mai 4, 2025
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ENQUETE : Le M23 ravive la peur d’une « balkanisation » de l’est de la RD Congo

Entre les annexions de pans entiers du Kivu par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, et le retour de l’armée ougandaise dans l’Ituri, pour officiellement lutter contre des groupes armés, de nombreux Congolais redoutent le morcellement de leur pays au profit de leurs voisins.

La mer de cahutes blanches qui entourait Goma s’est asséchée. Près de 700 000 personnes avaient trouvé refuge autour de la capitale de la province congolaise du Nord-Kivu, dans les camps de Lushagala, Bulengo, Lac-Vert et d’autres encore. Face à l’avancée des éléments du Mouvement du 23-Mars (M23), elles avaient préféré planter leurs masures et étaler leurs fines nattes sur les étendues de terre volcanique au pied du volcan Nyiragongo, de crainte d’être la cible d’une cruauté trop bien connue après vingt-cinq ans de guerre… Ou encore de peur d’être victime d’une balle ou d’une bombe tirée à l’aveuglette par des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) sous-dotées et souvent mal formées.

Fin janvier, au terme de trois jours d’intenses combats, le M23, dernier avatar d’une rébellion tutsie née au lendemain du génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994, est entré dans la ville de Goma, accompagné par les Forces rwandaises de défense (Rwanda Defence Force, RDF). Son objectif affiché : la protection de la population, et plus particulièrement des membres de la communauté tutsie de la République démocratique du Congo (RD Congo). Depuis quelques mois, à travers leurs communiqués ou encore leurs prises de parole, les rebelles appelaient au retour des déplacés sur leurs lieux d’origine. Ils ne leur ont finalement pas laissé le choix. En quelques heures, des milliers de personnes ont été entassées dans des camions. Le brouhaha du quotidien qui s’était installé depuis 2022 avec l’arrivée massive de ces déplacés a laissé place au silence. Des habitants racontent que seuls quelques morceaux de plastique et habits oubliés dans l’empressement témoignent du passage des personnes qui avaient fui les combats.

Au micro de RFI, le 2 février, une femme qui erre sur les débris du camp de Kanyaruchinya, au nord de Goma, confie être encore hésitante. Sa maison étant détruite, après tout, quelle différence entre rester ou rentrer ? « La plupart des gens qui ont été forcés de rentrer chez eux ont trouvé leur maison détruite ; ils ont donc dû redéployer leurs bâches des sites de déplacés, mais cette fois-ci sur leurs parcelles », explique au téléphone un ancien chef de site. « De notre côté, nous avons trouvé refuge dans une famille d’accueil à Goma », confie l’homme qui est brièvement retourné sur ses terres mi-mars.

Des terres occupées par d’autres

D’autres témoignages affirment que les retournés ont eu la désagréable surprise de trouver leur parcelle occupée par des inconnus. Selon une enquête réalisée début février par le Programme alimentaire mondial (PAM) dans le Nord-Kivu, « un tiers des ménages retournés ont déclaré que leurs terres étaient occupées ». Et d’ajouter que « plus des trois quarts des retournés ont déclaré ne pas avoir accès à des terres pour l’agriculture ».

Si le PAM n’a pas souhaité commenter, le bureau des Affaires humanitaires de l’ONU affirme début mars que sur le territoire de Rutshuru (une entité administrative à cheval sur les frontières ougandaise et rwandaise) « certains retournés ont retrouvé leurs habitations détruites ou occupées par d’autres personnes qui avaient fui les provinces voisines, ce qui risque de générer des tensions communautaires ». Une version que corrobore notre témoin ainsi qu’une source humanitaire sur place.

Qui s’est installé sur ces terres ? Selon un acteur congolais de la société civile en exil, les nouveaux occupants viendraient des pays limitrophes. Car, pour lui, il ne serait pas logique que « des gens ayant fui leurs maisons et leurs champs situés dans une zone occupée par le M23 se réinstallent dans une autre zone également sous le contrôle du groupe rebelle ».

Des réfugiés devenus des « fardeaux »

En avril 2023, nous avions rencontré Henri (le prénom a été modifié) sur un site de déplacés au nord de Goma. Le jeune homme s’exerce alors à l’art du rap, seule occupation qu’il a trouvée pour tuer le temps et, parfois, gagner un peu d’argent dans les maquis de la principale ville du Nord-Kivu. Quelques semaines plus tôt, il s’était risqué à regagner Bunagana, ville à la frontière avec l’Ouganda dont il est originaire – et la première à tomber entre les mains des rebelles en juin 2022. « Les rebelles y ont imposé des taxes, surtout aux agriculteurs, raconte le jeune homme, et lorsque ceux-ci ne peuvent pas payer, ils confisquent la parcelle : c’est une façon pour eux de s’approprier les terres. »

Bunagana se trouve sur le territoire de Rutshuru, devenu le quartier général du M23. Un chef communautaire de la région, lui aussi en exil, avance que « les personnes qui occupent les maisons disent être des réfugiés congolais au Rwanda venus récupérer leurs propriétés qu’ils avaient abandonnées » pendant les différentes guerres du Congo.

Depuis de nombreuses années, la question des Congolais réfugiés au Rwanda est un point de crispation entre Kigali et Kinshasa. Le 23 mars 2009, l’accord signé entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) – ancêtre du M23, déjà soutenu par le Rwanda – et le gouvernement congolais statuait d’ailleurs que le « retour rapide des personnes déplacées et des réfugiés congolais encore présents dans les pays voisins vers leurs milieux d’origine [était] une nécessité ». Le non-respect de l’accord avait provoqué la naissance du M23, nom inspiré de la date de signature. Las, et en réponse aux accusations du soutien aux rebelles, Paul Kagame avait refusé d’accueillir de nouveaux réfugiés congolais, les qualifiant de « fardeaux ».

D’après un témoin congolais qui a souhaité garder l’anonymat, des navettes régulières seraient organisées entre le Rwanda et le territoire du Rutshuru. Un autre lance sans preuve que ces nouveaux occupants « sont des Rwandais ». Il est en réalité très difficile de déterminer qui sont les nouveaux arrivants : ils partagent bien souvent la même langue que les Rwandais, tandis que certains Congolais réfugiés se sont installés depuis longtemps dans leur pays d’accueil. Mais, selon les chiffres du HCR, le nombre de réfugiés dans les camps au Rwanda, qui accueillaient près de 82 000 Congolais fin février, ne varie que d’une centaine de personnes d’un mois à l’autre… Sollicitées sur ce point et d’autres, les autorités rwandaises n’avaient pas répondu au moment de la publication de cet article.

Administration parallèle

Reste que l’idée de voir des « étrangers » accaparer des terres est très vivace en RD Congo. Un terme revient régulièrement dans la bouche des Congolais ou sur les pancartes des différentes manifestations : « balkanisation ». De l’homme politique au conducteur de moto appelé « wewa », de la femme de ménage à l’homme d’Église, la peur d’être occupé par le voisin rwandais anime de nombreuses conversations. « Le débat autour de la “balkanisation” de la RD Congo surgit chaque fois que le pays traverse une crise politique : les sécessions des années 1960, le contexte de guerre des années 1990 et 2000 et actuellement avec la résurgence de la rébellion du M23 », note une enquête de Godefroid Muzalia et Thierry Rukata du réseau Governance in Conflict.

La définition du terme renvoie au « morcellement politique d’un État, d’un pays ». Une description qui semble, aujourd’hui, particulièrement s’appliquer à l’est de la RD Congo. Bien avant de s’emparer des villes de Goma et de Bukavu, et même bien avant de se fondre dans le mouvement politique de l’Alliance Fleuve Congo en décembre 2023, le M23 avait mis en place un « comité de paix et sécurité » (Copasec) dans le territoire de Rutshuru. Les chefs traditionnels, communément appelés « Mwami », ainsi que les membres de la société civile avaient été remplacés par des proches du mouvement. Plus récemment, de nouveaux gouverneurs de province, qui sont censés représenter le chef de l’État congolais, ont été nommés par le mouvement. In fine, au-delà de la conquête militaire, une nouvelle administration parallèle se met en place dans les zones occupées.

Selon la version des officiels congolais, l’avancée du groupe soutenu par le Rwanda n’aspire qu’à une seule chose : l’exploitation des ressources naturelles de la région. En s’emparant fin avril dernier de la mine de Rubaya, dont le sous-sol recèlerait près de 15 % de la production mondiale de tantale, les rebelles mettaient la main sur une manne financière conséquente. Exportés vers le Rwanda, les minerais transitent, dans un premier temps, par les provinces du Masisi, puis de Rutshuru, selon un rapport du Groupe d’experts des Nations unies de décembre 2024, qui estime que l’AFC/M23 tirerait près de 800 000 dollars (un peu plus de 700 000 euros) de bénéfices par mois des taxes liées à l’exploitation des mines.

 

À la recherche de nouvelles terres

Dans cette région hautement stratégique, les gouvernements congolais et ougandais s’étaient entendus pour construire une route commerciale en 2021. Le but de l’opération était de favoriser les échanges commerciaux entre les deux pays, de facto au détriment du Rwanda, provoquant la colère de ce dernier alors en froid avec celui qui fut son mentor, Yoweri Museveni, le président ougandais. Le M23 sortait de son silence quelques mois plus tard. De nombreuses sources consultées voient en cette résurgence une conséquence directe de l’accord commercial entre l’Ouganda et la RD Congo, bien plus qu’une simple coïncidence liée à l’impatience des représentants du M23, qui essayaient, à Kinshasa, de négocier leur retour au Congo.

D’autres chercheurs estiment que réduire ce conflit latent, qui dure depuis près de trente ans, à des considérations économiques donne une grille de lecture superficielle de la situation. Dans un café chic de la capitale congolaise, un ex-député de l’est du pays en convient. « Il existe une malhonnêteté diplomatique et ce depuis des années », avance-t-il sous le couvert de l’anonymat. Selon lui, le Rwanda fait aujourd’hui face à une saturation de son territoire. Au lendemain du génocide des Tutsis du Rwanda, ce dernier a connu l’un des booms démographiques les plus forts du continent. À peine plus grand que la Belgique, le « petit pays » comptait en 2023 près de 14 millions d’habitants – 483 habitants au km2 –, contre moins de 6 millions en 1994, au lendemain du génocide. « Il n’y a plus de terres arables », croit savoir l’ancien élu.

Car il faut le voir pour le croire. Sur la route entre Gisenyi, à la frontière avec la RD Congo, et Kigali, la capitale, la route sinueuse déborde de piétons et de cyclistes. Chaque parcelle, chaque mètre carré des vallées de ce paysage aux reliefs volcaniques est exploité pour la culture du manioc, du riz et de bien d’autres choses encore. Les nuages qui épousent les cimes des mille collines dévoilent, de temps à autre, les habitations d’agriculteurs qui dévalent les dénivelés par des chemins escarpés. Pour pallier cette saturation de l’espace, Kigali s’est attelé à développer sa diplomatie économique. En mai 2022, la société Eleveco-Congo SAS, dont les actionnaires sont rwandais, a signé un accord avec la République du Congo pour « la mise en œuvre d’un projet agropastoral au lieu-dit “Ranch de Massangui”, district de Yamba, département de la Bouenza », indique le Journal officiel congolais. Un partenariat qui avait créé la polémique à Brazzaville.

Les FDLR, une obsession rwandaise

À Kigali, Frank Habineza, chef de la formation politique le Parti vert démocratique, accueille dans son bureau au troisième étage d’un immeuble tout ce qu’il y a de plus ordinaire pour la capitale rwandaise. À l’époque, en avril 2024, il est candidat à l’élection présidentielle qui doit se dérouler deux mois plus tard. L’un des deux seuls candidats à défier Paul Kagame – Habineza remportera 0,5 % des voix, et son parti conservera ses deux sièges au Parlement. Lui qui souhaite développer un programme axé sur l’agriculture confie : « Le Congo-Brazzaville nous a donné de grandes portions de terrain que nous devrions exploiter. » Il ajoute qu’un accord signé en 2022 existe également avec la Zambie.

Quand vient la question sur le M23, l’opposant rwandais répond qu’ils « se battent pour leurs droits car ils souhaitent vivre dans leur pays ». Avant d’ajouter :

Ce sont des gens qui parlent kinyarwanda et qui sont installés au Congo depuis des siècles. […] Nous savons que cette région du Congo, l’Est, faisait partie du Rwanda [avant la colonisation, NDLR] quoi qu’il en soit tout comme c’était le cas de territoires ougandais ou tanzaniens. Mais quand les colons sont arrivés et qu’en 1885 ils ont décidé la partition de l’Afrique, ils n’ont donné qu’une infime portion au Rwanda et ils ont tout donné aux pays voisins. Et ces personnes, qui vivaient dans ces pays, y sont restées et ont gardé leurs langues, et nous ne pouvons pas revenir en arrière. Aujourd’hui, ces populations vivent en paix en Ouganda et en Tanzanie, pourquoi pas au Congo ?

Discuter avec différentes personnes de différents milieux sociaux à Kigali permet de constater l’adhésion des Rwandais à un discours diffusé par le Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir depuis 1994). Paul Kagame rappelle sans cesse, à raison, que les génocidaires de 1994 ont fui vers les rives du lac Kivu et les versants du volcan Nyiragongo au Congo voisin. Trente ans plus tard, il affirme que leur idéologie anti-tutsie survit au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), à rebours de certains constats dressés par de nombreux chercheurs et journalistes, qui disent qu’elle a été réduite comme peau de chagrin. « Il y a une exagération de la présence des éléments FDLR, c’est le fonds de commerce rwandais », appuie notre député cité plus haut. Un temps chassées par l’armée congolaise, main dans la main avec les Forces de défense rwandaises, les FDLR ont été fondues dans un conglomérat de groupes armés qui, autrefois rebelles, sont devenus des supplétifs de Kinshasa au lendemain de la résurgence du M23 : les Wazalendo.

La confiance entre Kinshasa et Kigali qui semblait s’être installée après la première élection de Félix Tshisekedi, en 2019, était une chimère. D’un côté, les rapports qui documentent la présence des RDF sur le territoire congolais se sont accumulés. De l’autre, sur un coup de sang, et sans doute en voulant jouer sur la corde populiste lors de la campagne présidentielle de 2023, le président congolais avait déclaré qu’à « la moindre escarmouche, [il allait] réunir les deux chambres du Parlement en congrès et [il allait] leur demander l’autorisation de déclarer la guerre au Rwanda ».

« C’est notre sphère d’influence »

« Le Rwanda étant un petit pays, il leur faut créer une profondeur stratégique » le long de la frontière, estime un diplomate européen. « En réalité, 3 000, 4 000 soldats… L’envoi de troupes varie selon la menace qui se trouve en face », poursuit-il. La création de l’alliance « Wazalendo », ou encore l’arrivée de l’armée sud-africaine au sein de la Mission de la Communauté de développement d’Afrique australe en République démocratique du Congo, avait en effet suscité la mobilisation de troupes rwandaises supplémentaires sur le territoire congolais.

Un autre souvenir est récemment venu se rappeler aux Congolais. À l’image de 1996 et 1998, lors des deux premières guerres du Congo, un deuxième voisin s’est invité sur la scène congolaise. Présente dans le cadre d’une opération de contre-terrorisme, l’armée ougandaise s’est installée début mars à Mahagi, dans la province de l’Ituri, bien loin des zones d’activité des Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), des djihadistes liés à l’État islamique. « Désormais, les forces ougandaises vont s’emparer de toute la frontière entre la RD Congo et l’Ouganda. Depuis Lubero jusqu’au nord ! C’est notre sphère d’influence. RIEN ne s’y passera sans notre autorisation », avait tweeté quelques jours plus tôt le général Muhoozi Kainerugaba, chef d’état-major et fils du président ougandais. « Il y a eu une psychose au moment de l’entrée des Ougandais », relate un habitant de Bunia, capitale de la province de l’Ituri.

« Nous avons abordé froidement la question de la balkanisation avec le président ougandais, a confié de son côté à RFI, le 4 mars, le révérend Eric Nsenga, porte-parole de l’Église du Christ au Congo, après une rencontre avec Yoweri Museveni. « Il nous a dit que ce ne sera jamais le cas. » Pourtant, quelques jours plus tard, de violents combats ont opposé les forces ougandaises aux membres de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), groupe mystico-armé qui compte parmi les plus meurtriers de l’est du Congo, et ce, sans le concours apparent des FARDC.

« Dans quel cadre agissent-ils ?, s’interroge un chercheur de la région spécialiste des questions sécuritaires et qui a requis l’anonymat par sécurité, il ne faut pas oublier que l’Ituri est la zone d’influence traditionnelle de l’Ouganda. » « Le cauchemar de la balkanisation a ressurgi avec leur présence », renchérit un habitant précédemment cité. Fin mars, de longues réunions ont eu lieu entre les représentants des états-majors congolais et ougandais pour éclaircir la situation. Selon une personne présente qui a préféré garder l’anonymat, des « propositions ont été envoyées aux hiérarchies » pour coordonner les efforts, « l’objectif premier étant de sécuriser la route nationale 7 », principale voie d’approvisionnement de Bunia depuis l’Ouganda.

Par Paul Lorgerie

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