Human Rights Watch déplore la situation des familles sénégalaise déplacées à cause des inondations. Et le pire selon l’organisation, le gouvernement a abandonné ces familles en quête de secours. C’est le cas des populations de Khar Yallavictimes d’inondations côtières. Face à cette situation, HRW appelle le gouvernement à apporter une solution durable aux familles de Khar Yalla.
HRW rappelle que depuis neuf ans, à Khar Yalla, les autorités ont abandonné de fait les familles sénégalaises déplacées à l’intérieur du pays par les inondations côtières depuis la péninsule de la Langue de Barbarie, violant ainsi leurs droits à un niveau de vie suffisant, à l’éducation, à la santé et de prendre part librement à la vie culturelle.
Les autorités sénégalaises n’ont pas inclus ces familles dans un projet de réinstallation planifiée, financé par la Banque mondiale, pour d’autres familles des mêmes communautés touchées par les inondations côtières.
Le Sénégal devrait relocaliser d’urgence les familles de KharYalla vers un site où leurs droits pourront être respectés, améliorer leurs conditions de vie dans l’intervalle, et élaborer une politique nationale visant à garantir les droits lors de futures réinstallations planifiées liées au climat.
Des Sénégalais déplacés par les raz-de-marée que le changement climatique aggrave et rend plus fréquents subissent des violations continues de leurs droits humains, sans aucune solution durable en vue, a déclaré Human RightsWatch dans un rapport publié aujourd’hui.
Ce rapport de 72 pages, intitulé « “Waiting for God”: Flood Displacement and Planned Relocation of Fisherfolk in Saint-Louis, Senegal,” » (« ‘En attendant Dieu’ : Déplacements dus aux inondations et réinstallation planifiée de pêcheurs à Saint-Louis, au Sénégal » – résumé et recommandations en français), concerne des familles qui ont tout perdu lorsque les inondations côtières ont frappé leurs communautés historiques de pêcheurs de la péninsule de la Langue de Barbarie en 2015 et 2016. Elles ont été déplacées vers un site appelé Khar Yalla, que les autorités sénégalaises reconnaissent comme impropre à l’habitation permanente. Par leur inaction, les autorités ont violé leurs droits économiques, sociaux et culturels, et les ont exclues d’une réinstallation planifiée liée au climat, qui a bénéficié à d’autres membres de leurs communautés.
« L’expérience de Khar Yalla montre qu’une planification inadéquate des réinstallations liées au climat peut entraîner des déplacements prolongés, au lieu de solutions durables », a déclaré Erica Bower, chercheuse sur les déplacements liés au changement climatique à Human Rights Watch. « Le Sénégal devrait remédier de toute urgence aux violations des droits à Khar Yalla et élaborer une politique qui garantisse que les futures communautés déplacées par le climat reçoivent un soutien adéquat, notamment une réinstallation planifiée respectueuse des droits. »
Le calvaire des populations de Khar Yalla
Human Rights Watch a mené des entretiens auprès de plus de 100 personnes, dont des personnes déplacées, des responsables gouvernementaux et des experts, et a analysé des images satellite, des publications universitaires ainsi que des documents du gouvernement sénégalais, de la Banque mondiale, d’agences des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales.
Les quelque 1 000 personnes qui vivent à Khar Yalla, à l’extérieur du centre-ville de Saint-Louis, sont issues de communautés centenaires de pêcheurs de la Langue de Barbarie, une zone fortement exposée aux conséquences de la crise climatique. Après avoir perdu leurs maisons lors des inondations côtières et avoir vécu plusieurs mois sous des tentes, les familles ont accepté le projet des autorités locales de les reloger temporairement à Khar Yalla, fin 2016.
Les autorités leur avaient assuré que ce serait une solution de courte durée et leur ont accordé des permis temporaires pour occuper des maisons construites pour un autre projet de relogement destiné à d’autres ménages exposés aux inondations, qui n’avait pas abouti.
Cependant, les familles déplacées sont toujours à Khar Yalla, privées de services essentiels et vivant dans des conditions qui violent leur droit à un logement convenable. Il y a une promiscuité extrême, pas d’électricité et pas de système de traitement des déchets. Le site est situé en zone inondable ; pendant la saison des pluies, les eaux usées pénètrent dans les maisons et contaminent l’approvisionnement en eau.
L’incapacité du gouvernement à fournir les services essentiels à Khar Yalla ou à le connecter aux services d’autres régions a violé les droits des populations à l’éducation et à la santé. On estime qu’un tiers des enfants ne sont pas scolarisés ; un grand nombre de personnes ont dû renoncer aux soins de santé.
Les familles y sont également confrontées à des violations constantes de leur droits à un niveau de vie suffisant et de prendre part librement à la vie culturelle. Les revenus de la plupart des ménages ont été réduits à des niveaux inférieurs au seuil de pauvreté international pour un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure comme le Sénégal, et les gens ont du mal à nourrir leur famille. Les autorités ont échoué à combler ces lacunes.
Les membres de la communauté peinent à maintenir leurs moyens de subsistance liés à la pêche dans la Langue de Barbarie, à cinq kilomètres de là, compte tenu de la distance et du coût élevé des taxis et des bus privés. La perte des moyens de subsistance liés à la pêche a également des conséquences culturelles négatives. La pêche « c’est toute notre vie », a déclaré un homme âgé de Khar Yalla.
Les autorités ont également contrecarré les tentatives des dirigeants de Khar Yalla de reconvertir les personnes dans de nouvelles professions. « Nous n’avons aucun soutien de la part des autorités, et lorsque nous avons essayé de trouver notre propre solution, ils nous ont empêché de le faire », a déclaré une femme à Khar Yalla.
De plus, le gouvernement n’a pas inclus les familles de KharYalla dans le projet de relocalisation permanente, lié au climat, de 15 000 pêcheurs de la Langue de Barbarie vers un site à l’intérieur des terres appelé Djougop, mis en œuvre dans le cadre du Projet de Relèvement d’urgence et de Résilience de Saint-Louis, financé par la Banque mondiale.
Parmi les bénéficiaires figurent plus de 200 familles qui ont également été déplacées de la Langue de Barbarie par les inondations côtières, en 2017 et 2018, puis hébergées temporairement dans des tentes à Khar Yalla. La Banque mondiale et le gouvernement ont réinstallé ces familles à Djougop, après avoir déterminé que Khar Yalla n’était pas un site de réinstallation permanent approprié. Mais les familles déplacées en 2015 et 2016 ont été laissées pour compte.
Une réinstallation planifiée peut faciliter la mise en place d’une solution durable pour les personnes déplacées par les catastrophes climatiques, à condition qu’elle inclue les personnes en situation de déplacement prolongé et que le processus de planification respecte les normes relatives aux droits humains, notamment une consultation significative des personnes affectées. Aucun processus de ce type n’a été mis en place pour les familles qui ont été déplacées en 2015 et 2016.
« Nous nous demandons parfois si les autorités nous considèrent comme des êtres humains », a déclaré Khady Gueye, une dirigeante de la communauté de Khar Yalla. Les responsables gouvernementaux interrogés ont fait preuve d’une méconnaissance de Khar Yalla. Certains ont même nié que les familles aient été déplacées par les inondations.
Le gouvernement devrait apporter une solution durable aux familles de Khar Yalla
Le gouvernement sénégalais est tenu, en vertu du droit national et international, de respecter et de réaliser les droits économiques, sociaux et culturels des personnes et de les protéger des risques raisonnablement prévisibles pour leurs droits, notamment les impacts du changement climatique tels que l’élévation du niveau de la mer.
Le Sénégal a investi davantage que de nombreux pays pour soutenir les communautés déplacées par le climat, mais a injustement laissé les familles de Khar Yalla à l’écart de ces mesures. « Pour atteindre son objectif de devenir un leader mondial en matière d’adaptation au changement climatique, le Sénégal doit mettre fin aux violations des droits humains à Khar Yalla et planifier l’avenir », a déclaré Fatoumata KineMbodji de Lumière Synergie pour le Développement.
Le Sénégal devrait ratifier la Convention de Kampala pour protéger les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Il devrait également élaborer une politique sur la réinstallation planifiée liée au climat, qui prévoie des mécanismes permettant aux communautés déplacées par le climat de demander un soutien, privilégie une consultation significative et établit des critères de sélection des sites de réinstallation afin de garantir le respect des droits des bénéficiaires tout au long de la réinstallation.
La Banque mondiale devrait également réformer ses politiques. Les politiques actuelles ont été conçues pour les réinstallations effectuées dans le cadre de projets de développement, qui sont fondamentalement différentes des réinstallations planifiées liées au climat. Les nouvelles politiques devraient exiger des pays bénéficiaires de ces projets qu’ils identifient les personnes déplacées pour les périodes les plus longues et qui ont besoin d’une solution durable.
« Il est urgent que le Sénégal et la Banque mondiale changent de politique car les réinstallations planifiées ne feront que se multiplier à mesure que la crise climatique s’intensifie », a conclu Erica Bower. « Les politiques devraient être axées sur les droits des personnes déplacées par la crise climatique, comme les familles de Khar Yalla. »
Avec HRW