L’éducation des filles en Afrique reste entravée par des freins économiques et socioculturels. Pourtant, elle est un levier décisif pour la transformation du continent.
Alors que les pays d’Afrique subsaharienne ont accompli des progrès en matière d’égalité des sexes et enregistré des avancées notables dans le secteur de l’éducation, la scolarisation des filles demeure un défi majeur. Des millions de jeunes filles n’ont toujours pas accès à l’école. Et lorsqu’elles y accèdent, elles la quittent souvent prématurément. Près de 32,6 millions de filles en âge d’aller à l’école primaire et au premier cycle du secondaire ne sont actuellement pas scolarisées. Ce chiffre atteint 52 millions au niveau du second cycle du secondaire. Pourtant, il est établi que l’autonomisation des femmes stimule la croissance économique — une croissance qui ne saurait être durable sans un accès inclusif à l’éducation.
La persistance des barrières socioculturelles
L’éducation des filles en Afrique ne peut être réduite à un simple enjeu d’accès à l’école ; elle suppose de s’attaquer aux inégalités structurelles et aux normes patriarcales qui freinent leur progression.
Les préjugés sexistes, loin d’être propres à l’Afrique, y sont néanmoins profondément enracinés et se reproduisent au sein des structures sociales, y compris dans les établissements scolaires. Ces biais empêchent les filles de se projeter dans des rôles autres que ceux traditionnellement assignés aux femmes. Les contenus pédagogiques contribuent souvent à entretenir ces disparités : les femmes y sont rarement représentées comme des leaders et sont fréquemment cantonnées à des rôles domestiques. Un exemple révélateur : un récent mémo publié par certains ministères au Sénégal autorise les femmes à quitter leur lieu de travail plus tôt durant le Ramadan afin de se consacrer aux tâches ménagères. Loin d’être anecdotique, cette mesure reflète la persistance d’une division sexuée du travail, reléguant les femmes à la sphère domestique tandis que les hommes occupent les postes décisionnels stratégiques au sein des organisations.
L’éducation des filles en Afrique subsaharienne accuse un retard de 30 ans par rapport aux pays développés
Une éducation véritablement inclusive exige donc des politiques sensibles au genre, garantissant un environnement d’apprentissage sécurisé et bienveillant pour les filles. Il est aussi essentiel de réviser les contenus éducatifs pour déconstruire les stéréotypes et encourager les filles à s’engager dans les filières scientifiques et techniques.
Les obstacles économiques ne doivent pas non plus être ignorés. Scolariser un enfant représente un coût significatif, poussant certaines familles à faire un choix entre leurs fils et leurs filles. Le mariage des filles est encore perçu dans de nombreux contextes comme une solution à la pauvreté, ce qui relègue leur éducation au second plan — contrairement aux garçons, dont la réussite est encouragée et soutenue.
Selon la Banque mondiale et l’UNESCO, l’éducation des filles en Afrique subsaharienne accuse un retard de 30 ans par rapport aux pays développés. Il est donc urgent d’abattre le mur de l’inégalité de genre, en consolidant le droit des filles à l’éducation par trois leviers : la sensibilisation des communautés, l’octroi de bourses et d’aides financières aux familles vulnérables, et la création d’un environnement scolaire sûr et inclusif.
Investir dans l’éducation des filles, c’est investir dans l’autonomisation des femmes et dans le développement du continent africain. Mais un véritable changement exige d’aller au-delà du cadre scolaire, pour déconstruire les normes sociales qui assignent aux filles un rôle subalterne dès la petite enfance.
Vers un droit à l’éducation pour les filles
Promouvoir le droit des filles à l’éducation requiert l’engagement de tous les acteurs. Il est nécessaire de proposer des solutions adaptées aux réalités complexes du continent. Tous doivent être mobilisés : société civile, gouvernements et organisations non gouvernementales ont chacun un rôle à jouer. Mais les États africains ont avant tout la responsabilité d’assurer le respect de ce droit, en prenant les initiatives qui s’imposent.
Bien que les États africains se soient engagés à garantir douze années d’enseignement gratuit — du primaire au secondaire — à tous les enfants, filles et garçons, ces politiques souffrent souvent d’une mise en œuvre défaillante, freinée par la pauvreté et les normes socioculturelles qui perpétuent l’inégalité de genre au sein des communautés locales.
« Les femmes consacrent jusqu’à 90 % de leurs revenus au bien-être de leur famille et de leur communauté »
Les gouvernements africains doivent donc engager des réformes concrètes et augmenter les investissements pour que les politiques éducatives garantissent une éducation de qualité à toutes les jeunes filles africaines. Cela implique de lever les barrières sociales à leur scolarisation, de mettre en place des cadres juridiques obligeant à la poursuite de la scolarité jusqu’à 16 ans, de financer l’éducation gratuite et obligatoire en y consacrant une part plus importante des budgets nationaux, et de garantir un environnement scolaire sécurisé et propice à l’apprentissage — notamment par la révision des programmes afin d’éliminer les stéréotypes de genre.
Il est aussi nécessaire de développer des parcours de formation professionnelle pour les jeunes mères et les jeunes femmes vulnérables afin de prévenir leur exclusion, ainsi que de prendre des mesures efficaces contre le mariage précoce. Dans tous les cas, des systèmes de suivi et d’évaluation doivent être mis en place pour garantir l’effectivité des politiques engagées.
Sachant que les femmes consacrent jusqu’à 90 % de leurs revenus au bien-être de leur famille et de leur communauté — contre seulement 30 à 40 % pour les hommes —, il est essentiel de renforcer les ressources juridiques, humaines et financières en faveur de l’éducation des filles. Au-delà de l’amélioration des conditions individuelles, cet investissement constitue la base d’une transformation durable et en profondeur de la société africaine.
Par Stéphanie Manguele, avocate au barreau de Paris et Raby S. Diallo sociologue, écrivaine, présidente de l’association Debbo Femmes d’Afrique et militante pour le leadership féminin (Pour Le Point)