mai 7, 2025
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Sécurité

Bénin : pourquoi les djihadistes ciblent les parcs nationaux

Des attaques djihadistes coordonnées ont visé des positions militaires béninoises dans le parc national du W, le 17 avril 2025, au nord du pays. Le dernier bilan officiel fait état de 54 soldats tués, ce qui en fait l’attaque la plus meurtrière jamais enregistrée contre l’armée béninoise.

Quelques semaines auparavant, le 8 janvier, une attaque près de Karimama, dans la même zone, a coûté la vie à une trentaine de militaires. Ces attaques illustrent la menace grandissante qui pèse sur la partie nord du pays et en particulier sur cette aire protégée.

Depuis 2019, en effet, le Parc national de la Pendjari, dans le nord du Bénin, est la cible privilégiée de groupes armés, notamment affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM).

Le chercheur Papa Sow, spécialiste des politiques environnementales, analyse pour The Conversation Africa les motivations de ces attaques.

Pourquoi le Parc de la Pendjari et ses environs sont-ils spécifiquement ciblés par les groupes terroristes ?

Située au nord du Bénin, la Réserve de biosphère de la Pendjari (RBP), également connue sous le nom de Parc national de la Pendjari, est la cible récurrente de groupes armés depuis 2019, tout comme ses environs. Plus de 120 militaires ont été tués tués entre 2021 et 2024. Sans compter les civils et le carnage sur la faune et la flore.

Depuis 2018, les groupes Ansar-ul IslamSermaSékou muslimou et Abou Hanifa opérant au Burkina Faso – assimilés à des djihadistes – agissent pour la plupart sous l’égide du JNIM, la branche d’Al Qaïda au Sahel. Des luttes sanglantes sont engagées pour conquérir des territoires forestiers spéciaux, ce que j’ai appelé le « djihadisme des aires protégées ».

Dans le cadre d’une étude longitudinale sur les causes des migrations dans et depuis les départements du nord du Bénin – Atacora et Alibori –, j’ai analysé l’impact que ces groupes armés exercent aujourd’hui sur les populations locales et les aires protégées qu’ils transforment en sanctuaires.

Le parc de la Pendjari fait partie des cinq aires protégées au Bénin. Il est l’un des principaux réservoirs de conservation de la biodiversité en Afrique de l’Ouest. En 2024, il employait 337 agents forestiers, dont 6 expatriés. L’avancée des terres agricoles, le braconnage, la perte de services écosystémiques (disparition de certaines espèces rares), la baisse du potentiel de séquestration du carbone avec la réduction de la biomasse et la présence des groupes armés sont des problèmes récurrents qui menacent ce parc.

Comment expliquez-vous la prolifération des groupes armés dans le parc ?

Les raisons en sont multiples : la configuration géographique rendant le parc difficilement prenable et les « batailles » pour le contrôle des pâturages et des plans d’eau. Les groupes armés travaillent avec les trafiquants d’essence frelatée en provenance du Nigéria, appelée au Benin le “Kpayo”. Ils achètent chez eux, chaque semaine, des milliers de litre d’essence à des prix exorbitants.

Les raisons politiques sont liées à l’absence de l’État, malgré l’opération anti-terroriste Mirador lancée en 2021 avec un déploiement de plus de 3000 soldats. Depuis la première attaque de 2019, plus de 120 millions de dollars ont été alloués pour la sécurité du pays. Or le nombre d’attaques et d’enlèvements a augmenté, malgré l’existence d’une unité spéciale pour lutter contre les insurgés dans la région Nord du Bénin. C’est dans le secteur de Porga, vers le Burkina Faso, que les Forces armées béninoises (FAB) maitrisent le plus les incursions meurtrières.

Quels sont les liens entre ces attaques et l’expansion des groupes armés au Sahel ?

Les attaques récentes sont préoccupantes pour l’État béninois et la sous-région. Les véritables liens entre ces attaques et l’expansion du djihadisme dans le Sahel sont à rechercher dans la fragilité de la sécurisation des zones frontalières. Les groupes armés ont leurs propres points de passage qu’ils contrôlent avec des complicités locales. Les collaborations sous-régionales entre États sont presque inexistantes. L’Initiative d’Accra, composée de 5 pays – Bénin, Burkina Faso, Ghana, Côte d’ivoire et Togo – lancée depuis 2017, semble stagner depuis la désintégration de certains États de la Cedeao. Une véritable force régionale capable de contrecarrer les activités de ces groupes armés est nécessaire.

Le Bénin développe certes un partenariat militaire avec la France. Mais les querelles diplomatiques entre le Bénin et ses voisins – Niger et Burkina – et la politique ambivalente du Togo qui « menace » de rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel (AES) – ne sont pas des facteurs favorisant une coopération régionale militaire efficace.

Quel est l’impact des attaques sur l’économie locale et le tourisme dans la région ?

Dotée d’une biodiversité complexe, le parc dépend, en partie, des financements générés par le tourisme et des partenaires extérieurs. La conservation est gérée, depuis 2020, par les Rangers African Parks Network (APN). Ces éco-gardes, en première ligne face aux groupes armés,sont également des victimes comme durant l’attaque des 24-25 juillet 2024. Leur travail de collecte d’informations liées à la menace est important pour les FAB.

Les activités des riverains du parc, les réseaux et systèmes de transport et les services de trekking sont les plus durement touchés. Les mouvements de populations et le travail des ONG qui soutenaient les populations locales dans la région de l’Atacora (nord-ouest du pays) ont ainsi été réduits. Dans les aires de Matéri, Gouandé et vers la frontière avec le Togo, beaucoup d’ONG se sont désengagées de leurs activités. Le petit commerce est menacé.

Mais le secteur le plus durement touché est le tourisme. Il y a une baisse significative du nombre de touristes qui ne se rendent presque plus par route au parc. Cet impact touche directement les communautés locales dont les activités touristiques demeuraient un vivier important d’emplois. Les cascades de Tanougou non loin du parc, les plus prisées par les touristes, sont pratiquement fermées au public.

Tanguiéta, une ville située à 70 km de la frontière avec le Burkina Faso et non loin du parc de la Pendjari, a été le plus impacté du fait de la diminution des revenus liés aux activités d’hébergement et de restauration. Les migrants venant de la sous-région – guides, artisans – et qui s’étaient spécialisés dans l’entreprenariat touristique – se sont tournés vers d’autres activités ou quitté la ville.

Avec l’aide des APN et des FAB, la sécurité du parc a été immensément renforcée car fortement militarisée – avec un « camp avancé » – à l’intérieur même du parc. Une piste d’atterrissage, sans impact sur la valeur universelle exceptionnelle, a été construite dans le parc depuis 2019. C’est d’ailleurs sur cette piste qu’atterrissent les aéronefs des rares touristes qui visitent le Pendjari aujourd’hui. Plus de 110 kilomètres de pistes de passages ont été aménagés dans le parc. Les activités avec les populations riveraines sont diversifiées par des actions de donations.

Comment peut-on renforcer la sécurité du Parc et protéger les populations locales ?

Les mesures suivantes pourraient aider à davantage protéger le parc et la population locale :

  • Renforcer les capacités de communication et de surveillance : plus de kits de connexion internet et les pylônes VFH afin d’assurer une couverture à 100 % de réseau du système LoRa(Long Range, une technologie sans fil). Augmenter le nombre d’ aéronefs, d’hélicoptères et de drones de surveillance afin de mieux gérer la sécurité à distance du parc.
  • Former les FAB dans plus de pratiques de conservation.
  • Multiplier les soutiens aux projets de développement communautaire de renforcement des aires protégées, de l’écotourisme.
  • Diversifier les activités pour réduire la dépendance au tourisme.

Il n’est pas trop tard pour contrecarrer la montée du djihadisme dans cette zone. L’espoir est toujours permis si la Cedeao s’investit davantage dans la coopération militaire avec le Benin.

A l’état actuel des choses dans le Sahel, il est quasi impossible pour un État de lutter seul contre les groupes armés qui sont souvent plus informés et maitrisent mieux les terrains d’opération que les États. Il faudrait une synergie politique et une volonté de cooperation commune. The Conversation

 

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