Léopold Sédar Senghor, poète, philosophe, essayiste et homme d’État sénégalais demeure incontestablement l’une des figures intellectuelles les plus emblématiques du 20ème siècle en Afrique. Malgré le contexte colonial et postcolonial défavorable à l’éclosion de son œuvre littéraire et poétique, sa pensée témoigne toujours encore d’une prégnance et d’une pertinence indiscutables. A travers les concepts de Négritude, d’humanisme et de dialogue des cultures, Senghor propose une vision du monde dont l’actualité et la pertinence transcendent les défis du monde contemporain.
D’abord la Négritude, pierre angulaire de la pensée senghorienne, jouit d’une actualité encore vivace. En mettant en valeur les cultures, traditions et sensibilité africaines, le poète-président a contribué de manière décisive à la restauration de la dignité des peuples longtemps dévalorisés et méprisés par la colonisation. Avec l’essor de la mondialisation où les valeurs identitaires et culturelles sont rudement mises à l’épreuve, la Négritude au sens de Senghor souligne l’importance de l’enracinement culturel et l’affirmation de soi sans rejet de l’autre. Ce postulat trouve tout son sens dans La poésie de l’action où Senghor explique « qu’il faut d’abord s’enraciner dans son terroir, sa culture, pour, à partir de là, assimiler, par cercles concentriques de plus en plus larges, avec les civilisations, toutes les autres cultures, différentes » (Senghor, 1980, 359)
Dans le même ordre d’idées, l’humanisme senghorien qui repose sur le triptyque paix, pardon et dialogue, se révèle être une réponse pertinente aux crises qui assaillent notre époque. En effet, Senghor prône une vision humaniste fondée sur le respect mutuel et la complémentarité des cultures. Son aspiration au célèbre « rendez-vous du donner et du recevoir ou au banquet de l’Universel » invite les peuples à asseoir un dialogue fécond, à s’enrichir mutuellement par leurs valeurs civilisationnelles et culturelles plutôt qu’à s’opposer et à se confronter. Partant de ce postulat, Senghor bat en brèche le choc des civilisations de la pensée Huntingtonienne. Ainsi, dans un monde dominé par les conflits identitaires, raciaux, racistes et par l’intolérance, la pensée senghorienne bâtie sur la paix, l’ouverture et le dialogue, constitue un message profondément moderne et vital.
Par ailleurs, la pensée politique de Senghor garde toute sa vitalité. En effet, il prône un modèle démocratique, politique, économique et social adapté aux réalités africaines (Cf. Liberté II : Nation et voie africaine du socialisme, 1971 ; Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels, 1976) qui puise son essence dans la tolérance et le dialogue. Son attachement aux idéaux de paix, de culture et d’éducation comme levier du développement est une source d’inspiration pour les États africains confrontés pour la plupart à des défis politiques et socioéconomiques majeurs.
Enfin, l’actualité de la pensée de Senghor réside dans son rapport à la langue et à la culture. En faisant recours à la langue française pour exprimer l’identité et l’âme africaines, il a su montrer que la langue du colonisateur pouvait être transformée en un outil de création artistique, de revendication et d’émancipation politique et culturelle. Dans Liberté 1, il précise sa posture comme suit :
Nous, politiques noirs, nous, nous nous sentons, pour le moins, aussi libres à l’intérieur du français que dans nos langues maternelles. Plus libres en vérité, puisque la liberté se mesure à la puissance de l’outil, à la force de création. […] Il est question d’exprimer notre authenticité de métis culturels, d’hommes du XXe siècle (Senghor, 1964, 361)
Cette réflexion montre toute sa pertinence dans les débats actuels sur le multilinguisme, le plurilinguisme, le multiculturalisme et la place des langues africaines. Dans ses écrits, Senghor a toujours témoigné de son profond amour pour l’Afrique et des langues nationales, » car pour demeurer nous-mêmes, nous devons conserver les vertus de l’humanisme nègre dont nos langues sont dépositaires « (Senghor, 1977, 183)
Après l’accession à l’indépendance, il avait préconisé l’introduction des langues nationales dans les programmes du système éducatif. Cette proposition somme toute politico-linguistique, avait déclenché une réaction véhémente de ses détracteurs qui affirmaient : « il a un doctorat en littérature française et une agrégation en grammaire française et veut nous confiner dans les langues locales ». (Senghor, 1968, 5)
En somme, la pensée de Léopold Sédar Senghor demeure profondément actuelle et invite à concilier enracinement et ouverture, identité et universalité. Face aux enjeux du monde contemporain, les idées et l’œuvre de Senghor constituent un outil puissant d’éveil des consciences en prônant la paix et un dialogue des peuples fécondant, enrichissant et égalitaire au plan culturel, économique et social.
Dr Ibrahima DIOP
Enseignant-chercheur
UFR Lettres et Sciences humaines
Université Gaston Berger

