juillet 4, 2025
LA SOCIÉTÉ "MY MEDIA GROUP " SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU QUOTIDIEN "DAKARTIMES" DERKLE CITE MARINE N° 37. EMAIL: courrierdkt@gmail.com. SITE WEB: www.dakartimes.net.
Economie

Surpêche et exil

Surpêche et exil au Sénégal : aux origines d’une catastrophe

« Si la mer était aussi abondante qu’avant, je peux dire que la situation migratoire ne serait pas ce qu’elle est. » Abdoulaye Sady vit à Ténérife. Issu d’une famille de pêcheurs sénégalais, il a migré en novembre 2020 aux îles Canaries (Espagne) quand la pêche ne lui a plus permis de subvenir à ses besoins.

Des histoires comme la sienne, il y en a des milliers chaque année, révèle un rapport de l’Environmental Justice Foundation (EFJ), publié le 13 mai, sur le lien entre la surpêche et la pêche illégale au Sénégal et l’augmentation de la migration vers l’Europe sur la route atlantique, à la suite de la dégradation des conditions socio-économiques des populations locales.

Secteur essentiel, la pêche occupe environ 3 % de la main-d’œuvre sénégalaise et 10 % de ses exportations en 2023. C’est également la première source de sécurité alimentaire du pays.

Mais le secteur est menacé par la surpêche industrielle européenne et chinoise, qui entre en concurrence directe avec la pêche artisanale nationale. Dans son rapport, EJF dénonce l’opacité des accords de pêche signés ces dernières années avec les industriels étrangers. La multiplication des chalutiers de fond étrangers, plus gros et mieux équipés, constitue une concurrence déloyale à l’égard des pêcheurs artisanaux, privés de poisson dans les premiers périmètres de pêche. « Quand [les bateaux chinois] pêchent, leurs filets attrapent tout, même les plus petits poissons impropres à la consommation. Ils ne trient pas ce qu’ils veulent ou non. Ils prennent tout », regrette Moussa Diop, ancien pêcheur.

S’ajoute à cela la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INDNR). En 2024, vingt-quatre navires ont été arrêtés par les autorités sénégalaises pour pêche en zone protégée, sans autorisation ou encore d’espèces immatures. Cette pratique n’est pas sans lien avec la pêche industrielle étrangère, puisque parmi les chalutiers aujourd’hui munis d’autorisations, certains ont été impliqués auparavant dans des activités de pêche INDNR, notamment des embarcations chinoises et coréennes.

La pêche INDNR est facilitée par les pratiques de dissimulation de certaines structures de pêche industrielles. Pour contourner la législation sénégalaise (qui limite l’accès aux eaux nationales), certaines compagnies étrangères s’associent à des entreprises locales fictives tout en gardant le contrôle du matériel de pêche. « Le manque de transparence permet de cacher l’identité des propriétaires bénéficiaires, ce qui empêche la détection et les sanctions lorsque leurs navires s’engagent dans des activités illicites », explique EJF.

Avec l’explosion de la pêche industrielle et de la pêche INDNR, la population de poissons au large du Sénégal a connu un déclin majeur. Les modèles de reconstitution de capture estiment que 57 % des populations exploitées au Sénégal sont en état d’effondrement. « La seule raison invoquée par les gens est que [le déclin des poissons] est causé par les bateaux étrangers, que ce sont ces bateaux qui ont ruiné la mer », s’indigne Papa Sady Bieng, ancien pêcheur.

La crise du secteur provoque des conséquences directes sur la population sénégalaise : un chômage endémique et une augmentation de la pauvreté. À mesure que les pirogues de pêche artisanale reviennent bredouilles, les espoirs de la jeunesse s’éteignent. La baisse des revenus provoque également celle de la santé des populations locales. Des milliers de jeunes se résolvent alors à prendre la mer pour atteindre l’Europe, dans l’espoir d’une vie meilleure pour eux et leur famille. « Si j’avais été capable de gagner assez d’argent avec la pêche, je n’aurais jamais eu besoin de venir en Europe », confie Memedou Racine Seck, ancien pêcheur et exilé à Ténérife.

Mais la route migratoire n’est pas sans danger. Quand, en 2024, l’Espagne estime qu’environ 46 000 personnes ont migré vers les îles Canaries, l’ONG espagnole Caminando Fronteras indique que, dans la même période, plus de 9 700 personnes y ont trouvé la mort.

L’Environmental Justice Foundation propose des pistes de solution aux institutions directement responsables de cette situation, comme l’extension des zones exclusivement réservées à la pêche artisanale par le gouvernement sénégalais ou le renforcement par l’Europe de la protection des écosystèmes marins en Afrique de l’Ouest.

Finalement, la démonstration la plus saisissante du rapport est le paradoxe de l’Europe, qui mène une lutte acharnée contre l’« immigration clandestine » depuis dix ans tout en sapant, par son industrie, l’économie des pays de départ, créant ainsi les causes socio-économiques des migrations. « Ce qu’ils font, c’est pire que l’immigration. Parce que nous, on prend le risque d’aller en Europe en pirogue, mais eux, ils viennent voler notre poisson », s’indigne Karim Sall, président de l’Association des pêcheurs de Joal et du Comité des réserves maritimes en Afrique de l’Ouest. Par Afrique XXI

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *