Emmanuel Macron ne veut rien comprendre
« Je suis le premier président français à être né après les décolonisations, donc on ne va pas être enfermé dans notre passé » [sic] : en huit ans de présidence, Emmanuel Macron n’a pas changé d’antienne dès lors qu’il s’agit de parler de la relation de la France avec l’Afrique. C’est presque mot pour mot ce qu’il avait déjà déclaré en 2017 sur un réseau social, souvenez-vous :
« Je suis d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique coloniale. Je suis d’une génération dont un des plus beaux souvenirs politiques est la victoire de Nelson Mandela sur l’apartheid. C’est ça l’histoire de notre génération. »
Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad… Pourtant, ceux qui ont mis la France dehors sont tous nés bien après la colonisation, les indépendances et parfois même après le président français.
C’est dans le documentaire Afrique-France : le divorce ?, diffusé le 22 juin sur France Télévisions, qu’il a donc choisi de récidiver. Ses propos montrent un président toujours aussi déconnecté, qui n’a appris aucune leçon de ses errances et qui préfère accuser les autres plutôt que de se remettre en question.
À l’entendre, il serait la victime d’un système qu’il aurait hérité, la Françafrique, et qu’il aurait courageusement brisé : « Mes prédécesseurs avaient progressivement changé ce système et je l’ai peut-être arrêté de manière plus radicale, ce qui parfois d’ailleurs n’a pas été compris. » « Je l’assume », dit-il sans rire. Ce n’est pas sa politique qui est mauvaise : ce sont ceux qui la commentent et qui la subissent qui ne la comprennent pas.
Emmanuel Macron peut-il se désolidariser de la colonisation ou de la Françafrique ? S’affranchir de l’histoire du pays qu’il représente au motif qu’à titre personnel il ne peut en être redevable, parce que né après, est d’une malhonnêteté crasse et irresponsable.
On pourrait d’abord lui opposer la survivance, quoi qu’il en dise, de la Françafrique. Afrique XXI a largement écrit sur le sujet, et il suffit de lire la somme L’Empire qui ne veut pas mourir, une histoire de la Françafrique (Le Seuil) – dont aucun des auteurs n’a été interrogé dans le film – pour en être convaincu. Le documentaire tente d’équilibrer le propos présidentiel en montrant l’omniprésence des entreprises françaises en Côte d’Ivoire… Sans vraiment convaincre.
Ensuite, on pourrait lui rappeler ses propres actions dont il ne peut, cette fois, dire qu’elles appartiennent au passé : l’adoubement sans ciller du fils d’Idriss Déby Itno, Mahamat, après un coup d’État constitutionnel en 2021 ; ses langoureuses accolades avec un dictateur sans âge qui s’attaque à toutes les voix discordantes de son pays, le président camerounais Paul Biya… Faure Gnassingbé, Denis Sassou Nguesso… Et tant d’autres compromissions, comme le double standard pour condamner ou non les coups d’État de ces dernières années : le Gabon et la Guinée, qui ne remettent pas en cause la présence française, n’ont pas été traités de la même manière que le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ou encore les félicitations adressées en 2020 à Alassane Ouattara, président ivoirien réélu pour un troisième mandat (il ne devait en faire que deux) et dont le parti vient de le désigner de nouveau « candidat naturel » pour l’élection présidentielle du 25 octobre…
Le documentaire s’attarde sur le Niger, qui a connu un putsch militaire en juillet 2023. Un diplomate en poste à Niamey à l’époque apparaît de dos. Il affirme que sa vie a été menacée lors des manifestations contre la France qui avaient suivi le coup d’État – et ne dit rien d’autre. Lors de ces évènements, l’ambassade de France a certes été attaquée mais, face à des militaires français surarmés et au millier de soldats stationnés non loin, des jeunes Nigériens munis de bâtons et de pierres risquaient-ils de faire le poids ? La réponse est non. Et pourquoi ce diplomate apparaît-il visage masqué pour, à la fin, ne rien dire ? Et pourquoi ne pas rappeler que la France envisageait de chasser les putschistes par la force ? « Nous ne faisons plus ça », dixit le président français. Vraiment ?
Plusieurs journaux ont pourtant révélé les tentatives avortées de l’armée française. Puis, en novembre 2024, devant la Commission de la défense nationale à l’Assemblée, Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du président de la République pour l’Afrique, a lui-même affirmé que 2 000 hommes avaient été mobilisés en Côte d’Ivoire dans l’hypothèse d’une intervention au Niger. « Nous ne faisons plus ça. »…
Si le documentaire d’Alexandra Jousset et Ksenia Bolchakova rappelle certaines bévues d’Emmanuel Macron (les propos paternalistes lors de la réunion des pays du Sahel à Pau, en 2019 ; l’épisode de la climatisation avec Roch Marc Christian Kaboré, le président burkinabé, lors de son discours à Ouagadougou…), le président français n’y répond pas vraiment et balaye toute maladresse.
Et puis il y a les autres : la Russie, et même la Turquie. Les deux journalistes, réalisatrices d’une enquête sur Wagner (Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine, 2022), s’attardent sur l’arrivée de cette société militaire privée (SMP) téléguidée par le Kremlin. Les opérations de désinformation dirigées contre la France sont longuement évoquées. Puis on passe à une autre SMP sans vraiment comprendre pourquoi, turque cette fois. Entre les lignes, le film montre que ces deux entités ont des desseins inavouables : faire la guerre à la France pour l’une, imposer un islam radical pour l’autre, et accaparer les richesses africaines. La France est donc victime d’une guerre idéologique, civilisationnelle même, menée par des pays qui auraient des comportements pires que ceux de l’ancienne puissance coloniale. Cela devant effacer deux cents années de colonisation et de pillage.
« Incompréhension », « crise », « divorce »… Du titre du documentaire aux propos tenus par les personnes interrogées, la sémantique distillée ramène toujours à la notion de couple, à l’épouse ou l’époux éconduit·e, à l’amant ou la maîtresse sournois·e qui détournerait l’Afrique de « l’amour » qu’elle nourrirait naturellement pour la France. Or, si mariage il y eut, ce fut une union forcée, avec viols et abus répétés. Et Emmanuel Macron de se comporter comme le mari violent qui est incapable de reconnaître les cicatrices laissées par les coups portés, et encore moins de s’en excuser, parce que « [il est] d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique coloniale ».
Le président français devrait peut-être écouter l’écrivain Armand Gauz (et lire un peu plus des ouvrages décoloniaux…) qui ouvre et clôture cet étrange documentaire :
« On a l’impression que quand la France a un problème, c’est toute l’Afrique qui a un problème, c’est bien pour ça que je suis là à faire une interview à des Blancs pour expliquer pourquoi on n’aime plus la France en Afrique. » Et de conclure : « Calmez-vous les Blancs, tout va bien, la France n’est en perdition nulle part, on parle votre langue et on la parle plutôt bien, on dit vos poèmes, donc calmez-vous, collez-nous la paix un peu, on va faire deux trois trucs entre nous là, ça va bien se passer. »
Par Afrique XXI