août 17, 2025
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Politique

Qui sont les ADF, ces rebelles islamistes qui rêvent d’un califat en Afrique centrale ?

Historien spécialiste des Forces démocratiques alliées, Jaribu Muliwavyo retrace l’ascension de ce groupe islamiste qui, du massacre de Komandaaux forêts de RDC, prospère sur l’effondrement des États.

En Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, une attaque meurtrière a secoué la petite localité de Komanda dans la nuit du 26 au 27 juillet. Plus de quarante civils ont été massacrés, principalement dans une église catholique prise d’assaut en pleine messe de nuit. Hommes, femmes, enfants — une trentaine de morts ont été officiellement confirmés, plusieurs dizaines selon d’autres sources. Les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe rebelle ougandais affilié à l’État islamique, sont tenues responsables de cet épisode sanglant qui ravive la peur et l’insécurité dans une région déjà fragilisée.

Depuis les années 1990, les ADF, nées d’une alliance entre islamistes salafistes et nationalistes ougandais hostiles au régime de Yoweri Museveni, ont trouvé refuge dans les montagnes frontalières du Congo après leur expulsion d’Ouganda. Sous la direction de Musa SekaBaluku depuis 2015, elles ont renforcé leur dimension jihadiste, prêtant allégeance à l’État islamique en 2019, tout en conservant une autonomie opérationnelle marquée.

Historien et chercheur originaire de la région de Beni, Jaribu Muliwavyo* est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de ce groupe. Mémoire vivante du conflit, il a grandi au contact de leurs premières attaques, observé leur implantation dans les villages et documenté leurs tactiques au fil des années. Pour Le Point, il revient sur la résilience inquiétante des ADF et sur les enjeux sécuritaires majeurs que pose leur présence dans l’est du Congo.

Le Point : 43 civils ont été massacrés à Komanda, en pleine veillée de prière. Comment expliquez-vous que malgré les opérations conjointes de la RDC et de l’Ouganda, les ADF frappent encore avec une telle impunité ?

Jaribu Muliwavyo : La faiblesse majeure, c’est l’absence de véritable coordination. Les échanges de renseignements restent limités et opaques. Les deux forces ne disposent ni d’un état-major opérationnel commun, ni d’une logistique partagée. L’armée ougandaise est entrée en action sans réelle mutualisation avec les FARDC. Résultat : des opérations fragmentées et peu efficaces.

À cela s’ajoute le contexte régional, qui se lit en deux séquences. Dans un premier temps, des canaux de dialogue ont été discrètement ouverts avec les ADF. Pour peser dans ces discussions, le groupe a voulu prouver sa capacité de nuisance en multipliant les attaques spectaculaires. Dans un second temps, ces violences se sont aussi inscrites comme une réponse directe aux offensives militaires, un message adressé à la fois à leurs interlocuteurs potentiels et à leurs adversaires sur le terrain : « nous sommes toujours là ».

On présente les ADF comme un groupe d’origine ougandaise, islamiste et armé, allié à l’État islamique. Comment leur idéologie a-t-elle pu s’ancrer dans l’Est de la RDC ?

Les ADF sont « naturellement islamistes », car héritiers de l’idéologie d’Idi Amin Dada, l’ancien dictateur ougandais qui voulait islamiser son pays. Dès les années 1970, il avait envoyé des jeunes se former dans des écoles coraniques au Soudan, en Arabie saoudite ou en Afghanistan. Même après sa chute, cette vision religieuse a perduré chez certains de ses fidèles.

Dans les années Mobutu, certains groupes – parmi lesquels d’anciens partisans d’Idi Amin Dada opposés à Yoweri Museveni – ont trouvé refuge au Congo. Pour Mobutu, leur présence répondait à une logique stratégique : affaiblir indirectement le régime de Museveni, son adversaire régional, en offrant un sanctuaire à ses opposants armés. C’était aussi un moyen de renforcer son influence dans la région des Grands Lacs, en se posant comme un acteur incontournable des équilibres militaires et politiques.

Formés dans des réseaux islamistes transnationaux, ces combattants étaient porteurs de cette idéologie dès leur arrivée. Leur alliance avec des groupes congolais, comme la NALU, leur a permis de s’implanter durablement dans les zones frontalières, tout en bénéficiant de la relative tolérance – voire de la protection – du pouvoir zaïrois.

L’affiliation à l’État islamique, elle, est venue bien plus tard, après 2014. À ce moment-là, Daech, affaibli au Moyen-Orient, a cherché des relais en Afrique et a trouvé dans les ADF un partenaire déjà structuré, partageant une vision religieuse radicale. Depuis, le groupe applique presque à la lettre les mots d’ordre de l’organisation.

L’attaque de Komanda visait une église. Faut-il y voir une guerre de religion ?

Oui et non. Leur idéologie contient clairement un message : s’attaquer aux communautés chrétiennes pour les pousser à se convertir, et ils l’affichent dans leurs communications. Ils ciblent églises, rassemblements et villages chrétiens. Mais ils ont aussi attaqué des mosquées et exécuté des imams. Leur violence reste donc généralisée, même si la dimension religieuse est centrale dans leur discours.

Observe-t-on sur le terrain une confrontation entre islam et catholicisme ou autres religions chrétiennes, notamment les églises de réveil ?

Non. Ici, il existe un œcuménisme religieux : aux grandes rencontres, catholiques, protestants et musulmans sont représentés. Chacun peut prêcher à tour de rôle. Les conflits sont davantage politiques ou stratégiques que religieux. Les ADF s’attaquent à quiconque s’oppose à eux, sans distinction stricte de religion. 

Donc pas de « guerre de religion » au sens strict ?

Pas entre communautés locales, non. Les tensions sont créées par la stratégie des ADF, qui utilisent la religion comme levier idéologique, mais la réalité sociale congolaise est plutôt à la cohabitation religieuse.

Certaines communautés sont-elles particulièrement visées ?

Non. Même si les Nande sont proportionnellement plus touchés, c’est surtout parce qu’ils sont très présents dans les zones où les ADF opèrent, notamment dans le territoire de Beni et ses alentours. Les ADF frappent là où ils trouvent des cibles, pas sur la base d’une animosité ethnique systématique.

Les alliances opportunistes brouillent encore plus les pistes. Un groupe ADF composé de membres vouba peut attaquer des Nande, et inversement, des combattants originaires de communautés majoritairement nande peuvent, pour des raisons stratégiques ou matérielles, se retrouver aux côtés des ADF et viser des Vouba. Les lignes de front ne suivent donc pas les clivages communautaires classiques.

En réalité, la carte des victimes épouse surtout celle des zones d’opération : les populations qui vivent au cœur des couloirs de circulation et des bases arrière des ADF sont mécaniquement les plus exposées. Cela crée l’illusion d’un ciblage ethnique, mais la logique des ADF reste avant tout militaire et opportuniste.

Quelles ressources financières et logistiques possèdent actuellement les ADF, quelle est leur capacité militaire réelle, et qui les finance ou les arme ?

Les ADF disposent de ressources internes importantes qui assurent leur autonomie financière et logistique. Ils exploitent l’or, prélèvent des taxes auprès des agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers, et perçoivent des droits de passage, y compris sur certaines voies de transport et dans les parcs nationaux qu’ils contrôlent. Ils possèdent également des commerces, comme des pharmacies, qui servent de relais logistique.

L’essentiel de leurs ressources provient donc du contrôle local et des activités économiques illégales plutôt que d’un soutien extérieur. Leur réseau repose sur des relais au sein de l’administration, parmi les entrepreneurs et même certains transporteurs locaux, ce qui rend leur système extrêmement résilient et difficile à démanteler.

Ont-ils l’ambition de créer un « califat » ?

C’est leur discours officiel, mais ils n’ont pas la capacité militaire de renverser les gouvernements ougandais ou congolais. En revanche, ils contrôlent déjà de larges portions du territoire, notamment dans le territoire de Beni, au Nord-Kivu. C’est une victoire géopolitique : imposer leur autorité sur des zones où l’État est absent, taxer les populations, exploiter les ressources.

Existe-t-il un risque d’extension régionale ?

Ce n’est pas un risque, c’est déjà une réalité. Les ADF ont des contacts avec les djihadistes du Mozambique, et plusieurs de leurs commandants ont été arrêtés au Burundi, en Tanzanie ou au Sud-Kivu. Nous sommes face à un djihad transfrontalier bien installé dans la région des Grands Lacs.

*Jaribu Muliwavyo est un universitaire et analyste congolais spécialiste des dynamiques sécuritaires dans la région des Grands Lacs. Ses travaux portent principalement sur l’histoire, la géopolitique et les ramifications régionales du groupe armé ADF (Forces démocratiques alliées). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence. Dans Procès contre les rebelles ADF à Beni : récit d’une tragédie politico-judiciaire (L’Harmattan, 2023) et The ADF Warin Ruwenzori (Our Knowledge Publishing, 2023), il mêle analyses de terrain et décryptage des enjeux régionaux. Son dernier ouvrage, Géopolitique de la guerre des Forces Démocratiques Alliées : archéologie, enjeux et stratégies des acteurs (L’Harmattan, 2024), propose une cartographie inédite des alliances, financements et stratégies qui alimentent un conflit aussi opaque que meurtrier.

Propos recueillis par Viviane Forson

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