juillet 22, 2025
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Dr Moubarack LO, Institut de l’Emergence : «Le Maroc joue ici un rôle de pivot régional »

L’Afrique atlantique, qui regroupe 23 pays riverains de l’océan Atlantique, émerge «progressivement comme un espace stratégique central dans les recompositions géoéconomiques et géopolitiques contemporaines » a soutenu Monsieur Moubarack LO. Ainsi, «grâce à sa façade maritime, elle relie l’Afrique à l’Europe, aux Amériques et à l’Asie, via des corridors maritimes et énergétiques majeurs. Cette façade est riche en ressources naturelles (hydrocarbures, minerais, halieutiques, énergies renouvelables offshore) et bénéficie d’une position géostratégique favorable à l’intégration régionale et au développement d’une économie bleue ».

Selon Monsieur Lo, «cette dynamique reste freinée par des fragilités structurelles : faiblesse des chaines de valeurs régionales industrialisation, dépendance aux exportations brutes, insécurité maritime, discontinuités logistiques, fragmentation institutionnelle ».

L’expert a souligné qu’au plan géoéconomique, «la façade atlantique concentre plus de 70 % des réserves pétrolières et gazières du continent, notamment dans le golfe de Guinée ». En effet, à cela s’ajoutent : des ressources minières (bauxite en Guinée, manganèse au Gabon, fer en Côte d’Ivoire); une faune halieutique très exploitée, souvent par des navires étrangers opérant hors contrôle ; et une agriculture d’exportation tournée vers le cacao, l’huile de palme ou les fruits tropicaux. De l’avis, de Monsieur Lo  «ces ressources sont majoritairement exportées brutes, sans transformation locale, ce qui perpétue la dépendance aux cours mondiaux et bloque l’essor d’une base industrielle régionale ».

Monsieur Lo nous apprend que seulement 17 % des échanges commerciaux des pays africains riverains de l’Atlantique s’effectuent entre eux (UNCTAD, 2022). Il a poursuivi en indiquant que la majorité des exportations de ces pays est dirigée vers des marchés extérieurs : Europe (28 %), Asie (24 %), et Amériques (15 %). En outre, «cette dépendance extravertie limite la résilience économique et ne favorise pas la création de chaînes de valeur régionales ».

Sur le plan géopolitique, l’Afrique atlantique devient «un théâtre de compétition entre puissances et même des acteurs privés qui y déploient des stratégies d’influence via des investissements dans les infrastructures, la sécurité maritime ou les partenariats énergétiques » dira-t-il. Par ailleurs, «ce regain d’intérêt suscite à la fois des opportunités de financement et des risques de renforcer les dépendances vis-à-vis de l’extérieur, en l’absence de stratégies africaines coordonnées ».

En plus, au plan sécuritaire, l’enjeu devient « central dans la structuration des flux maritimes et des territoires côtiers ». Monsieur Lô a parlé de  la piraterie dans le Golfe de Guinée, des trafics illicites, des cyberattaques sur les infrastructures portuaires, ou encore de la criminalité transnationale qui affectent directement les performances logistiques et le climat d’investissement. En outre, l’enjeu environnemental constitue un défi transversal. De l’avis de Monsieur Lô, l’Afrique atlantique est particulièrement exposée «aux effets du changement climatique : montée du niveau de la mer, érosion côtière, salinisation des terres, perte de biodiversité marine. Ces phénomènes affectent directement les populations littorales, les infrastructures portuaires et les activités économiques. La surexploitation des ressources halieutiques par des flottes étrangères aggrave cette pression écologique ».

Au plan social, la région est caractérisée «par une forte croissance démographique, une jeunesse dynamique, mais aussi un chômage structurel élevé, des inégalités persistantes et une insuffisante couverture des services sociaux de base ».  Ensuite, les migrations internes et transatlantiques se développent, sous l’effet du changement climatique et des déséquilibres territoriaux.

Enfin, le numérique et l’innovation représentent «un levier stratégique pour l’Afrique atlantique, à condition que la fracture technologique soit résorbée ». Monsieur Lô a rappelé que «la façade atlantique constitue un espace fonctionnel en recomposition ». Ainsi, la mer devient «un vecteur de puissance, mobilisée à travers les politiques d’économie bleue, de souveraineté énergétique et d’attractivité logistique».

Le projet de corridor Tanger-Lagos, long de plus de 5 600 km, «symbolise une ambition structurante». Le projet vise à connecter 11 pays ouest-africains (du Maroc au Nigéria, en passant par la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée Bissau, la Guinée, la Sierre Leone, le Liberia, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin) dans le cadre d’une infrastructure autoroutière continue. A en croire Monsieur Lo,  ce projet «ne se réduit pas à une infrastructure linéaire moderne. Il s’inscrit dans la prolongation historique d’un maillage d’échanges pluriséculaires qui, dès l’époque médiévale, structuraient l’espace entre le Maghreb, le Sahel et le golfe de Guinée ».

Moubarack Lo a rappelé que les routes transsahariennes qui reliaient Tombouctou à Fès ou Kano à Marrakech, bien que terrestres, « s’appuyaient souvent sur des relais atlantiques – notamment dans les zones côtières du Maroc, de la Mauritanie ou du Sénégal – facilitant les flux de marchandises et la circulation des idées, des langues, et des religions (Triaud & Robinson, 2000) ».

Cependant, au-delà de l’intégration physique, ce corridor cristallise « une ambition politique et géopolitique majeure : celle de faire de l’Afrique atlantique un espace de convergence sud-sud, où le Maghreb ne serait plus en périphérie de l’Europe, mais au centre d’un réseau de solidarité et de codéveloppement continental». Ce projet constitue donc bien plus qu’un aménagement technique.

Pour Monsieur Lô, s’inscrit «dans une vision panafricaine, où la géographie des infrastructures devient la géographie du destin commun». Il estime qu’il redonne «sens à des mobilités anciennes, interrompues par la colonisation, et réactive des affinités culturelles, linguistiques et religieuses ancrées dans l’islam, les savoirs partagés, et les solidarités commerciales anciennes ». En plus, « en articulant développement économique, cohésion territoriale et construction d’un imaginaire collectif africain, le corridor Tanger-Lagos illustre la montée en puissance d’une intégration continentale par les infrastructures » poursuit-il. Monsieur Lo pense que l’un des principaux défis de l’intégration économique africaine réside «dans les coûts logistiques élevés, qui représentent en moyenne 40 à 60 % du coût final des produits échangés intra-africain, soit près de deux fois la moyenne mondiale (UNECA, 2021) ».

LA CONNEXTION ENTRE LE NIGERIA ET LE MAROC

De l’avis de Moubarack Lo, le corridor Tanger-Lagos a donc vocation «à fluidifier les échanges régionaux en réduisant les délais de transport et les formalités douanières aux frontières ». Il permet «de désenclaver les territoires de l’hinterland ouest-africain, en particulier les zones enclavées du Mali, du Burkina Faso ou du Niger, qui pourraient accéder plus efficacement aux ports atlantiques ».

Enfin, le corridor favorise «la mobilité humaine et les échanges de services dans une logique conforme à la libre circulation défendue par la CEDEAO et la ZLECAf». Plus encore, le corridor il encourage «une réduction moyenne de 30 % des temps de transit entre le nord et le sud du littoral atlantique ouest-africain, et créerait des bassins logistiques régionaux autour des grandes métropoles portuaires (Tanger, Abidjan, Lagos), selon une logique d’effet réseau logistique (AfDB, 2023) ».

Face à ces enjeux, le Maroc joue ici «un rôle de pivot régional, mettant à profit son expertise logistique (Tanger Med, Dakhla Atlantique), sa diplomatie infrastructurelle, et sa capacité d’investissement à l’échelle ouest-africaine ». Par ailleurs, le corridor participe à «la recomposition des influences géostratégiques sur le continent, en opposant une logique panafricaine de complémentarité à des logiques extractives ou néocoloniales ». En outre, ce corridor  illustre «une vision où les infrastructures ne sont pas seulement des outils de transport, mais des vecteurs de souveraineté économique, de stabilité régionale, et de recomposition territoriale». Ainsi, cette richesse potentielle est confrontée à un double défi. De l’avis de Monsieur Lo, d’une part, la majorité des ressources est exportée à l’état brut, ce qui perpétue la dépendance aux cours mondiaux et prive la région de valeur ajoutée industrielle et d’autre part, l’intégration logistique entre pays atlantiques africains reste embryonnaire, freinant les liens économiques entre les pays du littoral atlantique africain.

Cependant, la coopération atlantique demeure embryonnaire et fragmentée. Sur le plan juridique, peu d’accords multilatéraux spécifiquement centrés sur l’Atlantique africain existent à ce jour. Il a souligné « l’absence d’un cadre institutionnel opérationnel de coopération atlantique freine la mutualisation des ressources et des projets ». Selon lui, la superposition d’espaces d’intégration (CEDEAO, CEEAC, UMA, SADC) cloisonnés et sans articulation stratégique empêche l’émergence d’un projet régional cohérent.

Toujours à son avis, la CEDEAO regroupe 15 États d’Afrique de l’Ouest, «mais n’intègre pas les pays du Maghreb ni ceux d’Afrique centrale ». Ensuite, la CEEAC couvre l’Afrique centrale, «mais reste peu opérationnelle sur les questions maritimes ». Et, l’UMA, qui devrait fédérer le nord-ouest du continent, est paralysée depuis des années par des tensions géopolitiques. La SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) reste centrée sur le sud du continent, avec une faible projection atlantique. «En l’absence d’une vision intégrée et d’actions coordonnées, ces découpages freinent l’émergence d’un espace de coopération homogène le long de la façade atlantique, malgré des complémentarités économiques objectives » a-t-il indiqué.

Dans le même temps, certaines initiatives bilatérales ou plurilatérales (comme la Déclaration de Rabat, le gazoduc Afrique Atlantique ou les efforts conjoints pour la sécurité maritime, l’interconnexion énergétique et la durabilité environnementale) ouvrent la voie «à une gouvernance coopérative émergente, encore inégale mais porteuse de potentialités ».

La Déclaration de Rabat (2022) a été suivie de la mise en place du Processus des Etats africains atlantiques. Elle regroupe 23 États du continent et trace une feuille de route autour de quatre axes : sécurité maritime, économie bleue, interconnexion énergétique, et durabilité environnementale. Le gazoduc Afrique Atlantique, d’un coût estimé à 25 milliards de dollars, traverse 13 pays et devrait contribuer «à renforcer l’indépendance énergétique de l’Afrique de l’Ouest tout en créant un marché gazier régional ». En permettant au gaz nigérian de traverser plusieurs pays de la CEDEAO et d’atteindre le Maroc, dans un contexte d’engagement soutenu dans la transition énergétique, «c’est véritablement à une vascularisation économique de la CEDEAO que l’on assisterait, comme une jugulaire traversant l’Afrique de l’ouest ». En s’appuyant sur la zone d’intégration économique qu’est la CEDEAO, ce projet pourrait voir son impact décuplé et matérialiserait la « communauté de destins » chers aux Chefs d’Etat de la CEDEAO et à Sa Majesté le Roi Mohamed VI du Maroc. Dans cette perspective, le corridor Tanger-Lagos ou le gazoduc Afrique Atlantique peuvent être interprétés comme «des prolongements physiques des ambitions de la ZLECAf, facilitant le transport des biens, la connectivité énergétique, et l’interopérabilité logistique ».

La ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), entrée en vigueur en 2021, constitue un levier d’unification des marchés à fort potentiel pour la façade atlantique. Selon la Commission économique pour l’Afrique (UNECA, 2022), la ZLECAf pourrait permettre, d’ici 2035, une augmentation de 33 % des échanges intra-africains et générer près de 16 milliards de dollars de gains logistiques annuels, notamment grâce à la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires. En définitive, l’Afrique atlantique se trouve à un tournant stratégique. Son potentiel économique, énergétique et logistique est «indéniable, mais sa valorisation suppose une coordination renforcée, une gouvernance régionale intégrée, et une vision commune de développement fondée sur la transformation locale des ressources, la sécurité maritime, l’équité territoriale et la coopération Sud-Sud » rappelle Monsieur LO.

Il a rappelé que «le rôle de pays-pivots comme le Maroc devient central dans la promotion de corridors d’intégration et dans l’édification d’un espace atlantique africain émergent, pleinement intégré, souverain et durable ». Cheikh GUEYE

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