juillet 11, 2025
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Politique

Trump, l’Afrique et les deals

Le président américain reçoit cinq présidents africains à Washington pour un mini-sommet sous tension, entre accords miniers, contrôle migratoire et bras de fer avec Pékin.

Du 9 au 11 juillet, Donald Trump réunit à la Maison-Blanche cinq présidents africains triés sur le volet. Objectif : un « mini-sommet » économique et sécuritaire, symbole d’un tournant géopolitique. « Nous passons de l’aide au commerce, a-t-il lancé en ouverture. Il y a un énorme potentiel économique en Afrique, comme dans peu d’autres régions. À long terme, cela sera bien plus efficace, durable et bénéfique. »

De retour sur la scène internationale, Trump impose une politique de rapports de force assumés, avec pour priorité la containment de la Chine. Avant le sommet, il a célébré un premier succès : l’accord entre le Rwanda et la RDC sur les zones minières stratégiques, qualifié de « diplomatie utile ». Peu importe que l’Union africaine soit contournée, seul le résultat compte.

Sur la photo officielle, cinq chefs d’État de pays côtiers – Sénégal, Gabon, Guinée-Bissau, Liberia, Mauritanie – choisis pour leur stabilité relative, leur façade atlantique stratégique et leurs ressources critiques, résume une experte américaine des questions africaines. « Nous ne sommes pas des pays pauvres. Nous sommes riches en matières premières. Mais nous avons besoin de partenaires pour nous aider à exploiter ces ressources », a averti Brice Clotaire Oligui Nguema, président du Gabon. « Vous êtes les bienvenus pour venir investir. Sinon, d’autres le feront à votre place. »

Pourtant, depuis janvier, l’administration Trump a drastiquement réduit l’aide américaine, démantelé l’Usaid, instauré un travel ban frappant plus de 20 pays africains et lancé une guerre tarifaire contre ses partenaires. Jamais en Afrique durant son premier mandat, Trump a laissé une empreinte de mépris : en 2018, il qualifiait certains pays africains et Haïti de « pays de merde ». Sept ans plus tard, le ton a changé, pas la méthode. En mai, il accusait Cyril Ramaphosa d’avoir commis un génocide des Blancs et d’avoir saisi des terres lors d’une rencontre houleuse à la Maison-Blanche. Mercredi, il a maladroitement félicité le président libérien, Joseph Boakai, pour son anglais, lui demandant où il l’avait appris. Ignorant que le Liberia fut fondé par des esclaves affranchis venus d’Amérique, Boakai a dû le lui rappeler. Peu importe : « Nous traitons l’Afrique bien mieux que la Chine ou n’importe qui d’autre n’importe où », s’est vanté Trump, résumant son rapport condescendant au continent.

Contrer la Chine sur la façade atlantique de l’Afrique

Il faut dire que, derrière le discours, l’enjeu est net : verrouiller l’Atlantique africain, empêcher l’implantation de bases navales chinoises, sécuriser les routes maritimes et garantir l’accès aux minerais stratégiques. « Trump applique en Afrique une diplomatie transactionnelle pour limiter l’influence chinoise », analyse Juste Codjo, expert en sécurité internationale. Le général Langley, patron de l’Africom, l’a confirmé : Washington craint les manœuvres chinoises dans la région. Le choix des cinq pays invités, tous en zone sensible, n’est pas anodin. « Trump séduit les plus fragiles pour les arrimer aux intérêts américains. C’est un jeu à somme nulle : ce que gagne Washington, la Chine le perd », avertit Codjo. L’implantation d’une base chinoise sur l’Atlantique serait un bouleversement stratégique majeur.

Derrière ce verrou stratégique, le golfe de Guinée s’impose comme le nouveau cœur géopolitique du continent. Ce vaste espace maritime de plus de 2 millions de kilomètres carrés, du Liberia à l’Angola, est un carrefour essentiel du commerce de pétrole et de gaz, au centre des convoitises. Pékin y a déjà pris une nette avance : 70 % des ports modernes ont été construits ou financés par la Chine, qui a investi plus de 20 milliards de dollars en dix ans et contrôle plusieurs terminaux clés, de Lekki au Nigeria à Kribi au Cameroun. « Pour les États-Unis, contrôler cet axe, c’est aussi freiner les avancées de la Russie et de la Chine sur le continent », confirme l’experte américaine. La sécurité, notamment face aux menaces djihadistes venues du Sahel, s’invite aussi à la table.

Des invités stratégiques… et controversés

Sur le continent, ce format restreint soulève des questions. Là où Joe Biden réunissait 45 dirigeants africains en 2022, Trump mise sur une sélection au profil utilitariste. Umaro Sissoco Embalo, président de Guinée-Bissau, incarne cette logique : depuis la dissolution du Parlement, fin 2023, son pays est gouverné par décret et son mandat, expiré en février, a été prolongé sans élection prévue avant fin 2025. « Apparemment, détenir un port et de la bauxite vaut bien quelques entorses démocratiques », observe ironiquement l’experte américaine.

Même logique au Gabon. Après avoir renversé Ali Bongo, Brice Clotaire Oligui Nguema s’est installé au pouvoir via une transition éclair. Peu importe qu’une plainte pour séquestration et mauvais traitements ait été déposée à Paris par les avocats du fils Bongo : Washington y voit un partenaire riche en manganèse et en hydrocarbures. « Le Gabon étudie la possibilité d’interdire, d’ici à 2029, l’exportation du manganèse brut », souligne Mélodie Jennyfer Sambat, conseillère spéciale du président gabonais. « L’idée est de favoriser la transformation locale afin de capter davantage de valeur ajoutée sur place, explique-t-elle. Cette volonté de souveraineté minière s’étend aussi à d’autres ressources, comme la potasse, utilisée dans les engrais. »

La Société américaine de financement du développement international des États-Unis (DFC) a annoncé plus tôt qu’elle financerait le développement du projet de mine de potasse de Banio à Mayumba, au Gabon, contribuant à réduire la dépendance du pays aux importations. L’intérêt américain ne fait aucun doute. « Les États-Unis cherchent à sécuriser leur accès aux ressources critiques. De notre côté, c’est l’opportunité de structurer un véritable pôle industriel intégré dans la Nyanga », poursuit Mélodie Jennyfer Sambat. Ce partenariat est présenté comme un modèle. « Le Gabon met en avant ses ressources à fort potentiel, les États-Unis apportent financements, expertise et technologies », résume-t-elle.

Mais les enjeux ne sont pas que miniers. « La sécurité maritime dans le golfe de Guinée figure aussi en tête de nos priorités. Le chef de l’État gabonais entend porter une vision de coopération sécuritaire régionale, durable et concertée », confie encore la conseillère, qui évoque la lutte contre les trafics, la piraterie et les instabilités chroniques.

Enfin, le volet migratoire sera également abordé. « Une réponse concertée est indispensable. Elle doit respecter la dignité humaine, reposer sur des accords clairs entre pays de la sous-région, mais aussi sur un nouveau type de partenariat avec les États-Unis. »

Un continent fragmenté

« Ce n’est pas une invitation, c’est une convocation », s’agace une experte américaine des relations Afrique-États-Unis. « Faute de position commune, ces chefs d’État négocieront isolément, sur la base d’un agenda verrouillé à Washington. » Sans coordination stratégique, le continent s’expose à des accords bilatéraux déséquilibrés.

Ce mini-sommet, sans traité formel, sert de ballon d’essai. Une réunion élargie est déjà prévue en septembre, dans le cadre de la nouvelle stratégie atlantique américaine, selon Semafor et Africa Intelligence. Pour Washington, il s’agit de mesurer le degré d’adhésion des capitales africaines à une diplomatie du deal, sans illusions mais avec des promesses concrètes à court terme. Pour les cinq présidents conviés, l’exercice s’annonce périlleux : il leur faudra arbitrer entre intérêts nationaux, attentes américaines et critiques intérieures. Car, derrière les sourires officiels, c’est aussi un bras de fer idéologique : l’Afrique peut-elle encore parler d’égal à égal avec les grandes puissances ou doit-elle se résigner au rôle d’auxiliaire stratégique en échange de quelques contrats ? La question reste ouverte.

Par Viviane Forson

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