Au-delà, d’être des présidents en exercice démocratiquement élus, Mohamed Ould Ghazouani(Mauritanie), Mohamed Bazoum (Niger), Bola Tinubu (Nigeria) et Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) ont une autre chose en commun et pas des moindres. En fait, ce sont des hommes politiques qui ont bénéficié du soutien de l’appareil d’un président sortant pour accéder à la Magistrature suprême. C’est l’ère des dauphins en Afrique, du Nord au Sud, d’Est en Ouest.
Si la plupart des régimes de l’Afrique centrale sont voués aux gémonies c’est en raison du refus des chefs de d’Etat en exercice depuis plusieurs décennies de céder le pouvoir même à des caciques de leur parti. Et si le PDS a perdu le pouvoir en 2012, c’est en grande partie dû au refus systématique du Pape du Sopi de désigner un dauphin légitime en mesure de porter le flambeau. Idrissa Seck, l’homme de toutes les batailles du PDS dans la longue marche pour accéder au pouvoir a été jeté en prison, écarté du parti comme un malpropre, au profit du fils d’Abdoulaye Wade, Karim Wade. Le peuple souverain du Sénégal, dans sa ferme volonté de rejet du projet monarchique du président nonagénaire d’alors, a porté de manière résolue son choix sur le président de l’APR, Macky Sall, en 2012. Depuis lors, le PDS se meurt. Certains chefs d’Etat lucides et pondérés ont choisi de respecter la limitation des mandats fixé dans la Charte fondamentale de leur pays. Ainsi, ils ont cherché et trouvé des dauphins légitimes qu’ils ont soutenus et portés au pouvoir. Ces Chefs d’Etat démocrates et soucieux de la stabilité de leur pays sont légion.
Le dauphin d’Ould Abdel Aziz triomphe en Mauritanie
Le président Mohamed Ould Ghazouani doit beaucoup à son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz, En effet, après avoir dirigé l’Armée mauritanienne pendant 10 ans, le général Ghazouani été nommé ministre de la Défense de 2018 à 2019. Au cœur du pouvoir, il s’est forcé une réputation. Il construit une politique de défense mauritanienne qui a fait du pays une exception au Sahel, n’ayant subi aucun attentat depuis 2011. Après un an dans le gouvernement de son prédécesseur, il se présente aux élections présidentielles à sa suite et est élu président de la République avec 52,01% des voix. Il a été soutenu par le président de la République sortant Mohamed Ould Abdel Aziz à l’élection présidentielle de juin 2019. Il devance son principal challenger BiramDah Abeid, qui n’avait recueilli que 18,59 %. Les résultats de ces élections transparentes ont été confirmés par le Conseil constitutionnel de la Mauritanie. Mohamed Ould Ghazouani est investi le 1er juillet 2019. On se rappelle de sa prestation de serment devant un partenaire de dignitaires de toute la sous-région un certain 1er août 2019. Pour son premier gouvernement, l’ancien chef d’Etat-major général de l’Armée a préféré opter pour la continuité en gardon reconduisant les ténors du régne d’Ould Abdel Aziz. En effet, aucun opposant ne faisait partie de la nouvelle équipe. Mohamed Ould Ghazouani a fait appel à certains hauts cadres connus comme l’ancien haut-commissaire de l’organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal, nommé ministre de l’Intérieur, ou de Haimoud OuldRamdane, un juriste spécialiste de la défense des droits de l’homme qui est devenu Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il a également fait appel à un autre ténor de l’appareil sécuritaire de son pays à savoir le général Hanena Ould Sidi, le dernier commandant de la force commune du G5 Sahel, qui a été nommé ministre de la Défense nationale, et Taleb Ould Sid’Ahmed, ancien journaliste de la télévision mauritanienne et haut cadre à la Banque mondiale à Abidjan est casé à l’Emploi, à la Jeunesse et aux Sports. En ce qui concerne les plus anciens compagnons d’Ould Abdel Aziz, le nouvel homme fort de la Mauritanie a conservé Ismail OuldCheikh Ahmed aux Affaires étrangères et Nani OuldChrougha au ministère des Pêches et de l’Économie maritime. Idem pour son collègue du Pétrole Mohamed Abdel Vetah. Dix jours après son investiture, le président Ghazouani avait su rassurer les caciques sous Ould Abdel Aziz et fédérer autour de lui. Même si on note quelques attaques sporadiques de groupes terroristes, la Mauritanie est resté un pays paisible.
Au Niger, le dauphin du président Issoufou a été élu
Que serait la vie de Mohamed Bazoum sans Mahamadou Issoufou ? Beaucoup l’ignorent. Mais à coup sûr, il ne serait pas l’actuel président en exercice du Niger. Compagnon de route de Mahamadou Issoufoudepuis trois longues décennies, le ministre de l’Intérieur Bazoum a été désigné, le 31 mars, candidat à sa succession pour la présidentielle de 2021. Il avait enchaîné les réunions de sécurité, les rencontres diplomatiques et les comités du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), dont il était le président. Bazoum a été officiellement désigné par le parti au pouvoir le 10 février 2021 candidat pour briguer la succession du président sortant Mahamadou Issoufouen 2021. Il faut reconnaitre à Issoufou sa grandeur d’âme et son respect scrupuleux des dispositions de la Constitution du Niger qui fixait la limitation des mandats à deux. « La continuité pour un avenir meilleur », telle était la promesse du candidat Mohamed Bazoumdont l’élection à la présidence du Niger a été confirmée par la Cour constitutionnelle. Par un arrêt paru dimanche 21 mars 2021, l’institution nigérienne a validé sa victoire avec plus de 55 % des suffrages lors de la présidentielle du 21 février 2021. La Cour a « constaté » que « Mohamed Bazoum a obtenu le plus grand nombre de voix » et « le déclare par conséquent élu président de la République du Niger pour un mandat de cinq ans à compter du 2 avril 2021 », selon son président BoubaMahamane, qui a lu l’arrêt au siège de la haute institution. Les résultats de 73 bureaux de vote ont été annulés, pouvait-on lire, sans plus de précisions. Le taux de participation était situé à environ 62,91 %, des chiffres sensiblement semblables à ceux publiés le 23 février par la Commission électorale nationale indépendante.
Au Nigéria, le « Boss » dauphin de Buhari élu dès le premier tour.
On a assisté au même scenario dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Une élection transparente et un dauphin qui remplace son mentor. « C’est mon tour », n’avait-il de cesse de répéter durant la campagne. Bola Tinubu, le candidat du parti au pouvoir, a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle au Nigeria. Bola Tinubu, vainqueur de l’élection, a été accueilli par ses partisans criant « Jagaban » (« chef ») à son siège de campagne, peu après l’annonce de son succès. Après trois jours de contestation du scrutin, la commission électorale a annoncé que Bola Tinubu, du Congrès des progressistes (APC), avait cumulé plus de 8,8 millions de voix, remportant l’une des élections les plus disputées de l’histoire démocratique du Nigeria. Atiku Abubakar, le candidat de la principale formation de l’opposition (le PDP qui dirigea le pays de 1999 à 2015), a recueilli 6,9 millions de voix. L’outsider Peter Obi, du Parti travailliste (LP), dont la popularité auprès des jeunes a donné un nouvel élan à cette campagne, a remporté 6,1 millions de voix. Et pourtant, au début des années 90, Tinubu n’avait pas songé à un tel destin. En effet, c’était avant tout un chauffeur de taxi puis comptable aux Etats-Unis. A son retour au pays natal, il est devenu l’influent gouverneur de Lagos. Par la suite, le septuagénaire multimillionnaire a monté les échelons avant d’accéder à la présidence de la première économie africaine. Il est resté extrêmement influent dans la capitale économique nigériane. Mais aussi dans le reste du pays : Bola Tinubu est perçu comme l’homme derrière toutes les nominations politiques dans le sud-ouest du Nigeria. Il a soutenu l’élection de MuhammaduBuhari à la tête de l’Etat en 2015 et de nouveau en 2019. D’où l’un de ses surnoms : le « faiseur de roi ». En 1992, il se lance en politique. Après s’être exilé brièvement au Bénin voisin pendant la dictature militaire des années 1990, il devient gouverneur de Lagos en 1999. Il y restera huit ans, pendant lesquelles la ville se transforme de manière spectaculaire en mégalopole de 20 millions d’habitants, où les capitaux étrangers affluent. Le multimillionnaire surnommé « le Parrain » ou « le Boss » pour son influence sur la vie politique nigériane a atteint l’objectif de toute une vie.
Cyril Ramaphosa, l’homme choisi pour maintenir l’ANC au pouvoir
C’est en décembre 2012, que Cyril Ramaphosa a effectué son retour en politique en devenant vice-président du Congrès national africain (ANC). Deux ans plus tard, il accède à la vice-présidence de la République d’Afrique du Sud. Son ascension est fulgurante. En effet, en décembre 2017, il est élu président de l’ANC avec 2 440 suffrages, contre 2 261 pour sa rivale, Nkosazana Dlamini-Zuma (ex-femme de Jacob Zuma et ancienne présidente de la commission de l’Union africaine). Capitaliste et pragmatique, Ramaphosa s’est opposé à la vision radicale et panafricaine de son adversaire. Pour lutter contre les inégalités, il veut rendre l’université gratuite pour les plus pauvres. Cette victoire est considérée, du fait du poids de l’ANC dans le pays, comme un boulevard vers la prochaine élection présidentielle, en 2019. La situation de l’ANC a été cependant compliquée, ayant perdu des villes importantes lors des dernières élections locales, alors que le président de la République Jacob Zuma est touché par des affaires de corruption, que le chômage atteint 30 % et que les inégalités sont criantes. En février 2018, des négociations se tiennent entre l’ANC et Jacob Zuma au sujet de la démission de celui-ci au profit de Cyril Ramaphosa10. Zuma, après avoir dans un premier temps refusé, accepte finalement de démissionner le 14 février 2018, après avoir été menacé de destitution, et Ramaphosa lui succède comme président de la République par intérim. Par la suite, en février 2018, le Parlement élit formellement Cyril Ramaphosa président de la République.
Tous ces pays où la Constitution a fixé une limitation des mandats, les Présidents en exercice ont eu l’intelligence de préparer leur succession. Non pas une succession dynastique comme cela se fait dans certains pays d’Afrique centrale mais une succession autour d’une personnalité légitime en raison de son vécu et de son poids politique dans le parti au pouvoir. Cela la voie de tous les Chefs d’Etat qui souhaitent la quiétude, la prospérité et le bonheur pour leurs concitoyens.
Mamadou DIALLO