avril 19, 2025
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Economie

Interview. Avec Elon Musk et Donald Trump, vers un capitalisme sans démocratie aux États-Unis ?

En démantelant par la force l’État fédéral, la Maison-Blanche conduit les États-Unis vers un capitalisme autoritaire sur le modèle de Dubaï, selon l’historien canadien Quinn Slobodian. Interrogé par la “Radio Télévision suisse”, l’auteur du “Capitalisme de l’apocalypse” décrypte cette évolution déjà à l’œuvre.

Interrogé dans l’émission Tout un monde, l’historien canadien Quinn Slobodian explique qu’il y a au moins trois façons d’interpréter ce qu’Elon Musk essaie de faire actuellement aux États-Unis. D’abord, il traite le gouvernement comme une start-up, comme il l’a fait avec Tesla et Twitter, non pas dans l’espoir de le détruire complètement, mais pour diminuer drastiquement les coûts et le nombre d’employés, pour le rendre plus efficace.

Une deuxième interprétation est qu’il essaie simplement de réduire l’empreinte du gouvernement. Cette interprétation cadre avec les idées libertaires conservatrices américaines à long terme, qui visent à supprimer les fonctions de protection sociale, d’éducation ou d’économie d’énergie et à confier à l’État des responsabilités plus limitées.

La troisième interprétation, plus radicale, est qu’il essaie de briser l’État et de le rendre impossible à reconstruire, auquel cas de nouvelles formes de gouvernement devront émerger à un niveau plus décentralisé et plus local.

Tout cela est sans aucun doute non démocratique. Elon Musk n’a pas été élu et il n’occupe aucune fonction officielle qui lui donne un pouvoir formel, et presque tout ce qu’il fait actuellement est inconstitutionnel, relève l’historien.

RTS : Pourquoi le capitalisme n’a pas besoin de la démocratie ?

Quinn Slobodian : La dynamique entre le capitalisme et la démocratie est tendue, et même conflictuelle, depuis longtemps. Au XXe siècle, on supposait qu’une véritable démocratie mènerait au socialisme parce que les gens voteraient pour l’expropriation et les propriétaires voteraient pour la redistribution et pour plus d’égalité.

La période allant de la Seconde Guerre mondiale aux années 1990, pendant laquelle nous pensions que capitalisme et démocratie fonctionnaient bien ensemble, était en fait plutôt inhabituelle.

Dans les années 1990 et 2000, les grandes réussites n’ont pas été celles des États capitalistes démocratiques, mais celles des États capitalistes non démocratiques, comme la Chine, Singapour, Hong Kong, Dubaï ou l’Arabie saoudite. L’hypothèse selon laquelle le capitalisme et la démocratie vont de pair n’a donc pas de fondement historique solide.

Des choses comme l’État de droit, les droits de propriété ou la transparence relèvent davantage du libéralisme. Ces choses peuvent exister sans démocratie. On peut les avoir sous des gouvernements autoritaires. Il y a donc aussi des aspects de l’État de droit dans certains États autoritaires du monde.

Dubaï est-il le modèle de capitalisme sans démocratie ?

Quinn Slobodian : C’est un modèle très important en ce moment. Je pense que, si vous voulez comprendre la mentalité de Donald Trump, par exemple, il est plus utile de regarder le Dubaï de 2025 que l’Allemagne nazie des années 1930.

Cela brouille l’idée que nous nous faisons d’un État moderne. L’émirat de Dubaï est petit, divisé en petites juridictions conçues pour attirer les investisseurs. Il est fondé sur l’immobilier mondial et seule une minorité de ses résidents sont des citoyens du pays. La majorité des résidents de Dubaï sont des étrangers qui sont là en tant que travailleurs invités et qui peuvent être renvoyés à tout moment.

Comment les États-Unis, un grand pays, peuvent s’intégrer à ce modèle ?

Quinn Slobodian : Les États-Unis sont un très grand pays, mais c’est aussi un endroit où le gouvernement est déjà très décentralisé.

Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une accélération de la concurrence entre les différentes régions du pays pour attirer les investisseurs. On baisse les impôts pour attirer les gens qui veulent construire des usines ou éviter la taxation de leurs entreprises. Il y a donc une logique interne de fragmentation qui est à l’œuvre à l’intérieur des États-Unis.

Ainsi, Elon Musk est en train de créer une ville privée pour le lancement de ses fusées au Texas. Mark Zuckerberg envisage lui aussi de délocaliser Meta au Texas. Il y a une sorte de réorganisation intérieure des fortunes et des personnes.

Vous pouvez aussi avoir, par exemple, des quartiers privatisés qui sont un peu comme des Dubaï en miniature. Les riches possèdent les maisons et vivent derrière des grilles tandis qu’une armée de travailleurs de l’extérieur entre chaque jour pour effectuer les tâches subalternes. Mais ils doivent tous repartir à la fin de la journée.

Vous pouvez donc reproduire en miniature le modèle de l’émirat, et c’est ce qu’ont déjà fait les États-Unis en de nombreux endroits.

Est-ce que la démocratie peut encore gagner cette guerre ?

Quinn Slobodian : Il n’y a rien d’inévitable dans la victoire de Donald Trump et il n’y a rien d’inévitable dans la destruction du gouvernement qu’est en train de faire Elon Musk. On peut reprendre le contrôle sur toutes ces choses. Et je pense qu’il reste encore un peu de pouvoir et de force dans cette bonne vieille idée de la souveraineté populaire.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey (Courrier International)

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