Cette crise qui vient d’éclater au Soudan, était prévisible depuis plusieurs années. La crise en tant que telle, était en gestation, depuis la chute du président Oumar El Bechir, l’ancien président du Soudan. Ce dernier avait formé cette force avec à sa tête le général Hamdan Dagolo dit «Hemiti» pour secourir le gouvernement soudanais contre la rébellion du Mouvement Justice et Egalité (MJE) crééeet soutenue par le régime d’Idriss Deby au Tchad contre le Soudan. Les Forces de Soutien Rapide (FSR) étaient en quelque sorte, une Force Spéciale supplétive à l’armée soudanaise.
Ce mouvement est constitué de presque 95% des Zagawas(éthnie d’Idriss Deby) soudanais cousins et frères des Zagawastchadiens au pouvoir au Tchad. C’est le point de départ de la naissance des Forces de Soutien Rapide (FSR) dirigées par le général Hemiti. C’est grâce à cette force qu’il avait décapité les rebelles Zagawas du Darfour. Ainsi, depuis lors, la Force de Hemiti a été considérée comme un groupe supplétif de l’Armée soudanaise sous le magistère d’Oumar El Bechir. Ce groupe était vu comme une force venue sauver la mère patrie. Depuis lors, Hemiti et sa Force sont associés dans toutes lesstratégies militaires mises en place par l’Etat soudanais, qui avait même envoyé cette Force au Yémen sur la demande des autorités saoudiennes.
Lors des manifestations de la population soudanaise contre le président El Bechir, ce dernier avait déployé cette Force sur le terrain pour réprimer les manifestants. Mais le Général Hemiti avait une autre lecture de la situation, que les autres généraux de l’armée n’avaient pas.
Le président Oumar El Bechir croyait pouvoir utiliser Hemiti et sa force à sa guise pour se maintenir au pouvoir. A l’époque, les FSR étaient à l’Ouest, près de la frontière tchadienne. Lorsqu’elles sont arrivées à Khartoum, Hemiti, après avoir analysé la situation politique, avec les manifestations dirigées par les jeunes, il décida d’influencer les choses en se rangeant du côté des manifestants. Hemiti était parti voir El Bechir pour lui dire que, vu la situation socio politique du pays, il était dans l’impossibilité de faire intervenir les FSR. Hemiti lui a clairement dit qu’il ne pouvait pas sauver son régime contre la volonté populaire. Et que, la seule chose qui lui restait, c’était de quitter le pouvoir. El Béchir n’en revenait pas.
Suite à cette décision, le Hemiti est entré dans l’histoire par la grande porte. Il devient un homme influent et incontournable dans le jeu politique soudanais. Ainsi, de simple général à la tête d’une force de soutien rapide à l’armée soudanaise,l’homme devient un acteur clé plus influent que les hauts gradés de l’armée sortis des grandes écoles militaires occidentales.
Il a organisé la transition avec les autres généraux de l’armée. Et plus tard, il soutient le choix fait sur le général Burhan. Les relations entre les deux hommes se sont détériorées lorsque des faucons ont poussé le Général Burhan à se débarrasser de Hemiti. Ce dernier sera ensuite, accusé d’être pro-russe. Ainsi, il fallait neutraliser Hemiti pour ouvrir un boulevard libre à Burhan.
Selon des sources proches du général Burhan, ce dernier aurait confié à ses proches qu’il était dans l’impossibilité de neutraliser Hemiti et les FSR. Toutefois, les faucons de Burhan avaient établi un plan pour liquider le patron des FSR en espérant un soutien de Ndjiamena et de la tribu des Toroboros soudanais. Les Toroboros sont des Zagawas déchus par Hemiti qui seraient aujourd’hui enrôlé dans l’arméeTchadienne. Certains seraient recrutés comme mercenaires en Libye.
D’ailleurs, aujourd’hui, c’est toute la difficulté d’Abdoulaye Bathily, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Conseil de sécurité. Car, au delà des divergences politiques internes, il devrait trouver une solution pour renvoyer les mercenaires tchadiens et soudanais de la Libye, vers leur pays respectif. Par exemple, plusieurs milliers de groupes politico militaires tchadiens vivent sur le territoire libyen. Or, la résolution de la crise libyenne devrait passer d’abord par le retourde ces groupes armés tchadiens et libyens chez eux. Au pire des cas, il faudra les installer au niveau des frontiéres afin d’assainir l’espace politique libyen.D’ailleurs, un leader de groupe politico militaire tchadien trés influent, résidant à Misrata, est prêt à aider le sénégalais en ce sens.
Alors, le général Hemiti a tué le plan de sa liquidation dans l’œuf. Il l’a déjoué avant de lancer une attaque contre Burhane, en coupant l’herbe sous les pieds des faucons. Au vu de toute cette crise au Soudan, peut-on dire que la guerre en Ukraine se poursuit en terre africaine entre Occidentaux et Russes ? Aujourd‘hui, il est clairement établi que Burhane est soutenu par Washington et Caire. Et, Hemiti est allié à Riyad. Il bénéficie également du soutien de la Russie. D’ailleurs, récemment, les FSR ont déjoué un coup d’Etat à Bangui contre le régime de Touadéra soutenu par Moscou. Selon certaines sources, presque ¾ de l’armée soudanaise auraient rejoint Hemiti. Une victoire de ce dernier renforcerait la présence russe au Soudan situé dans une région géographique,hautement stratégique au plan économique, sécuritaire etgéopolitique. Le Soudan est arrosé au Nord-Est par la Mer rouge qui lui sert de frontière avec le lieu saint de l’Islam l’Arabie Saoudite.
Cette crise au Soudan risque d’avoir des conséquences énormes sur la Libye, le Tchad et la Centrafrique. Certaines sources militaires accusaient le président Idriss Déby d’être parmi les responsables de cette crise avec ses parents Toroboros (Zagawas du Soudan), qu’il a toujours soutenu militairement et financièrement. Les Occidentaux ont également voulu s’appuyer sur leur allié Idriss Deby pour se débarrasser d’Omar El Béchir poursuivi par la CPI.
Aujourd’hui, même si la crise se déroule au Soudan, une bonne partie de ses racines est, sous le sol tchadien. Et,certains caciques de la junte au pouvoir à Ndjiamena,devraient être préoccupés du fait des risques de contamination et de la responsabilité directe de certains officiers tchadiensdans cette crise. En outre, plusieurs hauts gradés de l’armée tchadienne sont impliqués dans des trafics illicites organisés à partir du territoire soudanais. Ce pays qui leur sert de base arrière et de zone d’échanges commerciaux criminels, pourrait tomber entre les mains du Général Hemiti. Si c’est le cas, les hauts gradés tchadiens risquent de perdre tous leurs biens cachés dans ce pays.
A l’instar du Soudan, la Centrafrique et la Libye sont également victimes des manœuvres politiques destructrices, d’Idriss DEBY qui voulait étendre son influence sur tous les pays voisins du sien, jusqu’au Mali. Des groupes ethniques Zagawa aidés par Ndjamena ont voulu accéder au pouvoir en Centrafrique et au Soudan en s’appuyant sur des alliances locales dans chaque pays. Pour l’ex homme fort de Ndjamena, il fallait dégager le pro-russe de Bangui et le candidat à la CPI El Béchir du Soudan. Il avait le soutien de ses alliés français pour cela. Idriss Deby était l’allié sur qui, la France voulait s’appuyer pour reprendre le contrôle du pouvoir à Bangui en dégageant d’abord le pro-russe Touadéra. En Libye aussi, des mercenaires Toroboros soudanais (soutenus par Ndjamena) auraient été envoyés aux côtés du Général Aftar contre le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Il faut humblement reconnaitre que, si rien n’est fait, ces événements malheureux qui se déroulent au Soudan, auront des répercussions en Afrique Centrale jusqu’en Libye sans épargner le Sahel.
Mamadou Mouth BANE