octobre 13, 2025
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Economie

Mobilisation de recettes vs inclusion financière : le dilemme de la taxation du mobile money au Sénégal

En Afrique, le mobile money – défini comme “un service transactionnel axé sur les téléphones mobiles qui peut être transmis par voie électronique en utilisant les réseaux mobiles” – a contribué à réduire la pauvreté, renforcer la résilience des ménages aux chocs et soutenir l’activité économique. Un succès qui attire l’attention des gouvernements. Une quinzaine de pays, la plupart en période de fortes contraintes budgétaires, ont introduit des taxes spécifiques sur les Services financiers numériques (SFN). Leur rendement, en moyenne de 1 à 3 % des recettes fiscales totales, reste modeste mais non négligeable pour des budgets fragiles.

En septembre 2025, le Sénégal a lui-même adopté une taxe de 0,5 % sur les paiements, les transferts et les retraits (voir tableau).

J’ai étudié la taxation des SFN en Afrique. Cette mesure ciblant trois des quatre opérations principales, soulève des questions sur les effets potentiels pour l’inclusion financière, les ménages vulnérables et l’équilibre entre transferts formels et informels.

Effets sur l’inclusion financière et les ménages à faibles revenus

Le caractère abordable du mobile money constitue un facteur central d’adoption des services. Ainsi, l’introduction de taxes spécifiques renchérit ces services et peut affecter l’inclusion financière, notamment des ménages pauvres. Ces derniers supportent un fardeau fiscal proportionnellement plus lourd, ce qui peut conduire à un retour au cash ou à l’informel.

Les expériences africaines montrent que ces taxes ont souvent un effet régressif. Au Kenya, l’instauration d’un droit d’accise en 2013 a ralenti la croissance des usages taxés, notamment les envois entre ménages, avec un impact marqué sur les foyers pauvres et nombreux.

En Ouganda, la taxe de 2018 sur la valeur des transactions a provoqué une baisse de plus de 50 % des transferts de personne à personne dès les premiers mois, avant d’être révisée pour ne viser que les retraits. Au Ghana la taxe a entraîné un recul immédiat des transactions et un rejet populaire massif. Malgré une réduction du taux et un recouvrement progressif du taux d’utilisation, la perception négative est restée dominante et la taxe a finalement été supprimée en Avril 2025, après le changement de régime.

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Les opérateurs subissent également des pertes. Au Ghana, ils estiment que les baisses initiales de chiffre d’affaires restent irrécupérables, même après un redressement partiel de l’activité. Au Cameroun, la taxe a diminué la rentabilité de l’activité des agents de mobile money.

Les risques de basculement vers l’informel

Les SFN jouent un rôle clé dans la formalisation économique. L’administration publique peut ainsi avoir une meilleure visibilité sur les flux financiers, élargir l’assiette fiscale et renforcer le contrôle des transactions.

Au Sénégal, la taxe de 0,5 % s’applique aux paiements, transferts et retraits, avec une exonération des dépôts en numéraires et un plafond pour les transferts et retraits. Cette configuration crée une incitation forte à contourner le système. En taxant trop largement les transactions formelles, l’État risque d’encourager le retour aux circuits parallèles et au cash. Ces pratiques pourraient ainsi réduire la traçabilité et affaiblissent les efforts de formalisation.

L’expérience du Ghana avec l’E-Levy illustre ce phénomène : près de la moitié des usagers interrogés déclaraient avoir adopté le cash comme principale stratégie d’adaptation à la taxe. En Ouganda, les opérateurs ont plaidé pour concentrer la taxation sur les retraits plutôt que sur les paiements afin de préserver l’usage numérique.

Le Sénégal, en choisissant de taxer à la fois les retraits et les paiements, neutralise cet effet. En dessous du seuil de 20 000 francs CFA (31 dollars US), il est devenu plus abordable de faire un retrait (gratuit) et de payer en espèces (gratuit). Quand la taxe dépasse 2000 francs CFA (3 dollars US), il est également plus abordable de faire un retrait (payer 2000 francs CFA) et payer en espèces (gratuit) plutôt que de faire un paiement électronique pour lequel la taxe n’est pas plafonnée à 2000 francs CFA.

Que retenir ?

Il faut élargir l’assiette fiscale sans compromettre l’inclusion financière.

La nouveauté des taxes sur les SFN rend leur forme adéquate encore incertaine, mais l’expérience des autres pays africains fournit des enseignements utiles.

Les exonérations rendent les taxes sur les SFN moins régressives afin de mieux protéger les populations défavorisées. Or, la réforme sénégalaise ne prévoit aucun seuil d’exonération pour les paiements et transferts, alors même que les virements bancaires en sont exclus.

L’incitation à la formalisation passe pourtant par une orientation de la taxe vers les retraits et une exonération des paiements. C’était l’esprit de la réforme ghanéenne, où l’exonération des paiements marchands visait à inciter usagers et commerçants à rester dans les circuits formels.

Par ailleurs, taxer modestement les commissions des opérateurs semble mieux toléré par les utilisateurs, même si cette forme peut être plus régressive en raison de l’importance relative des commissions pour les plus faibles transactions. Au Sénégal, les opérateurs prônent une approche semblable au modèle ivoirien en proposant une taxe sur leur chiffre d’affaires. Ils suggèrent une contribution de 2,5 % pendant trois ans au lieu de taxer les utilisateurs.

L’expérience de l’Ouganda, où un processus inefficace et non inclusif a provoqué une période d’adaptation inutile et des révisions fréquentes de la législation, montre l’importance de la concertation avec les acteurs du secteur. Les États doivent accompagner toute réforme d’études rigoureuses, de prévisions réalistes et d’un suivi attentif. Au Ghana, des projections trop optimistes ont conduit à n’atteindre que 12 % des recettes prévues.

Ces expériences démontrent qu’il n’existe pas de modèle unique. Comme en Tanzanie, en Ouganda ou au Ghana, les pays doivent rester ouverts aux ajustements en fonction des réactions et des conséquences. Les perceptions et sentiments des parties prenantes sont essentiels pour guider l’adhésion, et une communication claire peut faire la différence.

Par Awa Diouf, chercheure, Institute of Development Studies, Institute of Development Studies (The Conversation Afrique)

 

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