mars 15, 2025
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Sécurité

Des transitions complexes dans un continent en mutation : Note d’analyse sur les putschs en Afrique

En une cinquantaine de mois, entre avril 2019 et août 2023, l’Afrique a connu une dizaine de coups d’État ayant placé des militaires au pouvoir dans sept pays. Tous, sauf au Gabon, se sont déroulés dans une bande allant de la Guinée à l’ouest au Soudan à l’est. À l’exception de ce dernier pays, tous les putschs ont eu lieu dans d’anciennes colonies françaises. Enfin, dans quatre de ces pays, les militaires ont renversé un régime accusé de se maintenir par la force ou la fraude électorale alors que, dans les trois autres, ce sont des autorités civiles légalement constituées à la suite d’élections plus ou moins régulières qui ont été renvoyées. Cette prolifération de coups d’État pose de multiples questions, que ce soit sur la faiblesse des États où ils se sont déroulés, sur le soutien apporté à ces coups par une partie de la population, sur la validité du modèle démocratique, économique et sécuritaire à l’occidentale ou encore sur l’attraction exercée par d’autres modèles. Plus concrètement, la grande inconnue est l’issue des « transitions » proclamées, puisqu’aucun des nouveaux tenants du pouvoir n’a exclu de céder, à plus ou moins brève échéance, la place aux civils, en accord avec l’ordre constitutionnel en vigueur. Au contraire, des calendriers, incluant des échéances électorales, ont été établis, mais aussi souvent révisés, à chaque fois en prolongeant ladite transition. Par ailleurs, la situation sécuritaire, particulièrement aiguë dans la plupart des pays « putschistes », devrait également peser sur toute restitution du pouvoir aux civils. Cette note a pour but de fournir de manière synthétique quelques clés de lecture indispensables à la compréhension de ces coups d’État. Primo, il s’agit de rappeler la diversité des contextes dans lesquels s’inscrivent ces diverses prises de pouvoir par la force, cela afin de prévenir tout simplisme ou risque de généralisation abusive. Secundo, il importe de ne pas négliger et de tenter de comprendre le soutien populaire manifesté aux putschistes. Ce dernier élément est d’ailleurs directement en lien avec une troisième clé de lecture qui réside dans le rejet de Paris par les acteurs locaux et dans le rôle de Moscou et de Washington. Tertio, un facteur-clé sera l’évolution de la sécurité, dont le rétablissement serait une dimension déterminante d’un éventuel succès des militaires putschistes. Enfin, bien que ceux-ci déclarent vouloir inscrire leur démarche dans une logique de transition du pouvoir, les modalités et les calendriers de celle-ci sont divers, fluctuants et incertains. En conclusion, cette note insiste sur la précarité de la situation actuelle tant en ce qui concerne le modèle de gouvernance auxquelles aspirent les sociétés africaines que sur leurs relations avec les pays tiers, dans le contexte régional ou avec des acteurs exogènes au contient, y compris des puissances émergentes comme la Chine ou la Turquie.

Des putschs dans des contextes divers

Au Soudan, après plusieurs mois de manifestations populaires réclamant son départ, l’armée soudanaise a, en avril 2019, renversé son chef, Omar el-Bechir, lui-même arrivé au pouvoir après un coup d’État en 1989. Au Tchad, en avril 2021, c’est la mort d’Idriss Déby, au pouvoir depuis plus de trente ans grâce à une sévère répression et en dépit de multiples rébellions, qui a permis à son général de fils de se proclamer chef de l’État, en violation de la constitution qui prévoyait que ce poste revienne au président de l’Assemblée nationale. En Guinée, les militaires ont justifié leur coup d’État de septembre 2021 par le « troisième mandat » que s’est octroyé, au prix de manipulations constitutionnelles et malgré la colère populaire, le président Alpha Condé. Au Gabon, scénario similaire, où les militaires ont déposé en août 2023 le président Ali Bongo, accusé de fraudes électorales, au pouvoir depuis 2009, après avoir remplacé son père, Omar, resté plus de quatre décennies aux commandes du pays. Dans les trois autres États, situés au cœur du Sahel et en proie à une importante insurrection djihadiste, les autorités politiques renversées étaient parvenues au pouvoir selon les règles de la démocratie parlementaire à l’occidentale, en particulier les présidents Ibrahim Boubacar Keïta au Mali (renversé en août 2020), Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso (janvier 2022) et Mohamed Bazoum au Niger (août 2023). Dans chacun des cas, l’incapacité du pouvoir civil à contenir l’insécurité et la progression des groupes rebelles a été invoquée par les militaires. Par ailleurs, les nouveaux dirigeants, adoptant une posture souverainiste, ne se sont pas privés de faire porter l’échec sécuritaire aux forces internationales, en particulier l’opération Barkhane et la présence militaire française. Signe de l’instabilité ambiante, trois de ces pays ont connu un deuxième putsch peu après le premier : le Mali, où les autorités militaires dirigées par le colonel Goïta ont arrêté, en mai 2021, le président et le Premier ministre civils qu’elles avaient installés lors du précédent coup ; le Soudan, où le général al-Burhan a purgé de civils, en octobre 2021, son Transitional Sovereignty Council instauré après le premier coup ; et le Burkina Faso où le colonel Damiba a perdu le pouvoir, huit mois après l’avoir conquis, au profit de son subordonné, le capitaine Traoré.

Soutien populaire aux militaires

Dans plusieurs cas, l’accaparement du pouvoir par les militaires a été accueilli favorablement par d’importantes franges de la société. L’exception la plus évidente est le Soudan, dont la population, après avoir subi la répression des militaires avant et après chaque coup d’État, est victime, depuis le 15 avril 2023, d’une sanglante lutte pour le pouvoir, opposant l’armée nationale du général al-Burhan à l’unité paramilitaire des Rapid Support Forces (RSF), dirigée par Mohamed Hamdan Dagalo et soutenue par la milice russe Wagner. L’autre exception est le Tchad où l’accession à la tête du pays de Mahamat Idriss Déby a suscité une forte opposition populaire, violemment réprimée. Dans les cinq autres pays, les putschs se sont déroulés sans violence ciblant les civils et avec le soutien d’une grande partie d’entre eux. S’il semble s’éroder au Mali et en Guinée, où les militaires totalisent plus de deux années à la tête de l’État, cet appui populaire, au moins passif, peut s’expliquer par un rejet des élites politiques renversées, perçues comme corrompues et inefficaces, quelle que soit la régularité de leur accession ou de leur maintien au pouvoir. Les putschistes apparaissent comme un ultime recours, ou au moins un passage obligé, vers un développement social et économique bénéficiant à l’ensemble de la société. En outre, et particulièrement dans le « triangle sahélien », ces élites ont été vues comme inféodées à des puissances ex-coloniales, particulièrement la France, dénoncée aussi pour l’incapacité de son opération Barkhane à empêcher le développement de l’insurrection djihadiste, voire de l’avoir favorisée.

Paris en point de mire, Moscou et Washington en embuscade

Alors que les forces armées de ces pays ont été, pendant la plus grande partie de leur histoire postcoloniale, encadrées par des instructeurs et conseillers français, l’afflux massif et sans résultat tangible des troupes de l’opération Barkhane n’a fait qu’augmenter le ressentiment de nombreux officiers et sous-officiers jugeant cette présence à la fois anachronique, arrogante et inutile. Par ailleurs, le développement de l’insurrection djihadiste, d’abord au Mali, puis dans le reste du Sahel, correspond à la déstabilisation de l’État libyen provoquée par les bombardements de l’OTAN en 2011, et ceux-ci n’auraient sans doute pas eu lieu sans l’entêtement du président Nicolas Sarkozy. Enfin, la condescendance et les diatribes de son successeur, Emmanuel Macron, n’ont fait que radicaliser le discours « anti-français » des nouveaux maitres du Sahel.

Après des années de surdité face aux multiples avertissements, la France officielle — qui condamne avec une extrême virulence les coups d’État à Bamako, Ouagadougou et Niamey, mais adoube le nouveau patron putschiste du Tchad— tient un discours totalement inaudible, non seulement auprès des militaires africains, mais aussi de leur opinion publique. Bien que le rejet de la France n’ait pas gagné les nouveaux dirigeants du Tchad et du Gabon, où Paris dispose de deux de ses cinq bases permanentes africaines, d’autres acteurs internationaux sont en train de combler le vide sécuritaire laissé par le départ des troupes de l’ex-colonisateur, de l’Union européenne (Task Force Takuba) et des Nations unies (MINUSMA). Au Mali, nombreuses sont les allégations concernant le soutien apporté par la milice Wagner aux forces locales lors d’opérations « antiterroristes » au cours desquelles de graves abus envers la population locale seraient commis. Si certains ont également vu Wagner au Burkina Faso, Ouagadougou et Moscou n’en seraient qu’au stade de la négociation d’un possible accord de coopération militaire. Au Niger, les États-Unis ont attendu plus de deux mois pour conclure qu’il y avait bien eu un « coup d’État militaire » en juillet 2023 et ont rapidement repris une coopération militaire limitée avec le nouveau régime.

Avec le départ programmé des Français, le contingent étatsunien, plus de mille hommes déployés à Niamey et Agadez, deviendra sous peu la principale force étrangère sur le sol nigérien. De bonnes relations entre Washington et Niamey après le coup d’État pourraient être facilitées par les liens tissés par plusieurs officiers putschistes, dont le général Tiani, avec les États-Unis, où ils ont été formés. Il est à noter que le Pentagone a également renforcé les capacités militaires d’autres auteurs de coups d’État dans la région, notamment le colonel malien Goïta, le lieutenant-colonel burkinabé Damiba  et le colonel guinéen Doumbouya. Reste à voir si la Maison-Blanche tirera profit de ces connexions et du retrait français en accroissant sa présence militaire en Afrique de l’Ouest. Parmi les autres acteurs occidentaux encore militairement présents au Sahel, l’Allemagne devrait retirer ses troupes du Niger, déployées dans le cadre d’une mission militaire de l’Union européenne (EUMPM), mais l’Italie pourrait conserver ses quelque 250 hommes engagés sur une base bilatérale dans la lutte antiterroriste et antimigratoire.

La sécurité, test décisif

Une question déterminera la suite des bouleversements en cours, en particulier au cœur du Sahel : l’évolution de la sécurité dans ces pays. Tant à Bamako qu’à Niamey et à Ouagadougou, l’échec à combattre les groupes djihadistes a été imputé aux gouvernements renversés et à leurs soutiens occidentaux. L’expulsion de ces derniers  devait permettre aux armées nationales de combattre plus efficacement les insurgés islamistes, éventuellement en ayant recours à d’autres partenaires.

Au Mali, plus de trois ans après le premier coup d’État, plus d’un an après le départ des derniers soldats français, la situation sécuritaire semble avoir nettement empiré, malgré le recours à Wagner. Tandis que les djihadistes de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM ou JNIM) multiplient leurs attaques et élargissent les zones sous leur contrôle, une coalition de groupes armés majoritairement touarègues, le Cadre stratégique permanent (CSP), accuse la junte d’avoir rompu l’accord d’Alger conclu en 2015 et fait craindre un nouvel épisode de rébellion touarègue au Sahel20. Selon le projet Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), la violence contre les civils aurait augmenté de 38 % au Mali en 2023. Le Burkina Faso, relativement épargné par les groupes djihadistes jusqu’en 2018, connait une explosion de violence depuis. Alors que l’EIGS et le GSIM contrôleraient 40 % du territoire, dans le nord et l’est du pays, la spirale meurtrière ne semble pas s’être inversée depuis les deux coups d’État de 2022, l’un et l’autre pourtant justifiés par la détérioration continue de la sécurité. Le Burkina Faso était, au premier semestre 2023, le pays d’Afrique de l’Ouest le plus ensanglanté par les « attaques terroristes ». Enfin, au Niger, il est sans doute trop tôt pour évaluer l’impact du coup d’État sur la sécurité, ce pays étant par ailleurs moins touché que ses voisins par les affrontements avec les groupes islamistes, l’EIGS et le GSIM à l’ouest, mais aussi Boko Haram au sudest. Cependant, après un pic de violence atteint en 2021 et un niveau élevé en 2022, le nombre de victimes en lien avec des groupes armés semblait nettement décroitre au premier semestre 2023. Cette tendance rend peu crédible le discours du général Tiani, assurant avoir démis le président Bazoum en raison de « la détérioration de la situation sécuritaire ». Plus à l’est, les conséquences des coups d’État au Soudan se sont révélées catastrophiques puisque le pays a sombré dans une guerre opposant les deux principaux chefs de la « transition ». Les bombardements de zones urbaines ont provoqué la mort de milliers de civils et le déplacement de près de 5 millions d’habitants28. Dans les trois autres pays sous examen, aucune évolution notable n’a été constatée sur le plan sécuritaire, un sujet qui ne figurait pas parmi les motivations des auteurs des coups d’État.

Quelles transitions ?

Bien que, en particulier au Sahel et au Soudan, l’enjeu sécuritaire influencera considérablement l’agenda de la restitution du pouvoir aux civils, les nouvelles autorités de chaque pays ont pris des engagements plus ou moins précis en ce sens. Ceux-ci connaissent parfois un début de mise en œuvre et ont été pris en consultant ou en accord avec des mouvements citoyens ou des acteurs régionaux. Au Soudan, le second coup d’État d’octobre 2021, qui a éliminé les civils du gouvernement de transition, a sérieusement miné le processus de retour à l’ordre constitutionnel. Néanmoins, un accord entre les militaires et des partis politiques, conclu en décembre 2022, prévoyait notamment la nomination d’un Premier ministre choisi par ces partis, suivie d’une période de deux ans s’achevant par des élections. À partir d’avril 2023, les combats entre l’armée et les RSF ont bien entendu gelé cet accord et repoussé à des temps meilleurs le retour au pouvoir civil. Au Mali, la période de transition était, au départ, censée durer 18 mois.

En juin 2022, plus d’un an après le second coup d’État, elle a été fixée à 24 mois, à dater du 26 mars précédent, et comprenant un calendrier électoral. Cela a amené la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à lever une partie de ses sanctions, notamment économiques et financières. En juin 2023, à une large majorité des votants, la population malienne a adopté une nouvelle constitution, prévoyant des élections en février 2024. Cependant, trois mois plus tard, les autorités annonçaient un « léger report » du scrutin présidentiel, qui serait entre autres dû à la « prise en otage » d’une base de données nécessaire à l’organisation de cette élection par une entreprise française. Ce nouveau retard ne fait pas l’unanimité à Bamako où un leader populiste, jusque-là favorable à la junte, a été condamné à un an de prison ferme pour s’y être opposé.

Au Tchad, le Conseil militaire de transition (CMT), avec Mahamat Déby à sa tête, a initialement annoncé une période de transition de 18 mois36, comprenant un « dialogue national inclusif et souverain ». Celui-ci s’est finalement déroulé d’août à octobre 2022, sur fond de répression et malgré le boycott de la majorité des partis politiques et de la société civile et de deux des principaux groupes armés. Chargé de former un consensus sur la réforme constitutionnelle et de programmer des élections, ce « dialogue » a finalement prolongé de deux années la transition et autorisé les membres du CMT, dont le général Déby, à se présenter à l’élection présidentielle. En Guinée, le Comité national pour le rassemblement et le développement (CNRD) du colonel Doumbouya a conclu, en octobre 2022, un accord avec la CEDEAO établissant un chronogramme de transition étalé sur deux années, au lieu de trois comme proposé par la junte. D’ici le 1er janvier 2025, devraient se succéder : l’adoption d’une nouvelle Constitution, la refonte du fichier électoral et l’organisation des élections générales. Malgré cela, la CEDEAO a choisi de maintenir la pression en reconduisant ses sanctions.

Par ailleurs, à l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance guinéenne, le colonel Doumbouya a déclaré que les trois priorités de la transition étaient « dans un ordre très précis… le social, l’économie et le politique ». Au Burkina Faso, lors de son coup d’État de septembre 2022, le capitaine Traoré s’est empressé de déclarer qu’il respecterait le calendrier de la transition conclu entre la CEDEAO et son prédécesseur, le colonel Damiba. Deux semaines plus tard, il organisait des assises nationales, réunissant les « forces vives de la nation », qui ont adopté une « charte de la transition ». Cette charte précise la forme et la taille des autorités provisoires, garantissant la mainmise de Traoré et des militaires, mais limite leur pouvoir à 21 mois en prévoyant, d’ici juillet 2024, des élections auxquelles le président de la transition ne pourra participer. Cependant, un an après sa prise de pouvoir, le capitaine Traoré, reconnaissant de nombreux problèmes affectant les forces armées, donnait la priorité à la sécurité sur les échéances électorales, affirmant : « Il n’y aura pas d’élection qui va se concentrer uniquement à Ouaga et à quelques villes alentours. »

Au Niger, le « coup de trop » de juillet 2023 a entrainé, outre de sévères sanctions, des menaces d’intervention armée de la CEDEAO et, en réaction, une alliance militaire entre Niamey, Bamako et Ouagadougou46. Le général Tiani a pourtant rapidement précisé et répété qu’il n’avait pas l’intention de s’éterniser au pouvoir, évoquant une transition de trois ans et le lancement prochain d’un « dialogue national ». Le 2 octobre, l’Algérie a annoncé que le Niger avait accepté sa médiation pour dénouer la crise ouverte avec le coup d’État. S’opposant à toute intervention armée extérieure, Alger propose un « plan de transition de six mois ». En attendant, alors que la plupart des bailleurs ont coupé leur aide au développement, le pays fait face à des problèmes budgétaires et sociaux dramatiques, aggravés par le blocus de certains pays de la CEDEAO. Au Gabon, après avoir déclaré qu’une transition de 24 mois vers des élections était un « objectif raisonnable », Raymond Ndong Sima, Premier ministre nommé par le général Oligui Nguema, a présenté, le 27 septembre 2023, soit moins d’un moins après le coup d’État, les étapes prévues de cette transition. Sur la base des contributions écrites des Gabonais, un « dialogue national » devrait s’ouvrir entre avril et juin 2024, suivi de la mise en place d’une assemblée constituante et de l’adoption d’une nouvelle constitution. Le 7 octobre, Oligui Nguema a nommé les membres, civils, d’un parlement de transition, chargés de travailler avec le Conseil national de transition composé, lui, exclusivement de militaires.

En conclusion

Plus de soixante ans après les indépendances, plus de trente après la fin de la Guerre froide et le fameux discours de la Baule qui a marqué son entrée dans le multipartisme à l’occidentale, l’Afrique est sans doute à un tournant de son histoire. Le modèle libéraldémocratique a déçu, n’a pas suscité le développement social et économique espéré, mais semble avoir favorisé celui des inégalités, de la corruption et des insurrections armées.

Si la série de coups d’État est un « défi direct à la gouvernance démocratique dirigée par les civils », elle est aussi un symptôme de la mégestion des affaires publiques par des élites ayant assuré leur mainmise par un processus électoral souvent frauduleux. Parmi les principaux reliquats de la « Françafrique », on peut s’interroger sur la réelle légitimité démocratique des quarante ans de règne de Paul Biya au Cameroun et ses sept mandats présidentiels. Ou sur celle d’Alassane Ouattara, devenu président de Côte d’Ivoire grâce aux canons français et réélu pour un troisième mandat contraire à la constitution, lors d’un scrutin boycotté par l’opposition. Même au Sénégal, on peut douter que l’élection présidentielle de février 2024 permette à la population d’exprimer son libre choix si le principal candidat de l’opposition en est exclu pour d’opportunes affaires de « diffamation » et de « corruption de la jeunesse ». Seule puissance ex-coloniale ayant maintenu une présence militaire permanente sur le continent, bien que maintenant réduite, la France est la cible privilégiée des discours souverainistes de plusieurs juntes aujourd’hui au pouvoir. En quête de partenaires face à une situation sécuritaire de plus en plus dégradée, certaines se tournent vers la sphère russe, tandis que d’autres devraient accepter le maintien de bases des États-Unis sur leur territoire. Sur le plan économique aussi, la France et, plus globalement, l’Occident sont en perte de vitesse.

Depuis plus d’une décennie, la Chine est le principal partenaire commercial de l’Afrique56. Et d’autres pays y remplacent de plus en plus les investissements, les produits, voire les soldats européens : la Turquie, qui y déploie un soft power à dimensions multiples, le Maroc qui a réorienté ses priorités économiques vers le continent africain, et les Émirats arabes unis, outre leurs bases militaires dans la Corne de l’Afrique et en Libye, ont fait de Dubaï la « capitale commerciale de l’Afrique », y compris pour les trafics illicites. Et pour de nombreux jeunes, intellectuels et aussi militaires, le modèle sensiblement plus autoritaire ayant assuré le développement de ces pays – Chine en tête, mais aussi des États africains comme le Rwanda – mériterait d’être exploré après l’échec du modèle vendu et imposé par les Occidentaux61. Cela explique l’apparent soutien populaire dont bénéficient – ou bénéficiaient au départ – les militaires contestant l’influence française sur leur pays. Ce soutien est cependant fragile et contesté à l’intérieur même des cercles militaires de ces pays, comme en témoignent les coups d’État déjoués au Mali et au Burkina Faso. Et il dépend avant tout de l’évolution de la sécurité : après le désastre soudanais, le Sahel est en grand danger d’un embrasement généralisé. Pour l’éviter, les capacités militaires des officiers au pouvoir et de leurs soldats ne suffiront pas. Outre l’adhésion populaire, ils devront compter sur des coopérations régionales ou internationales. À eux d’être suffisamment conscients des enjeux pour faire les bons choix.

 

BERGHEZAN Georges

Note d’analyse du GRIP, 18 octobre 2023.

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