avril 19, 2025
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LUTTE CONTRE LA PIRATERIE DANS LE GOLFE DE GUINEE – L’ARCHITECTURE DE YAOUNDE : Dix ans après, au milieu du gué

Le 25 juin 2013, à l’issue d’un sommet conjoint à Yaoundé, les chefs d’État et de gouvernement des États de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest ainsi que des représentants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et de la Commission du golfe de Guinée (CGG) s’engageaient à renforcer la coopération pour lutter « contre la piraterie, les vols à main armée et les autres activités illicites commis en mer dans le golfe de Guinée ».

Trois documents étaient adoptés à cette occasion : une déclaration signée par 24 chefs d’État africains, un code de conduite pour la lutte contre l’insécurité maritime et un mémorandum d’entente entre la CEDEAO, la CEEAC et la CGG. Réponse à l’augmentation des actes de piraterie et des vols à main armée en mer dans le golfe de Guinée, région du monde devenue en 2012 celle où les attaques signalées sont les plus nombreuses, ce sommet s’inscrit dans le cadre d’une mobilisation internationale pour renforcer la sécurité maritime dans une région où transitent cinq millions de barils de pétrole par jour. Les donateurs traditionnels, en particulier les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, ou encore des partenaires émergents tels la Chine et le Brésil, ont en effet investi le domaine du renforcement des capacités des forces navales (formation, équipement, navires). Ainsi, les États-Unis et le Royaume-Uni appuient alors le Nigeria dans la mise en place de capteurs le long des côtes dans le cadre du programme RegionalMaritimeAwareness Capability (RMAC). Ils soutiennent également des exercices dont le plus connu est Obangameexpress (première édition en 2011).

De son côté, la France a lancé mi-2011 un projet d’une durée de trois ans afin d’appuyer le Bénin, le Togo et le Ghana dans la définition de stratégies maritimes, de former des personnels et d’améliorer la coordination entre les trois États. Quant à la Chine, elle a fait la même année un don de 4 millions d’euros au Bénin pour l’acquisition d’un patrouilleur. Si les partenaires internationaux sont mobilisés contre la piraterie et le brigandage maritimes, plusieurs États du golfe de Guinée sont aussi engagés en ce sens. En octobre 2011, à la suite d’une augmentation des attaques au large du Bénin, le président Boni Yayi écrit aux membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour demander l’adoption de la résolution 2018 (2011). Présentée par l’Allemagne, la France, le Gabon, l’Inde, le Nigéria et le Royaume-Uni, elle appelle à « une action concertée, notamment l’instauration de patrouilles maritimes bilatérales ou régionales » pour lutter contre « les actes de piraterie commis au large des côtes du golfe de Guinée ». Quelques mois plus tard, fin février 2012, le Conseil de sécurité, alors présidé par le Togo, se réunit de nouveau sur la question et adopte la résolution 2039 (2012) portant sur l’élaboration d’une « stratégie régionale de lutte contre la piraterie » et la création d’un « mécanisme multinational et transrégional ».

UN DISPOSITIF DE SÛRETÉ ET DE SÉCURITÉ MARITIMES AMBITIEUX

Le sommet de juin 2013, dont est issue l’architecture de Yaoundé, est particulièrement ambitieux. Réponse à une coopération inégale et limitée, il doit renforcer à la fois les dynamiques régionale et interrégionale à travers l’affirmation d’une volonté politique partagée et la mise en place d’une organisation dédiée qui, pour la plus grande partie de ses composantes, reste à définir et à créer.

AVANT YAOUNDÉ : UNE COOPÉRATION INÉGALE

Afin d’assurer un service de transport maritime rentable, sécurisé et peu polluant, l’Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (OMAOC) est créée en 1975. Institutionnalisée en 1999, elle collabore depuis 2003 avec l’Organisation maritime internationale (OMI) pour développer un « réseau intégré de garde-côtes » et, ce faisant, favoriser la coordination régionale. Les effets de ces efforts sont cependant limités. « Pilotée principalement par les ministres des Transports, constatait International Crisis Group en 2012, l’OMAOC a été incapable de concrétiser son projet, ces derniers étant généralement moins influents que les responsables militaires, qui résistent à la création de garde-côtes par crainte de voir leurs responsabilités et leur budget diminuer. La tentative de l’organisation d’établir une banque maritime régionale de développement au Nigéria a également été paralysée par le manque de volonté de la part des États membres de mobiliser le capital de départ ». Dans l’espace CEDEAO et au sein de la CGG, lorsque s’ouvre le sommet de Yaoundé, la coopération et la coordination pour renforcer la sûreté et la sécurité maritimes est également très faible.

Du fait du développement de la piraterie au large du Bénin en 2011 et parallèlement au lancement de l’opération conjointe Prospérité entre le Bénin et le Nigeria (septembre 2011-2014), la Commission de la CEDEAO s’engage progressivement pour promouvoir et harmoniser les politiques maritimes de ses membres avec le soutien de partenaires internationaux et en particulier du Royaume-Uni. Son nouveau bureau de la sécurité maritime travaille sur une stratégie qui souligne la nécessité pour ses États membres de « s’engager dans une approche intégrée de gouvernance des affaires maritimes». Dans la continuité de l’organisation adoptée par la CEEAC quelques années auparavant, la CEDEAO prévoit la délimitation de trois zones opérationnelles, dont l’annonce de la première (zone E – Bénin, Niger, Nigeria et Togo) est faite début septembre 2012 à Lomé. Le plan envisage la mise en commun des ressources par les pays de chaque zone et une prise en charge collective de la sécurité maritime. La coopération en matière de gouvernance maritime reste toutefois limitée par plusieurs facteurs : volonté des États de préserver leur souveraineté (en premier lieu face au Nigeria) ; relations tendues entre certains voisins ; langues de travail et organisation des administrations différentes ; culture de la confidentialité des marines ; influence limitée de la Commission de la CEDEAO sur la formulation des politiques et les pratiques maritimes de ses membres.

Pour sa part la CGG, créée en juillet 2001, vise à l’harmonisation des politiques des États membres en matière de sécurité et de paix, de gestion du pétrole et des ressources naturelles, de transport et de libre circulation des hommes et des biens. Son traité fondateur met l’accent sur les conflits ouverts ou latents à propos des ressources naturelles.

Cependant, la CGG peine à dépasser les déclarations d’intention. Alors que sa création a été retardée par le conflit opposant le Cameroun au Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi, la mise en place de ses structures est rapidement bloquée par des tensions politiques. C’est finalement dans l’espace CEEAC que les principales avancées en matière de renforcement de la sécurité maritime au niveau régional sont observables avant le sommet de Yaoundé, dans un contexte marqué par une croissance du banditisme maritime et, en février 2009, une attaque spectaculaire contre la présidence équato-guinéenne à Malabo par des groupes armés arrivant par la mer. Conformément à son mandat en matière de paix et de sécurité, la Communauté économique régionale (CER) a en effet adopté en octobre 2009 un protocole relatif à la sécurisation des intérêts vitaux de ses membres visant six objectifs : (1) échange et gestion de l’information ; (2) surveillance commune de l’espace maritime par la mise en place de procédures opérationnelles conjointes et des moyens interopérables associés ; (3) harmonisation juridique et institutionnelle de l’action des États parties en mer ; (4) institution d’une taxe maritime communautaire ; (5) acquisition et entretiens des équipements majeurs ; (6) institutionnalisation d’une conférence maritime périodique9 . La mise en œuvre de la stratégie relève du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique centrale (CRESMAC). Implanté à Pointe-Noire et rattaché à la CEEAC, il a notamment des fonctions de coordination et de suivi, de mise en œuvre des décisions de la CEEAC et de développement des synergies avec les autres organisations régionales. S’ajoutent au CRESMAC des centres maritimes multinationaux de coordination (CMMC) avec une fonction de planification et de suivi des opérations dans chaque zone. Sur les trois CMMC alors envisagés, seul celui de la zone D, qui regroupe le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale et São Tomé-et-Principe, est opérationnel. En mai 2009, les principaux pays concernés ont en effet signé un accord relatif à la surveillance maritime de cette zone, suivi du démarrage de patrouilles conjointes avec trois navires11 sous commandement opérationnel du CMMC, et de l’adoption de deux plans destinés à renforcer les capacités maritimes des États.

UN SOMMET POUR RENFORCER LA COOPÉRATION RÉGIONALE ET INTERRÉGIONALE

Lorsque le sommet de Yaoundé s’ouvre en juin 2013, trois réunions préparatoires ont déjà eu lieu dans les mois qui précèdent. Elles ont été accueillies par le Bénin et le Cameroun, deux pays tout particulièrement concernés par une piraterie dont l’épicentre est le Nigeria. La première a réuni le 19 mars à Cotonou les ministres compétents des États membres de la CEDEAO et de la CEEAC. Précédée d’une réunion des experts le 18 mars, elle avait pour objectif de « valider les différents travaux » préparatoires en vue de la conférence à venir des chefs d’État et, plus précisément, les trois textes devant être approuvés à Yaoundé. Les deux suivantes ont lieu à Yaoundé, peu avant la tenue du sommet des chefs d’État et de gouvernement avec, le 21 juin, un symposium international sur les défis sécuritaires dans le golfe de Guinée et, le lendemain, une réunion des ministres des Affaires étrangères. Le texte le plus important adopté à Yaoundé, le 25 juin 2013, est la Déclaration des Chefs d’État et de Gouvernement des États de l’Afrique Centrale et de l’Afrique de l’Ouest sur la Sûreté et la Sécurité dans l’espace maritime commun.

D’une part en effet, les signataires s’engagent « sans réserve à travailler ensemble pour assurer la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans l’espace maritime de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest par la mobilisation des moyens opérationnels adéquats tant institutionnels que logistiques ». D’autre part, ils mandatent la CEDEAO, aCEEAC et la CGG pour renforcer la coopération, la coordination, la mutualisation et l’interopérabilité des moyens entre eux. Plus précisément, il est demandé aux trois organisations régionales : (1) d’établir entre elles un cadre intercommunautaire de coopération en matière de sûreté et de sécurité maritimes ; (2) d’élaborer des procédures opérationnels conjointes ; (3) de faciliter l’harmonisation du cadre juridique et institutionnel des États membres ; (4) d’établir un mécanisme commun de partage de l’information et du renseignement ; (5) d’institutionnaliser une conférence sur le développement de la sécurité maritime ; (6) de mettre en place un mécanisme de financement ; (7) d’élaborer pour chaque CER une stratégie régionale ; (8) de poursuivre la mise en œuvre et l’opérationnalisation des mécanismes de coordination. Cette approche s’inspire de la coordination sécuritaire maritime mise en œuvre en Asie du Sud-Est et du code de conduite signé par les États riverains de l’océan Indien (Code de conduite de Djibouti).

Contrairement à ce dernier cependant, il s’agit en Afrique de l’Ouest et du Centre de lutter non seulement contre les actes de piraterie et le brigandage maritimes mais également d’autres activités comme, par exemple, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ou le trafic de drogues. En d’autres termes, le champ d’application de l’architecture de Yaoundé est plus large. Une autre particularité, liée à l’expansion de la piraterie aux pays voisins du Nigeria et à la méfiance au sein de l’espace CEDEAO et probablement de la part du Cameroun16 à l’égard d’un hégémon régional perçu comme la source première de la violence en mer, est la mise en place d’un dispositif associant les trois ensembles régionaux que sont la CEEAC, la CEDEAO et la CGG. « L’avantage d’une telle configuration, relève alors International Crisis Group, [est] de neutraliser les velléités hégémoniques d’un pays de la région par les règles communautaires et de rendre immédiatement applicables les accords conclus entre les États composant les trois entités, notamment en matière de poursuite des criminels au-delà des frontières maritimes. »

2013-2015 : POSER LES FONDATIONS DE L’ARCHITECTURE

Dans la continuité du sommet de Yaoundé, plusieurs réunions sont organisées pour mettre en place l’architecture éponyme. Les 29 et 30 juillet 2013, avec l’appui technique du Bureau régional des Nations unies en Afrique centrale (UNOCA), une rencontre à Libreville réunit des experts de la CEEAC, de la CGG, l’UNOCA, le Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA) et des représentants de la République du Cameroun. À cette occasion, il est notamment élaboré un projet de termes de référence d’un Groupe interrégional de travail (GIT) destiné à définir les instruments de coopération et de coordination et un programme de travail. En raison de l’absence de la Commission de la CEDEAO cependant, pourtant invitée, une deuxième réunion est organisée à Dakar en octobre 2013 pour valider les termes de référence du GIT, son projet de budget et le programme commun de travail entre la CEDEAO, la CEEAC et la CGG. L’année 2014 marque une accélération de l’institutionnalisation du dispositif destiné à opérationnaliser les décisions prises à Yaoundé.

• À l’initiative de la France et des États-Unis, la CEDEAO et la CEEAC se retrouvent les 17 et 19 mars à Accra, en marge de la « Coastal and Maritime Surveillance Africa Conference ». L’objectif est de finaliser les préparatifs de la réunion de lancement du GIT, dont la tâche principale est de définir l’organisation et le fonctionnement du futur Centre interrégional de coordination (CIC), chargé de constituer l’échelon interrégional. À cette occasion, le format du GIT tel qu’envisagé est d’ailleurs divisé par trois en raison d’un décalage entre les objectifs et les moyens identifiés (16 experts et un budget de 220 000 EUR20 après révision). Il est financé principalement par les États-Unis et le Cameroun.

• Trois mois plus tard, en juin 2014 à Yaoundé, le protocole additionnel au mémorandum de Yaoundé portant sur l’organisation et le fonctionnement du CIC et le règlement intérieur de la réunion annuelle des hauts responsables de l’architecture, qui rassemble la CEDEAO, la CEEAC et la CGG, sont adoptés. L’inauguration du CIC – initialement prévu pour accueillir jusqu’à 150 personnes selon les scénarios envisagés avant de voir ses effectifs réduits, sous la pression internationale, à moins d’une trentaine23 – a lieu le 11 septembre 2014. Plusieurs documents importants ne sont pas encore validés cependant et l’inauguration est très probablement destinée à impulser une dynamique et à répondre aux pressions de partenaires omniprésents dans l’organisation et le suivi du sommet de Yaoundé. Parallèlement, et pour combler son retard par rapport à la CEEAC, la CEDEAO pose les bases de l’opérationnalisation de l’architecture de Yaoundé.

Lors d’une réunion des chefs d’état-major à Lomé en août 2013, il est préconisé d’opérationnaliser dans un premier temps seulement la zone E (Bénin, Niger, Nigeria et Togo) afin d’en tirer des leçons pour les zones F (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Ghana, Liberia et Sierra Leone) et G (Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali et Sénégal). Les modalités de fonctionnement de cette zone pilote sont adoptées à Cotonou le mois suivant, avec la validation d’un hébergement du CMMC au Bénin et l’élaboration d’une structure autour de quatre divisions : information et opérations, affaires juridiques, administration et finances, et logistique. Outre la mobilisation du Togo et du Bénin, la CEDEAO bénéficie aussi de l’appui de l’Institut des études stratégiques (ISS) de Pretoria pour la définition d’une stratégie maritime régionale intégrée, adoptée lors du sommet des chefs d’État de Yamoussoukro en mars 2014, et d’un plan d’action. Enfin, à la suite de la candidature de la Côte d’Ivoire (mars 2014) et du Nigeria (décembre 2014) afin d’accueillir le CRESMAO27, deux missions d’évaluation sont menées. À l’issue de celles-ci, la Côte d’Ivoire est retenue pour accueillir le centre régional de la CEDEAO en raison de l’appui politique et logistique manifesté par les autorités nationales.

Deux ans après le sommet de Yaoundé, les principaux éléments régionaux de l’architecture interrégionale de sécurité maritime ainsi que deux CMMC sont donc en place. Non sans certaines limites d’ailleurs. Le CRESMAO n’est toujours pas inauguré (il est armé par une équipe intérimaire exclusivement ivoirienne) et le CMMC de la zone E ne l’a été qu’en mars 2015, soit 18 mois après la réunion de Cotonou de septembre 2013 et à la suite d’une pression de la CEDEAO et du financement par le Nigeria des équipements de télécommunications du centre, initialement à la charge de la CEDEAO et pour lequel le Bénin faisait un préalable à tout engagement de sa part dans l’opérationnalisation du CMMC29. De plus, le CRESMAO et le CMMC de la zone E ne disposent pas d’une existence juridique reconnue avant le 31 juillet 2018 et la signature, à Lomé par la CEDEAO, des protocoles d’accord portant création des trois CMMC ouest-africains et du CRESMAO suivis, le 30 août, par un protocole d’accord concernant les opérations conjointes dans la zone E.

DES OBSTACLES À UNE COOPÉRATION RÉGIONALE EFFICACE

La lente opérationnalisation de l’architecture de Yaoundé est indissociable de la persistance de suspicions et même de tensions entre plusieurs États membres autour de tracés de frontières, d’une ambition régionale, d’une histoire conflictuelle, etc. Dans ce contexte, leur volonté de s’impliquer dans l’architecture de Yaoundé et le renforcement de la coopération a été inégale et variable, d’autant que les autorités régionales n’ont pas joué le rôle de locomotive qui aurait pu être le leur. Quant aux partenaires internationaux, outre un manque de coordination, leurs intérêts et leurs approches ont parfois interféré avec la montée en puissance de l’architecture de Yaoundé et la réalisation des objectifs annoncés en juin 2013.

LA PERSISTANCE D’UNE GÉOPOLITIQUE DE LA SUSPICION

La déclaration adoptée à Yaoundé en juin 2013 n’est pas contraignante. La lutte contre les facteurs d’insécurité dans le golfe de Guinée et le renforcement de la coopération entre les États dépendent de la bonne volonté de ces derniers. Or, dès la création et les premières années de l’architecture de Yaoundé, cette volonté de coopérer était interrogée. Plusieurs auteurs ont en effet souligné, dans les années qui ont suivi le sommet de Yaoundé, la persistance de litiges frontaliers entre plusieurs États du golfe de Guinée avec pour conséquence d’entraver les dynamiques de coopération. C’est ainsi le cas entre l’Angola et la RDC à la suite de l’annonce par la RDC de sa volonté de préciser les frontières maritimes du pays, avec en toile de fond l’absence de délimitation précise antérieure et l’exploitation de zones pétrolières par l’Angola. De même, le Gabon et la Guinée équatoriale se disputent la souveraineté de trois îles (Mbanié, Conga et Cocotiers) depuis les années 1970, cette tension s’étant toutefois accrue à la suite du décret-loi n° 1/1999 du 6 mars 1999 par lequel la Guinée équatoriale a établi frontières maritimes.

Quant au Congo et à la RDC, la frontière fluviale entre les deux pays demeure un objet de crispations. Outre ces tensions autour du tracé des frontières, plusieurs autres facteurs peuvent nourrir les suspicions entre États : rivalités de leadership entre présidents ou entre pays (aiguisées par le positionnement de partenaires extérieurs appuyant chacun leur « champion »), sentiment selon lequel le voisin ne fait pas ce qu’il devrait faire pour assurer la sécurité dans ses frontières maritimes ou terrestres (en premier lieu pour le Nigeria avec la piraterie et l’activité des groupes armés jihadistes dans le bassin du lac Tchad, qui ont commencé leurs attaques dans ce pays avant de cibler le Niger et le Cameroun), conflits et rivalités anciens, concurrence économique autour des infrastructures portuaires, héritages coloniaux et postcoloniaux, cultures politiques différentes, méfiance à l’égard d’un voisin dont des éléments des FDS traversent la frontière, etc. Les richesses présentes dans les espaces maritimes agissent de leur côté comme des catalyseurs. Ainsi, en appui à la demande de son pays et du Bénin pour une extension de leur plateau continental en octobre 2018, le conseiller pour la mer du président de la République togolaise rappelait qu’au-delà des ressources halieutiques, le sous-sol marin regorge d’hydrocarbures déjà exploités par de nombreux pays depuis des années. Toutes les zones ne sont pas affectées de la même façon par ces tensions entre États. L’espace CEDEAO semble en effet moins l’être aujourd’hui. Certes, des rivalités peuvent exister comme entre le Togo et le Bénin autour de l’importance de leurs ports, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire pour un leadership régional, ou encore d’une tendance à la méfiance à l’égard du Nigeria, perçu comme le premier responsable de la piraterie et parfois trop unilatéralement ses frontières maritimes. Quant au Congo et à la RDC, la frontière fluviale entre les deux pays demeure un objet de crispations. Outre ces tensions autour du tracé des frontières, plusieurs autres facteurs peuvent nourrir les suspicions entre États : rivalités de leadership entre présidents ou entre pays (aiguisées par le positionnement de partenaires extérieurs appuyant chacun leur « champion »), sentiment selon lequel le voisin ne fait pas ce qu’il devrait faire pour assurer la sécurité dans ses frontières maritimes ou terrestres (en premier lieu pour le Nigeria avec la piraterie et l’activité des groupes armés jihadistes dans le bassin du lac Tchad, qui ont commencé leurs attaques dans ce pays avant de cibler le Niger et le Cameroun), conflits et rivalités anciens, concurrence économique autour des infrastructures portuaires, héritages coloniaux et postcoloniaux, cultures politiques différentes, méfiance à l’égard d’un voisin dont des éléments des FDS traversent la frontière, etc.

Les richesses présentes dans les espaces maritimes agissent de leur côté comme des catalyseurs. Ainsi, en appui à la demande de son pays et du Bénin pour une extension de leur plateau continental en octobre 2018, le conseiller pour la mer du président de la République togolaise rappelait qu’au-delà des ressources halieutiques, le sous-sol marin regorge d’hydrocarbures déjà exploités par de nombreux pays depuis des années. Toutes les zones ne sont pas affectées de la même façon par ces tensions entre États. L’espace CEDEAO semble en effet moins l’être aujourd’hui. Certes, des rivalités peuvent exister comme entre le Togo et le Bénin autour de l’importance de leurs ports, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire pour un leadership régional, ou encore d’une tendance à la méfiance à l’égard du Nigeria, perçu comme le premier responsable de la piraterie et parfois trop prompt à mettre en avant des capacités supérieures à ses voisins. Certes également, l’échange de renseignements demeure limité en raison notamment de la culture militaire des personnels4 mais aussi d’une absence de pratique du partage même dans un cadre national.

Cependant, dans la zone G, le dynamisme du Sénégal et les liens entre les quatre pays concernés ont permis une collaboration entre le Sénégal et le Cap-Vert et, secondairement, la Guinée-Bissau et (après le départ du pouvoir de Yahya Jammeh) la Gambie. Quant aux zones E et F, dans un contexte de rapprochement sécuritaire des pays en raison de la montée de la menace jihadiste, il semble que les relations se soient améliorées. Signe de cette amélioration des relations d’ailleurs, le litige frontalier maritime entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, encore actif en 2013, a été officiellement réglé en septembre 2019 à la suite d’une décision du Tribunal international du droit maritime. De même, celui entre le Ghana et le Togo pour la délimitation de leur frontière commune semblait en voie de règlement en septembre 2022. Dans l’espace CEEAC en revanche, la méfiance et les réticences à la collaboration semblent plus fortes. Sans même évoquer le cas de la zone A, dans laquelle aucune dynamique de coopération en faveur de la sécurité maritime ne peut être relevée, la coopération dans la zone D reste entravée par les tensions entre États, surtout dans un contexte de baisse de la menace que constituait la piraterie. Comme l’observait un homme politique camerounais à propos de l’Afrique centrale, « l’exercice du droit de poursuite est souvent actionné dans un climat de suspicion contestation. Il arrive que des États [invoquent] le respect de leur souveraineté et leurs capacités à agir pour faire obstacle à l’exercice du droit de poursuite par un autre État. Il faut ajouter que les gains politiques, économiques et parfois médiatiques qui peuvent être attachés à des actions liées aux poursuites des criminels en mer entraînent souvent des tensions entre États, ce qui met parfois en échec l’usage du droit de poursuite. Enfin, l’insuffisante maîtrise technique du déclenchement de ce droit amène parfois des États à manquer à leurs obligations, notamment celles d’informer l’État dans lequel la poursuite est envisagée ».

Dr Antonin Tisseron Chercheur associé à l’Institut Thomas More

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