l’égalité de traitement des candidatures et donc un élément à prendre en compte avec une grande attention notamment dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024.
Les chances que les autorités nationales et les acteurs politiques trouvent un consensus pour introduire un système de vérification automatisé et équitable sont actuellement très élevées. En effet, aucun futur candidat aux élections ne voudra courir le risque lié au tirage au sort, qui pourrait placer n’importe quelle liste à la dernière place de vérification, ce qui entrainerait sa disqualification sur la base des doubles parrainages accumulés vis-à-vis de toutes les listes précédemment vérifiées. Un projet d’assistance technique de l’USAID actuellement déployé au Sénégal prévoit un appui dans cette tâche. La recommandation peut être considérée comme partiellement mise en œuvre.
Pour les autres élections, il est recommandé de mener une réflexion d’ensemble sur l’opportunité de conserver en l’état les dispositifs de parrainage-citoyen (règles, critères de validation, méthodes de vérification, institution en charge de vérifier les listes de parrainage) considérant les contraintes et difficultés observées lors de l’élection présidentielle. Ces discussions devraient être conduites dans un cadre de concertation impliquant l’opposition et la société civile.
Depuis le 28 avril 2021, la Cour de justice de la CEDEAO ordonne de mettre fin au parrainage
Quand est-ce que l’Etat du Sénégal va appliquer la décision de la Cour de justice de la CEDEAO sur le parrainage ? Dans un arrêt rendu le 28 avril 2021, l’instance judiciaire sous régionale avait estimé que le système de parrainage adopté pour la présidentielle de 2019 « viole le droit de libre participation aux élections ». La Cour avait fixé un délai de six (6) pour mettre un terme au parrainage. Depuis lors rien n’a été fait. Le gouvernement de Macky Sall fait la sourde oreille. Retour sur cette affaire qui s’apparente à un déni de justice.
Le 11 décembre 2018, est né un litige suite aux allégations de l’Union Sociale Libérale (USL) selon lesquelles la législation électorale du Sénégal, telle que modifiée par la loi numéro 2018-22 du 4 juillet 2018 portant révision du code électoral, viole le droit à la libre participation des élections. L’USL avait prié la Cour d’ordonner à l’Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à la libre participation aux élections consécutifs à cette modification. Les avocats de l’Etat du Sénégal n’avaient pas tardé à réagir. En effet, le 14 janvier 2019, ils avaient déposé au greffe de la Cour de justice de la CEDEAO un mémoire par lequel ils avaient soulevé l’exception d’incompétence de la Cour, un autre mémoire en réplique de la procédure de demande de procédure accélérée et enfin le mémoire de défense. Dans son arrêt du 28 avril 2021, la Cour nous informe que tous les mémoires ont été notifiés dès le 16 janvier 2019 au parti USL dirigé par Me Tine. Par la suite, l’affaire a été renvoyée au 4 mars 2020 pour audition des deux parties en conflit. A cette audience, la Cour avait constaté l’absence de l’USL qui, par ailleurs n’était pas représentée. Les avocats de l’USL avaient néanmoins transmis à la Cour un courrier par lequel ils avaient indiqué s’en tenir aux déclarations contenues dans leurs requêtes. Les conseils de l’Etat du Sénégal avaient plaidé dans le fond. Ainsi, l’affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 11 juillet 2020. Advenue à cette date, le délibéré a été prorogé au 20 avril 2021.
La parrainage ou l’exclusion des deux tiers des partis
Le parti USL reprochait l’Assemblée nationale du Sénégal d’avoir voté la loi qui généralisait le système de parrainage qui subordonne toute candidature à une élection au parrainage par une liste d’électeurs. Les partis de l’opposition d’alors avaient saisi le Conseil Constitutionnel d’une requête en inconstitutionnalité de ladite loi. A la surprise générale, le Conseil s’était déclaré incompétent pour juger sa conformité avec la Constitution. C’est ainsi que la loi a été promulguée à la hâte par le Président Macky Sall et publiée au Journal officiel. L’USL soutenait qu’il s’agissait d’une loi discriminatoire et liberticide car le paysage politique sénégalais comportait plus de 300 partis et que le nombre de signatures exigées était si élevé (53.000 soit au moins 0,8% des suffrages) et qu’un simple calcul consistant à rapporter le seuil de parrainage au nombre d’électeurs inscrits (6.500.000 en 2019) permettait savoir que seul le tiers des partis constitués soit à peu près 122 pouvait espérer satisfaire aux nouvelles exigences de la loi.
La Cour de la CEDEAO rappelle à l’ordre l’Etat du Sénégal
Dans son arrêt de 32 pages rendu le 28 avril 2021, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a porté un coup sévère au code électoral sénégalais, qui avait consacré, en février 2019, la réélection du président Macky Sall dès le premier tour, au milieu d’un désert de candidatures concurrentes. « La Cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale (en 2018) doivent être rétablis dans leurs droits par la suppression du système de parrainage, qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote, d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat, d’autre part. Saisie en décembre 2018 par l’Union sociale libérale (USL), un parti présidé par l’avocat Abdoulaye Tine, la Cour de la CEDEAO devait se prononcer sur un contentieux qui concerne en réalité la quasi-totalité de la classe politique du pays : la loi sur le parrainage – qui a abouti à écarter du scrutin présidentiel une large majorité des candidats – est-elle conforme aux standards de la Communauté ouest-africaine. À l’époque, le filtrage a eu des allures d’hécatombe. Sur 87 dossiers de candidature déposés devant le Conseil constitutionnel, seuls cinq avaient été retenus – dont celui du président sortant. L’USL avait saisi la Cour de justice de la CEDEAO en vertu de la procédure d’urgence à quelques semaines de la présidentielle. Mais l’élection a eu lieu et Macky Sall a été réélu dès le premier tour avec plus de 58 % des suffrages. En revanche, d’autres arguments invoqués par le représentant de l’USL se sont avérés décisifs. D’un côté, la Cour écarte certains arguments de l’USL : la demande de procédure accélérée (la présidentielle ayant déjà eu lieu au moment où elle examinait le dossier) ; la violation des droits des partis politiques ; et le caractère discriminatoire de la loi, estimant que celle-ci ne fait aucune distinction entre les formations de l’opposition et ceux de la majorité. De l’autre, elle se montre ferme sur un point qui, à lui seul, motive sa décision : « En effet, cette loi viole le secret du vote en obligeant les électeurs à déclarer à l’avance à quel candidat ils ont l’intention d’accorder leur suffrage puisqu’un électeur ne peut parrainer qu’une seule candidature », écrivent les magistrats. Une disposition qui, selon eux, « présume » le choix des électeurs concernés et contrevient à la confidentialité de leur vote. Un problème renforcé par la disposition prévoyant que « la liste des électeurs ayant parrainé le candidat » doit être jointe à la déclaration de candidature, ce qui est de nature à « engendrer de nombreux abus, et même des représailles ». Déclarant recevable la requête de l’USL, la Cour de justice de la CEDEAO considère in fine que le code électoral sénégalais, modifié en février 2018, « viole le droit de libre participation aux élections ». Elle « ordonne en conséquence à l’État du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections consécutifs à cette modification par la suppression du système du parrainage électoral ». Elle laisse par ailleurs six mois aux autorités sénégalaises pour « soumettre à la Cour un rapport concernant l’exécution de la présente décision ».
Mamadou DIALLO et Par Abdou Karim MBAYE