Entretien exclusif accordé au quotidien DakarTimes par Monsieur Dmitri KHOURAKOV Ambassadeur de la Fédération de Russie au Sénégal. La coopération entre Moscou et Dakar a été revisitée. Dans cette interview, il a rappelé que : «Le Sénégal est le plus grand partenaire de Russie dans le domaine d’échanges commerciaux entre notre pays et les pays au sud du Sahara ».
DAKARTIMES : La coopération entre le Sénégal et la Russie
DMITRI KHOURAKOV : Je suis content de cet entretien. Je tiens d’abord à dire que depuis l’arrivée des nouvelles autorités sénégalaises, nous sentons un intérêt grandissant pour la diversification de nos échanges. Je voudrais vous rappeler à cet effet la visite du madame le ministre des affaires étrangères à Moscou Mme Yacine FALL au mois d’août 2024. Elle a eu de très bonnes négociations avec son homologue russe Monsieur Sergei LAVROV. Elle avait visité l’Université de l’Amitié des Peuples. A cette occasion, elle a rencontré les étudiants Sénégalais. Elle a été impressionnée par le niveau d’enseignement dans cette université qui a une très longue histoire de coopération avec les pays africains. Dans les domaines éducatif et scientifique, je pense que les offres que l’Université a présentées pourrait servir comme une base assez intéressante dans le domaine de la coopération scientifique. Les Universités russes sont non seulement des centres d’enseignement mais aussi de recherches scientifiques. Par exemple, à l’occasion de cette visite, on nous a montré le travail des étudiants Sénégalais concernant la conception d’images satellitaires avec des outils en 3D. Ils ont fait beaucoup de choses qui peuvent aussi servir dans le domaine de l’agriculture et dans l’industrie minière au Sénégal.
DAKARTIMES : Dans le secteur de l’agriculture
DMITRI KHOURAKOV : Nous sommes en train de travailler avec le ministère de l’agriculture dans le domaine agricole. Nous avons de bons contacts. Il y a des bonnes possibilités de développer la coopération dans ce domaine. Nous avons déjà quelques exemples comme la société qui exploite le moringa pour créer de l’huile avec ce produit. Cette société fait des produits de beauté avec le moringa qui sont vendu déjà au Sénégal. L’idée c’est d’exporter ailleurs, y compris en Russie.
DAKARTIMES : Parlons de la médiathèque
DMITRI KHOURAKOV : Ce projet de médiathèque est une idée proposée par une de nos organisations dénommée: Innopratika. Elle a pris la décision de créer au Sénégal un projet pilote et a construit ce bâtiment pour l’offrir comme don à l’Université de Dakar. La médiathèque travaille avec les universités russes pour améliorer l’accès aux études portant sur la Russie. Ce projet leur permet d’avoir plus d’informations à partir des cours à distance. On pense organiser aussi des expositions, des projections de films, l’apprentissage de la littérature russe et même l’arrivée de professeurs russes au Sénégal sans oublier la possibilité d’enseignement en distance. Si le projet connaît un succès, il est prévu d’en construire d’autres en Afrique mais aussi ailleurs, comme au Brésil.
DAKARTIMES : Bourses aux étudiants sénégalais
DMITRI KHOURAKOV : L’année dernière nous avons envoyé une centaine d’étudiants. Cette année aussi nous avons décidé d’envoyer le même nombre d’étudiants. On va mettre plus d’accent sur la qualité que sur la quantité. Pour cela, il faudra faire une sélection pertinente des profils et des domaines de formation. Il est prévu d’augmenter le nombre de bourse offertes aux jeunes étudiants après l’évaluation du programme en cours.
DAKARTIMES : Importations de produits agricoles
DMITRI KHOURAKOV : Le Sénégal est le plus grand partenaire de Russie dans le domaine d’échanges commerciaux entre notre pays et les pays au sud du Sahara. Pour l’année 2023, nos échanges étaient estimés à 850 milliards de Fcfa. C’était un peu moins de ce montant en 2024, car c’était autour de 700 milliards de Fcfa. Toutefois, nous le considérons comme étant un grand volume. Ces échanges représentent des produits pétroliers, des engrais et du blé. C’est vrai que la Russie importe très peu des produits sénégalais. Mais on envisage d’importer des produits comme l’arachide, des fruits secs entre autres. On y travaille avec des producteurs sénégalais.
DAKARTIMES : Les bons de céréales faits par la Russie en Afrique
DMITRI KHOURAKOV : La Russie est en train d’aider des pays qui ont des problèmes au plan sécuritaire et ceux qui sont les moins avancés. Maintenant que le Sénégal ne fait plus partie des Pays les Moyens Avancés (PMA), il ne pourra pas bénéficier de ces dons de céréales par exemple. Mais je pense que nous avons encore beaucoup de choses à faire surtout en essayant d’éliminer les intermédiaires commerciaux qui à chaque fois augmentent le prix final des produits importés. C’est pourquoi à chaque fois, le gouvernement est obligé de subventionner les produits qui en principe pourraient être achetés à moindres prix pour éviter les subventions. Cela peut permettre de diminuer les prix aussi. Nous sommes en train de discuter avec les ministères concernés et les exportateurs russes sur les conditions pour faciliter les échanges directs.
DAKARTIMES : La coopération sécuritaire, les bases militaires
DMITRI KHOURAKOV : La Russie est prête à assister le Sénégal. On est prêt à assister tous les pays dans cette lutte contre l’insécurité. Mais je pense que le plus important c’est que le Sénégal définisse ses besoins pour que la Russie puisse proposer des solutions. Je ne pense pas que, c’est dans l’intérêt des deux pays de voir la Russie disposer de bases militaires au Sénégal. Pour notre coopération dans le domaine militaire, il y a beaucoup plus d’intérêt d’entamer la formation des cadres que de faire des bases. Dans tous les domaines de coopération, c’est le pays partenaire qui doit déterminer ses besoins. La Russie est un pays avec des potentialités énormes. Parfois nous pouvons faire des propositions qui n’intéressent pas le Sénégal voilà pourquoi on préfère travailler sur la base des besoins exprimés.
DAKARTIMES : La Chambre de commerce Afrique, Russie, Eurasie
DMITRI KHOURAKOV : Tout d’abord je voudrais préciser que cette chambre vise à améliorer non seulement la coopération entre l’Afrique et la Russie. Comme c’est inscrit sur le nom de la Chambre, cette initiative concerne l’Afrique, la Russie et l’Eurasie en général, y compris la Chine et l’Inde, avec ses grandes capacités dans le domaine technologique et l’intelligence artificielle (IA), ainsi que les pays du Moyen-Orient. Il y a énormément de potentiels dans ces liens entre ces pays, qui n’ont pas été étudiés.
Parce que si on prend l’exemple de la Russie, je dis qu’on a fait une grande faute après la dissolution de l’URSS en s’orientant vers l’Europe. On a oublié l’Afrique à un moment donné dans les années 90. On nous avait fait croire qu’il était beaucoup plus facile de travailler avec l’Europe. Maintenant nous avons compris qu’il faut travailler avec les pays qui peuvent assurer les besoins de base au moins.
A partir de 2014, nous avons entamé le programme de modernisation de notre agriculture. Maintenant on est autosuffisants à plus de 70% dans tous les produits agricoles. La Russie est la plus grand productrice et exportateuse du blé. Nous sommes également de grands exportateurs de viande de bœuf, de poulet, d’huile. Nos exportations de nos produits agricoles dépassent celles de l’armement. C’est ce que nous avons réussi depuis 2014.
C’est l’idée de cette Chambre de faire connaître les potentiels des pays africains et d’Eurasie pour trouver les points d’intérêt, faire découvrir les nouveaux investisseurs, définir les nouveaux projets. Et j’espère bien que le forum qui doit avoir lieu cette année 2025 à Dakar, va nous montrer les potentiels avec ce nouveau mécanisme.
Comme disent les organisateurs de cette Chambre : «On va créer un nouveau Forum de Davos ». Mais il faudra aller au-delà des discussions qui n’aboutissent sur aucune réalisation. La Chambre sera la base des échanges, de définition de projets et de proposition d’opportunités. Parce que les opportunités des pays africains sont énormes et sous-exploitées ou exploitées par d’autres. Les pays qui ont des richesses énormes ne reçoivent que de petites recettes. C’est cela l’idée de la Chambre de commerce de renverser cette situation.
DAKARTIMES : A quand la première visite de Bassirou Faye en Russie ?
DMITRI KHOURAKOV : Vous demandez cela au président lui-même (rire). Je ne peux pas vous dire. Je peux juste vous confirmer que les préparatifs continuent et j’espère bien que cette visite aura lieu.
Par Mamadou Mouth BANE
