À moins de deux mois du scrutin présidentiel prévu pour octobre 2025, les inquiétudes se multiplient quant à la transparence du processus électoral au Cameroun. En cause : la récente publication par ELECAM (Élections Cameroon), l’organe chargé de l’organisation des élections, d’une liste de 33 000 bureaux de vote à travers le pays — soit 8 200 de plus que lors de l’élection présidentielle de 2018, qui comptait 24 768 bureaux de vote selon les observateurs de l’Union africaine.
Cette hausse brutale soulève des questions, notamment dans un contexte politique où le camp du président sortant, Paul Biya, au pouvoir depuis plus de 40 ans, est régulièrement accusé de manipulations électorales.
Une progression démographique qui ne justifie pas tout
Certes, le nombre d’électeurs inscrits a augmenté, passant de 6,7 millions en 2018 à 8,2 millions en 2025, soit environ 1,5 million de nouveaux inscrits, dont une majorité de jeunes primo votants. Cela représente une hausse de 22 % de l’électorat total. Mais cette progression ne suffit pas, selon plusieurs analystes, à justifier une augmentation de plus de 33 % du nombre de bureaux de vote.
En 2018, avec un taux de participation de 54 %, environ 3,6 millions de Camerounais avaient effectivement voté, ce qui équivalait à environ 270 votants par bureau de vote en moyenne.
8 200 nouveaux bureaux, 1,4 million de votes potentiels
Si le taux de participation pour 2025 reste stable, soit autour de 60 % des 8,2 millions d’inscrits (environ 4,92 millions de votants), les 8 200 nouveaux bureaux pourraient théoriquement concentrer jusqu’à 1,435 million de votes (en prenant une moyenne réaliste de 175 votants par bureau en raison de l’augmentation du nombre d’électeurs). Cela représenterait près de 29 % des votes effectifs du scrutin.
Un chiffre jugé préoccupant, notamment parce que ces nouveaux bureaux ont été rendus publics à seulement 55 jours du scrutin, ce qui rend difficile leur audit par les partis politiques et les observateurs indépendants. Cela pourrait offrir un terrain favorable à des fraudes massives, par bourrage d’urnes, votes multiples ou manipulation des procès-verbaux.
L’opposition et la société civile sur leurs gardes
Des membres de l’opposition et des acteurs de la société civile camerounaise tirent déjà la sonnette d’alarme. Ils exigent plus de transparence dans le processus de création des nouveaux bureaux de vote et un accès équitable aux données électorales, notamment la cartographie des bureaux et les listes électorales par zone.
« Il est impensable que 30 % du vote national puisse se jouer dans des zones non vérifiables ou contrôlées par un seul camp politique », déclare un représentant d’un parti d’opposition sous anonymat.
Des précédents inquiétants
Le scrutin de 2018 avait déjà été entaché de nombreuses irrégularités selon plusieurs missions d’observation, avec des disparités criantes entre le nombre de bulletins distribués, les taux de participation officiellement annoncés, et les résultats finaux. Le contexte sécuritaire dans les régions anglophones avait également facilité des pratiques opaques.
À la lumière de ces éléments, l’annonce tardive des 8 200 nouveaux bureaux de vote soulève des craintes légitimes de fraudes organisées, notamment en faveur du camp présidentiel.
Alors que le Cameroun s’apprête à voter dans un climat politique tendu, la vigilance citoyenne et internationale sera cruciale pour garantir un minimum de crédibilité au scrutin de 2025. Michel DIOUF