Il a fallu arriver au quart du 21e siècle ou peu s’en faut pour voir, pour la première fois dans l’histoire des programmes présidentiels au Sénégal, apparaître sous d’heureux auspices une vision nucléaire. Le nouveau gouvernement expose, dans son opus programmatique intitulé « Le projet », une série de propositions en matière d’énergie nucléaire pacifique. Nul besoin d’une argumentation soutenue pour corroborer cette assertion, pourvu que celle-ci ne soit pas de simples velléités : à la page 50 du « Projet » de 84 pages, rendu public le samedi 9 mars 2024, ces propositions sont légion ! Cependant, il serait erroné de négliger le fait que l’énergie nucléaire est souvent perçue comme une source d’énergie énigmatique en Afrique au sud du Sahara, et son éventuelle introduction au Sénégal suscite une diversité de débats et de questionnements. Mais alors, quels sont les éléments, de même fait, qui confèrent à l’énergie nucléaire une importance si remarquable, et pourquoi son nom et son potentiel devraient-ils davantage être redorés en Afrique, et tout particulièrement au Sénégal ? Une énergie pour nous éclairer, nous soigner… Dans l’ère contemporaine, l’énergie nucléaire, lieu primal des principes imperceptibles à l’œil nu, demeure fondamentalement l’une des inventions technologiques les plus impressionnantes. Bien que semblant parfois ignorée, sous-estimée ou mal comprise par le commun des mortels, elle offre une percée sans égale dans le domaine de l’énergie, s’érigeant dans une évolution continue depuis plus de sept décennies. Et pourtant, il est indubitable que
l’Afrique, et plus spécifiquement le Sénégal, méritait de découvrir cette prodigieuse technologie. À notre sens, le devoir fondamental de la science — et c’est toujours à partir de la science qu’on essaie de nous exprimer — est un devoir aléthique, c’est-à-dire une démarche d’élucidation du monde et de la nature afin d’améliorer notre qualité de vie et notre compréhension. Que ce devoir réussisse ou non est presque contingent ; sa véritable valeur tient en ceci : par elle, nous découvrons que l’univers est une grande énigme et que cette énigme trouve son expression la plus mystérieuse en nous. Ce mystère de la science, donc l’énergie nucléaire en particulier, nous a hanté durant un quinquennat, si profondément, avec un tel pouvoir d’engouement (ce que les sciences nucléaires nous ont pris, une part de patriotisme, ne nous sera jamais restitué, et tant mieux alors en un sens : le Sénégal et l’humanité ont besoin de tirer profit des applications pointues de la science), que nous avons pris la décision, pour l’intérêt suprême, pour sensibiliser les néophytes, d’écrire un livre. Ce fut Sénégal — route vers le nucléaire, publié en 2021 (ouvrage visant à étendre une influence et à démocratiser les savoirs en matière de nucléaire et qui s’érige en guide dans la mise en place d’un programme électronucléaire au Sénégal). Dès lors, il nous est apparu manifeste que la technologie nucléaire détient le pouvoir de contribuer, et contribuera, indubitablement, à résoudre ipso facto les défis socio-économiques auxquels font face le Sénégal, l’Afrique, et au-delà. En réponse à ce titre du présent article, « De quoi l’énergie nucléaire est-elle le nom ? », il convient, tout d’abord, de la considérer comme une technologie singulièrement incantatoire et multifacette. De fait, l’énergie nucléaire, plus qu’une force isolée, est un pilier de fond de notre société moderne. Elle propulse nos transports, alimente nos industries et éclaire nos villes.
En tant que principal artisan de la production d’électricité, l’énergie nucléaire est aussi vitale que l’eau elle-même, dont elle peut devenir, d’une certaine façon, source de l’abondance, avec le dessalement (on y revient plus bas !). Techniquement, cette technologie exploite l’énergie issue de la fission contrôlée d’atomes lourds tels que l’uranium ou le plutonium (matériaux radioactifs), engendrant de la chaleur qui alimente la génération de vapeur qui, condensée dans des groupes turbo-alternateurs, se transforme en une précieuse source d’électricité. Pour cette raison, parce que l’énergie nucléaire utilise l’uranium comme combustible — une ressource très dense comparée aux combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon…) —, on lui a emboîté le pas ; mais qui est ce « on » ? Oui ! très dense en ce sens où pour la production d’électricité, la combustion nucléaire de 1 gramme d’uranium équivaut à la combustion de 1,6 tonne de pétrole. Non, nous ne nous faisons aucunes illusions : il y a, pour étayer ceci, un million de fois plus d’énergie dans 1 kilogramme d’uranium que dans 1 kilo de pétrole. Évidemment, une centrale nucléaire utilise beaucoup — vraiment beaucoup ! — moins de « carburant » que les centrales à combustibles fossiles, et beaucoup moins d’espace et de matériaux que l’éolien ou le solaire. Que peut alors bien signifier une énergie à bas carbone, c’est-à-dire, parmi les différentes sources dont nous disposons principalement, celles émettant très peu de dioxyde de carbone (CO2) ? La réponse, ou du moins la comparaison des chiffres, peut vous surprendre : le nucléaire émet 6 grammes (g) de CO2 par kilowattheure (kWh) d’électricité produit, tandis que le gaz, le pétrole et le charbon, émettent respectivement 443 g CO2/kWh, 778 g CO2/kWh et 1058 g CO2/kWh.. Cela dit, bien malheureux notre monde au vu du nombre de ces centrales fossiles qui y sont installées ou en cours de construction. D’ailleurs, dans le sixième rapport d’évaluation du GIEC, on — ce « on » signifie : chacun de ceux qui sont conscients d’un des trois plus grands dangers auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui : la guerre biologique, la guerre nucléaire et le réchauffement climatique — a lu que le réchauffement de la planète, sur les vingt prochaines années, atteindra le seuil de 1,5 degré Celsius (figurez-vous au-delà de ce seuil, les conséquences deviennent moult graves, voire asymptotiques d’un réchauffement climatique irréversible). Il n’en est rien avec l’énergie nucléaire, tant s’en faut. Les centrales nucléaires contribuent à réduire la dépendance aux combustibles fossiles et peuvent aider à atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 — paraît-il que bien trop de gens confondent le panache blanc qui s’échappe des tours des centrales nucléaires avec le rejet de CO2 (polluant et toxique) ! On le répète : parfois, nous n’avons plus d’espoir, mais c’est désespéré qu’on lutte le mieux. Mû par la passion, on continuera à mener cette mission, celle de la vulgarisation.
Aussi donc : de quoi une centrale nucléaire est-elle le nom ? Qu’est-ce qui incite de nombreuses nations, en particulier les plus avancées, à investir dans cette application civile de l’énergie nucléaire ? L’explication réside dans leur engagement dans la recherche et le développement de technologies de pointe, un investissement qui stimule la croissance économique et consolide leur position sur la scène internationale. En réalité, ces nations sont fermement déterminées à assurer leur indépendance énergétique, car elles reconnaissent que sans cela, tout projet de développement, aussi majestueux qu’il soit, demeure stérile.
En effet, une industrie florissante exige une consommation énergétique substantielle pour soutenir ses opérations. Un parc nucléaire permet d’assurer cette demande, en continu, à moindre coût, et ce, sans favoriser de rejets toxiques dans l’atmosphère — si l’exploitation est menée à bien. Sur le plan économique, leur performance demeure difficile à battre : un tarif compétitif de 35,95 FCFA par kWh à la production, un contraste saisissant avec les 114 FCFA que débourse un sénégalais moyen pour 1 kWh d’électricité consommée au tarif social. Nombreux sont les pays, qu’ils soient développés ou en voie de développement, qui reconnaissent l’importance des centrales nucléaires pour garantir une offre énergétique stable et abordable. La France, par exemple, tire 70 % de son électricité de l’énergie nucléaire, permettant ainsi l’alimentation continue de divers secteurs tels que : 15 lignes de métro parisiennes, les nombreux trains RER et les bus électriques dans ce pays, les 135 stades d’au moins 6000 places, les 112 IGH (immeubles de grande hauteur), ainsi que les industries et les quelque 30,8 millions de foyers.
Les centrales nucléaires dans le monde Dans le monde, 432 réacteurs fonctionnent (exploités par 32 pays) et 51 sont en construction. Les États-Unis en ont le plus (96), suivis par la France (56, et 1 en construction), la Chine (49, et 16 en construction), la Russie (38, et 2 en construction), le Japon (33, et 2 en construction), etc.
En Afrique, seule l’Afrique du Sud possède une centrale nucléaire — la centrale de Koeberg, avec ses deux réacteurs opérationnels depuis 1984 et 1985 — ce qui a contribué à sa position de nation la plus développée du continent. Récemment, des pays comme le Nigéria, l’Égypte, le Ghana, l’Ouganda, le Maroc et le Kenya ont lancé des projets électronucléaires avec des partenaires chinois, russes, français ou canadiens. Il faut cependant être conscient que la mise en place d’un programme électronucléaire fructueux requiert un lourd financement et un large soutien politique et populaire, sur plusieurs années. Cette durée peut ne pas être adéquate pour satisfaire les besoins urgents en électricité du Sénégal. C’est là qu’interviennent les petits réacteurs modulaires (connus sous l’acronyme anglais SMR pour Small Modular Reactor), offrant une solution plus adaptée pour le pays.. Plus compacts, fabriqués en usine et assemblés sur place, les SMR requièrent des investissements moindres (voire trois fois moins coûteux que les réacteurs nucléaires conventionnels) et sont adaptés aux régions isolées telles que Kolda et Kédougou. Les autres applications pacifiques du nucléaire (médecine, agriculture, eau douce) C’est bien connu, l’énergie nucléaire va bien au-delà de la production d’électricité, avec des applications majeures telles que la production d’isotopes pour la médecine (diagnostic et le traitement du cancers etc.). À l’exception de l’Afrique du Sud, qui dispose de ses propres réacteurs de recherche pour produire des radio isotopes, les pays africains, y compris le Sénégal, doivent importer leurs produits radiopharmaceutiques. C’est pourquoi le Sénégal se prépare à embarquer son propre réacteur de recherche.
L’utilisation de l’énergie nucléaire pacifique touche également d’autres domaines essentiels tels que l’agriculture, l’industrie et l’eau douce. Dans l’agroalimentaire, l’irradiation des aliments est une pratique reconnue pour améliorer la sécurité et la valeur nutritionnelle des aliments, couvrant une gamme allant des épices aux produits carnés (viande, poisson, chair de poulet). Par ailleurs, l’eau douce de bonne qualité est indispensable à la vie, mais sa disponibilité est de plus en plus limitée à Dakar et dans de nombreuses régions dans le pays. Il est démontré qu’avec la croissance de la demande de dessalement d’eau de mer, l’énergie nucléaire pourrait devenir une alternative aux combustibles fossiles pour la production de la chaleur nécessaire.
À savoir que des usines de dessalement nucléaires fonctionnent déjà au Japon et aux États-Unis. Au vu de la situation géographique propice à l’utilisation de l’énergie nucléaire pour le dessalement de l’eau de mer, plusieurs nations africaines pourraient naturellement envisager le nucléaire comme une solution pour répondre à leurs besoins croissants en eau douce. Aussi il est à noter qu’il existe d’autres applications du nucléaire notamment dans l’industrie, le chauffage urbain et la production d’hydrogène (utilisé pour la production d’engrais et dans le raffinage du pétrole).
En réalité, l’énergie nucléaire est omniprésente dans notre quotidien. Malheureusement, certains l’associent uniquement à la bombe atomique, alors qu’elle est dans l’absolu plus pacifique : plus sûre, plus économe et plus performante. Bref, plus que l’énergie de l’avenir, elle nous permet d’alimenter nos foyers, de nous déplacer et de bénéficier de soins médicaux. Quoi de mieux ? Nous ne cessons de le dire : c’est une énergie dense et propre qui sauve des vies, protège l’environnement et crée des milliers d’emplois !
On espère, enfin, que cette modeste chronique pourra éclairer sur sa nature, ou pour considérer l’absurde, pourra aider les gouvernements et dirigeants africains dans l’assumation de leurs responsabilités. (Avril 2024)