juillet 9, 2025
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Politique

JEAN-FRANÇOIS AKANDJI-KOMBE, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC A LA SORBONNE « Ceux qui prétendent que la démocratie n’est pas africaine se trompent »

Face à la répression et aux coups de force constitutionnels, des révoltes secouent l’Afrique. Elles expriment, selon Jean-François Akandji-Kombé, professeur de droit public à la Sorbonne, une soif de vraie démocratie.

Un vent de colère traverse l’Afrique. Du Togo au Kenya, en passant par la Guinée, le Mali ou la Centrafrique, la rue gronde. Mobilisations spontanées, soulèvements, rejet des coups de force constitutionnels : les citoyens brisent le silence face à des régimes toujours plus autoritaires. Même des démocraties réputées stables, comme le Kenya, vacillent sous la pression populaire.

Portées par une jeunesse souvent en dehors des partis mais avide de justice et de liberté, ces mobilisations démentent une idée tenace : celle selon laquelle la démocratie ne serait pas africaine.

Comment comprendre cette nouvelle vague contestataire ? Quelles en sont les dynamiques profondes ? Juriste, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et coordinateur du Rassemblement unitaire pour la renaissance centrafricaine (Rurca), Jean-François Akandji-Kombé livre son analyse. Entretien.

Le Point Afrique : Depuis quelques mois, on assiste à une résurgence de contestations populaires sur le continent, notamment au Togo, au Kenya, ou encore en Guinée. Comment faut-il comprendre ce phénomène ? Y a-t-il des tendances de fond qui traversent ces contextes différents ?

Jean-François Akandji-Kombé : Ce que vous décrivez n’est pas tout à fait nouveau. Depuis les indépendances, l’Afrique a connu des poussées similaires : des mouvements sociaux qui expriment une soif de liberté, une aspiration profonde à l’émancipation. Mais aujourd’hui, ce qui change, c’est le profil de ces mobilisations. On assiste à des soulèvements plus spontanés, portés par la jeunesse, souvent sans leadership politique traditionnel. Les structures classiques – syndicats, partis, associations – ne sont plus les moteurs. C’est une réponse directe à un sentiment de trahison : celui d’être dépossédés de leur avenir par des régimes qui verrouillent tout, sans laisser le moindre espace d’expression.

Les régimes verrouillent, excluent, répriment.

Le Togo est-il un cas à part ?

Pas vraiment. Ce qui s’est passé récemment au Togo – la modification de la Constitution par une Assemblée hors mandat, dans l’opacité, sans consultation populaire – a été vécu comme un coup de force. Cette confiscation du droit, au profit du pouvoir, provoque une réaction viscérale. C’est ce que j’appelle un « coup d’État constitutionnel ». Et c’est un schéma qu’on retrouve ailleurs, en Centrafrique par exemple, où des tensions sociales très fortes laissent présager de futures explosions. En Guinée, aussi : le colonel Doumbouya avait promis une transition. Il prépare aujourd’hui un scénario de maintien au pouvoir, après avoir taillé une Constitution sur mesure. Le sentiment de trahison est immense.

C’est donc une constante : à chaque verrouillage politique, la rue s’embrase…

Exactement. Les régimes verrouillent, excluent, répriment. Ils mentent ou trahissent leurs engagements initiaux. Face à cela, la seule voie qui reste, c’est celle de la rue, puisqu’il n’y a plus ni liberté d’expression ni espace civique. C’est valable pour le Cameroun, où l’usure du régime est criante, mais aussi pour la Côte d’Ivoire et bien d’autres pays.

Redoutez-vous une nouvelle crise majeure en Côte d’Ivoire ?

J’en ai très peur. Là encore, on assiste à une manipulation juridique : le droit est utilisé comme un outil d’exclusion politique. On revient aux vieilles recettes : la question de la nationalité, de « l’ivoirité  », resurgit. C’est exactement ce qui avait mis le feu aux poudres dans les années 1990. Aujourd’hui, on parle de « centrafricanité d’origine » en Centrafrique… Ce sont des mécanismes d’exclusion, de verrouillage, qui nourrissent la colère et qui, malheureusement, préparent les crises de demain.

Ces jeunes qui descendent dans la rue, au péril de leur vie, ne réclament rien d’autre que la liberté et la reddition des comptes.

Comment expliquez-vous cette capacité presque mécanique des régimes à se refermer sur eux-mêmes, même quand ils sont issus de mobilisations populaires, comme au Mali ou au Niger ?

C’est l’un des grands paradoxes contemporains. Regardez le Mali. Ce qui a provoqué la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, c’était un ras-le-bol généralisé : prédation d’État, élections truquées, manipulation de la Cour constitutionnelle… Les Maliens se sont levés pour dire « assez ! ». Mais à peine le régime tombé, des opportunistes ont ramassé la mise. Les militaires se sont engouffrés dans la brèche. Ils ont présenté leur prise de pouvoir comme un appel populaire, une sorte de retour aux « traditions africaines de gouvernance ». En réalité, c’est une imposture.

Pourquoi ?

Parce que ces régimes militaires ne gouvernent pas selon une éthique collective. Ils usurpent une aspiration au changement pour la transformer en domination autoritaire. Et dès que les anciens activistes commencent à critiquer ou à s’éloigner, ils sont embastillés. On l’a vu au Mali, au Niger, au Burkina Faso. L’opinion, d’ailleurs, commence à se retourner. Ce que veulent les peuples, ce n’est pas l’autoritarisme, mais une gouvernance responsable, une justice sociale, la liberté. Ceux qui prétendent que la démocratie n’est pas africaine se trompent lourdement. Ces jeunes qui descendent dans la rue, au péril de leur vie, ne réclament rien d’autre que la liberté et la reddition des comptes.

Pourtant, ces régimes justifient souvent leur durcissement au nom de la souveraineté ou de la lutte contre le néocolonialisme…

C’est une rhétorique commode. Le néocolonialisme doit bien sûr être combattu avec la dernière énergie. Mais on n’agite ici la souveraineté que pour masquer l’absence de légitimité. Car la souveraineté, ce n’est pas le pouvoir d’un seul ou celui d’un clan. Ce n’est pas écraser ses opposants au nom d’un combat contre l’Occident. Ce discours ne tient plus. Les citoyens ne sont pas dupes. Ils savent très bien faire la différence entre la lutte pour leur dignité et les discours creux utilisés pour justifier la confiscation du pouvoir et la répression.

Ce n’est pas une question d’origine culturelle, c’est une question de dignité humaine.

Peut-on espérer un sursaut, un basculement vers une gouvernance plus ouverte ?

Je reste convaincu que chaque être humain aspire à la liberté. Ceux qui disent que la démocratie n’est pas africaine oublient qu’elle repose d’abord sur des valeurs universelles qui sont aussi africaines : la liberté, l’égalité, l’autodétermination, etc. Ce n’est pas une question d’origine culturelle, c’est une question de dignité humaine. Ce que demandent ces jeunesses en colère, c’est simplement de pouvoir participer aux décisions qui engagent leur destin. Et cette revendication finira par triompher, tôt ou tard. C’est ma conviction.

Propos recueillis par Viviane Forson (Le Point Afrique)

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