Yaodia Sénou-Dumartin, docteure en droit et chercheuse à l’IRSEM dans le domaine Stratégies, normes et doctrines, s’est penchée sur la situation politique en République de Guinée. La chercheuse examine, dans cette note publiée par l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM) de Paris, le texte constitutionnel du pays. Dans cette note, elle montre qu’en réaction aux dérives présidentialistes de l’ancien régime, à la suite du coup d’État de 2021, la junte au pouvoir en Guinée présente un nouveau projet de Constitution qui sera soumis à référendum en septembre prochain. A l’en croire, il n’est pas certain que ce projet de Constitution apporte les remèdes aux maux du régime précédent, il pourrait même comporter un risque pour la stabilité du pays.
Pour Yaodia Sénou-Dumartin, l’adoption d’une Constitution peut être source de violences voire poser les jalons d’un conflit armé lors de son écriture ou ultérieurement en raison des dispositions qu’elle prévoit. Dans le contexte guinéen, c’est la seconde hypothèse qui retient l’attention. D’abord, la Constitution peut empêcher certaines personnes ou certains groupes d’accéder au pouvoir. Ensuite, elle peut restreindre les droits humains de toute la population ou de certains groupes en raison de leur appartenance religieuse, ethnique, linguistique. Enfin elle peut opérer une répartition déséquilibrée des compétences entre les pouvoirs publics, c’est-à-dire au bénéfice de certains, le plus souvent l’exécutif, et au détriment d’autres. Cette dernière configuration pourrait aller jusqu’à donner à l’exécutif les moyens d’exercer un pouvoir arbitraire.
C’est à la lumière de ces éléments que peut être apprécié le projet de Constitution guinéen présenté, le 26 juin 2025, par le Conseil national de transition (CNT) au chef de la junte, Mamadi Doumbouya. Ce texte, qui devrait être soumis à référendum le 21 septembre 2025, incarne la volonté du régime issu du coup d’État du 5 septembre 2021 de rompre avec l’ordre constitutionnel antérieur. Dans ce contexte, la présente brève propose un éclairage des principales dispositions du projet de Constitution, sous l’angle de la conflictualité. En vue de saisir la portée du projet constitutionnel et ses incidences possibles sur la stabilité, il est nécessaire de revenir sur le contexte ayant conduit à la tradition. Le coup d’État militaire de 2021 en Guinée trouvait déjà son origine dans une crise constitutionnelle majeure. Le président Alpha Condé, après avoir épuisé les deux mandats autorisés par la Constitution de 2010 – laquelle interdisait toute révision sur ce point – a été alors à l’initiative d’une nouvelle Constitution en 2020. Celle-ci visait à « remettre les compteurs à zéro » et lui permettre de se représenter, tout en allongeant la durée du mandat présidentiel. Cette manœuvre, perçue comme une confiscation du pouvoir, a provoqué une contestation populaire massive, violemment réprimée. C’est dans ce climat de tensions, dans lequel la norme constitutionnelle elle-même devenait un instrument de maintien au pouvoir, qu’a été perpétré le coup d’État. Outre l’arrestation du président Alpha Condé, le général Mamadi Doumbouya, instigateur de cette prise de pouvoir, a décidé de la dissolution des institutions et de la suspension de la Constitution jugée pour partie responsable des maux ayant frappé le régime précédent et motivé son intervention.
L’auteur rappelle qu’à la suite de son accession au pouvoir, Mamadi Doumbouya a promis de rendre la politique au peuple, s’engageant à transférer le pouvoir des mains des militaires à celles des civils et à adopter une nouvelle Constitution. Dans cette perspective, une Charte de la transition a été adoptée, assignant au CNT l’objectif d’élaborer une nouvelle Constitution. Objectif atteint selon le général Doumbouya, qui estimait récemment que l’année 2025 permettra de « parachever le retour à l’ordre constitutionnel ». Supprimant un motif de violences, à savoir la confiscation du pouvoir par le chef de l’État, la nouvelle Constitution porte l’espoir d’un ordre juridique et politique stable. Il est toutefois permis de s’interroger sur un certain nombre d’aspects : la nouvelle Constitution tient elle les promesses présidant à son élaboration – c’est à-dire pallier les défauts de la Constitution précédente – en permettant notamment à tous les groupes politiques d’accéder au pouvoir, réduisant ainsi les motifs de révolte ? Ne contient-elle pas aussi d’autres dispositions potentiellement sources de violences ? Trois thématiques fréquemment à l’origine de tensions peuvent être envisagées afin d’analyser ce risque : l’inclusivité du texte constitutionnel, la fonction présidentielle, le Sénat en tant que contre-pouvoir potentiel.
L’inclusivité
Les divisions entre les minorités sont souvent présentées comme un facteur de conflit. Pour cette raison, sa survenance peut être influencée par la manière dont la Constitution les prend en compte – les intégrant ou les excluant de la communauté nationale. Sur ce point, le projet de Constitution guinéen de 2025 semble réaliser une avancée. L’inclusivité de l’organe en charge de la Constitution entraîne l’intégration dans le texte de dispositions favorables aux différents groupes. Le CNT est en effet composé de 81 membres provenant de segments variés de la société tels que des représentants des partis politiques, des organisations de défense des droits humains, des organisations de femmes, des sages des régions, ou encore des différentes confessions religieuses (même si en réalité il existe une proximité entre les membres et le pouvoir militaire). L’inclusivité se perçoit alors à travers plusieurs dispositions de la Constitution. Le préambule, d’abord, qui consacre la diversité ethnique, linguistique, culturelle et religieuse du peuple. Les langues nationales, ensuite, qui deviennent des langues officielles de la République, alors que sous l’empire des Constitutions de 2010 et 2020 ce statut était réservé à la langue française. Non seulement cette consécration contribue à la reconnaissance des minorités mais également à leur intégration au sein de l’État. Enfin, la Constitution instaure un quota de femmes aux postes électifs et décisionnels.
La fonction présidentielle
Le trait saillant du projet de Constitution concerne la fonction présidentielle puisque le texte modifie aussi bien le statut que les attributions du président. Il restreint l’accès à la magistrature suprême par l’instauration de nombreuses conditions. Au titre de celles-ci, il est notamment nécessaire : d’être de nationalité guinéenne, d’avoir sa résidence principale en Guinée, d’être âgé de 40 à 80 ans. Cette disposition a pour objectif à peine déguisé d’évincer les opposants politiques du pouvoir. Effectivement, l’entrée en vigueur de cette clause conduirait à exclure des candidats sérieux à l’élection présidentielle parce que les principaux opposants sont en exil (Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Alpha Condé) ou dépassent cette condition d’âge (Alpha Condé).
Par ailleurs, la durée du mandat présidentiel est allongée, passant de 5 ans sous l’empire de la Constitution de 2010, à 6 ans sous l’empire de celle de 2020, pour atteindre désormais 7 ans renouvelable une fois. Cette durée étendue est problématique car elle est associée à un exercice effectif du pouvoir. Autrement dit, l’exercice de prérogatives majeures s’inscrit dans un temps long. En effet, le président ne se contente pas d’une fonction de représentation comme cela peut être le cas dans certains régimes parlementaires mais assume la réalité du pouvoir politique au détriment du Premier ministre. Trois dispositions peuvent être mentionnées pour souligner ce rôle politique de premier plan confié au président. D’abord, conformé ment à l’article 63 du projet de Constitution, il « oriente et contrôle la mise en œuvre de la politique de la nation ». Deuxièmement, il dispose du pouvoir réglementaire (art. 64) et troisièmement, il nomme les ministres (art. 85). La combinaison de ces dispositions pourrait conduire au risque, souvent dénoncé, de confiscation du pouvoir au peuple. Le pouvoir serait ainsi exercé par un candidat désigné par le peuple, mais ce choix resterait limité en raison des conditions strictes d’accès à la fonction présidentielle et pour une durée potentiellement très longue (14 ans). En somme, le danger est que le pouvoir soit toujours exercé au service des mêmes intérêts. Le projet de Constitution ressusciterait là des motifs de révolte.
Le Sénat
Le projet innove en introduisant un Sénat absent des Constitutions de 2010 et de 2020. De prime abord, cette nouveauté semble propice à la stabilité politique et à la préservation de la paix. En effet, conformément au discours du pouvoir en place, le Sénat a vocation à assurer une fonction de modération du pouvoir s’érigeant en garde-fou face aux potentielles dérives présidentielles. Cette mission d’endiguement est confortée par le fait que le Sénat assume en Afrique noire francophone un rôle particulier, sociologique, de représentation des communautés traditionnelles ou ethniques permettant d’apaiser les crises. Dans le projet de 2025, les missions possibles du Sénat sont mises à mal pour deux raisons. D’une part, son intervention n’est pas requise pour un certain nombre de matières relevant pourtant du domaine de la loi. D’autre part, un tiers de ses membres est directement nommé par le président de la République mettant en cause son indépendance et sa capacité à s’opposer au chef de l’État ainsi que l’exigence de représentativité des communautés.
En somme, le projet qui doit être soumis à référendum en septembre témoigne d’innovations quant à l’inclusion des différentes minorités au sein de l’ordre juridique. Toutefois, les dispositions relatives au chef de l’État pourraient constituer des motifs de tensions voire de conflits armés : en empêchant certains candidats d’accéder à la magistrature suprême et en confiant l’exercice de nombreuses prérogatives au chef de l’État. Si par certains aspects le projet pourrait apaiser les tensions, par bien d’autres, il ne semble pas tenir les pro messes présidant à son élaboration.
Synthèse de Awa BA