En accusant son ancien président de trahison et de collusion avec le M23, la justice congolaise met en procès une époque et ses ambiguïtés politiques.
Jamais la République démocratique du Congo (RDC) n’avait connu pareille séquence judiciaire. Depuis le 25 juillet, Joseph Kabila, qui a dirigé le pays entre 2001 et 2019, est jugé par contumace devant la Haute Cour militaire de Kinshasa. L’ancien président, introuvable malgré plusieurs tentatives de notification, n’a jamais comparu. Mais le procès avance, porté par les avocats de la République, déterminés à faire de cette affaire un symbole de la rupture avec l’impunité des élites.
Ce jeudi 21 août, lors de la quatrième audience consacrée aux plaidoiries, la tension a franchi un nouveau cap. L’accusation a dressé un réquisitoire implacable contre l’ex-chef de l’État, l’accusant de crimes de guerre, de trahison et d’avoir usurpé jusqu’à son identité.
L’ombre d’Hippolyte Kanambe
Au cours de l’audience consacrée aux plaidoiries ce jeudi 21 août, les avocats des parties civiles représentant la République démocratique du Congo ainsi que les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et de l’Ituri ont tenté de démontrer que Joseph Kabila aurait usurpé l’identité de Laurent-Désiré Kabila présenté comme son « père adoptif sociologique et non juridique ». D’après eux, l’ancien chef de l’État congolais serait de nationalité rwandaise. Des accusations qualifiées de ridicules et dangereuses pour les membres de la plateforme politique de Kabila.
Derrière ce débat identitaire explosif se cache une stratégie : si Joseph Kabila n’est pas congolais, il ne peut pas être jugé pour trahison, mais bien pour espionnage. Une qualification plus lourde, aux yeux des parties civiles, qui l’accusent d’avoir agi comme le véritable chef de la rébellion du M23.
Des crimes passibles de la peine capitale
Le dossier d’accusation est tentaculaire. Joseph Kabila est poursuivi pour son rôle présumé dans la création de l’Alliance fleuve Congo (AFC), mouvement politico-militaire dont la branche armée, le M23, occupe aujourd’hui de vastes zones du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Le réquisitoire l’accuse d’avoir commandité l’homicide intentionnel de 31 civils, tenté d’en tuer 21 autres, et organisé l’occupation armée de la ville de Goma en janvier 2025. Au Sud-Kivu, il est poursuivi pour viols, tortures et homicides par balles.
À cela s’ajoutent des accusations de déportation, de complot, d’apologie du terrorisme lors d’une interview au Sunday Times le 23 février dernier, et de participation active à un mouvement insurrectionnel. Des faits qui, en RDC, sont passibles de la peine de mort depuis la levée du moratoire sur les exécutions en 2024.
« Sénateur à vie ou pas, vous êtes soumis à la loi »
Pour les avocats de la République, le procès doit marquer une rupture. « Il a commis des crimes graves contre la paix et l’humanité, en violation de l’article 9 portant statut des anciens présidents de la République, article qu’il avait lui-même promulgué », insiste au micro du Point Afrique, Me Richard Bondo. « Sénateur à vie ou pas, vous êtes soumis à l’autorité de la loi. C’est ça l’expression claire d’un État de droit. »
Dans leur plaidoirie, ils exigent non seulement la condamnation de l’ancien président, mais aussi le versement de plus de 24 milliards de dollars de dédommagements et la confiscation de ses biens et comptes bancaires. « Ce procès va servir de leçons pour les autres. Les peuples congolais recherchent l’État de droit », insiste MeRichard Bondo.
Un procès « politique », selon ses partisans
Pour le camp Kabila, ce procès n’a rien de judiciaire. Ferdinand Kambere, secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), dénonce une opération de diversion orchestrée par le pouvoir en place : « C’est devenu une proie facile pour le pouvoir d’essayer de placer un voile pour que la population ne puisse voir leurs échecs de non-gouvernance, que ce soit sur le plan diplomatique, militaire ou social », accuse-t-il.
Les doutes sur un procès équitable
Le procès interroge aussi la société civile. Jean-Claude Katende, coordonnateur de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho), met en garde : « Puisque le ministère public, qui accuse, s’exprime au nom de la République, et que les avocats de celle-ci mettent également en cause l’ancien président Kabila, la question demeure : n’assiste-t-on pas à un procès à sens unique ? »
Il redoute que l’absence de l’accusé ne conduise à une justice de façade : « Est-ce qu’ils ont l’esprit d’indépendance pour pouvoir acquitter Joseph Kabila dans le cas où les preuves versées au dossier s’avéreraient insignifiantes ? Dans la situation actuelle, ne risquent-ils pas de subir des représailles de la part de ceux qui veulent absolument que l’ancien président soit condamné ? »
Un réquisitoire implacable
Ces mises en garde n’ont pas empêché l’auditeur général des Forces armées, le lieutenant général Jean-René Likulia Bakulia, de frapper un grand coup lors de l’audience du 22 août. S’exprimant devant la Haute Cour militaire, il a réclamé la peine capitale contre l’ancien président.
« C’est lui le boss [de l’AFC/M23, NDLR] », a-t-il martelé à plusieurs reprises, reprenant l’argument central de l’accusation : Kabila serait le véritable chef de la rébellion. L’auditeur général a ordonné son arrestation immédiate, malgré son absence au procès.
Le verdict est attendu dans les prochains jours. Mais déjà, ce procès historique divise profondément la RDC. Pour ses partisans, il s’agit d’une manœuvre politique destinée à écarter l’ancien président de la scène nationale. Pour ses adversaires, il marque au contraire un tournant décisif : la fin de l’impunité des chefs d’État et l’avènement d’une justice qui ose juger les plus puissants.
Dans un pays encore meurtri par les violences à l’Est et engagé dans des négociations de paix fragiles avec le M23 à Doha, la condamnation éventuelle de Joseph Kabila à la peine de mort ferait date. Mais elle pourrait aussi, préviennent certains, rallumer des plaies politiques et communautaires que la RDC peine déjà à cicatriser. Le Point Afrique