Introduction
« Les rapports humains, souvent établis dans un climat d’entente, peuvent devenir conflictuels et engendrer des contestations. Ces dernières sont, autant que possible, l’objet d’un règlement amiable entre les partenaires, avec ou sans l’aide d’un tiers (…)»
« Investir en amont dans des conflits est beaucoup moins coûteux en vies humaines, mais aussi financièrement.»
« Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », a-t-on coutume de dire. Cette maxime populaire traduit bien la préférence marquée qu’ont les Etats africains, face à la multiplicité des conflits qui continuent de tourmenter le continent africain, pour apporter « une réponse africaine aux problèmes africains ».
Le «fléau des conflits en Afrique» ne semble pas se calmer malgré les efforts de différentes organisations africaines, et les alertes constantes de la communauté internationale. L’Union Africaine s’est engagé à œuvrer dans la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans le continent, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, à laquelle tous les États africains sont membres. Suivant les principes reconnus en droit international, l’Union Africaine pose dans son Acte Constitutif le principe du règlement pacifique des conflits, comme corollaire de l’interdiction du recours à la force entre les États membres.
C’est dans ce sens que la médiation s’est imposée au fil des temps comme l’un des mécanismes privilégiés de règlement pacifique des conflits en Afrique. La médiation offre à tous les acteurs d’un conflit un cadre souple, neutre et impartial d’échange et de prise de décisions, propice à la résolution de conflits. L’UA et celle qui l’a précédé, l’Organisation de l’Unité Africaine, ont toujours fait un effort de créer un cadre de médiation qui tout en respectant les standards internationaux de médiation, se rapproche des méthodes de la palabre africaine.
En effet, les modes traditionnels de gestion des conflits africains sont volontiers présentés – aussi bien dans les enceintes multilatérales que dans les cercles académiques enpassant par les instances locales³ – comme pouvant offrir un complément efficace, si ce n’est une alternative, aux dispositifs mobilisés à l’échelle nationale et internationale pour faire face aux dynamiques conflictuelles qui embrasent le continent. La confiance placée par une part importante des populations dans les dispositifs normatifs non codifiés démontre que ceux-ci constituent des références et des répertoires que les politiques de gestion des confits ne peuvent ignorer.
La multiplication des crises entre autres politiques et potentiellement conflictuelles internes dans les États membres de l’Union africaine a obligé cette dernière à désigner des médiateurs, chargés d’amener les parties à régler leurs différends par des moyens pacifiques. Mode politique de règlement des différends, la médiation semble n’obéir qu’à des dynamiques politiques. L’Acte constitutif de l’Union africaine donne en effet pouvoir à l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence.
En ce sens, la Conférence peut « donner des directives au Conseil exécutif sur la gestion des conflits, des situations de guerre et autres situations d’urgence ainsi que sur la restauration de la paix.» Plusieurs situations, qualifiées tantôt de tensions politiques, tantôt de crises constitutionnelles, qui peuvent dégénérer en conflits internes ou en guerre civile et que l’on peut regrouper sous l’appellation générique de crises internes, peuvent ainsi pousser l’Union africaine à décider d’user de son pouvoir d’intervention dans l’un des États membres selon un des modes pacifiques de règlement des différends énumérés par la Charte des Nations unies.
L’un des moyens privilégiés de l’intervention de l’Union africaine est la médiation. La médiation est donc au cœur du dispositif traditionnel permettant à l’Union africaine de trouver une solution rapide à une crise sévissant dans l’un de ses États membres. Elle apparait d’ailleurs comme « l’un des moyens les plus utiles et les plus fréquemment utilisés pour prévenir et régler les différends.»
Dès lors, l’organisation continentale africaine a élaboré et mis en œuvre une véritable politique de prévention des conflits, grâce à la nouvelle architecture africaine de paix et de sécurité. Toutes les actions entreprises dans le cadre de la prévention et de la gestion des conflits s’inscrivent dans le cadre logique ainsi tracé et le cadre juridique adopté par les Communautés Economiques Régionales (CER) notamment la CEDEAO s’insère parfaitement dans la logique continentale.
En effet, l‘architecture africaine de paix et de sécurité bénéficie largement du soutien des Communautés économiques régionales (CER) chargées de traduire le projet continental de paix et de sécurité en actes dans les sous-régions. L’Union Africaine ne reconnaît officiellement que huit communautés économiques régionales (CER) et deux Mécanismes régionaux de prévention, de gestion et de résolution des conflits. Bien que vouées à des objectifs d’intégration économique, les communautés économiques régionales ont ainsi progressivement incarné la seule option institutionnelle pour la prévention et la gestion des conflits dans leurs zones respectives.
C’est dans cette logique que se situe l’adoption, dès 1992, de la Décision sur le Mécanisme relatif à la prévention, la gestion et la résolution des conflits en réponse à la prolifération des conflits en Afrique. Cette décision avait « pour objectifs, d’une part, de prévenir le risque d’éclatement de conflits latents ou potentiels et, d’autre part, de réunir les conditions propices à la gestion et à la résolution des conflits ». C’est d’ailleurs dans une perspective d’efficacité que dans le cadre de la prévention des conflits, l’ONU entretient des relations directes avec les communautés économiques régionales africaines. Cela illustre en réalité le rôle accru et déterminant de ces organisations sous-régionales dans le domaine du maintien de la paix.
Origine et définitions
Pour illustrer la signification du terme « médiation » il convient de porter un regard sur son origine linguistique. Le terme et l’idée de la médiation ne sont pas nouveaux mais resurgissent de manière cyclique dans toute l’histoire. Du grec, le terme vient du mot « meson », ce qui signifie « milieu ». Son adjectif « mesos » est traduit par « conciliant, impartial, neutre ». Il existe plusieurs verbes pour l’acte de médiation, qui se réfèrent toujours à ces deux origines et qui s’expliquent toujours par l’idée de « transmettre » et d’ « être neutre ».
Aussi dans la Rome antique on peut trouver des racines du terme « médiation ». Du mot latin « medius » (emprunter une voie intermédiaire, se comporter de manière neutre/impartiale) et le verbe « mederi » (soigner, guérir), on déduit entre autres des expressions comme « mediatio » et « médiation ». En bas latin, le « mediator » est un intercesseur, un entremetteur. Le mot « médiation », après avoir eu en ancien français le sens de « division », prend au XVIe siècle sa valeur moderne d’« entremise destinée à concilier.»
Prévue par divers textes internationaux à caractère général ou régional, la médiation ne fait cependant pas l’objet d’une définition précise. Comme le relève Jacques Faget, l’« obstacle est de fournir une définition de la médiation qui ne soit ni trop vague […] ni trop normative ».
De façon générale, la médiation est une procédure consistant pour une tierce partie à aider, avec leur consentement, deux ou plusieurs parties à prévenir, gérer ou régler un conflit en les aidant à élaborer un accord mutuellement acceptable.
Elle « consiste à inviter un État, un autre sujet du droit des gens […] ou une personne qui en relève à tenter de rapprocher les parties au litige. La médiation peut également être offerte par le tiers, mais, dans ce cas, doit être acceptée par les parties ». L’article premier de l’acte uniforme de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) relatif à la médiation dispose que :
le terme « médiation » désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États.
Le Dictionnaire de droit international considère la médiation comme un mode de règlement diplomatique des différends par lequel, de leur propre initiative et avec l’accord des parties ou à la demande de celles-ci, un ou plusieurs tiers (à savoir un ou plusieurs États, ou un organisme international, ou même une personne privée) s’entremet entre les parties à un différend ou un conflit afin de les amener à entamer ou reprendre, et poursuivre des négociations sur la base de propositions de règlement fondées sur la conciliation des intérêts en cause et dépourvues de caractère obligatoire.
D’autres définitions s’appesantissent plus sur le médiateur et son rôle que sur la médiation elle-même. Ainsi, la Convention de La Haye sur le règlement pacifique des conflits internationaux de 1907 dispose à l’article 4 de son titre II consacré aux bons offices et à la médiation que, « le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s’être produits entre les États en conflit ».
Ce faisant, la Convention accorde une place importante au médiateur et non au mécanisme lui-même. Le médiateur est un tiers qui s’entremet entre deux ou plusieurs parties à un différend pour les amener à une solution par la médiation. Le rôle du médiateur (sera détaillé dans les lignes qui suivent)consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s’être produits entre les États en conflit. Peu de textes et conventions internationales donnent des précisions sur le rôle du médiateur et ce qui est attendu de lui dans le cadre du règlement d’un différend.
À cet égard, l’article 12 du Pacte de Bogota du 30 avril 1948 dispose que : « Les fonctions du médiateur ou des médiateurs consisteront à assister les parties dans l’arrangement de la façon la plus simple et directe évitant des formalités et en essayant de trouver une solution acceptable ». On attend donc tout de lui, sans pour autant lui fournir les rudiments nécessaires pour l’atteinte des résultats attendus, et parfois même exigés de lui.
Par ailleurs, la médiation préventive quant à elle, est déployée habituellement dans les États par les organisations internationales, à la suite des recensements des causes potentielles et réelles des conflits. Ainsi, de plus en plus, à la veille ou après des échéances électorales dans divers États africains, on assiste à un ballet diplomatique, avec l’arrivée de divers émissaires, en particulier lorsque le contexte préélectoral ou postélectoral se caractérise par des tensions politiques et de nombreuses divergences entre le parti au pouvoir et les membres de l’opposition. Il s’agit le plus souvent de médiateurs, envoyés dans les États par les organismes d’intégration ou les communautés économiques régionales, qui voudraient anticiper sur les éventuels conflits pouvant éclater dans ces États.
Née dans le domaine managérial, la médiation préventive estl’intervention d’un médiateur pour devancer tout conflit ou toute crise dès que les premiers signes de tension apparaissent, ou dès qu’un phénomène potentiellement générateur de difficultés pour les relations humaines au sein de l’entreprise va se produire.
Ce serait en fait une action de veille qui permettrait d’éliminer dès leurs premières manifestations les germes d’une détérioration du climat politique, social et économique dans un pays. Dans les relations internationales, la médiation préventive s’insère dans le cadre de la diplomatie préventive. La prévention regroupe toutes les dispositions prises pour empêcher l’apparition, l’aggravation ou l’extension d’un danger, d’un risque, d’un accident, d’une maladie ou, plus généralement, de toute situation (sanitaire, sociale, environnementale, économique, etc.) La diplomatie préventive est l’un des moyens de prévention des conflits, qui trouve son fondement dans l’article 33 de la charte des Nations Unies.
Ce type de diplomatie particulière suppose l’institutionnalisation des dispositifs d’alerte et des organes de mise en œuvre des mesures de rétablissement de la confiance. La médiation préventive rentre donc dans le cadre des mécanismes de prévention des conflits, déployés par les organismes régionaux, internationaux pour anticiper sur la survenance des conflits dans un pays.
En tout d’état de cause, la médiation est une méthode souplede résolution des conflits multiformes. Cette dernière, telle que nous la connaissons aujourd’hui, fait partie d’un ensemble de méthodes de règlement des conflits, proposant une approche alternative au système juridictionnel classique. Regroupée sous les termes génériques « méthodes alternatives de règlement de différend » (MARD), ou encore « méthodes alternatives de règlement de conflit » (MARC), ces derniers comportent de nombreux procédés, présentant certaines similitudes, et se référant tous aux processus et aux techniques pacifiques de résolution de conflit, visant des accords par une « justice plus douce » et un mode décisionnel généralement plus horizontal et moins vertical.
Relativement au terme « conflit », il faut dire qu’il peut revêtir plusieurs formes. Ainsi, un conflit ou situation conflictuelle est la constatation d’une opposition entre personnes ou entités. Le conflit est chargé d’émotions telles que la colère, la frustration, la peur, la tristesse, la rancune, le dégoût.
En droit international public, il peut désigner l’opposition de deux thèses juridiques (conflit juridique parce que leur règlement est normalement effectué par la voie juridictionnelle ou arbitrale) ou d’intérêts entre des Etats (conflit politique parce que les Etats préfèrent les soumettre à des modes diplomatiques ou politiques de règlement).
Dès lors, pour définir le « conflit politique », deux méthodes sont possibles. La première consiste à développer l’idée de politique pour déterminer les rapports entre politique et conflit. Cette méthode distingue le politique de la politique, l’idée du politique de la vie politique au sens courant du terme. La distinction peut être effectuée de deux manières opposées : d’un côté, en posant comme proprement politique la détermination de l’ennemi et de l’ami ; de l’autre, en définissant comme politique le lien intersubjectif tissé par l’action en commun.
La seconde méthode consiste à interroger d’emblée notre expérience des conflits politiques. Cette méthode procède en quelque sorte à l’inverse de la première. Elle s’appuie sur l’expérience politique commune pour en tirer, réflexivement, une compréhension de la politique.
En nous référant au sens courant de la notion de conflit politique, nous pouvons relever trois caractères :
L’étude de ce sujet posé ici revêt une dimension fondamentaledans la mesure où il est question de d’analyser la spécificité de la médiation organisée par et pour les africains. Concrètement il s’agit de réfléchir à la médiation des chefs d’Etats qui par essence, relève d’avantage de l’informel que du formel.
Dans le cadre de cette réflexion, un accent particulier sera mis sur le conflit opposant la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda à titre. La pertinence de ce choix s’explique par la gravité de la situation conflictuelle en cours opposant ces deux pays ayant causé d’énormes dégâts sur plusieurs plans notamment sur plan humain.
En outre, il faut souligner que les médiations dans le cadre de l’Union Africaine présentent un caractère très politique, notamment par le choix de figures politiques en tant que médiateurs, et elles s’organisent le plus souvent en marge du cadre institutionnel prévu par l’Acte Constitutif. Les faiblesses des médiations de l’UA rendent très importante la collaboration de l’Organisation avec les organisations sous régionales pour garantir l’efficacité du processus.
Prépondérance de figures politiques dans les médiations africaines
Le rôle de médiateur au sein de l’UA, est souvent confié à des chefs d’État ou des anciens chefs d’État. Ainsi dans la crise électorale ivoirienne de 2010 par exemple, l’Organisation a mis sur pied un Groupe de Règlement de la Crise, composé de cinq chefs d’État, chargé d’étudier la situation et de proposer des solutions contraignantes pour les parties ivoiriennes. Les exemples sont évidemment légion.
Cela met en lumière un phénomène caractéristique des États africains : une excessive « personnalisation du règlement des conflits » , puisque souvent, celui qui détient le pouvoir politique s’identifie « dans une certaine mesure avec le pays,soit en tant qu’artisan de l’indépendance, bâtisseur de la nation, ou après un changement de régime, en tant que promoteur du renouveau national.»
La médiation par des chefs d’État bénéficie de la capacité de ces hommes à mobiliser des ressources et des alliés pour soutenir leurs interventions. C’est souvent un moyen pour les États de renforcer leur influence au niveau du continent et de l’Organisation, comme c’est le cas de l’Afrique du Sud, très active dans les médiations en Afrique, notamment avec l’intervention de ses chefs d’État successifs. Ce qui est problématique dans le recours à des figures politiques dans les médiations c’est le fait qu’en général les hommes politiques africains jouissent d’une faible légitimité au niveau interne et souvent ce manque de légitimité se ressent au niveau du continent.
Il serait préférable d’octroyer le rôle de médiateur à des personnalités indépendantes, dont l’impartialité aurait moins de chances d’être remise en cause dans la mesure où ils ne représentent aucun État. Ces personnes auraient plus de crédibilité aux yeux des parties en conflit, notamment lorsque sont impliqués dans les médiations des groupes de rebelles. Comme le dit W. Zartman, « Ce n’est pas l’étendue du pouvoir décisionnel officiel qui détermine l’efficacité relative du tiers dans une résolution de conflit, mais son pouvoir officieux d’obliger les parties à prendre une décision.»
Dans le cadre de l’UA un Groupe des Sages a été mis en place, composée de personnalités indépendantes, n’exerçant pas un mandat politique. Or, malgré l’étendue des pouvoirs qui lui sont conférés, cet organe exerce essentiellement un rôle consultatif dans les processus électoraux. Les processus de médiation dans l’UA sont donc relégués aux organes de l’Union, imprégnés d’un caractère politique.
Le cadre institutionnel de la médiation dans l’UA
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est l’organe central de l’architecture de paix et sécurité de l’Union Africaine. Établi àl’occasion du Sommet de Lusaka en juillet 2001, le CPS a substitué le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution de conflits de l’OUA 3. Doté de pouvoirs plus étendus que le Mécanisme de l’OUA, le CPS est compétent non seulement de la promotion de la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique, mais aussi d’assurer la prévention des conflits, le rétablissement et la consolidation de la paix sur le continent. Le CPS est intervenu par des actions coercitives dans plusieurs conflits en Afrique.
Mais, appuyé par la Commission et le Groupe des Sages, le CPS devait avoir un rôle beaucoup plus important dans les médiations, notamment par le biais d’une intervention diplomatique préventive, dans le cadre du système continental d’alerte rapide. Toutefois, les médiations menées dans le cadre institutionnel de l’UA souffrent du manque de consensus dans le processus décisionnel, entre les États membres et entre les différents organes, et d’un leadership fragmenté en son sein.Même si les rapports entre l’UA et les organisations sous-régionales en matière de médiation ont été institutionnalisés pour faciliter les processus décisionnels dans le continent, dans la pratique cette collaboration trouve encore plusieurs barrières.
La collaboration inter-organisationnelle en matière de médiation en Afrique
L’intervention des organisations sous-régionales et des médiateurs régionaux est un gage de confiance pour les parties en conflit parce que les médiateurs régionaux ont une meilleure connaissance des causes des conflits, des acteurs du conflit et des enjeux qui sont en cause. Les Communautés Economiques Régionales (CER) jouent un rôle de plus en plus important dans la résolution de conflits en Afrique, malgré leur caractère essentiellement économique. La collaboration de l’UA avec les CER a été consacrée par l’Acte Constitutif de l’UA.
Les CER, du fait de leur caractère géographiquement localisé,ont une place privilégiée dans les médiations des conflits dans le cadre de leurs régions respectives. Les rapports entre l’UA et les CER est fondé sur le principe de subsidiarité, ce qui signifie que la prévention, la gestion et le règlement des conflits relève tout d’abord de la responsabilité des CER, dans la limite de ses capacités, en complémentarité avec l’Union Africaine. Mais, cette relation ne doit pas se limiter à une relation de complémentarité, elle doit être une relation de coopération étroite et régulière en vue de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent.
Par ailleurs, l’article 16 du Protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité de l’UA fait des mécanismes régionaux une partie intégrante de l’architecture de paix et sécurité de l’Union et octroi au CPS et au Président de la Commission la mission d’harmonisation et coordination des activités des différentes organisations en matière de paix, notamment dans la phase préventive. Cependant, comme le souligne Mme. BALDE, « la multiplication des acteurs peut être de nature à paralyser la résolution de la crise, voire de l’attiser », dans la mesure où chacune des entités a des approches différentes pour le règlement du conflit, et interviendra avec ses propres méthodes (. Il faut donc mettre en valeur une approche commune sur la base d’une valeur commune à tout le continent : la recherche de la paix.
Le rôle et aptitudes du médiateur
La médiation nécessite une certaine interdisciplinarité. La nature et le contexte du conflit détermine le niveau et le domaine d’expertise dont le médiateur a besoin pour réussir sa tâche. Il est évident qu’en cas de conflit justiciable, les parties doivent être conseillées sur les chances et les risques qu’elles encourent en cas d’engagement de poursuite judiciaire. Cela ne peut être fait que par un juriste. Les conflits intra-entreprises nécessitent souvent une expertise économique, sociologique, psychologique et/ou technologique.
Les conflits de nature écologique peuvent demander des compétences politiques, sociologiques, économiques, technico-scientifiques etc. Durant une médiation familiale, on aura peut-être besoin d’expertise psychologique ou sociale. Dans un conflit médical, un avis de médecin est souvent indispensable. Pour agir en tant que médiateur dans un contexte interétatique, il demeure quasi inévitable d’avoir des connaissances historiques, anthropologiques, de droit international et de politique étrangère.
Toutes ces expertises sont nécessaires à la compréhension d’un conflit et du contexte dans lequel il se situe. Elles servent non seulement à l’analyse et l’évaluation du conflit et au développement d’options de solution, mais aussi à être crédible et respecté dans le rôle de médiateur. Seulement si le médiateur est perçu comme une personne maîtrisant le sujet, il a la légitimité de guider les parties à travers le procédé et à faire valoir les résultats obtenus au cours de la médiation.
Toutefois, il est normal qu’un médiateur arrive à ses limites car il demeure impossible d’anticiper l’étendu du conflit et d’être compétent dans tous les domaines. Il peut alors consulter, surtout durant la phase d’analyse du conflit, des experts neutres. C’est dans la méthode et le processus de médiation, qu’il doit être irréprochable.
La maitrise absolue de sa technique – comment détacher les personnes de leur positions pour les amener à réaliser les structures de profondeur d’un conflit, comment élargir leur champs de vision pour être capable de développer des solutions gagnantes-gagnantes etc. – lui assure une confiance, une authenticité naturelle et du charisme, mettant les parties dans une situation d’assurance et de confiance. De façon générale, on peut résumer le rôle du médiateur en trois grands volets à savoir : la conduite efficace du procédé, l’impartialité et l’équilibrage.
Le médiateur est le tiers dans une constellation de différends. Il n’est pas impliqué dans le conflit mais doit aider les parties à :
Le médiateur est plus qu’un modérateur. Il n’est pas uniquement garant du respect des règles, mais pilote le processus et influence la direction des solutions développées. Il a pour cela tout un éventail de techniques de communication et d’interrogation. Dans des cas de conflits très complexes, l’avis d’experts ponctuels n’est pas suffisant. On assiste alors souvent à des co-médiations, dans lesquelles plusieurs médiateurs, chacun expert dans un domaine particulier, interviennent ensemble en utilisant des effets de synergie.
Les défis de la médiation face au conflit persistant entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda
De prime à bord, il faut rappeler que les origines menant aux hausses de tension récentes en Afrique centrale ne datent pas d’hier. En effet, les relations entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sont marquées par une histoire complexe et tumultueuse. Depuis les indépendances respectives des deux pays au début des années 1960, des interactions sociales, économiques et politiques ont façonné leurs relations. La RDC a souvent servi de refuge pour les populations rwandaises lors de périodes de troubles, notamment après le génocide de 1994. Des centaines de milliers de Hutus, y compris des responsables du génocide, ont alors fui vers l’est du Congo, déstabilisant davantage la région déjà minée par des enjeux à caractère ethnique , .
Depuis les provinces orientales de la RDC, riches en ressources naturelles, ont été le théâtre de conflits impliquant divers groupes armés. Parmi eux, le Mouvement du 23 mars (M23), composé principalement de Tutsis congolais, a émergé en 2012. Le groupe revendique une meilleure représentation et dénonce la marginalisation de leur communauté. Des rapports des Nations unies ont accusé le Rwanda de soutenir militairement et logistiquement le M23, ce que Kigali a toujours nié,, . Ces dynamiques ont exacerbé les tensions entre les deux pays, rendant la région des Grands Lacs instable et sujette à des crises humanitaires récurrentes.
Par ailleurs, le Rwanda considère l’est de la RD Congo à la fois comme une menace existentielle et une manne financière. D’une part, Kigali considère les nombreux groupes armés à sa frontière comme une source d’insécurité et juge Kinshasa incapable de gouverner la région. Les élites rwandaises évoquent ouvertement l’idée d’en faire une « zone tampon», un « Kurdistan », où un groupe rebelle assurerait l’administration locale. C’est exactement ce que fait le M23 : il s’étend progressivement comme une tache d’huile et met en place une administration parallèle en formant diverses coalitions avec d’autres groupes armés.
« Le M23 n’existerait pas sans le Rwanda. On sait que c’est un mouvement qui réussit, parce qu’il est surarmé par le Rwanda, qu’il dispose d’un encadrement hyper sophistiqué. On a plus affaire à une milice relevant de Kigali qu’à un mouvement populaire spontané qui se serait d’un coup déclaré sécessionniste (…) »
D’autre part, le Rwanda exploite cette menace pour sécuriser ses intérêts économiques. Depuis 2016, l’or est devenu son principal produit d’exportation, alors que le pays ne possède pratiquement aucune ressource aurifère nationale. L’or exporté provient donc largement de la RD Congo. Il en va de même pour d’autres ressources, comme le coltan. Le récent rapport de l’ONU a révélé que le M23 facilite l’acheminement d’environ 120 tonnes de coltan par mois vers le Rwanda.
« On a toujours dit que le Congo est un scandale géologique. La RDC est aujourd’hui le troisième producteur de cuivre dans le monde, avec 10% des ressources mondiales. Et le sous-sol congolais produit aujourd’hui 70% de la production mondiale de cobalt dans le monde. Ils ont du nickel, de l’étain, du diamant, de la cassitérite.»
En 2024, les rebelles du M23, auraient exporté illégalement au moins 150 tonnes de coltan vers le Rwanda. C’est du moins ce que révèle un nouveau rapport de l’ONU qui dénonce notamment « la plus importante contamination jamais enregistrée de la chaîne d’approvisionnement en minéraux de la région des Grands Lacs ».
Dans le détail, ce rapport relayé par plusieurs médias internationaux, dont Reuters, indique que le contrôle exercé par le M23 sur les voies de transport menant vers le Rwanda a principalement alimenté ce trafic. Selon l’ONU, les exportations ont démarré après que le groupe a pris le contrôle de Rubaya (une région riche en coltan), puis « imposé » des taxes sur la production des sites miniers de coltan de cette localité située au Nord-Kivu. D’après l’étude, cela aurait permis au M23 d’empocher en moyenne 800 000 dollars par mois, notamment grâce aux exportations effectuées en direction du Rwanda.
En outre, un rapport de Global Witness publié en 2022 a révélé que 90 % des minerais 3T exportés par le Rwanda sont introduits illégalement à partir de la RDC. Plus récemment, la question est revenue au cœur des discussions après que la RDC a accusé le géant américain de l’électronique Apple de s’approvisionner en coltan de contrebande. Des allégations que la société a réfutées, tout en annonçant la suspension de ses approvisionnements en coltan à la fois au Rwanda et en RDC.
Les conclusions de la nouvelle étude de l’ONU viennent alimenter la polémique entourant les origines du coltan exporté par le Rwanda. Pour rappel, en 2023, le pays s’est classé premier parmi les exportateurs mondiaux de ce minerai essentiel dans les processus de fabrication des ordinateurs et smartphones. Sa production était alors estimée à 2070 tonnes, contre 1918 tonnes pour la RDC qui détiendrait entre 60 et 80 % des réserves mondiales, selon les estimations.
Pressions internationales insuffisantes contre le Rwanda ?
Le régime du président Kagame fait face à très peu de condamnations. Quelques déclarations ont été faites notamment par l’Union européenne et les États-Unis qui ont condamné fermement les violences du M23 et la présence du Rwanda en RD Congo. Des blâmes avaient également suivi la publication des rapports de l’ONU, notamment par les États-Unis, l’Union européenne (UE), la Belgique et la France. En 2023, l’UE et les États-Unis ont sanctionné un officier militaire rwandais pour son soutien au M23. Mais la réaction internationale s’est arrêtée là.
Il faut se rendre à l’évidence que le Rwanda est diplomatiquement très efficace auprès de la communauté internationale. Il s’est positionné comme un « Singapour africain », un modèle de développement avec des résultats impressionnants, notamment dans le domaine de la santé, attirant ainsi de nombreux investisseurs et donateurs. Le pays est aussi un contributeur important aux missions de maintien de la paix en Afrique, ce qui lui a valu un grand crédit auprès des puissances occidentales. C’est ainsi que l’UE a récemment accordé 20 millions d’euros de soutien à l’armée rwandaise pour sa mission de maintien de la paix au Mozambique – une décision jugée incompréhensible par beaucoup.
Cependant, ce soutien international n’est pas homogène. De nombreux pays et organisations sont divisés sur la question du Rwanda, y compris au sein de l’UE. La diplomatie belge, par exemple, s’est opposée à l’aide militaire européenne au Rwanda, arguant qu’il est presque impossible de vérifier si cette aide est utilisée au Mozambique ou au Congo. La Belgique a d’ailleurs été le seul pays à s’abstenir lors du vote sur cette aide, , .
Comment expliquer le retrait de l’Angola ?
Le lundi 24 mars 2025 l’Angola a officiellement annoncé qu’elle mettait fin à son rôle de médiateur dans le conflitopposant la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, un dossier majeur dans l’instabilité sécuritaire dans l’Est de la RDC, marquant ainsi un tournant dans le processus de la paix en cours dans cette région si fragile. En effet, Luanda justifie sa décision par la « nécessité de se consacrer plus largement aux priorités générales définies par l’Union Africaine,.»
Toutefois, si l’Angola se retire maintenant, c’est d’abord parce que les autorités angolaises constatent que leur médiation s’achève sur deux échecs. Le premier concerne la rencontre manquée en décembre 2024 à Luanda entre Félix Tshisekediet Paul Kagame. À l’époque, le président congolais avait fait le déplacement, mais son homologue rwandais, lui, ne s’est jamais présenté. Le Rwanda exigeait à ce moment-là que Kinshasa accepte un dialogue direct avec l’AFC/M23. Pourtant, trois mois plus tard, Félix Tshisekedi a quand même rencontré Paul Kagame, mais ailleurs : à Doha, au Qatar. Une entrevue qui a pris de court le chef de la diplomatie angolaise Antonio Tete lequel a publiquement exprimé son étonnement.
Le second fait suite à la tentative de dialogue du 18 mars dernier entre Kinshasa et l’AFC/M23. Cette fois, Kinshasa était présent, mais les rebelles du M23 ont décidé de boycotter les discussions en signe de protestation contre les sanctions européennes visant certains de leurs dirigeants. À cela s’ajoute une méfiance croissante entre Kigali et Luanda, qui rendait cette médiation de plus en plus difficile. Cependant, l’Union africaine n’a pas tardé à prendre une décision et a ainsi proposé le président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, pour reprendre la médiation. Un rôle crucial pour Faure Gnassingbé, désormais validé par l’Assemblée des chefs d’État de l’UA. Sur le terrain, des pourparlers se sont tenus à Doha, au Qatar, entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23. À Goma, dans l’est de la RDC, cette rencontre suscite autant d’espoir que de prudence. Mais la médiation qatarie n’est pas la seule en cours.
Par ailleurs, le choix de Faure Gnassingbé pour succéder à João Lourenço est loin d’être anodin. Le président togolais a acquis ces dernières années une réputation de médiateur discret, engagé dans plusieurs processus de dialogue sur le continent. Sa méthode, centrée sur l’écoute, la diplomatie silencieuse et le pragmatisme, a souvent été saluée.
La proposition de l’Union africaine, formulée lors d’une récente visioconférence de son bureau, témoigne de la volonté de garantir une continuité dans les efforts de paix, malgré les nombreuses impasses rencontrées jusque-là. Des consultations préliminaires entre Lomé et Addis-Abeba auraient été jugées « positives », selon des sources diplomatiques.
Médiation du Qatar, un coup diplomatique ?
Le 18 mars 2025, le président congolais et son homologue rwandais se sont rencontrés à Doha, sous l’égide de l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani. Cette rencontre, la première depuis l’escalade du conflit en janvier 2025, a abouti à un appel conjoint en faveur d’un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » dans l’est de la RDC. Depuis, de nouvelles réunions des délégations respectives ont été organisées à Doha. En effet, le Qatar, de par sa tradition de médiation (en Afghanistan, à Gaza, dans la Corne de l’Afrique et sur plusieurs continents), tente de tirer son épingle du jeu depuis plusieurs semaines entre les deux camps afin de décrocher un cessez-le-feu et un accord de paix.
Depuis de nombreuses années, le multilatéralisme bat de l’aile et il est difficile pour les Nations-Unis de peser dans la balance des négociations de nombreuses crises dans le monde. C’est souvent le cas dans la région des grands lacs sur le continent africain, une région stratégique pour les minerais et terres rares, particulièrement convoitées par le monde entier depuis plusieurs années. Les Etats-Unis ne s’y sont pas trompés, puisque la RDC a quasiment déjà signé un accord avec les Etats-Unis de Trump en échange d’un soutien diplomatique et politique, même si Kagama est soutenu par Washington aussi depuis très longtemps.
C’est là qu’avec le retour d’une certaine forme de bilatéralisme, les puissances régionales jouent un rôle important de « tampon diplomatique ». Il y a celles comme les Emirats qui ont souvent fait le choix des armes, de la Libye au Soudan en passant par le Yémen, et d’autres comme le Qatar qui optent pour la diplomatie. Mais les puissances régionales seront amenées à de plus en plus jouer un rôle de médiateur en dehors de leur propre zone d’influence et que cela concerne la Chine, la Turquie, l’Europe ou l’Arabie Saoudite, ,.
Recommandation
Il est indéniable que la faiblesse des mécanismes de règlement pacifique de conflits en Afrique mène rapidement aux affrontements ouverts, violents et meurtriers. La temporalité de la médiation ainsi que les qualités du médiateur choisi sont des facteurs de réussite et d’efficacité d’une médiation. Trois actions nous semblent urgentes à mette en œuvre.
L’institution continentale devrait investir plus dans les interventions diplomatiques préventives afin de trouver des terrains d’entente entre les parties en litige avant l’éclatement des conflits ouverts. Cela exige trois conditions : une volonté politique des dirigeants africains d’aménager des espaces d’intervention pour l’organisation continentale ; ensuite des investissements financiers et humains dans le système d’alerte précoce existants au niveau de l’UA sont indispensables. Enfin, une coopération plus organisée et effective avec les mécanismes de prévention prévus par les CER doit être réactivé rapidement.
OUSMAN SALEH DAGACHE, juriste spécialiste des Relations Internationales