avril 16, 2025
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Dorothée Schmid : Géopolitique de la Turquie, membre de l’OTAN et toujours candidate à l’UE ?

Dorothée Schmid

Responsable du Programme Turquie/Moyen-Orient de l’IFRI. Crédit photographique : IFRI

La Turquie est membre de l’OTAN mais est-elle toujours – vraiment – candidate à l’UE ? Comment comprendre la géopolitique de ce pays plus étendu et plus peuplé que la France ? Où en sont les relations Turquie-OTAN ? Comment comprendre les relations d’Ankara avec les Européens ? Parle-t-on encore d’adhésion à l’UE ? On parle beaucoup de crise économique en Turquie. Qu’en est-il ? Les dernières élections ont montré un affaiblissement du parti de Recep Erdogan, l’AKP. La Turquie est-elle entrée dans l’ère post-Erdogan ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Dorothée Schmid.

La Turquie occupe une place stratégique unique sur l’échiquier géopolitique, à la croisée de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient. Membre de l’OTAN depuis 1952 et candidate à l’Union européenne (UE) depuis 2005, elle se trouve au cœur de nombreux enjeux internationaux. Pourtant, ses relations avec ces alliances, ainsi qu’avec ses voisins, oscillent souvent entre coopération et tension. La Turquie a longtemps été perçue comme un pays isolé diplomatiquement, mais elle s’affirme de plus en plus comme une puissance régionale incontournable. Cependant, les ambiguïtés qui entourent ses relations internationales posent des questions sur son avenir en tant qu’allié fiable et sur son rôle dans un monde en mutation.

Relations avec l’OTAN : ambiguïtés persistantes

Membre de l’OTAN depuis plus de 70 ans, la Turquie a largement bénéficié de cette alliance, notamment via l’aide du Plan Marshall, qui a consolidé son économie et renforcé ses liens avec l’Occident. Cependant, les relations de la Turquie avec l’OTAN sont devenues plus ambiguës ces dernières années. Alors que l’OTAN a joué un rôle clé dans la défense du pays contre l’Union soviétique, l’effondrement du bloc soviétique a incité la Turquie à redéfinir ses priorités géopolitiques, la « libérant » vis-à-vis du Moyen-Orient, mais l’incitant aussi à revenir sur des terrains historiquement disputés avec la Russie : Caucase et Asie centrale. Ce repositionnement a parfois provoqué des frictions, notamment sur la question kurde et l’occupation du nord de Chypre. Aujourd’hui, bien que la Turquie condamne l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle ne suit pas les sanctions occidentales, soulignant son rôle ambivalent dans le conflit.

Une autonomie militaire en construction

La Turquie cherche également à s’émanciper sur le plan militaire, en diversifiant ses sources d’approvisionnement en armement. Elle a notamment acheté des systèmes de défense russes S-400, malgré la colère de l’OTAN. Bien que ces S-400 soient actuellement mis de côté, la Turquie a récemment proposé de les réintégrer dans l’alliance, une démarche qui soulève des préoccupations de sécurité. Par ailleurs, la Turquie investit dans le développement de son industrie de défense, en particulier sur le marché des drones, comme en témoigne son soutien à l’Ukraine en lui fournissant des drones lors du début de la relance de la guerre contre la Russie.

Candidature à l’UE : un processus en suspens

La Turquie est officiellement candidate à l’UE depuis 2005, mais les négociations d’adhésion sont au point mort. Si, au début des années 2000, les élargissements successifs de l’UE et le soutien des États-Unis à l’ancrage de la Turquie dans le camp occidental rendaient cette adhésion envisageable, les évolutions géopolitiques et les conflits régionaux ont rendu cette perspective de plus en plus incertaine. La position géographique de la Turquie, en contact direct avec des pays instables, inquiète certains membres de l’UE qui préfèrent voir le pays comme un « État tampon » plutôt qu’en véritable partenaire intégré.

Crise économique : résilience et défis

L’économie turque, bien que souvent marquée par des périodes de turbulence, demeure résiliente. La Turquie possède une base industrielle solide, notamment dans les vieilles industries que sont l’automobile et le textile, mais aussi l’agroalimentaire, et un vaste marché intérieur de 85 millions d’habitants. Cependant, la dépendance énergétique à la Russie, l’inflation galopante et la dette croissante fragilisent structurellement la perspective. Après avoir retardé des mesures d’austérité pour des raisons électorales, le président Erdoğan a finalement adopté une politique plus rigoureuse. Malgré ces difficultés, la Turquie continue d’afficher une croissance de 4 à 5 %, un chiffre franchement positif compte tenu du contexte régional et international.

Relations avec les BRICS : une nouvelle stratégie ?

La Turquie a exprimé son intérêt à rejoindre les BRICS, un groupement de puissances émergentes qui inclut le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ce désir s’explique en partie par le besoin d’élargir les partenariats, dans un contexte de croissance européenne faible. L’intégration récente de pays du Moyen-Orient comme l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Iran, aux BRICS, renforce l’attractivité du groupe. Du point de vue politique, cette candidature reflète également une méfiance nouvelle vis-à-vis des alliés traditionnels de la Turquie, l’UE et l’OTAN.

Vers une ère post-Erdogan ?

Les dernières élections municipales en Turquie ont marqué un affaiblissement de l’AKP, le parti d’Erdoğan, notamment dans les grandes villes comme Istanbul, Ankara et Izmir. Certains observateurs parlent déjà du début d’une « ère post-Erdogan », alimentée par l’érosion du soutien populaire et les difficultés économiques du régime. Le président, au pouvoir depuis plus de deux décennies, a annoncé qu’il ne se représenterait en principe plus, ouvrant la voie à une réorganisation de l’opposition autour du maire d’Istanbul ou du maire d’Ankara, deux figures du principal parti d’opposition, qui se retrouvent mis en compétition. Il reste donc à voir si l’opposition pourra capitaliser sur cet affaiblissement pour s’imposer durablement.

Libertés publiques : une démocratie en recul ?

La Turquie, souvent qualifiée de pays paradoxal, a connu des avancées et des reculs en matière de démocratisation. Si l’AKP a affaibli l’emprise de l’armée sur le pouvoir, il a aussi renforcé le clientélisme et muselé l’opposition. Les purges massives après la tentative de coup d’État de 2016 ont permis à Erdoğan de neutraliser de nombreux opposants et d’éroder les contre-pouvoirs, y compris le pouvoir judiciaire et les médias. Toutefois, malgré un climat politique tendu et des élections parfois contestées, l’opposition reste capable de remporter des scrutins. Le pays se trouve ainsi dans un équilibre fragile entre autoritarisme et démocratie.

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Par Dorothée SCHMIDEmilie BOURGOINPierre VERLUISE

 

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