Pékin supprime ses taxes sur les importations de 53 pays africains, à contre-courant des États-Unis. Un geste plus géopolitique qu’économique.
Le 11 juin dernier, en marge d’une réunion Chine-Afrique, Pékin affirmait sa volonté de lever les droits de douane pour la quasi-totalité des pays africains. Parmi les 54 nations que dénombre le continent, seul l’Eswatini ne figure pas sur cette liste, faisant ici les frais de son soutien affiché à la cause taïwanaise. Difficile dans ce contexte de ne pas voir une réponse au raidissement tarifaire lancé par l’administration Trump. Si la guerre entre les deux premières puissances mondiales se poursuit jusque dans les cadres commerciaux imposés à leurs partenaires, la Chine reste fidèle à une stratégie africaine menée au long cours.
Continuité de la stratégie de Pékin
Cette annonce – qualifiée en anglais de zero tariffs – est un signal fort envoyé à l’Afrique et au monde. Pour autant, la dynamique en ce domaine avait été initiée par la Chine avant même la prise de fonction officielle de Donald Trump après sa réélection. En effet, le 1er décembre 2024, les autorités chinoises entérinaient une exemption de droits de douane à destination des pays considérés comme les « moins développés », selon les critères définis par les Nations unies. La mesure concernait alors 33 États africains et avait pour particularité de s’appliquer à 100 % des biens échangés. Aujourd’hui, Pékin entend élargir le spectre de sa politique douanière à vingt nations supplémentaires, dont certaines ont d’ores et déjà rejoint le club des pays à revenus intermédiaires. À l’instar du Maroc ou du Nigeria. Aucune date d’entrée en vigueur pour les nouveaux États concernés n’a pour l’heure été communiquée.
Si ce positionnement vise à consolider l’empreinte chinoise en Afrique, l’entreprise n’est pas à proprement parler nouvelle. « Cette annonce prend la forme d’une continuité politique, il n’y a là aucune rupture », note Xavier Aurégan, spécialiste des relations sino-africaines et chercheur associé à l’Institut français de géopolitique. Rappelant au passage que les premières mesures significatives en matière de droits de douane Chine-Afrique remontent au début des années 2000. Le chercheur préfère attirer l’attention sur le message implicite de l’annonce : « La Chine souhaite incarner un capitalisme antiprotectionniste aux yeux du Sud global, soit l’inverse de Donald Trump. »
En outre, le rival américain expérimente depuis vingt-cinq ans une politique similaire, désormais directement menacée par le second mandat du républicain. Inauguré en 2000 sous la présidence de Bill Clinton, l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) propose la levée des tarifs douaniers pour une série de produits spécifiques à chacun de la trentaine de pays visés. À la différence du modèle porté par la Chine, les États-Unis conditionnent l’accès à ce cadre commercial avantageux au respect des principes démocratiques et de bonne gouvernance. Comme d’autres États avant lui, le Niger fut par exemple exclu de l’Agoa en 2023, quelques semaines seulement après le putsch d’Abdourahamane Tiani. Sur ce plan, Pékin risque à l’évidence d’être moins regardante, comme en témoignent ses liens économiques privilégiés avec certains régimes ouvertement autocratiques.
Une relation marquée par des déséquilibres
Au mois d’avril, l’administration Trump changeait la donne en redéfinissant des droits de douane planchers. En Afrique, les tarifs envisagés oscillent entre 10 % et 50 % de la valeur des biens échangés selon les cas. La République démocratique du Congo (RDC) affiche ainsi un taux de 11 %, quand la Côte d’Ivoire ou Madagascar sont respectivement à 21 % et 47 %. Devant la panique suscitée sur les marchés internationaux, l’implémentation de ces nouveaux tarifs a pour l’essentiel été suspendue jusqu’au 9 juillet 2025. Considérant la vision défendue par Trump sur ce sujet, l’Agoa, qui expire en septembre, a peu de chance d’être reconduit. L’incertitude latente laisse le champ libre à une Chine qui a su maintenir son statut de premier partenaire commercial sur le continent depuis déjà quinze ans. En 2024, l’autorité douanière chinoise chiffrait le volume total d’échanges à plus de 295 milliards de dollars, traduisant une hausse de 6 %.
Le scénario envisagé par Pékin peut ainsi être perçu comme une aubaine. En théorie, la réduction des barrières à l’export permet une meilleure compétitivité des produits africains à destination du plus grand marché intérieur du monde. Mais la relation commerciale continue de souffrir d’importantes disparités. L’Afrique ne représente que de 3 % à 4 % des échanges chinois, lorsque, côté africain, l’ONU estime qu’un échange commercial sur cinq à l’échelle du continent implique la Chine. Des terres rares congolaises au pétrole angolais, l’enjeu des ressources est depuis longtemps devenu primordial pour la montée en puissance chinoise. Ce déficit de la balance commerciale est d’autre part accru par une asymétrie entre le type de biens échangés. Selon un bulletin économique de l’université de Boston daté de 2024, la part des matières premières exportées du continent africain vers la Chine frôlerait les 90 %. En retour, l’Afrique importe des biens chinois pour l’essentiel déjà manufacturés. « Ces matières premières bénéficiaient déjà en pratique d’avantages tarifaires avec la Chine, précise Xavier Aurégan. De mon point de vue, le pacte à venir ne changera pas grand-chose. »
D’autant plus que la conjoncture économique chinoise, marquée par un ralentissement de sa croissance, ne laisse poindre aucune inflexion majeure de sa stratégie. « La Chine n’a aucun intérêt à faire produire ailleurs ce qu’elle fait déjà chez elle. Ce serait attenter à son propre appareil industriel. » Le chercheur pointe ici du doigt la part toujours limitée des investissements directs à l’étranger (IDE) dirigés vers l’Afrique. À l’issue de l’édition 2024 du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), Pékin promettait une enveloppe de 50 milliards de dollars sur trois ans. Sur le papier, seuls 10 milliards sont réservés aux IDE quand le reste prend une forme plus classique de prêts avec intérêt, et dans une moindre mesure d’aides.
Par Hadrien Degiorgi