avril 20, 2025
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RELATIONS ÉMIRATS ARABES UNIS–ÉTATS-UNIS : « Entre tensions surjouées et collaboration continue »

Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) vient de publier une note d’analyse sur les relations entre les Etats-Unis et les Emirats arabes unis. L’auteur de ladite note intitulée « Relations Émirats arabes unis–États-Unis : entre tensions surjouées et collaboration continue », y a évoqué bon nombre d’aspects de la diplomatie des deux puissances. Ainsi, Jonathan Bannenberg estime que « que ce soit sur les plans diplomatique, économique ou militaire, les Émirats arabes unis (EAU) entretiennent depuis leur indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni en 1971 des relations étroites avec les États-Unis. Pourtant, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cet historique de liens forts contraste avec un narratif qui rapporte que l’état des rapports diplomatiques entre les États-Unis et les EAU serait au plus bas. » Cette Note d’analyse estime, selon son auteur, que ce qui est identifié comme « tensions » entre les deux pays relève de la surinterprétation et que les tendances lourdes sont au maintien d’une relation solide. En revenant sur les évènements qui ont pu faire naître des dissensions — guerre au Yémen, nucléaire iranien et transferts d’armes — et en montrant que les liens américano-émiriens restent profondément étroits, le texte conclut que les relations entre les EAU et les États-Unis s’inscrivent dans une collaboration continue, notamment en matière de défense et de sécurité.

D’après l’auteur de l’étude publiée par le GRIP, indépendants du Royaume-Uni depuis 1971, les Émirats arabes unis (EAU) ont toujours entretenu avec les États-Unis d’étroites relations. Sur les plans diplomatique, économique et militaire, plusieurs exemples permettent d’illustrer la force de ces liens. Dès 1972, les deux pays établissent des relations diplomatiques officielles. Au niveau économique, le commerce bilatéral n’a cessé de se développer pour atteindre 23,03 milliards USD en 20212, faisant des États-Unis le troisième partenaire commercial des EAU (derrière la Chine et l’Inde). Les Émiriens ont combattu aux côtés des États- Unis en Afghanistan et en Irak. En 2019, un nouvel accord de coopération en matière de défense est entré en vigueur, ce qui, selon le département d’État américain, « a constitué une étape importante pour les deux pays, qui a souligné leur collaboration vitale et de longue date pour vaincre les groupes terroristes ».

Pourtant, toujours selon Jonathan Bannenberg un narratif récent rapporte que l’état des relations entre les États-Unis et les EAU serait au plus bas. Il est vrai que, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des dissensions sont apparues : les EAU ont notamment refusé d’augmenter de manière significative la production de pétrole pour soutenir le président américain Joe Biden dans sa tentative de contrer la flambée des prix résultant tant de la surchauffe de la reprise économique post-covid que des sanctions contre Moscou. De plus, lors du vote du 25 février 2022 au Conseil de sécurité des Nations unies sur le projet de résolution américaine et albanaise condamnant l’offensive militaire russe en Ukraine, les EAU se sont abstenus.

Sur la base de la littérature portant sur l’apparente détérioration des relations entre les États-Unis et les EAU, le chercheur indique que trois facteurs permettant d’expliquer les dissensions depuis l’arrivée au pouvoir de Biden en 2021 peuvent être retenus : 1) des divergences sur la guerre au Yémen, 2) la politique iranienne de Washington et 3) les nouvelles restrictions américaines sur les ventes d’armes aux EAU. Plus fondamentalement, la source commune de ces facteurs serait un désengagement américain au Moyen-Orient résultant d’une réorientation stratégique que les EAU auraient ressentie comme un abandon. Certes, le retour d’un président démocrate à la Maison-Blanche a entraîné des changements d’attitude de la part des États-Unis à l’égard des EAU, mais la question de leur impact sur la collaboration entre les deux pays reste ouverte.

Cette Note d’analyse, à en croire son auteur, estime que ce qui est identifié comme « tensions » relève de la surinterprétation et que les tendances lourdes sont au maintien d’une relation solide entre les EAU et les États-Unis. Qu’il s’agisse des événements liés à la guerre au Yémen, à l’Iran ou aux transferts d’armes, la première partie du texte fait apparaître que les dissensions qui ont pu naître entre les deux pays n’ont pas fondamentalement remis en cause leur collaboration. La deuxième partie montre que, même si les États-Unis ont annoncé opérer un rééquilibrage de leur politique étrangère (et de sécurité) vers l’Asie- Pacifique, celui-ci ne s’est pas traduit par un retrait du Moyen-Orient ; dans le cas des EAU, ils restent leur principal pourvoyeur de sécurité et fournisseur d’armes. En conclusion, le texte souligne que, malgré de relatives tensions, la collaboration entre Washington et Abou Dhabi demeure étroite, notamment dans le secteur militaire et de la défense.

Des tensions surjouées

A ce titre, l’auteur souligne qu’alors que son prédécesseur, Donald Trump, avait soutenu la guerre au Yémen, dénoncé l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien et conclu d’importants contrats de sécurité et d’armement avec les EAU, le président américain Joe Biden décide d’opérer un revirement sur ces dossiers. Dès janvier 2021, son administration prend une série de mesures afin de privilégier une issue diplomatique au conflit yéménite, relancer les négociations internationales sur le nucléaire iranien et restreindre les transferts de technologies de défense aux EAU. Sans remettre en question le fait que ce nouveau positionnement américain a pu générer des tensions entre Washington et Abou Dhabi, leur portée et leur intensité ne doivent cependant pas être surinterprétées.

Il abordé une approche multilatérale pour tenter d’apaiser le conflit au Yémen. Et c’est pour dire que la coalition menée par l’Arabie saoudite et à laquelle les EAU participent dans le cadre de la guerre au Yémen a pu compter sur le soutien des États-Unis. Dès 2015, l’administration de Barack Obama (au sein de laquelle Joe Biden était vice-président) fournit un appui matériel aux opérations militaires nommées Tempête décisive et Restaurer l’espoir. En 2016, confronté à l’accumulation des victimes civiles, à une crise humanitaire majeure et à l’absence d’évolution notable sur le terrain militaire comme au niveau diplomatique, et alors qu’il était sur le point de terminer son second mandat à la Maison-Blanche, Obama opère une première inflexion de sa politique : Washington bloque la vente à Riyad d’à peu près 16 000 kits de munitions guidées d’une valeur d’environ 350 millions USD.

Néanmoins, quelques mois à peine après son investiture en janvier 2017, le président Donald Trump accepte de livrer ces mêmes munitions. Tout au long de son mandat, son administration cherche à approfondir les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, aux EAU et à d’autres pays du Moyen-Orient, au point d’en faire, selon The New York Times,

« une pierre angulaire de sa politique étrangère. » Sur la période 2016-2020, les exportations d’armes américaines vers le Moyen-Orient augmentent ainsi de 28 % par rapport à la période 2011-2015.

En 2020, lors de la campagne présidentielle américaine, le candidat Biden déclare que :

« Nous devrions également mettre fin à notre soutien à la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen. » Cette promesse se concrétise lorsqu’il devient président : il s’engage à mettre un terme au soutien « aux opérations offensives dans la guerre au Yémen, y compris aux ventes d’armes correspondantes, » nomme un envoyé spécial des États-Unis pour le Yémen afin de soutenir les efforts de l’ONU pour mettre fin à la guerre et annule le 5 février 2021 la décision prise à la dernière minute par l’administration Trump d’inscrire les rebelles Houthis sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères. Selon Gregory Johnsen, membre du Groupe d’experts du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen de 2016 à 2018, Biden espérait ainsi toute à la fois redorer le blason des États-Unis face aux dommages réputationnels causés par leur soutien à l’Arabie saoudite et aux EAU dans le cadre de la guerre au Yémen, réaffirmer le rôle de la diplomatie américaine et attirer les rebelles chiites autour de la table des négociations.

Malgré des tentatives pour trouver une issue à un conflit qui s’éternise, les mesures de Biden n’ont pas eu l’effet escompté. Au lieu de se diriger vers la table des négociations, les Houthis reprennent leur offensive au Yémen. En octobre 2021, ils parviennent à prendre le contrôle de trois districts de Chabwa, une province du sud-est du pays. Afin de mettre un terme à ces avancées, les EAU déplacent des unités de la Brigade des géants (une milice yéménite progouvernementale) de la côte de la mer Rouge à Chabwa, où elles repoussent rapidement les Houthis. En représailles, les rebelles lancent en janvier 2022 trois attaques de missiles balistiques et de drones sur Abou Dhabi et Dubaï. Ces attaques feront trois morts. Au lieu d’un apaisement du conflit, la première moitié du mandat de Biden est donc plutôt marquée par un regain de violence et une intensification des hostilités au détriment des EAU.

Après les attaques d’Abou Dhabi et Dubaï, les responsables américains n’auraient pas appelé les dirigeants émiriens pour leur exprimer leurs condoléances et leur soutien, ce qui « dans un environnement culturel fondé sur les relations personnelles […] n’a fait qu’affaiblir davantage les relations [entre les EAU et les États-Unis]. » De manière générale, la réponse des États-Unis à ces attaques aurait été mal perçue par les autorités émiriennes. Washington a pourtant envoyé un escadron d’avions de chasse F-22 à la base aérienne Al Dhafra (située à 30 km au sud d’Abou Dhabi). Cependant, le fait que celui-ci arrive le 12 février 2022, soit presque un mois après les attaques, est jugé par le lieutenant-colonel Christopher Michele et Joshua R. Goodman, professeur adjoint au Air War College de Montgomery en Alabama, comme une réaction tardive expliquant « la perception émirienne d’une réponse américaine faible, voire absente. » Il faut néanmoins souligner que le F-22 est une composante essentielle en matière de supériorité aérienne de l’U.S. Air Force, qui le présente comme l’avion de combat le plus abouti. Notamment conçu pour garantir le contrôle du ciel aux forces armées des États-Unis, son déploiement aux EAU n’est pas une mesure de moindre envergure ; au contraire, celui-ci vient plutôt souligner le lien privilégié qui unit les deux pays.

Une volonté de réintégrer l’accord international sur le nucléaire iranien

A ce propos, Jonathan Bannenberg souligne que la volonté de Joe Biden de remettre l’outil diplomatique à l’œuvre s’est aussi illustrée dans le cas du programme nucléaire de l’Iran. Plus précisément, le président américain a cherché à relancer les négociations autour de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, aussi connu sous le nom de « Plan d’action global commun » (Joint Comprehensive Plan of Action, ou « JCPoA »). Conclu le 14 juillet 2015 entre le P5+1 (à savoir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies accompagnés de l’Allemagne), l’Union européenne et l’Iran, cet accord-cadre a pour objectif de limiter le programme nucléaire iranien à un développement civil et de permettre en retour la levée progressive des sanctions   internationales   frappant le pays.

Le chercheur rappelle qu’à l’époque, la finalisation de cet accord avait été mal perçue par l’Arabie saoudite et les EAU, qui estimaient que leurs préoccupations n’avaient pas véritablement été prises en compte. Les deux États craignaient que l’allègement des sanctions permette à l’Iran de financer ses guerres par procuration (notamment, au Yémen) et d’étendre son influence dans la région. Sans surprise, les EAU ont donc favorablement accueilli la décision prise par Donald Trump en mai 2018 de quitter le JCPoA et de réimposer des sanctions sévères à l’encontre de Téhéran.

La volonté de Biden, convaincu de la valeur de cet accord, de réintégrer les États-Unis au JCPoA se matérialise en avril 2021, lorsque des pourparlers visant à revenir aux conditions de 2015 ont lieu à Vienne entre les signataires initiaux. À ce moment, l’ambassadeur des EAU à Washington, Yousef al-Otaiba, rappelle publiquement ce que son pays considère être les principales lacunes de cet accord, notamment : sa durée limitée (il ne porte que sur une dizaine d’années), le fait qu’il n’aborde pas le programme de missiles de l’Iran, qu’il ne traite pas non plus de la question du soutien de Téhéran à des groupes armés régionaux (tels les Houthis au Yémen) et, enfin, qu’il limite mais n’interdit pas l’enrichissement de l’uranium.

En novembre 2021, et alors que de nouvelles sessions de négociations visant à relancer l’accord de 2015 doivent se tenir à Vienne, les EAU se rallient finalement au projet d’un retour au JCPoA. Selon Tobias Borck, chercheur au Royal United Services Institute à Londres, ce revirement des EAU — mais aussi de l’Arabie saoudite et Bahreïn, soit les trois plus fervents détracteurs de l’accord parmi les monarchies du Golfe — a été concédé parce qu’« ils ont probablement conclu qu’il valait mieux pour eux ne pas donner l’impression d’être des fauteurs de troubles dans la diplomatie nucléaire. »

L’appel en faveur d’un retour au JCPoA s’étant formé dans le cadre du Groupe de travail États-Unis–CCG sur l’Iran, on peut y voir la marque de la diplomatie américaine ; d’autant plus que le changement d’attitude des EAU ne constitue pas un réel soutien à l’accord mais résulte plutôt d’une décision prise à contrecœur. Le dossier du nucléaire iranien ne semble donc pas avoir remis en cause la capacité d’influence des États-Unis sur leurs alliés émiriens (qui, d’ailleurs, s’efforcent depuis de normaliser leurs relations avec l’Iran).

Des restrictions sur les transferts d’armes et de technologies militaires

Sur ce plan, le chercheur indique que les gestes d’ouverture de Joe Biden observés dans le cadre de la guerre au Yémen et du programme nucléaire iranien se sont par ailleurs accompagnés d’une attitude plus stricte à l’égard des EAU en ce qui concerne les ventes d’armes.

Selon lui, en ligne avec les annonces faites par Biden durant la campagne présidentielle concernant la fin du soutien américain aux opérations offensives des Saoudiens et des Émiriens au Yémen, la nouvelle administration ordonne, dès son entrée en fonction en janvier 2021, de suspendre et de réexaminer un accord portant sur la vente aux EAU de

50   avions   de    chasse    F-35,    18 drones    de    combat MQ-9 Reaper   et    environ 10 milliards USD de munitions avancées, pour un total de 23 milliards USD. Le département d’État américain présente cette décision comme « une action administrative de routine, typique de la plupart des transitions, qui témoigne de l’engagement de l’administration à l’égard de la transparence et de la bonne gouvernance»

Bien que la vente ait finalement été autorisée en avril 2021, les États-Unis entendent limiter le dommage réputationnel causé par leur soutien à l’intervention au Yémen. Ils craignent également que l’acquisition par les EAU d’un réseau de téléphonie mobile 5G contrôlé par l’entreprise chinoise Huawei puisse être utilisé par la Chine, à l’insu des EAU, pour suivre passivement et acquérir des informations sur les F-35 et les technologies liées. Pour recevoir les équipements, Abou Dhabi devra donc se soumettre à des restrictions quant à leur utilisation (en lien avec la volonté de Biden de mettre un terme aux ventes d’armes soutenant les opérations offensives au Yémen) et réduire ses liens avec Beijing.

Face à ces conditions, les EAU ont finalement décidé en décembre 2021 de suspendre le processus d’acquisition. À ce sujet, un responsable émirien déclarait à l’agence de presse Reuters : « Les exigences techniques, les restrictions en matière de souveraineté opérationnelle et l’analyse coûts/bénéfices ont conduit à cette réévaluation. » Pour autant, malgré cette déclaration et le fait que les EAU ont acquis en décembre 2021 80 avions de combat Rafale du constructeur français Dassault Aviation (un accord interprété comme un pied de nez aux Américains), il apparaît que le contrat d’acquisition comprenant 50 F-35 ne soit pas totalement annulé : des négociations semblent toujours être en cours entre les États-Unis et les EAU.

Des tendances lourdes attestant d’une relation résiliente

L’auteur estime qu’il s’agisse de la position de Washington vis-à-vis de la guerre au Yémen, du dossier du nucléaire iranien ou des transferts d’équipements et de matériel militaires, le retour d’un président démocrate à la Maison-Blanche a entraîné des changements d’attitude de la part des États-Unis à l’égard des EAU. À la lumière d’une première analyse de ces évènements, il apparaît déjà que les tensions qui ont pu naître entre les deux pays n’ont pas fondamentalement remis en cause leur collaboration.

En outre, en les replaçant dans leur contexte général, à savoir un certain recentrage de la politique états-unienne sur l’Asie-Pacifique, le constat semble identique. Au-delà des aspects strictement économiques, les relations entre Washington et Abou Dhabi restent également étroites dans le secteur militaire et de la défense. Pourtant, d’après certains auteurs, le « pivot vers l’Asie » des États-Unis — c’est-à-dire le rééquilibrage de l’attention et des ressources politiques vers cette région — se serait accompagné d’un détournement du Moyen-Orient, qui aurait été vécu par les EAU comme une forme d’abandon. Au-delà des effets de communication, ce « pivot » ne s’est en réalité pas traduit par un désengagement américain. De la même façon, si les EAU se sont rapprochés de la Chine et ont cherché à se poser en médiateur dans la région en se distanciant de Washington (sur la Syrie, par exemple), les États-Unis restent leur principal pourvoyeur de sécurité et fournisseur d’équipements militaires.

L’Asie-Pacifique ne marginalise pas encore le Moyen-Orient

Selon Jonathan Bannenberg l’essor économique et militaire de la Chine aurait poussé les États-Unis à effectuer un pivot stratégique au détriment du Moyen-Orient. L’exacerbation de la rivalité de puissance entre Washington et Beijing aurait ainsi « contribué au recul des États-Unis dans la région. » Certes, le département de la Défense des États-Unis (U.S. Department of Defense, DoD) avait appelé dès le milieu des années 2000 à porter une plus grande attention à la montée en puissance de la Chine, mais le fameux « pivot » annoncé par la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton en octobre 2011 n’a pas entraîné de retrait des États-Unis du Moyen-Orient. Ainsi, même si en janvier 2012 un rapport du DoD stipulait que « nous allons nécessairement nous rééquilibrer vers la région Asie- Pacifique, » celui-ci montre que la réorientation stratégique des États-Unis vers cette région n’est pas synonyme d’un réel retrait du Moyen-Orient ; le document contenant plusieurs références à la région, continuant à l’identifier comme un foyer de menaces, mais aussi d’opportunités. Ce rapport affirme d’ailleurs que les efforts des États-Unis au Moyen-Orient seront dirigés vers « le respect de notre engagement envers les alliés et les États partenaires. » En outre, il parle de « rééquilibrage » et non de « pivot ».

Le soi-disant « pivot » vers l’Asie-Pacifique n’a donc pas entraîné une diminution des liens entre les États-Unis et le Moyen-Orient, et ce, même depuis l’entrée en fonction de Joe Biden. Le 7 juin 2022, la secrétaire d’État adjointe par intérim Yael Lempert qualifiait ainsi le narratif selon lequel les États-Unis quitteraient la région de « totalement erroné. » En juillet 2022, à l’occasion du sommet du CCG + 3 (à savoir les six membres du CCG plus l’Égypte, la Jordanie et l’Irak) à Djeddah en Arabie saoudite, Biden déclare « que les États-Unis resteront un partenaire actif et engagé au Moyen- Orient65. » Le président affirme également souhaiter « accélérer les travaux en cours avec ses alliés et partenaires au Moyen-Orient afin d’intégrer et de renforcer la coopération en matière de sécurité. » Cet engagement envers les alliés de Washington dans la région sera réitéré en octobre 2022 dans la National Security Strategy de l’administration Biden. En effet, ce document insiste sur la poursuite d’une politique visant à « renforcer leurs capacités [aux alliés et partenaires des États-Unis] à dissuader et à contrer les activités déstabilisatrices de l’Iran. » Au-delà d’Israël, la référence aux partenaires des États-Unis dans le Golfe est ici claire, l’Arabie saoudite et les EAU faisant partie des principaux adversaires historiques de Téhéran.

Plus concrètement, en ce qui concerne les EAU, selon un rapport du Congressional Research Service daté du 30 janvier 2023, les États-Unis sont le partenaire le plus important du pays en matière de sécurité. Ainsi, ce rapport indique qu’en 2021 environ 3 500 soldats américains ont été déployés sur le territoire des EAU, notamment au port de Jebel Ali, sur la base aérienne Al Dhafra et sur les installations navales de Fujaïrah. En 2022, 2 000 soldats sont toujours stationnés sur le territoire émirien afin, entre autres éléments, d’assister Abou Dhabi dans ses entreprises de dissuasion vis-à-vis de l’Iran. Outre cette présence militaire pérenne, le partenariat de sécurité entre les deux pays, renouvelé en 2019 pour une période de 15 ans (soit jusqu’en 2034) est toujours en vigueur et n’a pas fait l’objet de modifications ou d’amendements depuis l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche.

Les États-Unis restent le principal fournisseur d’armes des EAU

L’auteur souligne que comme la guerre au Yémen permet de l’illustrer, la politique étrangère émirienne s’est caractérisée, au cours de la décennie qui a suivi les printemps arabes, par un activisme et un interventionnisme régionaux. Cependant, d’après Joshua Krasna, chercheur au Foreign Policy Research Institute à Philadelphie, celle-ci « a connu des changements massifs au cours des deux dernières années. » S’appuyant principalement sur le commerce, l’énergie et la technologie, les EAU cherchent à se positionner en médiateurs internationaux sur des questions plus globales en s’affranchissant de certains de leurs alliés traditionnels, dont les États-Unis.

Dans ce contexte de diversification des partenariats des EAU, plutôt que de contraindre les Émiriens à prendre leurs distances avec la Chine, le durcissement des conditions américaines sur les ventes d’armes et les transferts de technologies de défense aurait poussé Abou Dhabi à se tourner davantage vers des sources chinoises74. Entre 2016 et 2020, la Chine a effectivement augmenté le volume de ses transferts d’armes vers les EAU de 169 % par rapport à 2011-2015. Il faut néanmoins souligner que Beijing n’a jamais été un fournisseur d’armes majeur du Moyen-Orient et que l’importante augmentation observée entre 2016 et 2020 doit être interprétée à partir d’un point de référence particulièrement bas, et non comme le résultat d’une importante quantité globale d’exportations. Dans le cas des EAU, la croissance des transferts d’armes en provenance de Chine s’explique principalement par les ventes de drones. Abou Dhabi a ainsi commandé 25 Wing Loong-1 en 2011, 15 Wing Loong-2 (et 500 missiles antichars Blue Arrow-7 pour les armer) en 2017 et 10 CR500 Golden Eagle en 2019. Le 23 février 2022, les EAU ont également annoncé leur intention de signer un contrat avec l’entreprise de défense publique chinoise China National Aero-Technology Import & Export Corporation pour l’achat de 12 avions d’entraînement et de combat légers L15, avec une option pour 36 appareils supplémentaires. Pour autant, il serait abusif d’interpréter ce rapprochement entre les autorités émiriennes et la Chine comme démontrant l’incapacité des États-Unis à influencer les EAU et comme le signe d’un rééquilibrage stratégique émirien.

En parallèle à la présence continue de troupes américaines aux EAU et de l’entrée en vigueur d’un nouvel accord de coopération en matière de défense, les États-Unis restent, de loin, le premier fournisseur d’armes du pays. Ainsi, entre 2008 (année de la première élection de Barack Obama et de son colistier Joe Biden) et 2022, les États- Unis ont fourni près de 64 % de toutes les armes importées par les EAU. Ces données illustrent le fait qu’il est peu probable qu’Abou Dhabi considère la Chine comme un partenaire pouvant se substituer à sa coopération avec les États-Unis : « Il s’agit moins d’un cas de rééquilibrage que d’une erreur de calcul de la part des Émiriens qui se trouvent désormais dans la position délicate de réduire leur coopération avec Beijing pour rassurer les Américains et sauver la face. » Par conséquent, comme l’a déclaré l’ambassadeur des EAU aux États-Unis, Yousef al-Otaiba, dans une allocution vidéo célébrant les réalisations accomplies en 2022, les États-Unis restent l’allié le plus important des EAU.

Pour conclure sa note l’auteur dira que depuis l’arrivée au pouvoir à Washington de Joe Biden, un ensemble d’évènements a conduit à ce que les relations entre les EAU et les États-Unis se tendent. La volonté du président démocrate d’arrêter l’approvisionnement en armes des acteurs impliqués dans la guerre du Yémen, celle de relancer l’accord sur le nucléaire iranien ou encore l’imposition de restrictions pour les transferts de technologies de défense permettent d’illustrer une forme de crispation des rapports entre les deux pays.

Cependant, ces dissensions ne doivent pas être surinterprétées, car elles n’ont pas substantiellement modifié les liens entre les EAU et les États-Unis. De surcroît, l’idée que les États-Unis auraient effectué un pivot stratégique au détriment du Moyen-Orient doit être relativisée. Dans le cas des EAU, les tendances de fond sont au maintien d’une relation solide. D’une manière similaire, bien qu’Abou Dhabi ait opéré au cours des deux dernières années certains rééquilibrages de sa politique étrangère, l’idée selon laquelle ceux-ci se seraient faits au détriment des États-Unis doit être largement nuancée. En effet, bien que certaines décisions des EAU puissent paraître ambigües à la lumière de leurs liens avec Washington (comme celle de se rapprocher de la Chine pour s’approvisionner en armes), il est abusif d’y voir la manifestation d’un mécontentement durable remettant en cause les fondements de leur collaboration continue en matière de défense et de sécurité.

 

Par Rokhaya KEBE 

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