avril 19, 2025
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MENACES PESANT SUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE D’ICI 2040 Une analyse prospective

Le monde a connu des mutations au cours de ces dernières années ; ces changements et évolutions n’ont épargné aucun domaine et aucun pays. En Afrique subaérienne, par exemple, il faut noter, que dans ce contexte de changements dans l’ordre international, les menaces croissantes (sécuritaires, politiques et sanitaires) et la diminution des ressources (par exemple, la fin des opérations militaires de la France au Sahel, le retrait de la MINUSMA à la fin de 2023 et la fin programmée de la MONUSCO et ATMIS fin 2024), le futur paysage stratégique en Afrique soulève de nombreuses. Pour analyser tous ces aspects la Fondation pour la recherche stratégique avait publié une étude de 107 pages dans le cadre de l’Observatoire des conflits à venir qui propose une analyse prospective des principales menaces susceptibles de façonner le paysage stratégique en Afrique subsaharienne à l’horizon 2040. Selon Djenabou Cissé, Chargé de recherche à la FRS, sans être exhaustive, l’étude vise à proposer des pistes de réflexion et à développer des hypothèses de travail. Dans une note intitulée « Menaces pesant sur l’Afrique subsaharienne d’ici 2040 – Une analyse prospective », qu’elle a signée et qui vient d’être publiée par la FRS, les principaux résultats de cette étude y sont présentés.

Djenabou Cissé soulignera d’emblée que l’Afrique subsaharienne a été confrontée à d’importants défis, crises et transformations ces dernières années. En Afrique de l’Ouest, la région est aux prises avec une menace terroriste croissante depuis le début de la crise malienne en 2012, ainsi qu’une vague de coups d’État depuis 2020, suscitant des inquiétudes parmi les observateurs quant à un recul démocratique plus large. L’Afrique centrale et la Corne de l’Afrique restent en proie à de nombreux conflits armés (Soudan, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Ethiopie, Somalie), entraînant de graves crises humanitaires. Ces défis sont encore aggravés par la pression démographique et l’impact accéléré du changement climatique, qui menace la sécurité et la stabilité de zones déjà fragiles.

Pour le Chargé de recherche à la FRS, l’Afrique est le continent qui connaît la croissance la plus rapide en termes de population et de hausse des températures, ce qui renforce les craintes d’une augmentation des risques liés à la migration, à la sécurité alimentaire, à la santé et à l’instabilité économique. L’impact sur l’Afrique de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine a également mis en évidence l’interaction des dynamiques régionales et mondiales. Alors que l’Afrique est parfois qualifiée de « continent oublié », les récents développements internationaux ont démontré sa vulnérabilité aux crises mondiales.

A en croire le chercheur, dans le même temps, à une époque où la concurrence stratégique mondiale s’intensifie, l’Afrique subsaharienne est apparue comme un théâtre clé de rivalité entre les puissances, certains observateurs faisant référence à une « nouvelle ruée vers l’Afrique ». Ces dernières années ont vu une augmentation des nouvelles « stratégies mondiales » avec l’Afrique et des sommets internationaux impliquant des pays africains et des puissances extérieures telles que la Chine, la Russie, les États-Unis, la Turquie, l’Inde, l’Arabie saoudite et, depuis 2024, la Corée du Sud. L’Afrique s’est imposée comme un point central de la stratégie d’influence de la Turquie, menée par l’approche discrète mais affirmée de Recep Tayyip Erdoğan, marquée par plus de 40 visites officielles sur le continent depuis le début des années 2000. À l’inverse, l’influence de la France en Afrique de l’Ouest a diminué, les autorités politiques et des segments croissants des populations locales critiquant ses interventions militaires et ses politiques étrangères souvent perçues comme néocoloniales.

Selon l’auteur, dans ce contexte de changements dans l’ordre international, les menaces croissantes (sécuritaires, politiques et sanitaires) et la diminution des ressources (par exemple, la fin des opérations militaires de la France au Sahel, le retrait de la MINUSMA à la fin de 2023 et la fin programmée de la MONUSCO et ATMIS fin 2024), le futur paysage stratégique en Afrique soulève de nombreuses questions que le chercheur s’est posé. Ces questions sont : Quelles tendances façonneront les défis, les enjeux et les menaces de demain ? Quels seront les principaux risques pour les pays africains et les intérêts occidentaux ? La France – et l’Europe – peuvent-elles renouveler leur approche stratégique alors que leur influence est contestée dans des zones d’influence historiques ? Comment la France et l’Europe peuvent-elles proposer des modèles de partenariat attractifs pour rivaliser avec d’autres acteurs stratégiques du continent ?

Djenabou Cissé rappelle dans cette note que début 2024, FRS a produit une étude de 107 pages dans le cadre de l’Observatoire des conflits à venir qui propose une analyse prospective des principales menaces susceptibles de façonner le paysage stratégique en Afrique subsaharienne à l’horizon 2040. Sans être exhaustive, l’étude vise à proposer des pistes de réflexion et à développer des hypothèses de travail.

Selon l’auteur, l’étude visait à : présenter les principaux facteurs d’évolution, les risques et les tendances qui façonnent le paysage stratégique (partie 1) ; mettre en évidence des exemples de menaces traditionnelles et émergentes susceptibles d’être importantes d’ici 2040 (partie 2) ; proposer des recommandations pour la structure et la posture stratégique de l’armée française (partie 3). Quelle structure correspondrait le mieux aux intérêts français ? Dans un contexte de réduction de la présence militaire française dans la région, quels outils seraient nécessaires pour maintenir une capacité de réponse minimale en cas de crise majeure ?

Le chercheur précise que l’analyse s’est concentrée sur l’Afrique subsaharienne (hors Afrique australe) et les régions d’intérêt militaire français : Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et Afrique de l’Est (Corne de l’Afrique, Madagascar, Mozambique). D’ici à 2040, l’Afrique de l’Est, en particulier, devrait devenir une région où se concentrent les défis stratégiques et les opportunités de coopération.

Elle souligne aussi que l’étude prend en compte à la fois les dynamiques africaines et non africaines. Par exemple, il s’appuie également sur le cadre conceptuel utilisé dans les rapports précédents, en mettant l’accent sur les scénarios prospectifs suivants : H1 : la réémergence de la concurrence des blocs, centrée sur Washington et Pékin ; H2 : la prédominance de la concurrence indirecte et hybride entre les puissances, conscientes de l’interdépendance de leurs économies dans un monde globalisé, préfèrent éviter les conflits armés directs ; H3 : la décentralisation des structures de pouvoir mondiales ; H4 : une évolution vers une coopération mondiale pour faire face aux crises déclenchées par le changement climatique, la santé et les questions migratoires.

Les différents aspects de l’article qui vient présentent les principaux résultats de cette étude dont parle l’auteur.

L’EVOLUTION DU PAYSAGE STRATEGIQUE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

D’ici 2040, le paysage stratégique de l’Afrique subsaharienne sera façonné par au moins six facteurs interdépendants : le changement climatique, la croissance démographique, les défis de gouvernance, l’affirmation de la souveraineté, la concurrence stratégique et les progrès des capacités militaires et technologiques.

Le changement climatique : un « multiplicateur de menaces »

L’Afrique subsaharienne est l’une des régions les plus vulnérables au changement climatique, principalement en raison de la forte dépendance de ses pays à l’égard de l’agriculture et de la pêche, combinée à la faiblesse des infrastructures. La hausse des températures, la désertification et les inondations intensifieront l’insécurité alimentaire et hydrique, intensifieront la concurrence pour les ressources et stimuleront les migrations internes (32 millions de migrants internes d’ici 2050 selon le scénario le plus pessimiste de la Banque mondiale). Le Sahel connaît déjà une détérioration des moyens de subsistance, ce qui alimente les griefs et stimule le recrutement par des entités terroristes. L’instabilité liée au climat pourrait également perturber les opérations militaires étrangères dans les zones fragiles, en particulier là où les infrastructures sont peu développées. Le défi climatique jouera un rôle de plus en plus important dans la formation des intérêts nationaux et, en particulier, influencera les stratégies d’accès à l’Afrique et à ses ressources stratégiques. Alors que les dirigeants africains peuvent imputer les conflits futurs au climat pour éviter de rendre des comptes, un changement significatif nécessite une stratégie à long terme intégrant les questions de développement et de climat. La stratégie régionale 2022 de la CEDEAO pourrait offrir une voie pour renforcer la résilience s’il y a une volonté politique suffisante.

La croissance démographique : une menace ou une opportunité ?

La population de l’Afrique devrait doubler d’ici 2050 pour atteindre plus de deux milliards de personnes, avec des pays comme le Nigeria, l’Éthiopie et la République démocratique du Congo qui connaissent la plus forte croissance. D’ici 2040, le Nigeria devrait devenir le quatrième pays le plus peuplé, avec 357 millions d’habitants, et d’ici 2050, il pourrait dépasser les États-Unis, avec une population d’environ 451 millions d’habitants, selon les projections extrêmes de l’ONU. L’urbanisation s’accélère, avec des mégapoles comme Lagos et Kinshasa en pleine expansion. Cette tendance devrait également stimuler la croissance de ce que l’on appelle les « villes intelligentes », conçues pour répondre aux défis de l’urbanisation et de la durabilité, mais souvent déconnectées des besoins des populations locales.

Bien qu’une population jeune offre un potentiel économique, le manque de création d’emplois, d’infrastructures et de systèmes éducatifs exacerbés risque d’exacerber le chômage, la pauvreté et les troubles sociaux. Une telle pression démographique risque de submerger les structures de gouvernance existantes. En impactant directement les capacités militaires et économiques des États, ainsi que la détermination de leurs objectifs et des ressources qui leur sont allouées, les tendances démographiques façonneront significativement leur posture sur la scène internationale. L’évolution de la croissance démographique sera donc un facteur décisif dans le développement des menaces sur le continent.

Défis de gouvernance

L’instabilité politique continue d’éroder la légitimité de l’État et le contrat social. Depuis 2020, l’Afrique de l’Ouest et du Centre a connu une vague de coups d’État militaires, affaiblissant la gouvernance démocratique. Les défaillances de la gouvernance créent également des opportunités pour les groupes terroristes comme Al-Qaïda et les affiliés de l’EI d’exploiter les griefs locaux et de consolider leur influence. Les sanctuaires terroristes dans des régions comme le Sahel et le bassin du lac Tchad pourraient s’étendre, augmentant ainsi la probabilité de conflits transfrontaliers. La tendance des autorités politiques, et en particulier des autorités de transition, à s’accrocher au pouvoir risque d’accroître leur impopularité au fil du temps, entraînant une augmentation continue des coups d’État et des soulèvements populaires, en particulier dans les pays francophones, actuellement les plus touchés par les crises. Les transitions dirigées par l’armée suggèrent une normalisation des « régimes pseudo-civils », où l’armée conserve un contrôle important dans les coulisses. Cette tendance compromet non seulement les futures interventions internationales potentielles, mais expose également les États à des menaces non cinétiques, notamment des campagnes d’influence, la désinformation et l’ingérence dans les élections. Un exemple frappant est l’implication de la Russie dans l’élection présidentielle de 2018 à Madagascar, révélée par la BBC en 2019

Longévité des dirigeants africains

PaysChef de l’ÉtatAnnée d’arrivée au pouvoirÂge en janvier 2025La longévité du régime en années
Guinée équatorialeTéodoro Obiang19798246
CamerounPaul Biya19829143
OugandaYoweri Museveni19868039
ÉrythréeIsaias Afwerki19937832
Congo B.Denis Sassou-Nguesso19978128
DjiboutiIsmaïl Omar Guelleh19997726
RwandaPaul Kagamé20006724
TogoFaure Gnassingbé20055820

L’affirmation croissante de la souveraineté

Les États africains affirment de plus en plus leur souveraineté et cherchent à diversifier leurs partenariats. Cela se reflète dans leur engagement avec des partenaires non occidentaux, tels que la Chine, la Russie et la Turquie, et dans leur dépendance réduite à l’égard des puissances occidentales comme la France. La diminution de l’empreinte des forces militaires françaises dans les zones d’influence de longue date, comme le Sahel, met en évidence ce paysage géopolitique en évolution. Les États africains remodèlent leurs alliances pour refléter leurs propres intérêts, marquant ainsi un recalibrage significatif de la dynamique du pouvoir mondial. L’affirmation croissante du principe de souveraineté est devenue un outil pour les juntes militaires en Afrique de l’Ouest pour légitimer leur domination, repoussant les anciens partenaires régionaux et occidentaux et polarisant la région entre les États putschistes et les autres États. Le départ du Niger, du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO (à compter du 29 janvier 2025)

a affaibli la coopération régionale et exacerbé les défis économiques, malgré les récents signes de réconciliation. Cette fragmentation de l’espace régional sahélien menace l’efficacité des organisations internationales et régionales, alors que la CEDEAO est confrontée à une crise de légitimité qui pourrait profiter aux régimes autocratiques et asseoir le pouvoir des juntes, soulignant la nécessité d’un dialogue renouvelé et de cadres de coopération plus équilibrés.

Concurrence stratégique : la nouvelle ère multipolaire

L’Afrique subsaharienne est devenue un point chaud pour la concurrence entre grandes puissances, avec la Chine, la Russie, la Turquie et les pays occidentaux qui se disputent l’influence. L’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » (BRI) comprend d’importants investissements dans les infrastructures africaines, telles que les ports de Djibouti et du Kenya. La Russie est de plus en plus active par le biais de ventes d’armes, de déploiements du groupe Wagner et du Corps africain, et d’alliances avec des régimes autoritaires comme ceux du Soudan et de la République centrafricaine. Entre-temps, la Turquie a étendu son soft power et sa présence militaire, notamment avec une base en Somalie. Cette concurrence implique également des tactiques hybrides, telles que la guerre de l’information et la coercition économique. Par conséquent, d’ici 2040, il est peu probable que le paysage stratégique de l’Afrique soit dominé par un seul concurrent mondial, car de nombreux pays africains privilégient les partenariats diversifiés et non exclusifs. Le non-alignement est réapparu comme une stratégie privilégiée, permettant aux États de sauvegarder de multiples alliances, d’éviter la dépendance et de tirer parti de la concurrence entre les puissances pour obtenir une aide économique et des concessions politiques. Ce contexte multipolaire favorise également l’adoption plus rapide des nouvelles technologies, renforçant ainsi les capacités stratégiques et l’influence du continent.

Progrès des capacités militaires et technologiques

La prolifération des technologies de pointe, telles que les drones et les cybercapacités, transforme la dynamique des conflits. Des sociétés militaires privées comme Wagner ont introduit des méthodes d’intervention sophistiquées. Les États africains adoptent également de nouvelles technologies, comme le récent déploiement de drones par le Nigeria pour la contre-insurrection. Cependant, ces avancées comportent des risques : les cybervulnérabilités pourraient être exploitées par des acteurs étatiques et non étatiques, tandis que la guerre des drones pourrait intensifier la violence et saper les efforts de paix régionaux.

Le paysage stratégique de l’Afrique subsaharienne au cours des prochaines décennies sera donc marqué par une pluralité d’acteurs et d’enjeux, ce qui compliquera la compréhension des actions et l’anticipation des menaces. Ensemble, ces tendances créeront un environnement complexe marqué par des menaces à la fois traditionnelles et émergentes.

PRINCIPALES MENACES POUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE D’ICI 2040

Les menaces traditionnelles devraient rester importantes, en particulier celles qui découlent des défis internes posés aux systèmes de gouvernance, de la présence croissante de groupes terroristes et de l’intensification de la concurrence stratégique sur le continent, notamment entre la Russie et la Chine d’un côté, et l’Europe et les États-Unis de l’autre.

Menaces liées à la contestation interne des systèmes de gouvernance

La contestation interne des systèmes de gouvernance dans les pays subsahariens, en particulier au Sahel, risque de continuer à contribuer à l’augmentation des menaces telles que la corruption, le népotisme et la restriction des libertés individuelles. Si rien n’est fait, ces défaillances de la gouvernance continueront d’alimenter la radicalisation, le recrutement extrémiste et les soulèvements populaires violents, augmentant le risque de coups d’État, de rébellions et de guerres civiles. Parmi les pays particulièrement à risque figurent la région de l’Alliance des États du Sahel (AES), où les régimes militaires pourraient faire face à de nouveaux coups d’État, et le Tchad, qui pourrait être confronté à une déstabilisation suite à la mort du président Déby. Les différends frontaliers et les conflits de souveraineté, comme ceux entre la Somalie et l’Éthiopie, ou la RDC et le Rwanda, compliquent encore la situation sécuritaire dans la région. L’affaiblissement d’organisations régionales comme la CEDEAO, qui pourrait s’effondrer d’ici 2040, entraînant une fragmentation et une augmentation des influences extérieures comme celles de la Russie et de la Chine, suscite également une inquiétude croissante. Les tensions géopolitiques, y compris la rivalité persistante entre le Maroc et l’Algérie, pourraient exacerber l’instabilité au Sahel, stimulant le trafic d’armes, le terrorisme et la migration. Dans l’ensemble, la tendance à la contestation interne et à l’affirmation de la souveraineté pourrait entraîner davantage de conflits internes et interétatiques d’ici 2040, avec des interventions externes limitées.

Menaces liées aux groupes terroristes

La menace posée par les groupes terroristes continuera de croître dans les années à venir dans les trois régions couvertes par cette étude (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et Afrique de l’Est). Les principaux facteurs à l’origine de cette expansion seront les suivants :

  • les stratégies à long terme des organisations mères Daech et Al-Qaïda ;
  • la détérioration probable des conditions politiques et socioéconomiques dans de nombreux pays, créant un terrain fertile pour la propagation du terrorisme ;
  • l’incapacité des États à mettre en œuvre les réformes socio-économiques nécessaires (telles que les politiques d’intégration des communautés marginalisées, les négociations avec les groupes armés, la lutte contre le chômage des jeunes et d’autres politiques de développement et de gouvernance) ;
  • les faiblesses persistantes des forces armées locales malgré l’augmentation probable des capacités.

Malgré les acquisitions de drones à grande échelle par les gouvernements qui luttent contre les groupes terroristes, les drones seuls s’avéreront insuffisants pour résoudre le problème plus large du terrorisme. Certains effets du changement climatique (augmentation des tensions communautaires et augmentation des migrations internes) faciliteront les processus de recrutement des groupes armés terroristes. En ce qui concerne les scénarios, l’émergence d’un nouveau califat dans le nord du Mali et l’expansion de la province sahélienne de l’État islamique vers le nord-ouest du Nigeria seraient possibles. D’ici 2040, les groupes affiliés à Al-Qaïda et à Daech devraient rester résilients et continuer d’avoir des groupes actifs ciblant les intérêts occidentaux sur les théâtres africains. L’émergence de nouveaux groupes, avec ou sans affiliation, n’est pas à exclure compte tenu de la persistance probable d’un contexte local propice à la propagande et au recrutement terroristes.

Menaces liées à la concurrence stratégique croissante

D’ici 2040, la Russie et la Chine devraient étendre leur influence en Afrique subsaharienne, ce qui poserait un défi croissant aux intérêts occidentaux. Les deux puissances visent à garantir l’accès aux ressources stratégiques de l’Afrique, mais une confrontation directe entre les États-Unis, la Chine et la Russie dans la région reste peu probable en raison de priorités et d’objectifs différents.

L’influence de la Chine s’étendra principalement par le biais de partenariats économiques et d’accords militaires, qui pourraient inclure la construction de bases militaires en Tanzanie et à Madagascar et potentiellement le long de la côte atlantique en Guinée équatoriale, menaçant les intérêts occidentaux. Pendant ce temps, l’implication stratégique de la Russie se concentrera sur l’exploitation des ressources, les accords de défense et la présence militaire, avec des bases susceptibles d’apparaître en République centrafricaine, au Mali et au Soudan. Les deux puissances pourraient également s’engager dans des conflits par procuration, ce qui pourrait exacerber l’instabilité locale, comme on l’a vu au Mali et au Soudan avec la guerre par procuration en cours liée à l’Ukraine

L’influence de la France dans la région pourrait faire face à une concurrence accrue de la part de Moscou et de Pékin, non seulement dans les zones d’influence traditionnelles – comme le golfe de Guinée, où l’influence française est déjà en déclin – mais aussi dans des zones plus récentes comme l’océan Indien. Cela inclut les démonstrations de puissance navale chinoise et les efforts de la Russie pour marginaliser la présence française par des tactiques agressives en dessous du seuil (par exemple, dans le canal du Mozambique, en soutenant les revendications de Madagascar sur les îles Éparses ou les revendications des Comores sur Mayotte). La puissance croissante de la Russie et de la Chine aura un poids encore plus important alors que les États d’Afrique subsaharienne devraient être aux prises avec une instabilité interne croissante dans les années à venir.

Menaces émergentes

Outre les menaces persistantes sur le continent, les risques liés à l’exploitation des effets du changement climatique par des acteurs malveillants pourraient déstabiliser davantage la région. Ces acteurs peuvent cibler des infrastructures énergétiques et technologiques critiques ou utiliser la cause climatique comme prétexte pour déclencher des conflits. Des attaques potentielles contre des câbles sous-marins, par des acteurs étatiques ou non étatiques, pourraient gravement nuire à la stabilité économique de pays ou de régions entiers, en particulier dans les zones où convergent un nombre important de câbles et un trafic commercial important, comme au large des côtes de l’Afrique de l’Est près de Djibouti et de la mer Rouge.

En outre, le risque de conflits liés aux ressources en eau risque d’augmenter, en particulier sur le Nil. Les tensions actuelles entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie au sujet du barrage de la Grande Renaissance pourraient dégénérer en affrontements régionaux. Des groupes terroristes, tels que Boko Haram et l’État islamique, ont déjà utilisé l’eau comme une arme en empoisonnant les sources, et cette tactique pourrait s’intensifier à mesure que les ressources se raréfient.

Alors que les développements de l’IA militaire en Afrique n’en sont qu’à leurs débuts, d’ici 2040, l’IA pourrait remodeler considérablement les stratégies de défense à travers le continent. Des pays comme le Nigeria et l’Afrique du Sud intègrent déjà l’IA dans leurs stratégies militaires, l’Afrique du Sud prenant la tête de la recherche sur l’IA. Cependant, l’essor de l’IA attire également des puissances mondiales, en particulier la Chine et Israël, soulevant des inquiétudes quant à la dépendance technologique, à la surveillance et à une influence extérieure potentielle sur les politiques de défense africaines. En outre, l’utilisation de l’IA dans les opérations militaires par les groupes terroristes et la vulnérabilité croissante aux cyberattaques représentent des défis importants pour la sécurité africaine.

Enfin, certains acteurs non étatiques et États, tels que la Chine, la Turquie et certaines puissances régionales du Moyen-Orient (par exemple, les États du Golfe), peuvent adopter de nouvelles stratégies d’agression en dessous du seuil de conflit armé en Afrique subsaharienne, en particulier si les tensions avec les puissances occidentales s’intensifient. Si la Chine devait être le principal challenger des intérêts occidentaux ou français, les facteurs déclencheurs seraient des actions qui nuisent aux intérêts vitaux de la Chine, comme les positions françaises sur Taïwan ou le Tibet (par exemple, leur reconnaissance officielle en tant qu’États souverains indépendants). Bien que l’Afrique ne soit peut-être pas le centre d’intérêt principal de la Chine, de la Turquie et des États du Golfe, les changements géopolitiques pourraient les pousser à utiliser des méthodes non traditionnelles – telles que la manipulation de l’information, la guerre par procuration et la pression économique – pour affirmer leur influence. Cette dynamique complexe de concurrence régionale, d’intérêts stratégiques et d’instrumentalisation des enjeux climatiques sera probablement particulièrement forte dans des zones clés comme la Corne de l’Afrique.
IMPLICATIONS POUR LA FRANCE ET L’EUROPE

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 alloue 413,3 milliards d’euros à son armée sur sept ans, soit une augmentation de 40 % par rapport à la LPM précédente. Si ce coup de pouce répond à des enjeux stratégiques clés, il pose la question de l’adaptabilité des stratégies de défense de la France aux défis futurs, notamment en Afrique subsaharienne. Comme évoqué plus haut, la région devient de plus en plus complexe, avec un maillage dense d’acteurs et de problématiques, rendant plus difficile pour des puissances extérieures comme la France d’affirmer leur influence ou d’intervenir directement. Ses bases, autrefois symboles de son influence de longue date dans la région, sont aujourd’hui moins considérées comme des garanties de stabilité et de sécurité et, dans certains cas, sont devenues des points de discorde, sapant les efforts de la France pour construire des partenariats locaux solides. Par ailleurs, la récente déclaration du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye sur la souveraineté du Sénégal, ainsi que de l’Allemagne et celle des États-Unis. Le retrait militaire du Niger a souligné que l’acceptabilité des bases militaires occidentales diminue en raison de l’augmentation des revendications néo-souveraines.

La stratégie française en Afrique doit évoluer, notamment à la lumière des récentes reconfigurations politiques locales et de la concurrence géopolitique croissante. En réponse à la montée du sentiment anti-français, à la diminution de l’acceptabilité de l’empreinte militaire de la France et à son retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la France a procédé à un examen de sa stratégie en Afrique au cours des deux dernières années.

Dans le contexte actuel et tourné vers l’avenir, la France est confrontée à un double défi : comment réduire sa présence militaire sur un continent où ses interventions font l’objet de nombreuses critiques tout en proposant des partenariats compétitifs et adaptés aux besoins des territoires ? Comment faire face à un éventail croissant de risques dans l’ensemble des missions militaires avec des ressources réduites ?

Un retrait complet – politique, économique et sécuritaire – serait une erreur, compte tenu des liens indissociables entre l’Europe et l’Afrique, des nombreuses possibilités de coopération et de la nécessité de protéger certains intérêts vitaux. Le véritable défi réside dans la mise en œuvre d’une stratégie pragmatique qui s’aligne sur des intérêts clairement définis, où l’intervention militaire est réservée en dernier recours plutôt qu’au cœur de l’approche de la France sur le continent. L’échec de la stratégie de la France au Sahel peut être attribué à la fois à un désalignement des intérêts, des stratégies et des ressources, ainsi qu’à une dépendance excessive à l’égard des interventions militaires – la France a mené le plus grand nombre d’actions militaires unilatérales sur le continent.

La redéfinition en cours de la stratégie africaine de la France, décrite dans un rapport confidentiel de Jean-Marie Bockel, envoyé spécial d’Emmanuel Macron, en novembre 2023, vise à établir des partenariats de défense qui s’alignent mieux sur les besoins des partenaires africains tout en respectant leur souveraineté. La France prévoit de réduire son empreinte militaire, en maintenant une présence d’environ 100 personnes au Gabon et en Côte d’Ivoire ; ce n’est pas le cas de sa base stratégique à Djibouti (1 500 personnes, clé de l’influence de la France dans l’Indo-Pacifique). L’accent sera mis sur la priorité accordée au soft power en Afrique anglophone et en Afrique de l’Est, ainsi que sur le renforcement des liens économiques avec des partenaires clés tels que le Nigeria, l’Angola et le Sénégal. Cependant, le risque demeure que la France se désengage trop de l’Afrique de l’Ouest, ce qui pourrait répéter les mêmes erreurs en Afrique de l’Est, où persistent des problèmes similaires comme le terrorisme, la piraterie, la concurrence stratégique et la fragilité des États.

Ainsi, le succès dépendra non seulement de la réduction de la visibilité de l’empreinte militaire de la France, mais aussi de l’utilisation de toute la gamme d’outils électriques disponibles. Il s’agit notamment d’approfondir la coopération avec des partenaires régionaux, européens et internationaux, tels que l’Espagne, l’Italie, la Pologne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et l’Inde, qui partagent tous des objectifs communs avec la France : promouvoir les valeurs démocratiques, consolider la paix, lutter contre le terrorisme et limiter l’influence russe ou chinoise. La France peut mettre à profit son expertise régionale pour collaborer sur les questions de gouvernance, de développement et de sécurité, tout en soutenant les efforts européens. De plus, la France pourrait explorer d’autres outils de défense que l’intervention militaire directe : initiatives civilo-militaires, bases tournantes, etc. Les investissements dans le soft power, y compris l’augmentation des partenariats avec le secteur privé dans des secteurs tels que l’éducation, la technologie et l’espace, seraient également des leviers d’influence essentiels. En outre, la France doit créer une stratégie de communication qui cible les populations africaines – et pas seulement les élites – et met l’accent sur les opportunités de partenariat et les avantages comparatifs français et européens, plutôt que de se concentrer uniquement sur la diabolisation d’adversaires comme la Russie (cela sert son jeu). Cela passe par un renouvellement de la pensée stratégique, en s’engageant plus profondément avec les organisations de la société civile africaine et les organismes de recherche locaux, et moins sur des visions technocratiques et bureaucratiques. En outre, une approche transparente et responsable de l’histoire coloniale de la France est cruciale pour rétablir la confiance et la légitimité dans la région.

Enfin, la France et l’Europe doivent privilégier l’écoute des acteurs africains eux-mêmes, en particulier des organisations régionales, souvent mises à l’écart malgré leur importance dans le dialogue et les efforts de stabilisation. Ces organisations doivent rester des interlocuteurs clés pour garantir une approche plus inclusive et locale pour relever les défis de l’Afrique.

La relation entre la France et ses anciennes colonies africaines doit passer d’une relation émotionnelle à une relation pragmatique. Cette nouvelle approche devrait se concentrer sur des intérêts communs et concrets, en évitant les doubles standards et le paternalisme. Les stratégies françaises et européennes doivent être souples, en évitant un modèle unique et en veillant à ce que la France et l’Europe ne se contentent pas de défendre leurs valeurs, mais le fassent d’une manière qui respecte l’autonomie africaine et réponde aux défis contemporains.

Awa BA

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