avril 20, 2025
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Nouveaux visages, mêmes défis ? Analyse de la nomination du gouvernement libanais

Selon, Thomas Sarthou, Diplômé d’IRIS Sup’ en Géopolitique et prospective, l’élection du Président Joseph Aoun, après une période de vacance présidentielle de plus de deux ans, suivie de la rapide désignation de Nawaf Salam au poste de Premier ministre, a redéfini l’échiquier politique libanais. L’arrivée au pouvoir d’un président de la Cour de justice internationale qui avait campagne sur la rupture avec la classe politique dominante reflète la volonté d’une part des forces libanaises de lancer les réformes politiques et économiques attendues par la communauté internationale et une partie de la population. D’ailleurs, le nom du Premier ministre avait déjà été évoqué dans les milieux proches du mouvement contestataire de 2019 qui réclamait, entre autres, la fin du confessionnalisme politique et de la corruption endémique qui ont conduit le pays dans une crise économique sans précédent.

Vers un renouvellement des élites ?

À bien des égards, la composition de ce gouvernement incarne une forme de renouveau. Nawaf Salam a cherché à rompre avec la tradition post-guerre civile qui laissait aux partis le choix de leurs ministres, en fixant des critères qui visent à limiter leur influence sur le gouvernement.

Parmi les 24 membres du cabinet Salam, seuls trois ont précédemment occupé des fonctions ministérielles : Ghassan Salamé (ministre de la Culture), Tarek Mitri (vice-président du Conseil des ministres) et Yassine Jaber (ministre des Finances). De plus, un seul ministre est encarté dans un parti politique, à savoir la ministre de la Jeunesse et des Sports, nommée par le parti arménien libanais Tachnag. Le duo Aoun-Salam parvient également à nommer directement 10 ministres, dont l’Intérieur et la Défense, qui seront des portefeuilles au centre d’enjeux clés de ce mandat, à savoir le désarmement du Hezbollah et le contrôle des frontières libanaises.

Certains proviennent du secteur privé, comme le ministre de l’Économie, Amer Bsat, qui a travaillé pour la société de gestion d’actifs BlackRock, tandis que d’autres viennent du milieu universitaire, à l’image de Rima Karamé, ministre de l’Éducation. En outre, notons que le dénominateur commun de ces profils réside dans leur connaissance des affaires internationales : M. Bsat a été économiste au Fonds monétaire international (FMI), MM. Salamé et Mitri ont tous deux été envoyés spéciaux de l’ONU en Libye et Mme. Sayyed, nommée ministre des Affaires Sociales a travaillé pour la Banque mondiale.

Enfin, l’un des succès majeurs du nouvel exécutif est l’absence de clause de « tiers de blocage » accordé à un parti. Cette disposition, institutionnalisée par les accords de Doha de 2008, permet à une force politique qui dispose d’un tiers des ministres plus un, d’opérer un droit de veto et renverser le gouvernement. Le tandem chiite, composé d’Amal et du Hezbollah, et ses alliés ont eu plusieurs fois recours à cette pratique.

Des concessions importantes accordées au tandem chiite Amal-Hezbollah

La durée des tractations pour désigner ce cabinet témoigne des multiples blocages entre le nouveau tandem à la tête de l’État et les forces traditionnelles libanaises. Le contexte invitait le duo à profiter du Momentum offert par un soutien quasi-unanime, à la fois international et populaire, et d’une conjoncture géopolitique qui permettait de contraindre certains partis, notamment le Hezbollah. Cependant, la nécessité de respecter l’équilibre confessionnel du cabinet, dans le respect de la Constitution libanaise, a rendu la tâche plus ardue pour l’exécutif. En effet, écarter du cabinet le tandem chiite, qui dispose de la totalité de la représentativité politique de la communauté chiite au vu du résultat des élections législatives de 2022, aurait de facto délégitimé le gouvernement.

À cet égard, un sujet a été source de blocage dans les derniers jours de tractations, celui du choix du cinquième ministre de cette confession au sein du cabinet. Si le nouveau Premier ministre a évité de laisser aux formations politiques le « tiers de blocage », le tandem chiite aurait pu disposer d’une autre dernière arme de paralysie gouvernementale si tous les ministres de sa confession lui étaient alliés. L’utilisation de cette stratégie pour priver un gouvernement de sa « légitimité confessionnelle », un principe enraciné dans le système politique libanais bien qu’il ne soit pas explicitement mentionné dans la Constitution, a déjà été utilisé par le passé. Un compromis a finalement été trouvé en la personne de Fadi Makki, ministre d’État pour le Développement administratif, qui n’est pas affilié aux deux partis chiites.

Sur d’autres dossiers, Nawaf Salam a dû faire des concessions. La plus importante (et critiquée) a été la nomination d’un proche du parti Amal au ministère des Finances en la personne de Yassine Jaber. Cet ancien député allié au chef du parti chiite Amal, Nabih Berri – sans jamais y avoir été affilié – a occupé les postes de ministre de l’Économie et du Commerce dans le gouvernement de Rafic Hariri (1995-1998), ainsi que le portefeuille des Travaux publics et des Transports au sein du gouvernement d’Omar Karamé (2004-2005). Son profil semble correspondre aux critères de non-affiliation aux partis politiques traditionnels promus par M. Salam. Selon son entourage, il s’est retiré de l’arène politique en 2022 après avoir pris ses distances avec le dirigeant du parti.

De plus, son bilan au sein de la commission parlementaire des Finances et du Budget pourrait satisfaire certains milieux réformateurs. Durant plus d’une décennie, M. Jaber n’a eu de cesse de dénoncer l’explosion de l’endettement public, prônant une refonte du secteur public, notamment des institutions comme Électricité du Liban. En revanche, il a affiché une position proche du secteur bancaire face au plan de restructuration du gouvernement Diab sur la question des modalités de répartition des pertes liées à la crise de liquidité et à l’effondrement du système financier. Ce plan, élaboré avec le Fonds monétaire international (FMI), prévoyait de répartir environ 70 milliards de dollars de pertes en les imputant d’abord aux actionnaires des banques, puis à la Banque du Liban et enfin à l’État, tout en protégeant au maximum les déposants.

Son profil inquiète d’autant plus qu’il a été nommé avec l’aval du chef d’Amal et pourrait ainsi devenir un instrument pour entraver l’action gouvernementale. L’insistance de M. Berry pour obtenir ce ministère régalien est avant tout d’ordre politique, permettant ainsi au parti chiite de décrocher la « quatrième signature » sur les décrets pris en Conseil des ministres, aux côtés de celles du président, du Premier ministre et du ministre concerné. Le ministère des Finances étant concerné par la plupart des décrets, dès lors qu’ils contiennent un volet financier, cette signature permet donc aux chiites de disposer d’un levier de contrôle et de blocage sur l’action du pouvoir exécutif.

Sur ce dossier MM. Salam et Aoun ont cédé aux exigences des deux partis chiites, ce qui a d’ailleurs ouvert la porte aux critiques et réclamations des autres partis traditionnels qui voulaient eux aussi leur « part du gâteau ». Notons que le parti chrétien de Forces libanaises, fort de sa victoire aux élections législatives de 2022, récupère 4 portefeuilles, soit autant que l’ensemble de ceux confiés au tandem chiite. Le parti de Samir Gemayel rafle même un portefeuille régalien avec les Affaires étrangères, ainsi que celui de l’Énergie précédemment détenu par son rival chrétien, le Courant patriotique libre (CPL), allié du Hezbollah dans le précédent gouvernement et grand absent du nouveau.

Un enchevêtrement de dossiers de politique intérieure

De nombreux dossiers sont sur le bureau du Premier ministre. Le nouveau cabinet devra engager une relance économique du pays, notamment au travers d’un assainissement drastique de son secteur bancaire, alors que le seuil de pauvreté dépasse les 50 % et qu’environ 86 milliards de dollars restent illégalement bloqués dans les bilans de banques. Face à la crise des liquidités de 2019, les banques libanaises ont imposé de fortes restrictions sur les retraits, exacerbant la crise de confiance et plongeant le pays en récession.

La réforme de la justice est également attendue par de nombreux Libanais qui souhaitent voir l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth de 2020 être menée à bien. En outre, le gouvernement devra s’affairer à promouvoir les postes vacants au sein de l’administration publique. Le Conseil de la fonction publique rapporte des taux de vacance sans précédent : 94,2 % pour la cinquième catégorie, 72,9 % pour la quatrième, 67,3 % pour la troisième, 81,3 % pour la seconde, et 44,3 % pour la première.

À cet enchevêtrement de dossiers de politique intérieure vient s’ajouter une conjoncture régionale source d’instabilité. Les bombardements israéliens massifs en 2024 auront de fortes conséquences économiques pour un pays déjà au bord du gouffre et nécessiteront des fonds colossaux, eux-mêmes conditionnés à des réformes politiques et économiques. De plus, la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie a apporté une nouvelle instabilité à la frontière orientale du pays. Ces derniers jours, de violents affrontements ont éclaté entre des tribus chiites de la Bekaa et les forces du nouveau régime syrien, nécessitant l’intervention de l’armée libanaise et celle du Président Joseph Aoun qui s’est entretenu avec son homologue, Ahmad Al-Chareh.

Le principal dossier qui exige une action immédiate reste sans doute la stabilisation de la frontière méridionale et donc le désarmement des forces armées miliciennes du Hezbollah. Ce sujet est primordial pour la mise en application du cessez-le-feu avec Israël au sud du pays, en vertu des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. De plus, une partie significative de l’aide économique et financière promise par la communauté internationale au Liban est conditionnée au respect de ces mêmes résolutions onusiennes.

La question du désarmement du Hezbollah

À cet égard, une étape cruciale sera la déclaration ministérielle, un document qui définit les priorités politiques, économiques et sécuritaires du futur gouvernement qui doit être rédigée dans les prochains jours en Conseil des ministres, avant d’être soumis à l’approbation du Parlement. La commission chargée de sa rédaction est composée du vice-président du Conseil et du ministre de la Culture, relevant tous du quota du président et du Premier ministre, de Yassine Jaber, ainsi que du ministre des Transports et des Travaux publics (Parti socialiste progressiste) et de l’Industrie (Forces libanaises). L’enjeu central de cette déclaration sera le retrait ou le maintien de la référence au triptyque « Armée, peuple, résistance », cher au Hezbollah car il légitime ses armes sur le plan politique.

À l’issue de l’annonce de son équipe, Nawaf Salam a précisé que les grandes lignes de la déclaration devraient reprendre le discours d’investiture de Joseph Aoun, dans lequel aucune mention de « résistance » n’était faite. Pour autant, les précédentes déclarations ministérielles garantissaient le droit des Libanais à résister à l’occupant israélien sans mentionner explicitement le triptyque. De cette déclaration ministérielle découlera l’attitude du nouveau gouvernement libanais vis-à-vis de la résolution 1701. En effet, son article 3 ne mentionne pas explicitement le désarmement du Hezbollah, mais bien une destruction des armes présentes « sans le consentement du Gouvernement libanais ». Ainsi, les autorités libanaises ont toujours joué de cette ambiguïté pour prétendre qu’elles respectent les termes de la résolution onusienne de 2006.

Pour autant, la situation sur le terrain n’est plus la même, ce qui pourrait amener les dirigeants libanais à accélérer le déploiement de l’armée libanaise au sud du fleuve Litani et amorcer un véritable processus de désarmement du Hezbollah. Le parti a subi des revers militaires importants et la partie israélienne, ayant obtenu une prorogation de la période de retrait du sud du pays avec l’aval du comité de surveillance du cessez-le-feu piloté par la France et les États-Unis, continue de bombarder des localités du sud du pays.

Reste à savoir si les défaites militaires du Hezbollah et les gains politiques acquis par le tandem chiite dans ce nouveau gouvernement peuvent l’amener à concéder du terrain sur la question de la résistance, ô combien centrale pour sa base militante. Ou bien si, à l’inverse, les concessions faites au nouvel exécutif dans la nomination du cinquième ministre chiite les encourageront à réclamer un blanc-seing sur leurs armes, et donc leur légitimité populaire.

Un calendrier symbolique chargé de défis politiques et mémoriels

Autour de cette question épineuse, le nouvel exécutif devra composer avec un calendrier à forte charge symbolique. L’année 2025 marque le 50e anniversaire du début de la guerre civile libanaise. De plus, le 14 février commémore les vingt ans de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. Cet événement avait marqué le début d’une séquence dominée par le Hezbollah et ses alliés sur la scène politique libanaise, ainsi qu’une montée des tensions communautaires entre sunnites et chiites, entraînant de violents affrontements, notamment en 2008.

Depuis, la communauté sunnite traverse une crise de représentativité politique en témoigne la défaite des forces politiques alliées au camps haririste lors des élections législatives de 2022 et la faible participation enregistrée dans les grandes villes sunnites telles que Tripoli. Cette composante importante du pays, trop souvent occultée, représente une force politique mouvante. De plus, toutes les forces politiques traditionnelles sunnites ont été écartées du nouveau gouvernement. À cet égard, le discours du chef du Courant du Futur, Saad Hariri, lors des commémorations de l’assassinat de son père sera particulièrement attendu.

Enfin, les funérailles de l’ex-leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, se dérouleront le 23 février à Beyrouth. Les déclarations du Cheikh Ali Daher, rapportées par l’organe télévisé du Hezbollah Al-Manar, selon lesquelles « le 23 février sera la date de la victoire du sang face à l’épée », traduisent la volonté du parti de démontrer sa puissance de mobilisation. Cette dynamique s’est déjà illustrée le 26 janvier dernier, lorsque ses partisans ont défilé dans Beyrouth après le retour d’habitants dans les villages frontaliers du Sud.

Avec IRIS

 

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