mars 15, 2025
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Sécurité

NOTE RENSEIGNEMENT : Comment fonctionne le patriot pac-3 ?

Radar AN/MPQ-65

 

 

Le système anti-aérien longue portée MIM-104 Patriot PAC-3 est une évolution du modèle apparu au milieu des années 1980 qui se voulait le pendant du S-300 russe entré en service quelques années auparavant. Ses premières versions ont eu une efficacité très contestée, notamment lors de la première guerre du Golfe où le taux d’interception réel s’est trouvé bien inférieur aux 97 % annoncés par le président George H. W. Bush[1]. Ensuite, plusieurs transformations du système ont été effectuées dans le but d’en améliorer les performances. La dernière version, dite « PAC-3 », reprend les capacités de la version PAC-2 GEM (version améliorée suite à la guerre du Golfe) puisqu’elle permet d’utiliser indifféremment les missiles du PAC-2 et ceux du PAC-3.

Matériel moins médiatisé que le S-400 russe, le Patriot PAC-3 est peu à peu revenu sur le devant de la scène depuis ses récents succès à l’exportation et surtout depuis que deux batteries ont été fournies à l’Ukraine, une par les Etats-Unis, l’autre autre par l’Allemagne. Dès qu’il a été crédité de la destruction de plusieurs missiles Kinzhal et Iskander-M, il est passé de système « mal aimé » à celui de système « le plus performant du monde ». Mais comment fonctionne-t-il, qu’a-t-il de différent par rapport à son concurrent S-400 russe ? Ses performances annoncées sont-elles crédibles ? Pour répondre à ces questions, il convient de bien comprendre l’architecture du système et son fonctionnement.

 

ARCHITECTURE GÉNÉRALE

 

L’architecture générale du MIM-104 PAC-3 n’a pas évolué dans le temps. La batterie se compose toujours d’un radar de conduite de tir AN/MPQ-65 ou AN/MPQ-65A – en remplacement de l’AN/MPQ-53 des versions antérieures -, d’un véhicule de commandement Engagement Control Station (ECS) AN/MSQ-32 avec trois opérateurs, d’un véhicule OE-349 Antenna Mast Group permettant d’être connecté aux liaisons de données en UHF (liaison 16), d’un véhicule énergie EPP-III et de 4 à 8 véhicules lanceurs de missiles M902/903. L’AN/MPQ-65 est, comme son prédécesseur, un radar à balayage électronique PESA[2] travaillant en bande G, c’est-à-dire autour de 5 Ghz. Sa portée de détection serait supérieure à 170 km. Il veille un secteur angulaire théorique de 120° mais seulement de 90° si l’on veut bénéficier de ses capacités maximales de détection (en dépointage maximal, la portée de détection est pratiquement divisée par deux).L’AN/MPQ-65A est la version AESA du radar et a été développé pour la version PAC-3 MSE. Les capacités de détection du radar restent sensiblement les mêmes.

Une version permettant une veille sur 360° avec 3 antennes est maintenant proposée par Raytheon sous le nom de GhostEye pour le programme de modernisation LTAMDS.

Contrairement à beaucoup de conduites de tir, ce radar fonctionne à une fréquence plus basse (5 Ghz contre souvent autour de 9 à 10 Ghz). Cela présente l’avantage de pouvoir détecter un peu plus facilement les cibles dites « furtives » qui sont généralement optimisées pour des gammes de fréquences entre 8 et 11 Ghz. Cela rend la détection des petites cibles (drones, bombes planantes…) plus aléatoire, mais comme ces objets ne sont pas la cible principale d’un tel système, l’inconvénient reste assez relatif.

Radar AN/MPQ-65A avec les antennes additionnelles du programme LTAMDS

LES MISSILES

Contrairement à son concurrent direct, le S-400, le Patriot PAC-3 peut utiliser seulement trois types de missiles :

– le missile développé pour le PAC-2 est un missile de 900 kg avec 84 kg de charge explosive ayant une portée de 160 km au maximum. Il a été conçu afin de pouvoir traiter tous les types de cibles (missiles balistiques de portée intermédiaire, avions, missiles de croisière, drones etc.) jusqu’à 32 000 m d’altitude. Son autodirecteur semi-actif le destine plus particulièrement aux cibles évoluant à haute altitude ;

– le missile développé pour le PAC-3 est un missile beaucoup plus compact de 315 kg avec une toute petite charge militaire de seulement 8,2 kg. Sa petite taille lui permet de pouvoir être intégré sur les lanceurs M903 avec 16 missiles par lanceur contre seulement 4 pour le missile précédent. Ce missile a été optimisé pour l’interception des missiles balistiques mais il peut néanmoins traiter toute autre cible volante. Il dispose d’une portée de 70 km (20 km contre les missiles balistiques et d’une altitude maximale de 24 000 m. Il dispose d’un autodirecteur actif ainsi que de 180 propulseurs (ACM), situés sur la partie avant du missile, lui permettant d’ajuster finement sa trajectoire afin de faire du « hit to kill », c’est-à-dire percuter physiquement la cible, ce qui explique la faiblesse de la charge militaire ;

– la version PAC-3 MSE met en œuvre une évolution du missile précédent qui dispose d’une portée améliorée avec 100 km (30 km contre les missiles balistiques) jusqu’à 36 000 m d’altitude. Il est aussi équipé d’une charge militaire un peu supérieure. Un peu plus imposant que son prédécesseur, il peut encore être embarqué sur les lanceurs M903, mais à raison de seulement 12 missiles par lanceur.

Lanceur M903 à 16 missiles du Patriot PAC-3

Pour résumer, les missiles développés pour le Patriot PAC-2 sont principalement utilisés essentiellement pour l’interception à grande distance et en haute altitude des aéronefs, quand les missiles développés pour le PAC-3 sont utilisés pour l’interception des cibles plus complexes, comme les missiles balistiques ou les cibles manœuvrantes, évoluant à basse altitude.

Ces missiles sont particulièrement onéreux, entre 3,3 et 4 millions de dollars selon le modèle. D’ailleurs, depuis l’introduction du PAC-3 en 1995, seulement un peu plus de 4 600 missiles auraient été fabriqués[3]. Fin février 2023, Rocketdyne a annoncé avoir livré le 830 000e ACM (il y a 180 ACM par missile) pour les missiles PAC-3 et PAC-3 MSE, soit un rythme de production annuel moyen inférieur à 200 unités. Ce qui est peu au regard de la dizaine de nations équipées en PAC-3.

Gros plan sur les Attitude Control Motors (ACM)

PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT

Le radar est chargé de la détection de cibles potentielles dans le secteur qu’il surveille. Il peut être relié par Liaison 16 avec d’autres radars mais, contrairement au S-400, il ne peut engager une cible qu’il ne poursuit pas lui-même. C’est une évolution prévue dans le programme LTAMDS qui permettra, à l’avenir, une intégration complète de différents radars avec ceux des Patriot GhostEye, AN/MPQ-53 et AN/MPQ-65/65A mais aussi l’AN/MPQ-64 Sentinel, l’AN/TPS-80 G/ATOR, le GhostEye MR (NASAMS), les MFCR et SR du MEADS, l’AN/SPY-1 et AN/SPY-6 (Aegis BMD), l’AN/TPY-2 (THAAD et GMD) et l’AN/APG-81 (F-35 Lightning II).

Une fois une cible détectée et validée par les opérateurs, le système tire deux missiles en décalé, pour augmenter la probabilité de destruction, sur la position estimée de la cible au moment de l’interception. Les missiles sont guidés par un signal de télécommande directionnel émis par le radar mais, contrairement à la famille des S-300/400, la télécommande est indépendante du radar et le signal est émis par une autre antenne située en bas du radar. Le système pourrait engager simultanément jusqu’à 6 cibles.

La télécommande sert à ajuster la trajectoire des missiles en fonction de l’évolution de la cible. Quand ils en sont assez proches, les missiles du PAC-2 remontent le signal radar issu de l’illumination de la cible jusqu’à ce que la fusée de proximité déclenche la charge militaire. Les missiles du PAC-3 utilisent leur radar actif qui travaille autour de 26 à 30 Ghz pour traquer leur objectif de manière autonome dès qu’ils le détectent. Les micro-propulseurs se chargent d’ajuster précisément le missile sur la trajectoire de la cible afin de la percuter.

LE PATRIOT EST-IL EFFICACE POUR CONTRER LES MISSILES KINZHAL ?

Depuis que les Ukrainiens ont revendiqué l’interception, grâce au Patriot, de pas moins de 13 missiles hypersoniques Kinzhal (1 le 6 mai ,6 le 16 mai et 6 le 16 juin), la question doit être posée.

Pour commencer, il faut comprendre ce qu’est ce missile hypersonique russe dont on parle tant.

Contrairement à ce que l’on croit, le Kh-47M2 Kinzhal n’est pas en soi un objet de « haute technologie » tel que généralement défini. C’est un missile propulsé par un moteur fusée qui adopte une trajectoire semi-balistique surbaissée. Le guidage s’effectue par GNSS, le GLONASS russe en l’occurrence, qui recale une centrale inertielle. Directement dérivé du missile sol/sol Iskander-M, le Kinzhal aurait des dimensions un peu supérieures (1,2 m de diamètre contre 0,94 m). Ce ne serait donc pas simplement un missile 9K720 Iskander-M lancé par avion. Certaines sources parlent d’un guidage final électro-optique et/ou radar mais rien ne permet de le confirmer.

Finalement, ce missile n’est qu’un lointain descendant du V2 allemand. Sa complexité ne réside pas dans son électronique ou sa motorisation, mais dans son contrôle aérodynamique. Cela demande des compétences pointues de la part des ingénieurs russes mais ces éléments, une fois maîtrisés sont « facilement » réplicables. Cette mise au point permet de tordre le cou aux estimations du prix de ce missile. Certains évoquent un prix du missile dépassant les 20 millions de dollars, d’autres 10 millions, mais ces estimations sont généralement élaborées sur la base d’extrapolation de technologie occidentale. Or, compte tenu du fait que le coût moyen de l’armement russe est généralement 3 à 5 fois moins élevé qu’en Occident et que la technologie utilisée reste relativement « simple », une estimation du prix unitaire de ce missile autour de 1,2 ou 1,5 million de dollars paraît plus réaliste. Cela reste néanmoins cher selon le standard russe, mais c’est compatible avec le fait que la ligne de production est encore « artisanale » et n’est pas vraiment automatisée – ce qui laisse même supposer que ce montant pourrait diminuer quand une chaîne de production industrielle sera réellement opérationnelle.

Dans les grandes lignes, ce missile peut emporter une charge militaire de 480 kg sur une distance de 1 500 à 2 000 km.

Le missile Kh-47M2 est lancé depuis un avion, MIG-31K ou Tu-22M3. Une fois largué, il allume son moteur fusée pour grimper en altitude. Son altitude de vol n’est pas connue. Il pourrait évoluer, comme son cousin l’Iskander-M, entre 50 et 80 km (au-dessus du plafond du Patriot mais en-dessous du plancher du système anti-missile THAAD) ; d’autres sources évoquent une hauteur de 200 km mais c’est sans doute dans le cas d’un tir sur une très courte portée qui impose donc une trajectoire réellement balistique.

Une fois à son altitude de vol, il reprend un vol horizontal et atteint sa vitesse maximale de Mach 10, soit 3,4 km/s. C’est pendant cette phase de vol qu’il serait le plus facile à intercepter. Sa trajectoire est, à priori, stable et prévisible, mais encore faut-il disposer de moyens antiaériens adaptés pour aller chercher une cible qui vole si haut et si vite (cette phase de vol est de courte durée). Le Kh-47M2 maintient sa vitesse tant que son propulseur fonctionne. Une fois que celui-ci s’arrête, le missile continue sa trajectoire en dégradant petit à petit sa vitesse et son altitude. Il ne garde donc pas sa vitesse sur toute la durée du vol. Une fois au-dessus de sa cible, le missile bascule vers le bas et plonge pratiquement à la verticale, comme son cousin l’Iskander-M. La vitesse terminale dépend directement de la distance de la cible. Plus la cible sera proche de la portée maximale de tir et moins le missile sera rapide, il est possible que son déplacement en finale ne soit plus hypersonique (Mach 4?) puisqu’il aura beaucoup dégradé sa vitesse tandis que sur une distance plus courte, le missile pourrait garder une course finale assez proche de sa vitesse maximale (Mach 8?).

Missile 9K720 Iskander-M juste avant impact

Trois remarques générales doivent être formulées.

– Bien que le missile soit guidé par GNSS, il reste très difficile à brouiller car il évolue très haut dans l’atmosphère et quand, lors de la descente, il arrive à portée de brouillage, cela ne peut avoir que très peu d’effet sur sa précision puisqu’il est en phase terminale, à très haute vitesse et à quelques secondes à peine de l’impact.

– La vitesse du missile, bien qu’autour de Mach 10, ne lui confère, à priori, aucune « furtivité » radar particulière. Le plasma commence à se former autour de cette vitesse et, pour prétendre à certaines capacités à absorber les ondes radars, le plasma doit être contrôlé (température et densité), ce qui n’est pas le cas ici.

– Le missile Iskander-M est équipé de 6 leurres 9B899 qu’il largue en descente au moment où il rentre dans le volume d’interception des systèmes sol/air ; on ignore s’il en est de même pour le Kinzhal mais ce serait tout à fait possible et cette éventualité est à prendre en compte.

Position des leurres 9B899 sur un missile 9K720 Iskander-M

Par rapport au Patriot PAC-3 on peut en déduire que, si le Kinzahl est sans doute détecté à une distance confortable par rapport aux capacités du radar, il vole trop haut pour être pris à partie. Les opérateurs n’ont sans doute aucun mal à identifier cette cible tant les caractéristiques cinématiques sont particulières. Le système de détection ne peut calculer une trajectoire d’interception qu’à partir du moment où le missile est déjà en phase de descente sur une trajectoire stabilisée c’est-à-dire environ 18 à 40 secondes au maximum avant son impact (cela dépend de l’altitude du plongeon et de sa vitesse terminale). Pendant ce laps de temps, le Patriot PAC-3 doit calculer la trajectoire et tirer ses missiles et ceux-ci doivent rallier la cible (or le temps de vol minimal du missile est de 9 secondes pour le PAC-2 et d’environ 3 à 4 s pour le PAC-3). C’est court, même très court, cela ne laisse qu’une fenêtre de 4 à 15 secondes à peine, entre le moment où le Kinzhal rentre dans le volume de tir et l’impact final. Pour augmenter les chances d’interception, on peut imaginer que les opérateurs anticipent des cheminements possibles avant même que le missile n’ait entamée sa descente. Ainsi ils « prépositionnent » leurs propres missiles sur des tracés probables en espérant que leur cible traverse l’un d’eux. Bien entendu les missiles qui ne sont pas sur la bonne trajectoire sont perdus. Le problème de cette méthode est que cela implique de tirer un grand nombre de projectiles pour une seule cible, sans garantie de résultat. C’est peut-être ce qui explique la vidéo où l’on peut compter pas moins de 30 missiles tirés en moins de 2 mn[4] (soit près de 100 millions de dollars de missiles) ainsi que le grand nombre d’images de missiles retombés pratiquement intacts.

Missile MIM-104 PAC-3 retrouvé près de Kiev

Bien sûr, le raisonnement ne tient pas compte du fait que le Kh-47M2 est susceptible de manœuvrer légèrement (suffisamment pour rendre caduque une trajectoire d’interception) et qu’il pourrait aussi disperser des leurres, ce qui complique encore une interception potentielle déjà difficile par nature.

On se rend compte que, si le Patriot PAC-3 peut effectivement abattre un Kinzhal, cela reste extrêmement coûteux en missiles avec un taux de réussite qui restera faible. On peut globalement étendre cette analyse au missile Iskander-M qui bien, qu’un peu moins rapide, présente globalement les mêmes difficultés.

En l’état, alors qu’il n’existe toujours aucune preuve formelle que des Kinzhal ont bien été abattus, on peut tout de même fortement douter que les Ukrainiens aient pu, à deux reprises, en éliminer 6 d’un coup. Comme on ignore combien de missiles russes ont été lancés et combien ont atteint leur but – au moins deux le 16 mai si on en croit les images, dont un a endommagé une batterie Patriot – tout repose sur les déclarations des uns et des autres. La confirmation américaine concernant le premier Kinzhal censé être abattu est aussi à prendre avec précaution car, après les déclarations ukrainiennes, il était difficile pour les Américains d’entrer en contradiction, surtout que cela procure un bénéfice énorme en termes d’image de marque sur leur produit.

Fait intéressant, Gregory J. Hayes, le PDG du groupe américain Raytheon, fabriquant du Patriot, a donné une explication dans le Wall Street Journal pour le moins surprenante, pour ne pas dire improbable, à propos de ces interceptions[5]. Il a déclaré que les Ukrainiens ont réussi à modifier « le logiciel du système Patriot pour qu’il puisse suivre et détruire les missiles hypersoniques » russes. Outre le fait qu’on ne peut pas modifier comme ça le logiciel d’un tel système et qu’aucune modification logicielle ne peut changer les caractéristiques physiques d’un matériel, cette déclaration indique que le PDG du fabriquant lui-même ne se risque pas à affirmer que les Patriot PAC-3 peuvent nativement contrer efficacement de type de missile…

Il apparaît également extrêmement improbable que les Américains aient fourni les codes sources aux Ukrainiens et encore plus qu’ils aient pu être modifiées efficacement en si peu de temps par des personnes découvrant le système. Toute modification de code source d’un tel système d’arme est un exercice délicat qui demande beaucoup de temps, d’essais et de précautions. Chacun traduira comme il l’entend ces déclarations, mais on peut les voir comme un moyen de ne pas contredire les Ukrainiens sans pour autant confirmer leurs assertions.

En ce qui concerne l’information selon laquelle un Kinzhal ait touché et endommagé une batterie Patriot, il faut prendre en compte le fait que, le missile ayant un angle de descente pratiquement vertical, cela complique encore grandement l’interception. En effet, le Patriot tire ses missiles dans une direction donnée avec un angle d’élévation de 38°, ce qui rallonge le temps de vol du missile et lui fait perdre beaucoup d’énergie pour redresser sa trajectoire. De plus, la liaison de télécommande du missile étant directive, on peut avoir des interrogations sur la possibilité que le signal puisse être suffisamment dépointé pour guider un missile qui se trouve juste au-dessus du radar ; comme on peut aussi douter de la capacité du radar à réellement poursuivre une cible qui se trouve à la verticale de sa position, c’est-à-dire certainement dans le cône aveugle de son angle de détection, même si celui-ci est réduit dans le cas du Patriot. Autre point à considérer, il est possible que le radar doive se repositionner pour suivre la cible. Or, non seulement cela fait perdre encore de précieuses secondes mais, en plus, pour qu’il reste en mesure de guider les missiles, il faut aussi repositionner les lanceurs dans la même direction. Ce sont encore autant de secondes perdues alors même que le temps de réaction est particulièrement court.

Pour conclure ce point, il apparaît très improbable qu’une batterie Patriot soit en mesure de se défendre contre un Kinzhalqui l’attaquerait directement. Si des Kinzhal ont bien été abattus, ce sont probablement des missiles qui visaient une autre position que le Patriot tireur.

A ce jour il n’existe aucun système anti-aérien qui soit réellement en mesure de faire face à ce type de menace et aucun ne ferait fondamentalement mieux qu’un Patriot PAC-3.

Il est aussi à noter, qu’à compter du 16 mai dernier, il devient de plus en plus compliqué de connaître l’efficacité réelle de la défense sol/air ukrainienne puisque le gouvernement ukrainien a durci les sanctions contre ceux qui diffusent des images des attaques, des dégâts ou des tirs anti-aériens. D’ailleurs 6 bloggers qui ont diffusé les images de cette nuit-là ont été arrêtés par le SBU, le service de sécurité ukrainien ; ils encourent 8 ans de prison. Sans images, où plutôt avec uniquement les images choisies avec soin par les autorités ukrainiennes, il faut être extrêmement prudent quant aux déclarations sur le nombre et la nature des cibles abattues.

 

RÉSUMÉ DES CAPACITÉS ET COMPARAISON AVEC LE S-400

Comme je l’ai fait pour le S-400[6], je vais résumer les capacités du Patriot PAC-3 en six questions :

– Le MIM-104 PAC-3 peut-il traiter des aéronefs furtifs ?

Dans une certaine mesure oui, mais à relativement courte distance. Si on doit le comparer au S-400 russe, ses performances en la matière seront bien moindres car il ne peut bénéficier de la détection d’un réseau de radars en basse fréquence.

– Le MIM-104 PAC-3 peut-il faire face à des attaques saturantes ?

Non, chaque radar de conduite de tir ne peut guider que 6 cibles en même temps et à la condition qu’elles viennent toutes d’un même secteur de 100 à 120°. Cette limitation est due à la capacité de dépointage du faisceau du radar lui-même et à la direction des lanceurs. Sur ce point il ne fait pas mieux que son concurrent direct. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que, normalement, ces systèmes sol/air ne sont jamais déployés seuls et sont appuyés par des systèmes courte portée leur offrant un complément de protection.

– Le MIM-104 PAC-3 peut-il traiter des cibles balistiques ?

Oui, c’est même une des fonctions principales du PAC-3. Il peut traiter des missiles balistiques de portée intermédiaire avec réussite grâce au « hit to kill » donc possiblement avec une efficacité supérieure à son concurrent. Compte tenu de son radar, il est probable que le système ait beaucoup de difficultés à intercepter des ogives aux dimensions réduites et de formes furtives. Il est aussi peu probable que le système soit en mesure de traiter efficacement des ogives manœuvrantes arrivant à vitesse hypersonique (cas du Kinzhal). Il dispose de capacités similaires à celles du S-400 et peut être même un peu meilleur au niveau de la probabilité d’interception.

– Le MIM-104 PAC-3 peut-il traiter des missiles de croisière ?

Oui, quel que soit leur profil de vol, à condition qu’ils ne soient pas de forme furtive (ou alors à courte distance). Par contre le prix très élevé de ses missiles n’en fait pas un système économiquement adapté à ce type de cible. De ce point de vue, le S-400 est plus adapté car il dispose d’une variété de missiles plus importante et surtout bien moins chers.

– Le MIM-104 PAC-3 est-il vulnérable au brouillage ?

Oui, tout repose sur le radar AN/MPQ-65. Si le radar (ou la liaison de données entre celui-ci et les missiles) est brouillé, l’ensemble du système devient totalement inopérant. Sur cet aspect, il est plus vulnérable que son concurrent car son radar principal doit être allumé en permanence pour la veille. Au contraire, le S-400 utilise plusieurs radars différents, potentiellement délocalisés par rapport à la position de la batterie de missile, lui permettant de n’allumer sa conduite de tir qu’au moment voulu. Le Patriot est donc électromagnétiquement bien moins discret, plus facile à localiser et donc plus vulnérable à de potentiels missiles antiradar. Autre point, la détection de la liaison de télécommande entre le radar et le missile permet à la cible de savoir qu’elle est engagée, ce qui n’est pas le cas avec le S-400 car le signal de télécommande est inséré dans les trames du radar.

*

Le MIM-104 Patriot PAC-3 est un système très perfectionné mais plus spécialisé que le S-400 qui est bien plus versatile. Néanmoins, il bénéficie d’une empreinte logistique plus faible avec un seul radar et seulement trois types de missiles, mais il est moins mobile que son concurrent qui peut être déplacé plus rapidement (plusieurs heures pour déployer une batterie Patriot contre une dizaine de minutes pour un S-400). Il demande aussi un personnel important pour sa mise en œuvre (90 personnes), ce qui est beaucoup. Le système de lancement incliné des missiles limite aussi les sites de déploiement car il lui faut des positions dégagées ne gênant pas les tirs, contrairement au S-400 qui tire ses missiles verticalement et qui est donc moins dérangé par les obstacles alentour. Le principal point faible du Patriot est le prix exorbitant de ses missiles qui fait que son utilisation doit être réservée à certaines cibles de haute valeur.

Cela reste un système extrêmement performant mais, comme tout système d’armes, il n’est pas « magique ». Le temps nous dira quelles auront été ses performances réelles en Ukraine ; mais, comme souvent, il faut s’attendre à un bilan bien plus mesuré que ce que les annonces à chaud peuvent laisser penser surtout qu’elles sont difficilement vérifiables.

D’un point de vue rapport qualité/prix, et c’est un avis personnel, je le classerais derrière le S-400 qui est plus versatile, plus mobile, plus souple d’emploi, qui bénéficie d’un bien plus grand volume d’interception (portée plus grande), dont les munitions coûtent bien moins cher et qui peut être intégré dans un réseau de détection radar qui en optimise l’emploi.

OLIVIER DUJARDIN

 

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