avril 19, 2025
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Politique

Anta Babacar : « C’est le combat du peuple sénégalais »

INTERVIEW. Seule femme candidate à la présidentielle du 25 février, Anta Babacar Ngom est vent debout contre la décision du président Sall de reporter le scrutin.

En ligne ce jeudi après-midi depuis Dakar, Anta Babacar ne décolère pas. Dimanche 4 février, au lendemain de l’annonce par le chef de l’État Macky Sall du report de la présidentielle du 25 février, la capitaine d’industrie, jusqu’à très récement à la tête du groupe familial spécialisé dans l’aviculture Sedima, et seule femme candidate avait tenu à être sur le terrain afin de marquer ce qui devait être le premier jour de la campagne électorale, lorsqu’elle a été violemment interpellée par les forces de sécurité avec plusieurs militants et sympathisants. Depuis cet événement, la fondatrice du mouvement Alternative pour la relève citoyenne (ARC) qui a parcouru tout le pays pour se faire connaître et convaincre sur son projet présidentiel, a rejoint avec d’autres opposants la plateforme « Aar sunu election » (protégeons notre élection, en wolof) qui tient sa première grande mobilisation générale ce vendredi 9 février. Objectif : faire reculer le président Macky Sall par tous les moyens. Interview.

Le Point Afrique : Comment avez-vous réagi à l’annonce du président de reporter le scrutin ?

Anta Babacar Ngom : J’ai été choquée et extrêmement déçue. Macky Sall semble prêt à tout pour mettre le pays en feu pour préserver ses intérêts personnels, et c’est regrettable. Il y a actuellement un calme précaire dans les rues de Dakar, un silence qui m’inquiète, parce que d’une seconde à l’autre nous savons que ça peut exploser. Les Sénégalais sont déterminés à ne pas reproduire les événements de mars 2021 et de juin 2023. Ils ne se laisseront pas faire. Ce report n’est pas un simple ajustement de calendrier, tout le monde le sait.

Quelle est votre compréhension des arguments du président, notamment sur le conflit entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel ?

Ce sont des arguments qui ne tiennent pas. Nous ne sommes pas dans une crise institutionnelle. Le pays et les institutions continuent de fonctionner. Des institutions peuvent être en désaccord, c’est normal, ça peut arriver dans une démocratie, mais les solutions existent. Le fond du problème ne concerne que peu de candidats. Il aurait été très simple de trancher tout en maintenant la date de l’élection présidentielle.

Aviez-vous confiance dans le processus électoral ?

Il est vrai que nous n’avions pas confiance dans le processus électoral en cours. Mais cela fait quatre ans que nous souffrons et nous voulions sortir de cette gouvernance. Ces dernières années le pouvoir a pris un tournant plus dictatorial avec des arrestations et détentions arbitraires, des détenus politiques et d’opinions, le droit de manifester pacifiquement est régulièrement bafoué, la liberté d’expression si chère aux Sénégalais a été réduite à sa portion congrue. Ces élections nous inquiétaient, néanmoins, nous avions décidé d’y aller. Nous nous sommes prêtés au jeu et nous n’avons pas hésité à nous investir humainement, financièrement pour aller en précampagne et surtout pour collecter les parrainages. C’était extrêmement difficile. Pour notre part, nous avons fait le tour du Sénégal plus de deux fois. Nous avons été gazés et attaqués par les forces de défense et de sécurité à deux reprises pendant la période de pré-campagne. Mais nous avons fait face parce que nous avions l’espoir de faire bouger les lignes.

Nous avons engagé des frais, travaillé sérieusement, de façon structurée et méthodique. Je suis la première femme de l’histoire politique du Sénégal à passer le cap du parrainage. Il est inimaginable de s’arrêter aujourd’hui et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les Sénégalais puissent choisir en toute liberté le cinquième ou la cinquième président (e) de la République du Sénégal.

Avez-vous entrepris des démarches pour faire invalider le report voté par l’Assemblée nationale ?

L’opposition a décidé de mieux se structurer ces derniers jours autour d’un forum, le FC25 qui réunit le front des candidats à la présidentielle du 25 février 2024. Pour aller plus loin, nous avons rejoint la nouvelle plateforme « Arr sunu election ». Nous ne voulons pas mener le combat pour nos candidatures, ce combat est celui du peuple sénégalais. Cette plateforme a l’avantage de rassembler toutes les forces vives de la nation. Son objectif est de mettre en place un plan d’action pour faire entendre raison au président Macky Sall. Parce qu’à compter du 2 avril à minuit, Macky Sall ne peut plus prétendre être le président de la République du Sénégal et sera considéré comme un imposteur.

C’est un véritable putsch

Nous avons prévu avec d’autres candidats d’aller déposer au plus tôt un recours devant la Cour suprême. Nous espérons qu’elle interpellera le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale pour revenir sur cette loi qui est totalement infondée, injustifiée et illégale. Nos institutions ne devraient pas prendre part à un coup d’État constitutionnel. C’est un véritable putsch et nous souhaitons que le pouvoir revienne à la raison. En parallèle, le peuple va descendre sur le terrain.

La dernière tentative de mobilisation de l’opposition a été un échec. Vous-même avez été arrêtée…

Le peuple sénégalais est déterminé, nous sommes prêts à tout, parce que ce pouvoir nous a déjà privés de tout. Nous n’avons plus rien à perdre. Nous devons mener ce combat pour les générations à venir. Évidemment, nous allons privilégier la voie pacifique, avec des marches et manifestations. Nous appelons tout de même à la vigilance, parce qu’en 2023, des forces de défense et de sécurité avaient été déployées pour nous gazer et nous attaquer et brutaliser.

J’ai été la victime d’une arrestation brutale le dimanche 4 février, le premier jour de campagne. J’étais sur le terrain en tant que candidate pour démarrer la campagne, j’étais dans mon droit, mais ils m’ont arrêté et brutalisée, ainsi que mes sympathisans. J’ai été retenue pendant 10 longues heures sans qu’on ne m’informe jamais de mes droits. Mon garde du corps a été déféré en prison sans aucune information. Ce sont des méthodes de pays dictatoriaux.

Macky Sall fait pire qu’Abdoulaye Wade

Vous avez fait campagne pour Macky Sall en 2012, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

Je pense que le président s’est perdu et a arrêté d’écouter le peuple sénégalais. Je ne reconnais plus celui que j’avais soutenu et accompagné en 2012. Macky Sall est le plus jeune chef d’État que les Sénégalais aient élu, il est né après les indépendances. Nous avions placé beaucoup d’espoir en lui, nous avons combattu à ses côtés pour empêcher Abdoulaye Wade de faire un troisième mandat. Toute l’opposition était derrière lui, et aujourd’hui, il fait pire que l’ancien président. C’est vraiment scandaleux.

Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

Nous voulons prendre la communauté internationale à témoin, que ce soit l’Union africaine, les Nations unies, les grandes puissances, il ne faut pas qu’elle reste silencieuse et laisse le président Macky Sall se comporter en dictateur et nous priver de nos droits. Le Sénégal n’est pas isolé, tous les pays de la sous-région sont menacés.

Et de la Cedeao ?

Très sincèrement, nous sommes très déçus de la Cedeao qui n’a pas assez représenté les populations africaines mais plutôt des présidents de la République des différents pays. Les communiqués de la Commission ont été inefficaces jusqu’à présent, nous verrons quand ils décideront d’actions concrètes. Dans l’état actuel des choses, nous n’avons pas confiance. C’est dommage, c’est regrettable, mais nous ne pensons pas que la solution viendra de la Cedeao. La solution définitive viendra du peuple sénégalais.

En tant que chef d’entreprise, comment percevez-vous l’impact de ce report sur l’économie du pays ?

C’est un coup dur pour l’économie du pays, formelle comme informelle. Il est encore trop tôt pour donner des chiffres pour l’économie netière, cependant d’après les premières estimations le pays perd 1 millions de dollars par jour depuis samedi à cause des coupures d’internet. Au Sénégal, beaucoup d’entreprises, surtout les PME et PMI, ont besoin d’Internet pour fonctionner. Il y a des transactions financières sur WhatsApp, Facebook, TikTok sans compter les marchés ambulants et les services de mobile money. Sans compter, le fait que de nombreux commerces sont restés fermés, des Sénégalais ont peur de se rendre au travail, les transports ne fonctionnent plus normalement.

Propos recueillis par Viviane Forson (Le Point Afrique)

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