Dans cet entretien, Jean Paul Benoit, un Député européen honoraire, analyse la situation politique en Guinée et la gouvernance de Mamady Doumbouya. Jean Paul Benoit qui est aussi l’avocat du président Alpha Condé, a abordé le cas des juntes militaires au Mali, au Niger, au Burkina Faso, qui selon lui, sont instrumentalisées par Wagner et par African Corps russe deviennent des instruments de l’influence de Moscou en Afrique.
Vous suivez l’actualité en Guinée. Comment appréciez-vous l’actualité politique dans ce pays depuis l’arrivée de la junte ?
Depuis de longues années, je suis l’actualité africaine, à la fois comme directeur de Cabinet au ministère de la Coopération, dans d’autres ministères, puis comme parlementaire européen et comme avocat de nombreux chefs d’état et de gouvernements africains.
Les coups d’état militaires en Afrique sont une malédiction. Les dictateurs issus de ces coups d’état aggravent des problèmes qu’ils prétendaient pouvoir régler.
La Guinée depuis Ahmed Sékou Touré n’a jamais connu une gouvernance stable, démocratique, apaisée. Alpha Condé est une exception : il fut toute sa vie un militant de la démocratie, des droits de l’homme et de la tolérance. Il est arrivé au pouvoir par l’élection. Son gouvernement n’était pas exempt de critiques comme tout gouvernement en Afrique ou dans le monde, mais il a gouverné en respectant le multipartisme, les libertés publiques et individuelles.
Le 5 septembre 2021, un coup d’état des forces spéciales, dirigé par Mamadi Doumbouya, mène à la capture d’Alpha Condé. La junte prend le pouvoir. C’est une dictature militaire. Un Conseil national de la transition dont les membres sont nommés dirige le pays. Depuis que la junte est au pouvoir, la situation des droits de l’homme s’est profondément détériorée et les arrestations arbitraires, les violences, se multiplient, comme en témoignent les différents rapports de l’Human Rights Watch : notamment disparitions de militants des droits de l’homme, de journalistes.
Début 2022, sous la pression de la CDEAO, la junte feint d’accepter une transition de trois ans. Puis, elle annonce des élections référendaires pour le 21 septembre 2025. La situation économique se détériore gravement. La junte, dans une dérive totalitaire, montre son incapacité à gouverner. L’objectif du général Doumbouya est de se maintenir au pouvoir coûte que coûte en faisant semblant d’accepter une période de transition. Le référendum sera un simulacre de processus démocratique.
Peut-on continuer à considérer le président Alpha CONDE comme le président légitime de la Guinée ?
Le Président Alpha Condé n’a pas été battu aux élections. Il a été écarté du pouvoir par la force. C’est un coup d’état. Alpha Condé n’a jamais démissionné de sa fonction. Il reste le président légitime de la Guinée.
Comment appréciez-vous les réformes engagées par le président Doumbouya qui doivent aboutir à un référendum ?
Les réformes politiques engagées par la junte sont une caricature d’un pouvoir autoritaire qui prive les Guinéens de leur liberté, du débat démocratique, de leur libre choix électoral.
Il ne faut pas être dupe : la junte n’accepte pas le libre débat politique et veut se maintenir au pouvoir coûte que coûte.
Quelle analyse faites-vous sur l’émergence des juntes en Afrique ? Croyez-vous que ces juntes menacent les intérêts de la France en faveur de la Russie ?
Je l’ai déjà évoqué en répondant à votre première question : les juntes aggravent la situation politique, économique, sociale. Les citoyens sont privés de leurs droits. La dévolution du pouvoir doit se faire par l’élection, le débat apaisé. Par nature, les pouvoirs militaires sont une régression dans tous les domaines de la vie publique. C’est une constatation objective que je fais à la fois comme homme politique, juriste, attaché à la démocratie et à l’état de droit. Les juntes militaires au Mali, au Niger, au Burkina Faso, instrumentalisées dans un premier temps par Wagner et maintenant par l’Afrika Korps russe deviennent des instruments de l’influence russe en Afrique dont le but est clair : s’emparer des richesses de ces pays, éradiquer par tous moyens l’influence française sans améliorer le sort des populations. De plus, la sécurité et la lutte contre le djihadisme sont un échec total. Au contraire, on assiste à une aggravation de l’insécurité.
La junte guinéenne est accusée de malversations dans la gouvernance. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, j’ai connaissance de ces accusations. La situation financière de l’Etat et de la banque centrale est préoccupante. Le FMI et la Banque mondiale s’en sont fait l’écho. Il y a des soupçons de corruption dans la gestion des affaires publiques. De nombreux confrères ont évoqué ces problèmes. E tant qu’avocat, je suis attentif à la bonne gouvernance et je reste vigilant sur d’éventuels développements dans ce domaine.
Quelles sont les chances de Alpha CONDE pour revenir au pouvoir ?
Alpha Condé par son passé, son militantisme, son engagement de toute une vie pour la démocratie et son charisme, est un sage de l’Afrique. Je constate que l’ensemble des partis politiques guinéens sont en lien avec lui et réfléchissent au retour d’un pouvoir démocratique en Guinée. J’espère que le peuple guinéen pourra choisir librement, pacifiquement son destin. Alpha Condé peut en être le facilitateur.
Par Modou FALL
