avril 22, 2025
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LIENS ENTRE TEHERAN ET LE POLISARIO : Les éclairages du Professeur Souleymane BA

Historien des relations internationales et stratégiques et des conflits armés, Spécialiste de la Méditerranée et du Moyen-Orient, Expert-consultant en analyse géopolitique, diplomatique et géostratégique, des questions économiques et sécuritaires, le Professeur Souleymane BA nous livre des éclairages sur les relations entre l’Iran et le Front du Polisario entre autres sujet. Monsieur BA est également le  Fondateur et Directeur du Cabinet Washington Consulting. Entretien…

DAKARTIMES : Comment analysez- vous ces révélations de Washington Post sur les relations entre Téhéran et le Polisario ?

Professeur Souleymane BA : De nos jours, les dynamiques des relations internationales s’opèrent dans un environnement géopolitique marqué par un jeu de rapports de force, à travers lequel les acteurs utilisent des stratégies d’alliance s’illustrant dans de nombreux contextes de conflits armés. Dans ces contextes de guerre, chaque Etat défend ses propres intérêts économiques et stratégiques, cherchant souvent à porter atteinte à ceux des autres acteurs avec qui il n’est pas sur la même longueur d’onde, ou dont les buts ne sont pas compatibles avec les siens. Ce qui peut conduire des Etats de blocs opposés à des affrontements par procuration, de par des alliances conventionnelles ou de revers. La guerre russo-ukrainienne en demeure une parfaite illustration, dans la mesure où l’Iran fait partie des rares soutiens affichés de la Russie face aux Etats-Unis et leurs alliés occidentaux qui soutienne l’Ukraine dans le contexte de cette guerre. Alors, les enjeux du conflit du Sahara marocain, un conflit international ou internationalisé depuis plusieurs décennies, peuvent susciter une implication de l’Iran s’opposant à la position américaine, depuis la reconnaissance de la souveraineté du royaume chérifien sur ce territoire marocain, par les Etats-Unis, en 2020.

Dans les relations diplomatiques entre Rabat et Téhéran, existe-t-il dans le passé, des moments de divergences qui pourraient justifier un rapprochement entre l’Iran et le Polisario ?

Les relations diplomatiques entre le Maroc et l’Iran n’ont jamais été constamment au beau fixe, dès lors que lesquelles relations ont connu beaucoup de différents. Rabat et Téhéran ont plusieurs fois rompu leurs relations diplomatiques qui semblent manquer d’effets concrètement positifs sur les politiques étrangères respectives des deux pays. Ces crises diplomatiques récurrentes entre les deux pays, se caractérisant par des relations régulièrement rompues, voire inexistantes, peuvent trouver leurs racines dans le conflit entre Sunnites et Chiites qui met le monde musulman en constante ébullition, le roi du Maroc, Mohamed VI représentant pour les Marocains majoritairement sunnites, ce que représente le guide spirituel de l’Iran, Ali Khamenei, pour les Iraniens, majoritairement chiites.

Croyez-vous que l’Iran cherche à renforcer l’influence chiite en Afrique ?

Depuis la révolution iranienne de 1979, l’Iran s’est inscrit dans une nouvelle dynamique stratégique en vue de se repositionner et se réaffirmer sur la scène internationale et l’Afrique n’est en reste dans cette nouvelle orientation iranienne. Cependant, la faible marge de manœuvre des religions dans la politique étrangère de la plupart des Etats de la planète, sur l’échiquier diplomatique international, et la minorité des chiites face aux sunnites majoritaires à travers le monde musulman, ont mis l’Iran face à des défis de taille qui ne se montrent pas faciles à relever.

Doit-on craindre dans l’avenir des troubles au plan sécuritaire avec un Polisario militairement fort dans le Sahel ? 

Actuellement, le Polisario semble être dans des difficultés au regard des évolutions de l’environnement géopolitique mondial. Cela peut se justifier non seulement, par le contexte régional maghrébin ou sahélien actuel, mais aussi au regard des positions des grandes puissances étrangères, notamment les Etats-Unis, la France, l’Espagne et Israël qui ont reconnu à tour de rôle la marocanité du Sahara Occident et l’Allemagne qui soutient le plan d’autonomie de ce territoire, proposé par le Maroc. Qui plus, le fait que l’Algérie, principal soutien du Polisario, est dans une crise diplomatique récurrente avec ses voisins sahéliens, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, mais surtout avec la France, depuis plusieurs mois, peut affaiblir la vivacité de ce mouvement indépendantiste sahraoui. Alors que le Maroc monte en puissance en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest où le royaume chérifien est devenu très influent ces dernières années, grâce à ses bonnes relations avec les Etats de cette région et surtout à ses investissements économiques qu’il y réalise.

Que pensez-vous d’un éventuel retour à Tindouf de ces mercenaires du Polisario prêts à poursuivre leur combat contre le Maroc, au détriment de la stabilité sous-régionale?

La détermination du Polisario et de ses membres doit être constamment prise en compte sur le conflit du Sahara Occidental, dès lors que l’Algérie s’est toujours montrée engagée à soutenir ce mouvement dans son combat pour son indépendance. Mais si la force dudit front peut se rétablir, ce sera à long terme. Cependant, il n’est toujours pas facile de mettre fin à un conflit, encore moins celui opposant deux parties fortes, engagées, déterminées et soutenues sur les plans militaire, financier, matériel, stratégique et diplomatique, par d’autres acteurs extérieurs ou internationaux. Affaiblir l’ennemi n’est pas synonyme de victoire à long terme. En matière de conflits armés, tous les moyens sont à prendre en compte, qu’ils soient conventionnels ou non conventionnels, pour éviter la violence ou le chaos. L’interconnexion entre des mouvements indépendantistes et des réseaux terroristes, comme celle entre le Polisario et des groupes terroristes opérant au Sahel et en Afrique de l’Ouest, tel que l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) dirigé jadis par Adnan Abou Walid As-Sahraoui (tué en 2021 par les forces françaises), et aujourd’hui par Abou Al-Barra As-Sahraoui, peut étayer ce point de vue. Alors, un éventuel retour des membres et mercenaires du Polisario se montrant toujours prêts à poursuivre leur combat contre le Maroc, ne doit nullement surprendre. Leur mouvement et mobilité, mais surtout leurs différents modes opératoires nécessitent une attention particulière pour la stabilité sous-régionale maghrébine, sahélienne et ouest-africaine. C’est vrai que le Maroc consolide toujours sa position de force qui croit de façon exponentielle, toutefois, le royaume chérifien doit avoir un regard de près sur le caractère versatile des Etats qui détermine les comportements de ceux-ci en diplomatie stratégique, particulièrement sur les dossiers regorgeant d’enjeux cruciaux. En clair, leurs positions demeurent souvent floues à causes de l’utilisation de certains termes techniques dont les commentaires peuvent facilement leur permettre de changer facilement de posture à tout moment, selon leurs orientations relatives à des intérêts économiques et stratégiques.

N’est-ce pas là un risque fort de voir le Sahel confronté à une instabilité au plan sécuritaire sur l’axe Tindouf, Algérie, Maroc, Mauritanie et Mali, avec ce soutien militaire de Téhéran à ce groupe ?

Si l’Iran s’inscrit dans une logique de rapprochement avec des mouvements armés tel que le Polisario comme l’a annoncé et confirmé le Washington Post, cela peut avoir un impact réel négatif sur l’environnement sécuritaire du Maghreb, du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest qui souffrent depuis longtemps d’une énorme précarité sécuritaire, à cause de la porosité des frontières entre les pays de ces espaces régionaux, mais aussi avec une absence de coopération ou manque de coordination dans la mise en œuvre des politiques sécuritaires de ces derniers. Cela se confirme dans leur logique de lutte contre le terrorisme qui gagne du terrain dans tous ces espaces. La faiblesse des Etats et le manque de volonté politique de ceux-ci, assorti d’une inadéquation de leurs stratégies sécuritaires, constituent des facteurs qui augmentent les risques, menaces et vulnérabilités de ces régions qui sont touchées de plein fouet par l’insécurité de tous genres, le radicalisme, l’extrémisme violent, l’émigration clandestine, le trafic illicite, la criminalité organisée, la cybercriminalité, la piraterie maritime, le terrorisme croissant, les crises politiques aboutissant souvent à des conflits armés, etc. Ces situations de violences minent l’environnement géopolitique de ces régions et bouleversement les processus de développement socio-économique des Etats qui s’y situent.

De plus en plus, des États reconnaissent la marocanité du Sahara, est-ce l’élément déclencheur de cette coalition entre Téhéran et le Polisario ?

En fait, ce n’est pas une victoire du Polisario qui intéresse réellement l’Iran dans sa position sur le dossier du Sahara Occidental. C’est plutôt son propre intérêt pouvant se réduire à un réorientation et repositionnement stratégiques, en vue d’une influence et économique en Afrique, si l’on sait que Téhéran est en perte de points dans sa présence sur le continent, alors que celui-ci demeure de nos jours une plateforme de coopération économique ou un terrain d’affrontements entre acteurs de la géopolitique contemporaine mondiale. La position iranienne sur le dossier du Sahara Occidental peut être guidée par la volonté et l’ambition de Téhéran de renforcer ses relations bilatérales avec l’Algérie, en vue d’un positionnement stratégique en Afrique du Nord. Cependant, l’Iran n’a pas les moyens de ses orientations sur la scène internationale, vu la position des acteurs internationaux sur son programme nucléaire et sa place dans le monde musulman sur fond de rapports de force et de conflit entre Sunnites et Chiites.

Quelle doit être la position des nouvelles autorités syriennes, américaines, européennes et africaines pour éviter que le retour de ces mercenaires du Polisario ne participe à la déstabilisation du Maghreb et du Sahel ? 

Les contextes géopolitiques actuels en Afrique, et dans les sous-régions maghrébine, sahélienne et ouest-africaine obligent tous les Etats de ces espaces, ainsi que l’ensemble de leurs partenaires internationaux, à savoir l’UE et les Etats-Unis, à s’inscrire dans une logique de coopération sécuritaire et stratégique, aux fins d’instaurer une sécurité et une stabilité globales et durables dans ces espaces. Cela nécessite une jonction d’efforts de la part desquels acteurs. Ce qui les amènera à trouver le cadre un plus propice et une politique sécuritaire plus adéquate pour une meilleure sécurité dans ces régions. Les divergences qu’il y a entre les Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui sapent la coopération économique et sécuritaire dans le cadre de la CEDEAO, doivent être repensées pour éviter que cette région sombre dans une insécurité totale. Car ces divergences ont bouleversé les relations de partenariat entre les Etats membres de cet outil de coopération et ses partenaires, tels que les Etats-Unis et l’UE, et notamment la France, qui souffrent aujourd’hui d’un sentiment anti-occidental en Afrique.

  1. Massad Boulos, Conseiller spécial du président des Etats-Unis, Donald Trump, pour l’Afrique, a réaffirmé que la position américaine sur la souveraineté du Maroc sur le Sahara est « claire et sans équivoque ». Aujourd’hui, l’Iran cherche-t-il à s’opposer aux USA sur ce dossier, en s’alliant au Polisario ?

Le dossier du conflit du Sahara Occidental a des enjeux stratégiques de taille au plan géopolitique, si on le place sous une rubrique d’une nouvelle guerre froide. Il constitue une plateforme d’opposition ou d’affrontements par procuration ou par alliances interposées entre l’administration Trump 2 et le régime des mollahs iraniens. Son évolution et actualité rappellent les affrontements américano-iraniens en Irak, lors du premier mandat de Donald Trrump, où l’Iran soutient la milice pro-iranienne, Ashd Chabi contre les Etats-Unis dont ladite milice sape les intérêts en territoire irakien. Ces affrontements sont marqués par la tuerie en 2020, du général iranien Qassem Soleimani, chef des opérations militaires de l’Iran, par les Etats-Unis. Le rapprochement entre l’Iran et le Front Polisario peut surtout être motivé par la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Maroc, avec l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, s’inscrivant dans le cadre des accords de normalisation israélo-arabes dits d’Abraham, initiés et parrainés par l’administration Trump 1, en 2020. En effet, la signature desquels accords le 15 septembre de la même année, a marqué une reconnaissance mutuelle, entre d’un côté l’Etat hébreu et de l’autre, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, devant être suivi de l’Arabie saoudite, mais celle-ci a interrompu son processus qui devrait la conduire à reconnaître Israël, à cause des attaques du HAMAS contre ce dernier, le 07 octobre 2023. Ces accords symbolisent l’une des plus grandes réalisations du président américain au cours de son premier mandat. D’ailleurs, ils demeurent parmi les acquis diplomatiques historiques de Washington dans la sphère mondiale.

Par ailleurs, le fait que l’Afrique reste une zone de convoitises et de convergence des grands acteurs de la géopolitique contemporaine mondiale, peut justifier également cette position iranienne sur ce dossier du Sahara Marocain. Car cette posture peut permettre à Téhéran d’avoir une voix écoutée sur l’échiquier géopolitique mondial, comme sa position lui a servi sur le dossier de la guerre russo-ukrainienne dans le contexte de laquelle, le régime des mollahs a fourni des drones à Moscou qui les a utilisés pour bombarder l’Ukraine.

Propos recueillis par Mamadou Mouth BANE

 

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