L’Empire du milieu devient-il l’Empire des vieux ? En tout cas, dans l’établissement « Impressions de jeunesse », les gazouillis d’enfants ont été remplacés par les activités pour seniors. Fondée en 2005, cette garderie de la province de Shanxi s’est reconvertie et accueille désormais des cours de musique ou de danse pour les personnes âgées qui souhaitent s’y essayer.
« La symbolique est forte », note Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et enseignant-chercheur associé à l’Inalco qui ajoute que « certains complexes immobiliers sont aussi transformés pour l’accueil des personnes âgées. » Pas de doute pour Jean-Vincent Brisset. « Il y a un souci de démographie en Chine », glisse le directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Une pyramide des âges cabossée par les politiques
Les chiffres sont effectivement étourdissants. Dans un pays de 1,5 milliard d’habitants, deuxième géant démographique au monde, seuls 9 millions d’enfants naissent par an. En 2023, la population a accusé une baisse de plus de 2 millions de personnes, selon le Bureau national des statistiques (BNS). En vingt ans, le taux de natalité a reculé de 39 %, selon Statista. Et avec seulement 1,2 enfant par femme, selon l’United Nations Population Fund, la Chine a désormais l’un des taux de fécondité les plus bas du monde.
« Depuis le Covid-19, on observe une véritable baisse de la natalité alors que la population continue à vieillir », explique Emmanuel Véron. En cause, avant tout, la politique de l’enfant unique. Cette régulation des naissances a été appliquée de 1979 à 2015, à coups de pénalisation mais aussi d’avortements et de stérilisations forcées. Avec le régime chinois, c’était « un coup oui, un coup non », résume Jean-Vincent Brisset.
« Depuis 1949, il a eu des politiques démographiques variables et cela se voit sur la pyramide des âges. Elle est complètement anormale avec des creux qui correspondent aux grandes périodes de la politique de l’enfant unique et des bosses à d’autres périodes », explique le spécialiste de la Chine. Effrayés par la situation, les membres du parti communiste chinois ont tenté d’inverser la tendance. En 2021, le pays est entré dans la politique des trois enfants. Et dès 2022, toute restriction a été supprimée.
Des femmes opposées à la maternité
Mais la machine est enrayée depuis longtemps. Avec sa politique de l’enfant unique, la Chine a créé un déséquilibre entre femmes et hommes. Il y aurait 106 hommes pour 100 femmes dans le pays. « C’est une réalité, acquiesce Emmanuel Véron. Mais ce n’est qu’à la marge. » Le célibat forcé n’est en effet que très peu à l’origine de la baisse de la natalité même si les femmes sont particulièrement réfractaires à la maternité.
« Beaucoup de jeunes femmes ne veulent plus se marier et avoir d’enfants. Il y a un refus de vivre une vie sociale genrée classique et un désir de profiter », explique Jean-Vincent Brisset. La plupart des études montrent en effet que la majorité des femmes chinoises désirent un seul ou pas d’enfant du tout.
Le poids des anciens
Plus globalement, « la classe moyenne a peur de l’avenir et n’a pas confiance dans l’avenir du pays. C’est une civilisation qui thésaurise beaucoup », note Jean-Vincent Brisset. « Les Chinois épargnent énormément, abonde Emmanuel Véron. Or, beaucoup d’entre eux avaient investi dans la pierre et se retrouvent sans rien aujourd’hui à cause de la crise immobilière. » Or, avoir un enfant coûte cher. Et c’est particulièrement problématique en Chine. Car « les enfants de la politique de l’enfant unique doivent désormais soutenir seuls leurs parents et leurs grands-parents », souligne Emmanuel Véron. En 1963, le pays comptait en moyenne 7,5 enfants par femme. Cette population, aujourd’hui vieillissante, va devoir être soutenue financièrement par des enfants seuls. Une charge importante dans un pays où les retraites sont extrêmement basses, voire inexistantes en zone rurale.
C’est notamment le cas de Gloria, une jeune chinoise de 30 ans, qui expliquait en mars 2023 à la BBC devoir se concentrer sur ses parents vieillissants en parallèle de son hypothèque. Ecrasés par le poids de leurs aînés, les jeunes chinois se détournent donc de la parentalité. Et l’Empire du milieu se retrouve plus que jamais dos au mur démographique. 2OMINUTES.FR