C’est avec un cœur plein de chagrin, mais aussi avec un sens aigu de responsabilité, que je m’adresse à vous en ce jour mémorable où notre nation commémore le 67ème anniversaire de son accession à l’indépendance.
En ce jour de mémoire et de fierté, nous devons rappeler d’où nous venons, où nous étions et où nous allons.
Avant 2011, notre pays sortait de décennies d’instabilité et de fragilité. Les institutions étaient minées par la corruption, les services sociaux délabrés, l’économie en panne, les routes impraticables. L’électricité était quasi inexistante, l’agriculture abandonnée, la jeunesse condamnée au chômage ou à l’exil. La Guinée vivait dans une précarité et une incertitude qui empêchaient tout espoir collectif.
En 2011, lorsque vous m’avez confié la direction du pays, le constat macroéconomique était alarmant. En effet, tous les agrégats étaient au rouge : le taux de croissance en termes réels plafonnait à 0,5 %, le déficit budgétaire atteignait 14 % du PIB, essentiellement financé par la Banque Centrale de la République de Guinée à travers l’émission massive de billets de banque (la planche à billets). Il en résultait une inflation à deux chiffres (21 %) qui affectait dangereusement le pouvoir d’achat de la population. Les réserves de change couvraient à peine quinze jours d’importations et l’endettement du Trésor vis-à-vis de la BCRG n’était pas soutenable.
Face à ce tableau sombre, j’ai pris la mesure de cette responsabilité historique. J’ai décidé de renouer le dialogue avec les institutions financières internationales, notamment le FMI et la Banque mondiale. À cet effet, un programme économique et financier formel de trois ans, appuyé par la Facilité élargie de crédit (FEC), a été convenu avec le FMI. Dans la même optique, il a été mis en place un Plan national de développement économique et social (PNDES) pour la période 2015-2020. Ce plan était bâti sur cinq piliers qui couvraient tous les domaines. Nonobstant l’apparition de la pandémie Ebola en 2014, en pleine exécution du programme FMI, la Guinée a conclu avec brio, en 2015, ce premier programme avec le FMI depuis son indépendance en 1958. Cette conclusion a été sanctionnée par l’éligibilité de la Guinée à l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), avec l’annulation de sa dette pour un montant total de 2,1 milliards de dollars sur un stock de 3,2 milliards de dollars environ. Après ce premier programme, le gouvernement guinéen et le FMI ont convenu de faire un second programme FEC de consolidation pour trois ans encore. Ce second programme a été conclu avec succès en dépit de l’apparition du coronavirus en 2020. Ces réformes économiques et courageuses ont permis à la Guinée de réaliser le plus fort cycle économique de son histoire. Les taux de croissance du PIB des années 2016 et 2017 se sont établis à 10,8 % puis à 13,4 %. Pour les années 2018 à 2020, le taux de croissance du PIB était autour de 5,9 %. Durant la période de 2016 à 2020, le taux moyen annuel de croissance du PIB de notre pays était de 10,03 %. Par ailleurs, selon les données issues de l’Institut national de la statistique, le taux de pauvreté est passé de 58 % en 2010 à 43,7 % en 2020.
Guinéennes et Guinéens, chers compatriotes,
Cette stabilité économique et financière, conjuguée à la mise en place d’institutions républicaines, m’a permis de reconstruire notre pays et de bâtir l’État. Ma gouvernance a été consacrée à l’amélioration des conditions de vie des populations, notamment par la réalisation d’infrastructures de base.
Dans le domaine de l’énergie : un effort substantiel a été consenti en termes de production, transport et distribution. Pour la production : deux grands barrages hydroélectriques ont été construits pour une capacité totale de 1000 MW, soit 450 pour Kaléta et 550 pour Souapiti. Un troisième barrage hydroélectrique (Amaria) est en cours de construction pour une capacité de 300 MW. En plus de ces barrages, il a été installé une centrale thermique de 100 MW pour réguler les fournitures d’énergie pendant la période sèche. Dans le cadre sous-régional, les interconnexions entre les États (Côte d’Ivoire, Mali, Sierra Leone, Libéria et Guinée-Bissau), dans le cadre de CLSG et de l’OMVG, étaient en cours de réalisation. Ces réalisations permettront aux quatre régions de la Guinée d’avoir l’énergie 24/24. D’ailleurs, la ligne venant de la Côte d’Ivoire dessert la région forestière depuis septembre 2021. Enfin, on avait obtenu un financement de la Banque européenne d’investissement (BEI) d’un montant de 170 millions d’euros pour la ligne Linsan-Fomi, pour la fourniture additionnelle d’électricité de la Haute Guinée, en plus de la ligne Mali-Guinée.
La politique énergétique menée par la 3e République a donc permis d’installer une capacité totale de 1000 MW, soit sept (7) fois plus de puissance que la 1re République, deux fois plus de puissance que la 2e République, et tout cela dans trois fois moins de temps (8/26 & 8/24 ans). La production en GWh est passée de 608 en 2010 à 2180 en 2019, avec un taux de desserte de 51 % en 2010 à 82 % en 2019. Dans la même dynamique, la demande de pointe en MW est passée de 146 en 2010 à 358 en 2019.
Dans le domaine des infrastructures routières : nous avons construit des milliers de kilomètres de routes bitumées dans tout le pays. Il s’agit notamment de la route Coyah-Dabola pour un montant total de 460 millions d’euros, sur financement de la ligne de crédit convention Guinée-Chine de 20 milliards USD, la voirie urbaine de Conakry, y compris les deux échangeurs de Kagbélen et km 36, pour un montant de 200 millions d’euros sur la même ligne. Les routes Dabola-Kouroussa et Kissidougou-Guéckédou, sur financement de la Banque islamique de développement, Guéckédou-Kondébadougou, sur financement FKDEA, BADEA et GG, la route Coyah-Faramoriya frontière Sierra Leone, sur financement de la Banque africaine de développement, la construction de la route Lola-Nzoo-frontière Côte d’Ivoire avec le financement du Fonds africain de développement (FAD). S’agissant de la ville de Conakry, en plus de la construction des voiries et échangeurs ci-dessus indiqués, nous avions obtenu, auprès des fonds koweïtien et Abou Dhabi, le financement conjoint de la construction des échangeurs de Bambéto et Cosa. Aussi, nous avons eu convention de ligne de crédit auprès de l’Agence néerlandaise pour le développement des entreprises, la construction de cinq ponts (Kankimbo, Kiroty et Lambayi, Demoudoula et Petit Simbaya, Kissosso et Entag, et Kassonya). Ces ponts permettront de fluidifier la circulation dans la grande banlieue de Conakry. Pour le désenclavement des zones de production, nous avons construit, sur financement de la BADEA, les ponts de Koussi (Télimélé), Milo dans la préfecture de Kérouané et de Sankarani, préfecture de Mandiana. Le pont de Soumba, dans la préfecture de Dubréka, a été construit avec la coopération japonaise. D’autres ponts et aménagements ont été faits pour relier les régions entre elles, désenclavant nos populations et modernisant nos villes de l’intérieur. Plusieurs autres grands projets étaient en cours dans presque tout le pays.
Dans le secteur agricole : nous avons engagé une modernisation pour renforcer la sécurité alimentaire et soutenir nos paysans par la mise à disposition d’intrants agricoles dans toutes les localités de production. Nous avions procédé à l’aménagement de grandes plaines agricoles à travers le pays. Le cas le plus illustratif est l’aménagement de la plaine de Koudian dans la préfecture de Mandiana. Toutes les préfectures ont été dotées d’outils agricoles pour soutenir les efforts des paysans. Ce qui a permis à notre pays de booster sa production locale et de réduire considérablement le taux des importations alimentaires.
Dans les secteurs de la santé et de l’éducation : de nouveaux hôpitaux ont été construits, rénovés et équipés, ainsi que des centres de santé et des postes de santé dans toutes les localités. Un accent particulier a été mis sur la gratuité de la césarienne qui visait les couches vulnérables de la population. Aussi, la prise en charge effective des personnes atteintes du VIH (gratuité des antirétroviraux) a permis de réduire le taux de mortalité de ces patients. Également, un effort a été consenti dans la santé prénatale avec l’appui des partenaires au développement. En ce qui concerne l’éducation, nous avions procédé aux constructions, rénovations, extensions et modernisations d’écoles et d’universités pour préparer l’avenir de notre jeunesse. La scolarité des jeunes filles était au centre de notre politique éducative à la base. Mais aussi, et surtout, l’augmentation considérable du traitement salarial des enseignants.
Dans les mines : ce domaine a connu une mutation profonde à travers l’adoption d’un nouveau code minier dont le socle était l’obtention de 15 % de part gratuite de l’État dans tous les projets miniers. Dans cette dynamique, la Société guinéenne de patrimoine minier (SOGUIPAMI) a été créée à cet effet pour gérer cette part au bénéfice de la population. Sur la base de ce nouveau code, nous avons récupéré 828 permis inactifs et lancé des projets structurants, négocié pour plus de valeur ajoutée locale et posé les bases d’une meilleure transparence des projets miniers de bauxite à Boké et du fer de Simandou. Une mine précieuse pour le pays, qui avait été bradée aux étrangers et que nous avons ramenée dans le giron de la Guinée au prix de nombreux sacrifices.
Nous avons également mis en place l’Agence nationale de financement des collectivités (ANAFIC) : il s’agissait d’une volonté novatrice du développement à la base. Nous avions décidé d’affecter 15 % des recettes minières au Fonds de développement local (FDL) pour doter les communes rurales des infrastructures de base. Ainsi, au titre des années 2019 et 2020, cette agence a reçu un budget de GNF 518 milliards et a construit 799 infrastructures dans les 344 CRD. Ces infrastructures concernaient les écoles, centres de santé, marchés, maisons des jeunes, blocs administratifs, etc. La vision derrière cette politique était le partage du fruit de la croissance au bénéfice de la population en vue de réduire drastiquement le taux de pauvreté.
Nous avons créé également la Mutuelle financière des femmes africaines de Guinée (MUFFA) : dans sa politique de l’autonomisation économique des femmes entrepreneures, l’État a créé cette institution de microfinance, offrant des services financiers adaptés à leurs besoins. Pour ce faire, l’État a conclu un accord de ligne de crédit avec Afriland Bank pour financer les PME féminines dont le taux était autour de 2 %. Cette action a permis aux femmes de développer leurs activités dans divers domaines, notamment l’artisanat, la pêche et le petit commerce. L’opérationnalisation de cette structure a débuté par une vaste campagne sur toute l’étendue du territoire, menée personnellement par le chef de l’État, accompagné du président du conseil d’administration du groupe Afriland et du directeur général d’Afriland Guinée. Cette politique a connu un succès sans précédent et a amélioré les conditions de vie des femmes.
Nous avons instauré la fête tournante de l’indépendance dans les sept régionales administratives : l’objectif politique de cette action était de doter toutes les préfectures du pays des infrastructures de base. Ainsi, les blocs administratifs en état de défectuosité avancé ont été complètement reconstruits ou rénovés, les voiries urbaines ont été construites, les garnisons militaires et les logements des hauts fonctionnaires ont été également construits. Aussi, les secteurs éducatif et sanitaire ont bénéficié des écoles modernes, des hôpitaux et centres de santé modernes. Il en est de même pour les éclairages publics par l’installation des lampadaires solaires sur l’ensemble du territoire. Ces actions ont changé radicalement le visage de nos préfectures et restauré l’autorité de l’Etat.
Au niveau de la diplomatie : la Guinée a retrouvé une place de choix en Afrique et dans le monde, respectée pour son indépendance et ses partenariats équilibrés.
Ces réalisations n’étaient qu’un début. Elles montraient qu’avec une vision, la Guinée pouvait redevenir un acteur majeur sur la scène africaine et internationale.
Tous ces efforts ont été faits dans un contexte politique émaillé de plusieurs manifestations politiques qui ont malheureusement enregistré des victimes dans nos familles. Je voudrais, encore une nouvelle fois, adresser mes condoléances à leurs familles, prier pour le repos de leurs âmes et demander pardon au nom de l’État guinéen.
À côté de ces acquis et d’autres, je reconnais qu’il y a eu des erreurs et des manquements que je m’apprêtais à corriger afin d’amorcer un vaste programme de développement qui bénéficiait du soutien et de l’accompagnement de plusieurs partenaires stratégiques à travers le monde.
Hélas, le 5 septembre 2021, ce chemin a été brisé. Au nom de promesses de justice et de refondation, un groupe de bandits a manipulé nos enfants pour prendre en otage notre pays en versant le sang de plusieurs innocents qui étaient au service de la République.
Depuis maintenant quatre ans, la situation de notre pays est plus que dramatique. La démocratie a été enterrée, les institutions confisquées. Les droits humains sont bafoués par des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements brutaux et des disparitions forcées. À ces violences s’ajoutent une justice aux ordres, la peur et la terreur avec l’interdiction de toute contestation. La corruption et l’enrichissement illicite, au détriment des citoyens, ont pris une ampleur dépassant tout entendement. La pauvreté et le chômage se sont aggravés, les populations vivent dans le désespoir.
Aucun projet majeur nouveau n’a vu le jour. Les grands chantiers que nous avions lancés ont été désorientés et désarticulés pour servir à des intérêts mafieux, au mépris de l’intérêt général. Aucun investissement structurant n’a été entrepris. La Guinée est isolée diplomatiquement, privée d’opportunités et de crédibilité.
Au lieu et place de la refondation annoncée, nous vivons la désolation et la peur. Mais je vous le dis avec clarté et détermination : la Guinée n’appartient à personne. La Guinée appartient à son peuple. Ce peuple a le droit inaliénable de choisir ses dirigeants, de protéger ses libertés, de bâtir sa prospérité.
Notre chemin vers la restauration de la légitimité passe par le rassemblement. L’unité est notre force. Nous devons dépasser les divisions ethniques ou partisanes. J’entends et je comprends la colère du peuple. Mais je suis convaincu que la voie la plus durable est celle qui replace la Guinée dans le cadre du droit, de la légitimité et de la dignité pour tous.
À ceux qui ont perdu un proche, à ceux qui souffrent, à ceux qui observent depuis l’exil, je promets ceci : si Dieu le veut, avec la mobilisation de tous, nous allons libérer notre pays des mains de ce groupe de criminels pour redonner au peuple toute sa dignité, sa liberté et sa pleine souveraineté.
En ce 2 octobre, jour sacré de notre indépendance, souvenons-nous : en 1958, nos aînés ont su dire « NON » à la domination. Aujourd’hui, nous devons dire non à cette junte barbare, non aux kidnappings et oui à la démocratie, au rétablissement de l’ordre constitutionnel civil, à la réconciliation et à l’unité nationale.
La Guinée a souffert, mais la Guinée n’est pas vaincue. Notre drapeau flottera toujours comme symbole de courage, de richesse et d’espérance.
Vive la Guinée libre,
Vive la République,
Vive notre indépendance !
Pr Alpha CONDE
Président de la République