avril 24, 2025
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Sécurité

LOGISTIQUES DE LA MINUSMA : Difficultés liées au retrait forcé

Dr Nina Wilén directrice de recherche pour le programme Afrique à l’Institut Egmont des Relations Internationales et professeure associée au département de science politique de l’Université de Lund, en Suède a réalisé une étude sur le processus de retrait de la mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies au Mali. Publiée par l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, intitulée « ‘Un cauchemar logistique’ : Exploration des défis logistiques liés au retrait forcé de la MINUSMA », la note examine comment le processus de retrait de la MINUSMA s’est déroulé d’un point de vue politique, sécuritaire et logistique. Il explore deux aspects du retrait en particulier : les contraintes externes auxquelles la mission a été confrontée pendant le processus de retrait, principalement imposées par les autorités hôtes et le contexte sécuritaire, et les défis internes, survenus en partie en raison de la rapidité avec laquelle le processus de retrait a dû être entrepris, et en partie en raison du manque de préparation préalable avant que la demande de retrait ne soit formulée.

 

 

L’étude du Dr Nina Wilén repose sur un examen approfondi des documents de l’ONU, des documents officiels et de la littérature académique, ainsi que des articles de presse relatifs au retrait de la MINUSMA. L’auteur a également consulté des documents internes et mené un certain nombre d’entretiens confidentiels pour étayer son analyse au Mali, Paris, Bruxelles et en ligne. Deux missions de terrain ont été entreprises au Mali : une en 2023 avant que la décision du retrait ne soit prise, et une en 2024, après le retrait effectif de la MINUSMA. Il convient de noter que, pour des raisons de confidentialité, il existe très peu d’informations publiques disponibles concernant le processus de retrait et de liquidation, ce qui signifie que les entretiens constituent la principale source d’informations de cette étude. Compte tenu du caractère sensible du sujet, toutes les personnes interrogées ont demandé à rester anonymes. L’article est divisé en trois parties. La première partie examine les règles et réglementations existantes au sein de l’ONU concernant les processus de désengagement et de transition, servant de toile de fond à la compréhension du processus de retrait et de liquidation de la MINUSMA. La seconde partie présente brièvement les relations entre la MINUSMA et les autorités hôtes dans les mois qui ont précédé la demande de départ afin d’illustrer le contexte politique dans lequel le personnel de la MINUSMA travaillait. La troisième partie examine le processus de retrait et de liquidation de la mission. Enfin, la conclusion présente les résultats et principaux enseignements tirés de l’étude.

 

L’auteur rappelle d’abord que le 16 juin 2023, les autorités de transition maliennes ont exigé un départ immédiat de l’opération de maintien de la paix de l’ONU déployée au Mali, la MINUSMA, présente dans le pays depuis 10 ans. Cette demande des autorités militaires ayant pris le pouvoir par la force, et donc ne représentant pas des autorités légales et légitimes était particulièrement singulière dans l’histoire des missions de la paix de l’ONU. Y faisant suite, le Conseil de sécurité a unanimement adopté la Résolution 2690, qui acte la fin de cette mission et fixe un calendrier de retrait devant être achevé le 31 décembre 2023. Le délai fixé de 6 mois, qui répondait à une demande spécifique du Mali, représentait en soi un défi de taille pour l’ONU, qui effectue habituellement le retrait de ses missions sur des temps beaucoup plus longs. Cependant, avec un contexte sécuritaire aggravé, le défi était inédit. Cette étude de recherche analyse les dilemmes politiques et défis logistiques auxquels la MINUSMA a dû faire face pour conduire une manœuvre de désengagement garantissant la sécurité de son personnel et le retrait du matériel dans des délais imposés par les autorités maliennes et dans un contexte de conflit armé ouvert. Il est important de revenir sur ces circonstances sans précédent alors que les Nations unies poursuivent leur réflexion sur l’adaptation du maintien de la paix.

Cette étude s’appuie sur des entretiens conduits au Mali, à Paris et à Bruxelles, ainsi que sur un examen approfondi de documents de l’ONU, de documents officiels et de la littérature académique. Les informations publiques sur le processus de retrait et de liquidation sont limitées, ce qui fait des entretiens la principale source d’information pour cette étude. Étant donné la nature sensible du sujet, les personnes interrogées ont souhaité rester anonymes. La première section de cette étude recense les règles et réglementations en vigueur au sein de l’ONU concernant le processus de désengagement et de transition, et qui devaient servir de cadre pour mettre en œuvre le processus de retrait et de liquidation de la MINUSMA.

La deuxième section offre un aperçu de la dégradation des relations entre la MINUSMA et les autorités maliennes dans les mois précédant la demande de retrait, mettant en lumière la complexité du contexte dans lequel le personnel de la mission s’est retrouvé. Enfin, la troisième section analyse le processus de retrait et de liquidation de la mission et les difficultés qui ont surgi tout au long de ceux-ci. Plusieurs éléments clés peuvent être retenus du déroulement de la manœuvre de désengagement.

Tout d’abord, la demande de retrait malienne fut sans précédent dans la mesure où elle était formulée sans préavis et associée à des délais difficilement tenables. Ce contexte difficile, aggravé par la taille du territoire malien, le manque évident d’infrastructures et par la détérioration continue de la situation sécuritaire, ont conduit à un « cauchemar logistique » et accru la dangerosité du retrait. Par ailleurs, les directives et instructions élaborées par l’ONU sur les processus de transition et de retrait n’ont pas toutes pu être appliquées dans le cas de la MINUSMA, de par les conditions inédites de ce retrait. Le contexte sécuritaire aggravant et la situation politique tendue ont forcé l’ONU à prioriser la sécurité de son personnel avant les aspects matériels, ce qui a conduit à une importante destruction d’équipement et d’abandon de matériel sur place. Les départements de l’ONU devraient donc tirer le meilleur parti de cette expérience difficile et en tirer des leçons pour l’avenir, notamment en établissant des plans de contingence dès le début, en évitant l’accumulation de matériel et d’équipement inutiles. Par ailleurs, une réflexion mériterait d’être portée à l’opportunité de créer une unité de transport de l’ONU plutôt que de dépendre de contractants privés.

Les politiques de l’ONU pour les transitions et les retraits  

    Les processus de retrait et de transition des Nations unies ont eu lieu tout au long de l’histoire de l’Organisation, mais il a fallu de nombreuses années avant que cette dernière établisse des directives et des recommandations institutionnelles formelles. En 2013, les Nations unies ont élaboré une Politique sur les Transitions des Nations unies dans le Contexte de la Réduction ou du Retrait d’une mission8. Un projet sur les transitions de l’ONU a été lancé en 2014 par Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Département des opérations de paix (DOP) et le Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix (DAPCP) dans le but d’améliorer la planification et la gestion des processus de transition dans l’ensemble des Nations unies. L’idée de transition ne reflète pas uniquement les retraits d’une opération de paix, mais inclut plus largement une reconfiguration de la présence des Nations unies dans le pays, qu’il s’agisse d’un départ complet ou d’une transition vers une stratégie de consolidation de la paix ou vers une autre mission.  

En janvier 2019, cette politique a été complétée par un Guide pour la haute direction sur la fermeture d’entités de terrain, publiée par le Département de l’appui opérationnel (DAO). Plus tard dans l’année, une consigne générale intitulée « Fermeture des entités sur le terrain : documents et archives papier et numérique » a été publiée. Le dernier document officiel en date a été édité en 2022 sous la forme d’un rapport du Secrétaire général, avec des mises à jour sur le statut des transitions en cours et récentes, identifiant les tendances et les problèmes communs à plusieurs transitions.

Les directives de la politique de 2013 :  La politique de 2013 reconnaissait la diversité des différents processus de transition, soulignant que chaque contexte est fortement influencé par les décisions prises par les autorités hôtes. Ce fait est également souligné par la littérature académique, qui met en avant l’aspect intrinsèquement politique du processus.  

Cette politique identifiait cinq principes clés pour gérer les transitions lorsqu’une mission de maintien de la paix était amenée à être réduite de manière significative ou a se retirer : 1) la planification anticipée, 2) l’intégration des Nations unies, ce qui signifie que tous les acteurs de l’ONU doivent planifier, coordonner et gérer la transition conjointement ; 3) l’appropriation nationale ; 4) le développement des capacités nationales et 5) la communication, à la fois en interne auprès du personnel de la mission et en externe auprès de la population hôte. Le document d’orientation de cette politique soulignait la nécessité pour les missions de planifier leurs départs dès le début de la mission, une recommandation qui a été maintenue dans les directives formulées ultérieurement, mais qui semble avoir été ignorée dans le cas de la MINUSMA. Les personnes interrogées ont évoqué le fait que des plans de retrait approximatifs avaient été élaborés à un moment donné, mais qu’ils avaient été perdus au cours de la décennie durant laquelle la mission  était active.  

La politique de 2013 a également établi les responsabilités des différentes entités des Nations unies, avec une planification partagée entre la direction de l’ONU sur le terrain avec les partenaires nationaux et le Quartier Général (QG) de l’ONU, le Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG) étant responsable de la désignation des points focaux et le QG de l’ONU soutenant le processus tout au long de son déroulement. Les contextes changeants et politiques au cours de la vie d’une mission, ainsi que la flexibilité des plans de sortie, ont également été mis en avant dans ce document, ce qui s’est avéré important dans le cas de la MINUSMA, compte tenu de l’évolution rapide de son contexte sécuritaire. La même observation a été faite pour les processus de liquidation, également influencés par le contexte politique et budgétaire national dans lequel ils se déroulent17. Pour amorcer la préparation de la mission à une hypothétique transition, le Projet Transitions de l’ONU a organisé un atelier de réflexion pour le personnel de la MINUSMA et l’équipe de pays des Nations unies (UNCT) avant juin 2020, afin de discuter des possibilités de collaboration pour les futures priorités de consolidation de la paix. Cependant il n’était pas à l’époque question d’un quelconque calendrier de retrait pour la mission.

MINUSMA : Détérioration des relations précédant une demande de retrait  

Au fil du temps, la MINUSMA est devenue l’une des missions de maintien de la paix les plus dangereuses pour le personnel de l’ONU, enregistrant 311 décès durant la période de son déploiement. Seule la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), déployée depuis 1978, a connu des pertes supérieures, occasionnant 333 décès parmi le personnel de la mission. À mesure que la situation sécuritaire se détériorait, à partir de 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a encouragé des mandats de plus en plus robustes, en adoptant une approche plus ouvertement offensive et en s’engageant dans des « opérations directes » contre des « menaces sérieuses et crédibles ». Malgré cela, les autorités maliennes ont reproché à plusieurs reprises à la MINUSMA de ne pas être suffisamment offensive. Ce fut surtout le cas lorsqu’en 2023, la junte militaire au pouvoir exigeait de la MINUSMA qu’elle « change sa posture statique, quitte les camps et s’engage dans des actions offensives et des patrouilles » et qu’elle « renforce son soutien aux Forces armées maliennes en termes de rations alimentaires, de carburant, de transport/logistique et d’évacuation médicale ». Paradoxalement, ces demandes ont été formulées dans le cadre d’une relation tendue où la junte militaire avait imposé une série de contraintes à la mission.  

La MINUSMA a dû interagir avec deux juntes militaires successives, suite au coup d’État d’août 2020 et au « coup dans le coup d’État » de mai 2021. Après ce dernier, les autorités de transition ont rendu l’accomplissement du mandat de la mission de plus en plus difficile et ont parfois activement entravé sa mise en œuvre. Cela a coïncidé avec l’arrivée des nouveaux partenaires de sécurité des autorités de transition, la société militaire semi-privée russe : le groupe Wagner. Les membres du groupe sont arrivés au Mali lors de l’automne 2021, alors que les relations entre la France et la junte malienne se détérioraient. Tandis que l’opération Barkhane se retirait en 2022, le groupe Wagner a mené un nombre croissant d’opérations antiterroristes avec l’armée malienne, en contournant et en violant directement le droit international relatif aux droits de l’homme.  

Afin de laisser une marge de manœuvre aux forces armées maliennes (FAMA) et au groupe Wagner, les autorités de transition ont progressivement réduit l’espace politique et la portée géographique de la MINUSMA par le biais de diverses mesures. En janvier 2022, la junte militaire a imposé des zones d’interdiction de vol pour les avions de l’ONU sur plus de la moitié du pays, suivies d’une exigence de demandes d’autorisation de vol 48 à 72 heures à l’avance, dont beaucoup ont été refusées ou n’ont pas reçu de réponse de la part des autorités maliennes. Par exemple, entre octobre 2022 et janvier 2023, 237 demandes d’autorisation de vol de la MINUSMA ont été rejetées ou sont restées sans réponse, affectant négativement la mise en œuvre du mandat de la mission26.  En outre, la mission n’ayant pas été en mesure d’obtenir les autorisations de survol et d’atterrissage nécessaires de la part des autorités (indispensables compte tenu des difficultés d’accès au territoire), les rotations de 10 contingents, soit 2 480 soldats, ont été retardées pendant des mois, affectant gravement le moral et le bien-être des troupes.  

Ces obstructions se sont poursuivies tout au long des 18 derniers mois d’existence de la MINUSMA, 175 demandes d’autorisation de vol ayant été refusées entre mars et juin 2023. Dans le même temps, certains membres du personnel de l’ONU ont également fait preuve d’autocritique et ont remis en question l’incapacité de l’ONU à formuler des propositions susceptibles d’améliorer les relations, d’une part, entre les mouvements séparatistes du Nord et les autorités de transition, et d’autre part, entre la mission de l’ONU et les premiers : « Ils voulaient voir ce que nous pouvions offrir, et nous n’avons pas pu répondre de manière convaincante. Nous n’avons pas su expliquer de manière suffisante pourquoi notre présence était nécessaire ».

Les autorités maliennes ont également réduit l’espace politique de l’ONU et l’ont empêchée d’enquêter sur les violations des droits humains commises par les forces armées de l’État. L’exemple le plus visible de cette entrave a eu lieu en 2022, lorsque les autorités ont refusé à la MINUSMA l’accès nécessaire pour enquêter sur le massacre de Moura, un incident au cours duquel plusieurs centaines de civils ont été tués par les forces armées maliennes et les troupes de Wagner, dans la ville de Moura. En février 2023, à la suite d’un discours au Conseil de sécurité de l’ONU, accusant les FAMA et Wagner d’avoir commis de tels actes, les autorités maliennes désignaient persona non grata le directeur des droits de l’homme des Nations unies, marquant une nouvelle étape dans la détérioration de leurs relations avec l’ONU.  

Malgré la forte réticence des autorités maliennes, et sous la pression croissante des observateurs internationaux, tels que des chercheurs académiques et des ONG humanitaires, l’ONU a décidé de publier son enquête sur le massacre, plus d’un an après qu’il ait eu lieu, en mai 2023. Le rapport accablant détaille le rôle des FAMA et de leurs alliés russes dans le massacre. Il suscite de vives réactions de la part des autorités de transition maliennes, qui continuent de nier l’existence du massacre. Dès lors, les relations déjà tendues se sont encore détériorées et, en juin, alors que le renouvellement de la mission était sur le point d’être décidé, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, déclarait au Conseil de sécurité des Nations unies que le Mali souhaitait le retrait immédiat de la mission.  

Le choc d’un processus simultané de retrait et de liquidation  

La demande de retrait immédiat des autorités maliennes a été un choc pour l’ensemble des Nations unies, tant pour le personnel de la MINUSMA présent sur le terrain que pour le siège de l’ONU à New York. Juste avant que le ministre Abdoulaye Diop ne prenne la parole le 16 juin, le RSSG de la MINUSMA, El-Ghassim Wane, avait pourtant plaidé en faveur d’une relation plus étroite avec les autorités maliennes, dans le cadre d’un dialogue régulier et de la poursuite de la présence de la mission au Mali. Certains observateurs ont qualifié la décision du Mali de « coup de poignard dans le dos » [sic] du RSSG. La surprise aurait été telle que même la France, porte-plume traditionnel des résolutions du Conseil de sécurité sur la MINUSMA, se serait retrouvée à court de mots. La demande des autorités maliennes a ébranlé le système onusien jusque dans ses fondements.

Des négociations, entre l’ONU et les autorités maliennes, portant sur les modalités de la transition, ont rapidement suivi. La France, en tant que porte-plume, a rédigé un projet de résolution prévoyant une transition en un temps record de six mois, mais le Mali et la Russie se sont opposés à ce calendrier et ont plaidé pour un départ en trois mois. Parallèlement la Russie décidait de bloquer l’approbation du budget de la MINUSMA à l’Assemblée générale des Nations unies. Après de nouvelles négociations avec la Chine et les membres africains du Conseil de sécurité de l’ONU, un calendrier de six mois a été établi dans la Résolution 2690 de l’ONU, adoptée le 30 juin, à peine deux semaines après la demande de retrait.

En six mois, l’ONU a ainsi été chargée de fermer neuf bases à travers le pays, de rapatrier 13 000 casques bleus déployés dans cinq secteurs, ainsi que près de 2 000 membres du personnel de l’ONU stationnés au siège, dans cinq bureaux régionaux et une série de petits bureaux satellites. En outre, la mission devait se débarrasser de tonnes de biens matériels accumulés au cours de la décennie de mission, estimés à environ 5 500 conteneurs maritimes et près de 4 000 véhicules au début du processus. En pratique, cela signifiait que les processus de retrait et de liquidation devaient se dérouler simultanément dans une situation sécuritaire qui se détériorait rapidement. En effet, dès que la décision d’expulser la MINUSMA a été prise, la lutte pour le contrôle de plusieurs des neuf bases de l’ONU s’est engagée entre les forces de sécurité maliennes et les mouvements séparatistes, un aspect qui sera exploré ultérieurement.

Synthèse de Awa BA

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