avril 30, 2025
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Sécurité

LE M23 Catalyseur des contradictions de l’Afrique des Grands Lacs

Dans une note d’analyse publiée par Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), le chercheur Georges Berghezan se penche sur le groupe armé M23. Intitulée « Le M23, catalyseur des contradictions de l’Afrique des Grands Lacs », la note « a pour objectif de présenter, dans son contexte régional, la réapparition et la rapide expansion territoriale du M23, ce groupe armé déclarant défendre la minorité tutsie dans l’est du Congo et bénéficiant d’un soutien de plus en plus ouvert du Rwanda voisin. » L’auteur y aborde l’évolution de la situation militaire, marquée par une progression quasi constante des rebelles depuis la fin de 2021. Leurs revendications sont ensuite présentées, avant d’énumérer les nombreux alliés des protagonistes. Georges Berghezan évoque aussi les intérêts sous-jacents à ce conflit, avec comme enjeu les fabuleuses ressources naturelles du Kivu.

Dans ladite note d’analyse, Georges Berghezan présente et tente de situer de situer, dans son contexte régional, la réapparition et la rapide expansion territoriale depuis 2022 du M23, ce groupe armé déclarant défendre la minorité tutsie dans l’est du Congo.

Pourquoi s’intéresser spécifiquement à ce groupe armé, alors qu’il en existe au moins 120 autres dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), certains étant assurément encore plus meurtriers que le M23 ?

A en croire me chercheur, le M23 se distingue des autres groupes opérant en RDC d’abord par la rapidité de sa conquête, au moins en partie, de quatre des six territoires du Nord-Kivu, la province la plus peuplée du pays, après Kinshasa. Aucun autre groupe armé ne peut revendiquer le contrôle d’une zone aussi étendue. Cela s’explique, surtout mais pas seulement, par le soutien militaire dont il bénéficie de l’armée d’un pays voisin, une armée disciplinée, aguerrie et puissamment armée. En outre, la plupart des combattants du M23 sont également des militaires professionnels, dont beaucoup de déserteurs provenant des Forces armées de RDC(FARDC).

D’autre part, un nombre impressionnant d’acteurs sont impliqués dans ce conflit : outre le M23 et les FARDC, on trouve les armées du Rwanda et de l’Ouganda, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (MONUSCO), deux forces régionales qui se sont succédé, divers groupes armés et des mercenaires et sociétés privées. Il n’est dès lors pas surprenant que cette guerre ait une incidence importante sur les relations entre, non seulement la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, mais aussi avec d’autres pays africains, du Kenya à l’Afrique du Sud.

Outre ce potentiel déstabilisateur, la guerre du M23 camoufle des intérêts économiques et géostratégiques majeurs, pour les parties en conflit, mais aussi pour le monde industrialisé, puisque plus de la moitié du coltan, ce minerai indispensable à la production des condensateurs pour appareils électroniques, est extrait dans l’est de la RDC, et en particulier dans la région convoitée par le M23.  

Enfin, davantage que les autres conflits à caractère ethnique d’Afrique centrale, l’activisme du M23 attise les tensions et les haines intercommunautaires dans la région des Grands Lacs, où les plaies résultant du génocide rwandais sont loin d’être cicatrisées.

Genèse du M23

Réapparu en 2017, lorsque des escarmouches contre les FARDC ont été à nouveau signalées, le M23 s’était fait connaitre en 2012 en s’emparant de nombreuses localités du Nord-Kivu, jusqu’à occuper brièvement la ville de Goma en novembre de cette année. Lâché par son principal soutien, le Rwanda, lui-même sous pression des États-Unis, le M23 a dû se replier en Ouganda après avoir été vaincu sur le champ de bataille en octobre 2013 par les FARDC secondées par une brigade de la MONUSCO. Son chef, Bosco Ntaganda, s’était entretemps livré à la Cour pénale internationale qui le condamna à 30 ans de prison pour crimes commis en Ituri dans le cadre d’une autre rébellion.

Cependant, outre le soutien rwandais, le M23 a pu compter à l’époque sur des combattants particulièrement bien rôdés au combat, pour la plupart des déserteurs rwandophones des FARDC, et surtout des Tutsis. La plupart d’entre eux avait auparavant appartenu à une autre rébellion pro-rwandaise, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), active dans les deux provinces du Kivu entre 2006 et 2009. La filiation entre les deux organisations est énoncée dans le nom même du M23, pour « Mouvement du 23 mars », en référence à l’accord du 23 mars 2009 qui mit fin à l’insurrection du CNDP en intégrant ses membres aux FARDC, un accord qui, selon les responsables et soutiens du M23, a été violé par le pouvoir de Kinshasa.

Si l’on remonte davantage l’échelle du temps, il est aisé d’identifier d’autres « ancêtres » de ces deux mouvements, dont la rébellion du général Nkunda – un des futurs chefs du CNDP – qui culminera avec la prise de Bukavu en 2004, et le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), cache-nez congolais du Rwanda pendant son occupation d’une grande partie de l’Est congolais de 1998 à 2002. À ce tableau, on pourrait même ajouter la « guerre de libération » qui, grâce au soutien rwando-ougandais, aboutit en 1997 au renversement de Mobutu. Avant qu’elle ne soit revendiquée par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo.

Réémergence du M23

D’après l’auteur, à l’exception du recrutement, en Ouganda et au Rwanda en 2016, d’au moins 200 ex-membres du M23 sur ordre de Joseph Kabila afin de réprimer dans le sang les manifestations d’opposition à la prolongation de son bail présidentiel, il faudra attendre le début de l’année suivante pour (AFDL) de Laurent Kabila, cette insurrection était connue comme la « rébellion des Banyamulenge » réenregistrer une activité de ce mouvement en territoire congolais. La présence du chef militaire du M23, Sultani Makenga, accompagné d’une centaine d’hommes, est alors signalée sur le mont Sabinyo, dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), à proximité de la frontière ougandaise.Cependant, jusqu’à la fin de 2021, rares sont les affrontements avec les FARDC. Le nouveau président, Félix Tshisekedi, peut-être conscient de la menace d’une réactivation du M23, se rapproche de son homologue rwandais, Paul Kagame ; en octobre 2019, Kigali et Kinshasa concluent une « feuille de route conjointe des activités relatives au rapatriement en RDC des exM23 présents au Rwanda ». L’année suivante, débutent à Kinshasa des négociations secrètes avec une délégation de la rébellion, mais sans succès.

La fin de ces pourparlers semble coïncider avec la proclamation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri en mai 2021. Au nom de la lutte contre l’insécurité et les groupes armés, les autorités et administrations civiles sont suspendues au profit des militaires. Cependant, cela n’a pas d’effet sur la situation sécuritaire. Au contraire, à partir de novembre 2021, le M23 attaque diverses positions des FARDC, toujours dans le territoire de Rutshuru, en direction de Goma. C’est également ce même mois que les FARDC et l’armée ougandaise, les Uganda Peoples’ Defence Forces (UPDF) entament leur opération Shujaa (« héros » ou « brave » en swahili), officiellement pour éradiquer la plus ancienne rébellion active en RDC, les Allied Democratic Forces(ADF), devenues la branche d’Afrique centrale de l’organisation État islamique. Alors que, depuis plus de deux décennies, ce groupe d’origine ougandaise se limitait à piller et égorger des civils du côté congolais de la frontière, les ADF venaient de mener une série d’attentats en Ouganda, ce qui aurait décidé Kampala à envoyer ses troupes les combattre dans leurs fiefs du territoire de Beni au Nord-Kivu.

Intensification des combats au Rutshuru

Après quelques flambées au début de l’année 2022, les combats s’intensifient en mars. Un missile tiré d’une colline tenue par le M23 abat un hélicoptère de la MONUSCO, tuant ses 8 occupants. Les rebelles tentent de s’emparer du carrefour stratégique de Bunagana, à la frontière congo-ougandaise et à quelques kilomètres du Rwanda, mais sont repoussés par les FARDC secourues par les UPDF. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premiers indices d’un soutien direct du Rwanda à la rébellion, ce que Kigali ne cessera de démentir.

En mai, secondé par un millier de soldats rwandais, le M23 s’approche à une vingtaine de kilomètres de Goma et s’empare de la plus grande base militaire de la province, à Rumangabo, mais bat en retraite quelques jours plus tard lors de la contre-offensive des FARDC. Quinze jours plus tôt, à Pinga, une bourgade du territoire de Walikale (Nord-Kivu), quatre groupes armés avaient décidé de s’unir pour lutter contre le M23, lors d’une réunion à laquelle assistaient des responsables des FARDC, mais aussi des sulfureuses Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Considérées comme les héritières des Interahamwe, coauteurs du génocide de 1994, elles sont présentées par Kigali comme une menace majeure à sa sécurité.

Le M23 progresse encore en juin, s’emparant de plusieurs localités, dont Bunagana, cette foisci sans que les UPDF ne s’y opposent. Un rapport, supposément confidentiel et daté de juillet, des experts de l’ONU confirme et détaille le soutien militaire offert par Kigali au M23. Au début du même mois, une rencontre entre les présidents Tshisekedi et Kagame semble déboucher sur une accalmie passagère sur le terrain. Simultanément, la RDC adhère officiellement à la Communauté Est-Africaine (East African Community, EAC), qui décide de déployer une Force régionale pour appuyer les FARDC dans leur lutte contre les groupes armés, en particulier le M23. Les premières unités, composées de soldats burundais, sont déployées dès le mois suivant ; elles seront suivies d’unités kenyanes, ougandaises et sud-soudanaises.

La fin de l’année est marquée par de nouveaux gains territoriaux du M23 qui reprend la base de Rumangabo, capture le chef-lieu du territoire de Rutshuru et la cité voisine de Kiwanja ainsi que des localités dans le petit territoire du Nyiragongo, qui borde Goma. Certaines d’entre elles sont ensuite cédées à la force de l’EAC, mais sans nécessairement entraîner le retrait des rebelles qui en profitent pour passer à l’offensive sur d’autres fronts. Le Groupe d’experts de l’ONU estime que le M23 a, en moins de huit mois, triplé le territoire sous son contrôle. Il dénonce également des violations de l’embargo sur les armes, à la fois par le Rwanda (troupes déployées en RDC, armement du M23) que par le Congo (soutien à des groupes armés).

Poussée au Masisi en 2023 et au Grand Nord en 2024

Après avoir remis le contrôle de la base de Rumangabo à la force de l’EAC au début janvier 2023, le M23 lance une offensive dans le territoire de Masisi, non-limitrophe du Rwanda. Il s’empare, notamment, de la cité de Kitshanga, au nord du territoire, et brièvement, à la fin février, du site minier de Rubaya, d’où proviendrait la moitié du coltan produit par le pays. Déjà sous la coupe de groupes armés pro-Kinshasa depuis quelques mois, ce qui avait poussé la société qui en détenait les droits d’exploitation à suspendre ses activités, le site est repris par ces mêmes groupes quelques jours plus tard. Au début mars, alors que le M23 a encore doublé, en trois mois, la zone sous son contrôle, un cessez-le-feu entre en vigueur, globalement respecté par les FARDC jusqu’en octobre, mais non par les groupes armés alliés, qui affrontent sporadiquement le M23 en divers points du Nord-Kivu.

Les hostilités reprennent donc en octobre. La contre-offensive des FARDC et de leurs supplétifs permet de reprendre Kibumba, à une vingtaine de kilomètres de Goma, mais n’empêche pas la perte d’autres localités plus au nord de la province. La fin de l’année 2023 est également marquée par la décision de Kinshasa d’expulser la force de l’EAC, accusée d’inefficacité dans son opposition au M23, la conclusion d’un accord de défense entre la RDC et le Burundi, autorisant ce dernier à déployer des troupes en RDC, et l’invitation faite à la Communauté de développement d’Afrique australe(Southern African Development Community, SADC) d’envoyer des troupes en remplacement de celles de l’EAC. Composée de contingents sud-africains, malawites et tanzaniens, la SADC Mission in the Democratic Republic of Congo (SAMIDRC) se déploie à partir de la mi-décembre et semble se concentrer dans la défense de la cité de Sake, important carrefour au sud-ouest de Goma.

Si – à ce jour – le M23 n’a pas réussi à s’emparer de Sake, il a contourné la localité par le sud en conquérant, en février 2024, le village de Shasha, également sur le lac Kivu. Ainsi, il contrôle, au moins en partie, tous les axes menant à Sake, sauf le petit tronçon vers Goma étant encore aux mains des gouvernementaux. Désormais, hormis la voie aérienne ou lacustre, quiconque veut sortir de Goma ne peut aller au-delà de Sake, à moins d’aller au Rwanda via la ville frontière de Gisenyi. De plus, à Shasha, le M23 se retrouve pratiquement avec un pied au Sud-Kivu et a déjà pilonné le nord de cette province.  

Sur les autres fronts également, la situation semble se dégrader pour les FARDC. Dans le nordest du Rutshuru, le M23 a conquis le petit port de Vitshumbi sur le lac Édouard en mars. Dans le Masisi, il a repris les mines de Rubaya en mai. Et sur le front nord-ouest, après plusieurs semaines de combat et avoir bénéficié du renfort de centaines d’hommes de la RDF, il s’est emparé de Kanyabayonga, cité verrouillant l’entrée du « Grand Nord », soit les deux territoires constituant le nord du Nord-Kivu. Au moment de boucler cette note, le M23 était en train de progresser vers Butembo, ville la plus peuplée de la province avec ses deux millions d’habitants.

Motivations et revendications du M23

Le M23 a justifié sa résurgence par le manque de progrès dans la mise en œuvre de la déclaration sur ses engagements qu’il a faite en décembre 2013, portant sur l’amnistie, le retour des réfugiés et la restitution de biens confisqués ou volés. La « feuille de route » » de 2019 et les négociations de Kinshasa en 2020 et 2021 auraient porté sur ces points. Cependant, avec l’embrasement du conflit, le discours du M23 – et celui de Kigali – a fortement évolué, brandissant la menace existentielle que poseraient les FDLR pour le Rwanda et dénonçant des discriminations envers les Tutsis congolais, voire un « génocide » qui serait en préparation ou en cours.

Un tel discours doit être fortement nuancé. D’un côté, il est irréaliste d’affirmer que les FDLR posent une menace sérieuse au Rwanda. Bien qu’elles soient maintenant armées par les FARDC pour combattre le M23, ce qui pourrait avoir gonflé leurs effectifs, elles ne représentaient tout au plus un millier de combattants avant la réémergence du M23. Et leur dernière attaque d’envergure en territoire rwandais date de 2001, en contraste des innombrables meurtres, viols et enlèvements qu’elles ont commis en RDC depuis trente ans. Comme le déclare le président Tshisekedi, justifier le M23 par les FDLR, comme le font à la fois Kigali et Washington, « c’est une fausse excuse. Aujourd’hui, les FDLR sont plus un problème pour la RDC que pour le Rwanda ».

D’un autre côté, il est exact que les évènements des dernières décennies ont largement contribué à alimenter un ressentiment violent et sectaire envers les « Rwandais » et assimilés auprès de plusieurs communautés congolaises de l’Est. De nombreux lynchages ont été commis, des villages incendiés, ciblant des Tutsis du Nord-Kivu, des Banyamulenge du Sud-Kivu ou des Hema, assimilés aux Tutsis, en Ituri. Ce ressentiment a encore été attisé par les discours guerriers de plusieurs candidats, dont le président de la République, lors de la récente campagne électorale. Mais la réapparition du M23, sa posture mono-ethnique et le soutien direct de Kigali n’ont fait qu’aggraver l’intolérance du « camp bantou ». Se poser en défenseur d’une seule des 450 ethnies d’une nation en déstabilisant un pays entier ne peut qu’aboutir à l’auto-marginalisation. Quant à l’accusation de génocide, les deux parties au conflit se la renvoient en guise d’argument-massue.

Acteurs impliqués au côté des FARDC

Si le conflit, au départ, n’opposait que les FARDC, y compris sa Garde républicaine, aux combattants du M23, il se distingue aujourd’hui par l’implication d’un nombre croissant d’acteurs, sur le terrain ou en coulisses.

En vertu de son mandat, qui prévoit notamment des « offensives ciblées » contre les groupes armés et des « opérations conjointes » avec les forces de sécurité de RDC, la MONUSCO demeure un important soutien aux FARDC, notamment dans les domaines du renseignement et du transport. Avec celles-ci, elle mène, depuis novembre 2023, l’opération Springbok de protection de Goma, menacée par le M23. Mais Kinshasa pourrait bientôt être privée de ce soutien puisque la force onusienne vient d’achever son retrait du Sud-Kivu et devrait prochainement quitter les deux dernières provinces où elle est encore présente, le Nord-Kivu et l’Ituri. Alors que les autorités – soucieuses de montrer qu’elles contrôlent l’ensemble du territoire national – réclamaient depuis plusieurs années ce retrait, elles ont été soutenues, dans la rue, par une partie de la population urbaine de l’Est, accusant les casques bleus d’inefficacité dans leur lutte contre les groupes armés et de surtout penser à se protéger eux-mêmes. Néanmoins, plusieurs observateurs craignent qu’il en résulte un vide sécuritaire dont profiteraient ces mêmes groupes armés.

Parmi les autres acteurs internationaux engagés dans la crise du M23, il faut donc mentionner la force régionale de l’EAC, qui n’aura passé qu’une bonne année en RDC avant d’en être chassée, elle aussi accusée d’inefficacité, et même de collusion avec le M23. Cependant, son déploiement comme son retrait sont avant tout motivés par les relations volatiles de Kinshasa avec ses voisins d’Afrique de l’Est.

La force de l’EAC a été immédiatement remplacée par la SAMIDRC, une force émanant de la SADC, organisation régionale dont la RDC est membre depuis l’époque de Laurent-Désiré Kabila. Cependant, près de six mois après le début de ses opérations, la SAMIDRC semble encore loin d’atteindre les objectifs fixés en termes d’effectifs – 4 800 hommes – et pourrait être compromise si d’autres organisations – ONU, UA, UE… – n’acceptaient de la soutenir financièrement.

En outre, indépendamment du commandement de la force de l’EAC, plus d’un millier de soldats de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB) ont été déployés, sous uniforme FARDC face au M23 dans le Nord-Kivu en octobre 2023. Ce déploiement semble être une conséquence directe de la conclusion, quelques semaines plus tôt, d’un accord de coopération militaire entre Kinshasa et Bujumbura. De plus, la FNDB opère au Sud-Kivu afin de prévenir les infiltrations des rebelles burundais du RED-Tabara, groupe opposé au gouvernement de Bujumbura et qui serait soutenu par le Rwanda.

Parmi les acteurs plus informels, il y a surtout la nébuleuse des Wazalendo (« patriotes » en swahili), armée directement par les FARDC. Cette coalition de groupes armés, formée en mai

2022 à Pinga, regroupe notamment l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS, majoritairement hunde), une faction de Nyatura (hutu) et le Nduma défense du CongoRénové (NDC-R, relativement multiethnique). Mais des responsables des FDLR – combattues jusqu’alors par certains de ces groupes – ont également participé à cette réunion et il est vite apparu que les uns comme les autres étaient alimentés en armes et munitions par les FARDC et combattaient à leurs côtés contre le M23.

Tandis que le président Tshisekedi avait appelé, en novembre 2022, la jeunesse à former des « groupes de vigilance » contre les « velléités expansionnistes » de Kigali, l’incorporation de supplétifs au sein des FARDC a été légalisée par la publication d’une loi instaurant une « réserve armée de la défense » en juillet 2023, puis d’un décret d’application créant le corps des « volontaires pour la défense de la patrie » deux mois plus tard. Les FARDC auraient, en quelques mois, formé 40 000 membres des « forces négativistes » subitement métamorphosés en « réservistes ». Cela a créé un appel d’air et encouragé l’afflux au Nord-Kivu de combattants des quatre coins de la république, du Sud-Kivu au Maï-Ndombe.  

Si les experts chargés par l’ONU de surveiller l’embargo sur les armes continuent de qualifier ce soutien en armes, moyens logistiques et argent liquide de violation du régime d’embargo, le gouvernement de Kinshasa n’est probablement pas du même avis, considérant que les Wazalendo ne constituent plus une « entité non-étatique », mais une force officielle. Alors que plusieurs dirigeants de ces « ex-groupes armés » sont accusés de diverses exactions contre les civils et ont été sanctionnés par l’ONU, il est déjà clair que la mesure a contribué à aggraver le chaos et l’insécurité régnant dans les zones du Nord-Kivu encore sous contrôle de Kinshasa. Quant à l’utilité militaire de cette transformation, elle reste à démontrer : c’est bien le M23 qui a repris l’initiative depuis le début de l’année 2024, même si les forces progouvernementales ont paru marquer des points durant le trimestre précédent, marqué par une campagne électorale au cours duquel les Wazalendo ont également été actifs pour intimider les opposants au pouvoir en place.

Acteurs impliqués aux côtés du M23

Le principal soutien du M23 est sans conteste la Rwanda Defence Force (RDF). L’implication directe de l’armée rwandaise dans le conflit en RDC a été remarquée dès le début 2022. Elle semble n’avoir cessé de prendre de l’ampleur puisque, en avril 2024, quand un nouveau rapport du Groupe d’experts de l’ONU a été clôturé, le nombre de militaires rwandais présents au NordKivu – de 3 à 4 000 – serait supérieur à celui de combattants du M23, estimé à 3 000. Ils occuperaient diverses positions stratégiques en RDC et seraient chargés de former les recrues des rebelles, parmi lesquelles des enfants. Toujours selon ce rapport, le déploiement rwandais en RDC « viole la souveraineté et l’intégrité territoriale de ce pays. Le contrôle et la direction que Le M23, catalyseur des contradictions de l’Afrique des Grands Lacs la RDF exerce de facto sur les opérations du M23 rendent également le Rwanda responsable des actes du M23 ».

Bien que plus discret, le soutien de l’Ouganda aux rebelles semble également confirmé. Il s’est une première fois manifesté en juin 2022, quand les UPDF ont laissé le M23 traverser la frontière ougando-congolaise pour s’emparer de la bourgade de Bunagana, alors qu’elles s’y étaient opposées trois mois plus tôt. Kampala laisserait également les recrues du M23 provenant d’Ouganda et du Kenya entrer librement en territoire congolais. Des soldats des UPDF seraient également présents en RDC aux côtés du M23, bien que non-directement impliqués dans des combats. Selon le dernier rapport des experts de l’ONU, la branche militaire du service de renseignement ougandais, la Chieftaincy of Military Intelligence, serait directement impliquée dans la logistique du M23 et le transport de ses dirigeants. Combattants rebelles et troupes de la RDF traverseraient librement le territoire ougandais pour gagner la RDC. Rappelons que, paradoxalement, les UPDF collaborent, depuis novembre 2021, avec les FARDC dans le cadre de l’opération Shujaavisant à éradiquer les ADF. Cependant, cette opération semble avoir surtout eu comme effet de les éloigner de la frontière et de les pousser plus profondément en territoire congolais, jusque dans le territoire de Mambasa en Ituri. Un contingent ougandais a également fait partie, pendant un peu plus d’un semestre en 2023, de la force de l’EAC, mais n’a pas combattu le M23, se contentant de « cohabiter » avec les rebelles et leur laissant le soin d’administrer les zones conquises.

Quelques groupes armés congolais collaboreraient également avec le M23, mais sans se battre directement à ses côtés. Il s’agirait, entre autres, du groupe Zaïre, composé principalement de Hema de l’Ituri, créé en réaction à l’activisme meurtrier des Lendu de la Coopérative pour le développement économique au Congo (CODECO), et des Twirwaneho (« défendons-nous » en kinyarwanda), composé de Banyamulenge du Sud-Kivu. Alors que des centaines de combattants de Zaïre auraient été formés en Ouganda depuis 2022, d’autres auraient été plus récemment envoyés au Nord-Kivu pour être entrainés par le M23. Quant aux Twirwaneho, leur direction serait en contact étroit avec celle du M23 et certains cadres des deux mouvements se retrouveraient régulièrement à des réunions ou formations organisées au Nord-Kivu et au Rwanda. En outre, les Twirwanehofaciliteraient le recrutement de jeunes Banyamulenge par le M23. Et bien que cela puisse sembler paradoxal, 250 ex-combattants des FDLR seraient employés par les services de renseignement rwandais en soutien aux opérations de la RDF et du M23 au Nord-Kivu.

Enfin, en décembre 2023, le M23, Zaïre, les Twirwaneho et six autres groupes armés et mouvements politiques congolais ont formé une coalition dénommée Alliance du fleuve Congo(AFC), dont les objectifs affichés sont « d’en finir définitivement avec l’insécurité généralisée, les tueries et massacres massifs des populations ainsi que les idéologies génocidaires véhiculées par les forces négatives alliées au régime de Kinshasa ». La direction de l’AFC est chapeautée par deux hommes : Sultani Makenga du M23 en est le coordonnateur militaire, tandis que Corneille Nangaa en est le coordonnateur politique, assisté par Bertrand Bisimwa, président du M23. Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de 2015 à 2021, Nangaa était, jusqu’alors, considéré comme un proche de Joseph Kabila. L’Ouganda aurait favorisé la constitution de ce mouvement, notamment dans le but de renforcer son influence dans l’est du Congo, d’élargir le front contre Kinshasa au-delà des Tutsis et de ne pas laisser au Rwanda le monopole du soutien au M23. En outre, il faut noter que la constitution de l’AFC a été annoncée à Nairobi et a été suivie de déclarations du président kenyan William Ruto qui ont fortement indisposé Kinshasa.

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