avril 15, 2025
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Economie

FLUX FINANCIERS ILLICITES ISSUS DU TRAFIC DE MIGRANTS : TENDANCES ET REPONSES EN AFRIQUE DE L’OUEST Les cas du Sénégal et Sierra Leone

En dépit de politiques rigoureuses de lutte contre leblanchiment d’argent et le trafic illicite de migrants, laprésente étude révèle qu’au Sénégal et en Sierra Leone, les passeurs font assez rarement l’objet d’enquêtes etd’accusations de blanchiment d’argent. Les servicesd’enquêtes financières de ces pays n’ont pas lesressources ni l’expertise adéquates pour détecter les produits illégaux des passeurs, qui sont souvent réglés en espèces et acheminés via des canaux informels. Cette situation est aggravée par le manque de signalement des transactions suspectes par les entités vulnérables au blanchiment d’argent, telles que les entreprises informelles de transfert de fonds et les sociétésimmobilières.

L’économie de l’Afrique de l’Ouest repose largement sur les paiements en espèces et est essentiellementinformelle1. Elle est ainsi vulnérable à une série de flux financiers illicites (FFI) qui sortent des cadresréglementaires et sont difficiles à combattre. Les économies informelles offrent des moyens de subsistanceà de nombreux citoyens qui survivent en dehors dessecteurs économiques régis par l’État dans cette région.

Elles servent pourtant de plates-formes qui contribuent à laprospérité des réseaux criminels et à l’intégration de leursproduits dans l’économie formelle.

Les FFI englobent un certain nombre de délitsfinanciers, comme la perception de revenus illégauxainsi que le transfert de fonds frauduleux dépassant lesfrontières des États et leur utilisation2. Ces délitsévoluent

en fonction non seulement des points faibles des réglementations nationales, mais également des lacunesréglementaires régionales et mondiales qui permettent de faire rapidement des investissements et des transferts defonds indétectables au-delà des frontières. L’évaluation duGroupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (GIABA) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) montre que denombreux pays de la région ont adopté des politiquesrigoureuses en matière de lutte contre le blanchimentd’argent, qui ne sont malheureusement pas mises en œuvrede manière cohérente.

Contrairement à d’autres économies clandestines, celle liée au trafic de migrants a tout récemment été qualifiée derisque sérieux pour les FFI. Bien que les montants soientrelativement peu élevés par prestation, ce trafic procure des profits réguliers aux passeurs qui organisent les déplacements d’une population croissante de migrants ensituation irrégulière.

Méthodologie de recherche

L’équipe de recherche a adopté une méthodologie qualitative comportant une approche mixte pour la collectede données, notamment une analyse documentaireexhaustive, des entretiens avec des informateurs clés (KII)et des discussions de groupe (FGD). Dans l’analysedocumentaire, figurent la littérature universitaire et grise, des articles de presse, ainsi que des données provenant d’institutions financières nationales et régionales, tellesque les cellules de renseignements financiers (CRF), leGIABA, le Groupe d’action financière (GAFI) etl’Organisation internationale de police criminelle(Interpol).

Des entretiens ont été menés au Sénégal et en Sierra Leone avec diverses parties prenantes, à savoir lesautorités locales et nationales, les migrants de retour et lessociétés immobilières. En Sierra Leone, les entretiens sesont déroulés à Freetown, ainsi que dans les villesfrontalières de Gendema, de Buedu, de Gbalamuya, deKoidu et de Mokeni. Au Sénégal, des travaux derecherche sur le terrain ont été entrepris dans la région deThiès, en bordure de l’océan Atlantique, voied’embarquement pour les passeurs de ce pays.

Des entretiens ont également été organisés virtuellementavec des experts de groupes de la société civile etd’organisations internationales. Par ailleurs, desorganisations telles qu’une association de lutte contre la migration illégale et une association de migrants deretour au Sénégal ont pris part à des discussions degroupe.

Les résultats de la recherche ont été examinés puisvalidés par des experts lors de leur atelier de validationdu 1er décembre 2022. La réunion d’experts a permis detrianguler les principales idées et de procéder à unexamen rigoureux de l’approche et des résultats de cetterecherche. L’équipe de recherche a également tenu desréunions consultatives avec des membres du GIABAaux fins d’analyse et de vérification des donnéesconnexes.

Les résultats ont mis en relief des modes defonctionnement. Lorsque le rapport fait référence à cesmodes établis par des sources multiples, le terme usité est «personnes interrogées » ou recherches sur le terrain.Comme indiqué préalablement, une liste complète despersonnes interrogées figure dans les Annexes.

Les résultats de la recherche sont répartis dans trois sections. La première section traite du marché du trafic demigrants, en explorant le rôle du Sénégal en tant queplaque tournante majeure du transit pour les migrantssierra-léonais. Elle comprend une analyse de la rentabilitédu trafic illicite de migrants et des frais prélevés tout aulong des itinéraires choisis. La deuxième section décrit leschaînes de valeur des flux illicites dans le cadre de cetrafic illégal, avec des détails sur les moyens formels etinformels de transférer des fonds frauduleux, ainsi que sur l’introduction des produits dans l’économie formelle. Vient ensuite une évaluation de la législation nationale et régionale et des capacités à mener des enquêtes sur le blanchiment d’argent plus précisément sur l’infraction principale de trafic de migrants. Le rapport se termine par une série de recommandations.

Le marché du trafic de migrants en Sierra Leone et auSénégal

Des enquêtes menées en Sierra Leone et au Sénégal montrent que la plupart des migrants en situation irrégulièrese déplacent pour des raisons économiques. Les pressionsde la famille, de l’entourage et de la société ont normalisé la migration – peu importe les moyens – qui apparaît comme une voie vers une vie meilleure dans un contexte marquépar un coût de la vie élevé et un chômage important.

La migration clandestine en provenance de Sierra Leone aété décrite comme une partie de Temple Run, en référence à un jeu mobile où les joueurs courent pour sauver leur vie en se frayant un chemin à travers des obstacles. Dans lejeu, « il n’y a pas de fin au voyage sauf la mort mais encours de route, le joueur collecte des pièces d’or, s’il survit» . Le mépris des risques met en lumière le profonddésespoir qui se cache derrière la migration clandestine.

Les réseaux de passeurs capitalisent sur le désespoir desmigrants en situation irrégulière12 dans un contexte de durcissement de la politique anti-migrants en Europe et de risques accrus pour la sécurité le long des routesmigratoires. Les passeurs de Sierra Leone et du Sénégalentretiennent des liens et des réseaux solides avec les passeurs et les groupes armés d’Afrique du Nord afin de garantir la sécurité du passage de leurs clients et debénéficier d’un appui constant.

De même, des passeurs haut placés des pays d’Afrique du Nord, tels que l’Égypte, le Maroc et la Libye, auraient établis des liens plus étroits avec leurs homologues des pays d’origine de ces migrants ouest- africains, comme laMauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée, la Côted’Ivoire et le Ghana. Au Sénégal, par exemple, legouvernement a démantelé un réseau de passeurs à Dakaren 2019, composé d’éminents hommes d’affaires. Le chefdu réseau opérait depuis le Maroc. En trois mois (de juin àaoût 2019), le réseau a engrangé plus de 165 millions defrancs CFA (276 276 dollars) en faisant passer 110 migrantsclandestins du Sénégal vers l’Espagne via le Maroc.

Le rapport étudie la dynamique des grandes routes migratoires clandestines et les frais associés, et plusparticulièrement les flux en provenance de Sierra Leonequi croisent les routes migratoires sénégalaises endirection de l’Europe et du Moyen-Orient. Néanmoins, le marché du trafic de migrants à partir de la Sierra Leone etdu Sénégal n’est pas analysé en détail. Par exemple, lesréseaux de passeurs facilitant les voyages vers l’Amériquedu Nord et du Sud ne sont pas pris en considération.

Le Sénégal, plaque tournante régionale : débouchés et point de transit pour les migrants sierra-léonais

Les restrictions de voyage entre la Sierra Leone et les pays voisins ne sont pas strictes en raison des relations bilatérales,de la politique de libre circulation et des frontières ouvertesde la CEDEAO. Les migrants sierra-léonais considèrent leSénégal comme un centre de transit privilégié qui leurpermet de travailler et de collecter des fonds pour leursfamilles ou pour leur voyage à travers l’Afrique du Nord àdestination de l’Europe ou du Moyen-Orient.

Des cas de Sierra-Léonais détenus ont été signalés auSénégal, en particulier à Diamniadio, un district près deDakar de vastes projets de construction ont attiré unemain-d’œuvre bon marché, dont des travailleursclandestins. De retour, des migrants de Sierra Leone ontraconté à l’équipe de recherche comment ils avaient étédétenus dans des « maisons de passeurs » à Diamniadio, où ils ont rassemblé des fonds pour leur voyage versl’Europe. Au plus fort de la pandémie de Covid-19 en2020, les forces de l’ordre sénégalaises ont mis fin à unréseau de passeurs composé d’agents sierra-léonais etsénégalais qui avaient emmené et hébergé des migrantssierra-léonais à Diamniadio.

En outre, la mine d’or de Kédougou attire un grand nombrede migrants venant de Sierra Leone, du Nigéria, du Mali, du Ghana et de Guinée, qui y travaillent pour envoyer de l’argent à leurs familles ou pour aller en Europe. Certains d’entre eux en situation irrégulière sont désespérés et incapables de payer la totalité des dépenses relatives à leurpassage clandestin jusqu’à destination. Ils sont alorsvictimes de trafiquants qui exigent des frais de voyagecompris entre 2 700 et 3 700 dollars19. Les victimesféminines se livrent à la prostitution à Kédougou, tandisque les victimes de sexe masculin effectuent des travauxbon marché pour payer leurs frais de voyage très coûteux.

Voies terrestres du Sénégal à destination de l’Europe vial’Afrique du Nord

Pour les Sierra-Léonais, le Sénégal sert de porte d’entrée vers l’Afrique du Nord. Les recherches sur le terrainmontrent que les migrants sierra-léonais empruntent lesvoies terrestres du Sénégal en direction des pays d’Afriquedu Nord, tels que le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et parfois la Libye. Des points de départ depuis le Sénégal versl’Afrique du Nord ont été signalés dans des communautés du nord-ouest et du nord-est de la région de Louga. Le    Sénégal est, par ailleurs, un point de départ et de transit pour les migrants en route vers Agadez au Niger, vers laLibye et ensuite vers l’Europe.

Mode de paiement à l’utilisation

Les migrants en situation irrégulière voyageant du Sénégalvers l’Europe via l’Afrique du Nord ont déclaré préférerfaire appel aux services de passeurs sur différentes portionsdu trajet, en particulier lorsqu’ils arrivent aux postesfrontières et empruntent des itinéraires dangereux, comme latraversée du désert du Sahel. Ce mode de paiement àl’utilisation leur a permis de réduire les coûts induits par leurdépendance constante vis-à-vis des passeurs à chaque étapedu voyage, même dans des zones relativement sûres.

Les passeurs sénégalais préfèrent le paiement intégralen espèces avant de se lancer dans un voyage avecpaiement à l’utilisation et environ 60 % de la totalitédes paiements en liquide sont réglés avant le départ. Lesfrais payés pour chaque étape du trajet varient en fonction de la diversité des itinéraires et des options de voyage. Les migrants de retour du Sénégal qui ontutilisé cette méthode de paiement ont indiqué que lemontant des dépenses réglées à leur arrivée àdestination en Europe tournait autour de 600 à 800dollars. Cette estimation des coûts est peu élevée parrapport à d’autres options, car les migrants interrogés, ayant choisi le mode de paiement à l’utilisation, préfèrent n’effectuer des paiements que lorsque cela estabsolument nécessaire, afin de réduire les coûts. Lesfrais dépendent, cependant, d’un certain nombre defacteurs pris en compte tout au long des routesmigratoires.

Les migrants rapatriés ont déclaré à l’équipe de rechercheque les groupes armés au Mali et en Lybie extorquaientsouvent de l’argent à ceux qui ne se plaçaient pas sous laprotection de passeurs alliés24. Ceux qui n’étaient pas enmesure de payer les frais de rançon ont subi des abussexuels, en particulier les femmes, tandis que d’autres ontété vendus comme esclaves.

Options de forfait voyage tout compris

Les options de forfait voyage tout compris vers l’Europe coûtent cher. La plupart des migrants interrogés qui ont choisicette option ont raconté comment ils ont dérobé de l’argent àleur famille et à leurs amis ou se sont endettés pour couvrirleurs frais. Une migrante rapatriée de 27 ans, qui a parlé àl’équipe de recherche, a décrit son expérience d’un forfaitvoyage tout compris de la Sierra Leone vers l’Europe.

Voyagez maintenant et payez plus tard

Quelquefois, les migrants ayant opté pour le forfait complet sont autorisés à payer ultérieurement et à faire des versements partiels. Ils courent, toutefois, des risques graves en termes de sécurité s’ils n’arrivent pas à s’acquitter de leur dette en cours de route à leur point de destination. Un cas donné enexemple au Sénégal montre comment des migrants ayant opté pour un paiement différé ont été retenus captifs au Maroc pendant plusieurs jours jusqu’à ce que leurs parents règlent lemontant convenu.

Voies maritimes du Sénégal aux îles Canaries

L’étude a démontré que les passeurs utilisent les voiesmaritimes du Sénégal aux îles Canaries espagnoles comme porte d’entrée vers l’Europe à cause des restrictionscroissantes sur la route méditerranéenne. En 2020, les données sur la migration ont révélé une augmentation destraversées de migrants du Sénégal vers les îles Canariesd’environ 1 000 % par rapport à la période 2011-2019.

Cependant, en 2023, l’utilisation des routes maritimes semble avoir diminué, ce qui laisse entendre que lesrestrictions liées à la COVID-19 concernant les frontièresterrestres ont joué un rôle dans l’utilisation accrue des routesmaritimes entre 2020 et 2022.

Des villes côtières comme Saint Louis et Mbour sont les principaux points de départ vers les îles Canaries. Les migrants en situation irrégulière quittent aussi certains villages de pêcheurs, tels que Joal, Thiaroye etSoumbedioune. Ces côtes attirent les migrants ouest-africains, notamment du Sénégal et de la Sierra Leone. Les passeurs qui exploitent cet itinéraire exigent généralement d’être intégralement payés à l’avance, et les montantsvarient de 400 à 600 dollars.

Options de voyage mixtes vers le Moyen-Orient

Selon les recherches menées en Sierra Leone, des pays du Moyen- Orient tels que le Liban, Oman, le Koweït et l’Arabie saoudite sont souvent cités comme destinations privilégiées par les migrants sierra- léonais. Les passeurs, se faisant passerpour des agences de placement et de voyages, créent la demande de voyages vers le Moyen-Orient présenté comme lanouvelle frontière pleine de promesses. En utilisant des affiches d’offres d’emploi et des plateformes de médias sociaux, par exemple Facebook et TikTok, ils promettent des emplois lucratifs dans les secteurs de la construction et del’hôtellerie. Les candidats sont alors tenus de rétribuer lesagents ayant facilité la recherche d’emploi et les frais detransport.

Bien que ces voyages soient habituellement considérés comme une forme d’exploitation, les recherches sur le terrainont indiqué que les migrants sierra-léonais sont souventconscients des risques auxquels ils s’exposent. Pour couvrir ladistance jusqu’au Moyen-Orient, les passeurs de Sierra Leoneproposent des voyages combinant des transports terrestre etaérien en acheminant les migrants par la route vers des centresrégionaux tels que le Sénégal (et le Ghana), d’où ils poursuivent leur itinéraire par avion. Ces combinaisonsoffrent un double avantage : de réduire les coûts des vols enutilisant des plaques tournantes régionales où les vols sontmoins chers, et de permettre d’échapper à la surveillancecroissante de la Sierra Leone en ce qui concerne lerecrutement illégal d’une main-d’œuvre destinée au Moyen-Orient.

En 2020, le gouvernement sierra-léonais a décrété unmoratoire de deux ans sur tout recrutement à l’étranger àcause de rapports faisant état de traitements abusifs.Cependant, les réseaux de passeurs de migrants ont eurecours à des filières clandestines pour transiter par lespays voisins avant d’envoyer leurs clients par avion auMoyen-Orient. Cette même année, 87 hommes et femmessont revenus du Sénégal après l’échec d’un plan de passagevers le Moyen-Orient, à des complications liées à lapandémie de la Covid-19. Le moratoire a été levé en 2022 à la suite de l’adoption d’une politique stricte de recrutement de travailleurs. Pourtant, les passeurs quiéchappent aux autorités continuent d’utiliser des payscomme le Sénégal pour se soustraire à la surveillance dugouvernement.

Pour se rendre au Moyen-Orient, les forfaits tout compris sesituent souvent entre 800 et 1 200 dollars. D’après les données de recherche menées en Sierra Leone, ce sont généralement les femmes qui effectuent ces voyages, les hommes préférant plutôt se rendre en Europe. Les personnes interrogées ont fait remarquer que les migrantes qui ne sont pas en mesure de payer le montant intégral sont utilisées comme esclaves sexuelles dans les zones de transitet aux points de destination.

Certains migrants qui ne sont pas en mesure de payer leurs frais sont manipulés et finissent par accepter lesemplois proposés par les passeurs, par exemple en tantqu’ouvriers du bâtiment, femmes de ménage ouprostituées. Ces débouchés donnent aux migrants uncertain sentiment de liberté, même s’ils sont tenus de fairedes petits versements aux passeurs sur une période plusou moins longue. Dans ce genre de situations, le migrantest exploité de manière prolongée.

Les migrantes ont également signalé des cas de maltraitanceet d’abus dans les pays de destination, qu’elles aient effectuédes paiements complets ou partiels avant leur départ.

En 2020, le gouvernement sierra-léonais a lancé unprogramme d’aide au retour et à la réintégration des migrants,en particulier ceux bloqués au Moyen-Orient. Rien qu’en2021 et en collaboration avec l’OIM, la Sierra Leone arapatrié 2 112 migrants de cette région.

Processus de paiement pour les frais de passage etdifficultés connexes

La présente section étudie les paiements de routine effectués en espèces pour le passage clandestin, les transferts d’argentinformels et l’utilisation des produits de ce trafic, ens’appuyant sur les recherches menées sur le terrain auSénégal et en Sierra Leone.

Paiements en espèces et transferts d’argent

Les frais de passage clandestin en espèces ou par transfert d’argent sont souvent répartis entre les pays d’origine, de transit et de destination. Des migrants de retour en Sierra Leone et au Sénégal ont déclaré à l’équipe de recherche que les passeurs payaient puis les remettaient à leurs collaborateurs dans d’autres pays. Les migrants empruntant les voies terrestres pour se rendre en Europe ont décrit comment les collaborateurs se trouvant dans lespays de transit comptaient ceux qui avaient entièrementréglé leurs frais, en se basant sur la liste fournie par lespasseurs de leur pays d’origine. Ceux qui avaient payépoursuivaient alors leur voyage tandis que les autresrestaient dans une maison de passeurs.

De plus, selon les migrants de retour, ils étaient tenus de transporter de l’argent liquide pour payer les passeurs, lesgroupes armés et les forces de l’ordre qui contrôlent lesroutes migratoires. Les migrants ayant choisi l’option du forfait voyage tout compris ont souvent indiqué que les informations sur les suppléments ne leur étaient transmises que lorsque les montants dus étaient totalement réglés aux agents dans le pays d’origine, d’où la difficulté de seretirer de l’accord.

Les recherches sur le terrain entreprises en Sierra Leone etau Sénégal ont indiqué que les transferts d’argenttransfrontaliers aux collaborateurs étaient traités par l’intermédiaire d’entreprises de transfert de fondstransfrontalières, notamment Western Union, World Remit,Transfast, Orange Money, WAVE et Moneygram.

Les migrants et leurs familles ont également utilisé ces sociétés pour régler les dépenses impayées ainsi que lesrançons fixées par les passeurs ou les groupes armés. Unmigrant de retour a expliqué comment des passeurs en Libye l’ont torturé parce qu’il n’avait pas versé l’intégralité de ses frais. Il a dû demander de l’argent à safamille pour obtenir sa libération. Ces fonds ont été versésvia Western Union.

Le rapport annuel 2020 d’une CRF du Sénégal, à savoirla Cellule nationale de traitement des informationsfinancières (CENTIF), fait état d’un très petit nombre designalements de transactions suspectes émanant de prestataires de transfert de fonds formels et d’établissements de monnaie électronique – environ sixsur les 213 déclarations reçues en 2020. Ces chiffres sontfaibles comparativement à ceux des banques et des institutions financières où cette pratique est relativement plus courante, et qui ont transmis environ 158déclarations d’opérations suspectes.

Dans la plupart des cas, néanmoins, les passeurs préfèrent recourir aux services informels de transfert de fonds telsque les services de change (marché noir des devises) et lesystème de paiement hawala, « un client remet une somme d’argent à l’un de ces agents [hawaladar] qui contacte l’agent le plus proche du destinataire désigné de lui demander de remettre à ce dernier la même somme (moins une commission, en général) en échange de lapromesse qu’elle lui sera remboursée ultérieurement.Ainsi, tous les maillons de la chaîne ont reçu leur part ».

En conséquence, le transfert de fonds est rapide, sans justificatif écrit et anonyme, d’où la difficulté à remonterleur trace jusqu’à une personne en particulier. L’utilisationde systèmes informels de transfert d’argent élimine lesrisques et le facteur temps liés au transport de l’argentliquide et évite les envois de montants importants à despartenaires transfrontaliers via le secteur bancaire.

Les forces de l’ordre ont déclaré à l’équipe de rechercheque les passeurs utilisent généralement les marchés noirs de devises étrangères, qui sont de plus en plus interconnectés en Afrique de l’Ouest, pour transférer desfonds au-delà des frontières. Le rapport 2021 du GIABA portant sur l’argent blanchi via les marchés noirs informels de devises étrangères d’Afrique de l’Ouest décrit comment ils ne rencontrent guère de restrictions etont pris l’habitude de dissimuler la véritable origine desproduits illégaux.

Les constatations faites en Sierra Leone et au Sénégal indiquent que les transactions des agents du marché noir des devises avec leurs clients sont fondées sur la confiance.Sachant que la concurrence pour fidéliser leur clientèle estrude, ces agents s’efforcent de préserver la confiance et defluidifier les transactions autant que possible pour éviter les retards. Les paiements et les transferts des produits de la criminalité se font par le biais de systèmes informels sanspasser par les systèmes financiers formels, qui feront sansdoute l’objet d’enquêtes.

Les rapports montrent que les envois de fonds vers les pays d’Afrique de l’Ouest se multiplient. En 2020, par exemple,les pays d’Afrique de l’Ouest en ont reçu à hauteur de 27milliards de dollars, la Sierra Leone et le Sénégalreprésentant respectivement environ 4,4 %  et 10,5 % des transferts de fonds mondiaux. Bon nombre de cestransactions sont effectuées via des systèmes de transfertinformels plutôt que formels. L’objectif n’est pas toujours detenter d’échapper aux enquêtes, mais plutôt de profiter desfrais compétitifs associés aux transferts informels. Il devientdonc nécessaire de réduire les frais dans le secteur bancaireformel afin de donner envie d’y recourir.

Au Sénégal et en Sierra Leone, les passeurs acceptentparfois les dépôts bancaires comme moyen de paiement desmigrants : c’est la conséquence d’un système financier malréglementé. Les personnes interrogées ont fait remarquerqu’en Sierra Leone, il est possible d’avoir plusieurs comptesbancaires et d’argent mobile ouverts sous de faux noms pourempêcher le traçage et les enquêtes. En raison du faibleniveau de signalement des transactions suspectes et durecours à des organismes informels de transfert de fonds, lesCRF n’arrivent pas à lancer des enquêtes.

Principaux secteurs utilisés pour blanchir les produits du trafic de migrants

La complexité de la chaîne d’enrichissement le long desitinéraires migratoires complique souvent les effortsentrepris pour évaluer le volume des produits illicites dansles pays d’origine, de transit et de destination.

Néanmoins, les passeurs investissent souvent leurs gainsdans leur pays d’origine ou de résidence. Au Sénégal et enSierra Leone, les forces de l’ordre ont fait état de bienssaisis à des trafiquants de migrants, notamment des barques et des véhicules destinés aux passages clandestins de migrants, des terres, des maisons nouvellement construitesà louer, des véhicules d’occasion à vendre, des magasins etdes restaurants50.

Ces investissements dissimulent l’origine des fonds,génèrent des profits importants pour les passeurs etrenforcent la corruption dans les structures économiques etpolitiques.

Le Sénégal et la Sierra Leone ont tous deux signalé que desgroupes criminels organisés investissaient dans le secteurimmobilier. Au Sénégal, les rapports révèlent qu’environ230 milliards de francs CFA (sur 240 milliards) investis dans l’immobilier en 2013 étaient d’origine douteuse ou inconnue, et provenaient de transactions en espèces51. Selon les forces de l’ordre, des groupes criminels ont faits des investissements à Diamniadio, une banlieue de Dakar d’importants projets d’infrastructures publiques etimmobilières sont en cours52.

Les capacités sont insuffisantes pour enquêter sur les sourcesde revenus des investisseurs immobiliers privés impliqués dans de tels projets, étant donné que le Sénégal ne dispose pas d’un registre central des biens immobiliers et que sesdonnées financières sur les propriétaires sont limitées. Lesversements pour l’achat de biens immobiliers sont effectués par virement bancaire aux agences immobilières concernées, qui collectent rarement des informations sur l’origine desrevenus. Les enquêtes sur ces transactions sont donc rares.

Les personnes interrogées ont laissé entendre que lesagences immobilières et les entreprises de constructionignorent généralement l’origine criminelle éventuelle desfonds de leurs clients, qu’elles ne vérifient guère ou sur laquelle elles se renseignent rarement. Les évaluations du GIABA au Sénégal montrent que les agents immobilierset les comptables sont des acteurs à haut risque pour leblanchiment d’argent en raison de leur incapacitépermanente à appliquer à leur clientèle les mesures dediligence raisonnable et sur la « connaissance de sonclient » (KYC), comme l’exigent les lois LBC.

À titre d’exemple, le Sénégal dispose d’un outil de signalement du blanchiment d’argent en ligne depuis 2019.Pourtant, en 2020, la CENTIF n’a signalé aucune transactionsuspecte émanant d’entités vulnérables, telles que « lesagences de voyages, les agents immobiliers, les courtiers, les avocats (professions juridiques indépendantes), les casinos etétablissements de jeux, les organisations nongouvernementales et les transporteurs de fonds ».

Certains syndicats de passeurs se livrent à des activités commerciales comme la possession et la gestion de clubs,de bars, de restaurants et d’hôtels ou de maisons d’hôtes, les produits illicites sont intégrés dans les activitésformelles de l’entreprise. Des tiers, principalement desproches, sont également recrutés pour diriger cesentreprises ou y travailler. L’encadré 3 décrit l’histoired’un passeur qui utilise son activité officielle au marché deThiaroye, à 30 kilomètres de Dakar, pour blanchir lesproduits du trafic de migrants.

D’autres gèrent des agences de voyages, des services téléphoniques, des cybercafés et des sociétés de transport. Les forces de l’ordre de Sierra Leone ont déclaré à l’équipe de recherche qu’une Haute Cour sierra- léonaise avaitordonné la détention de membres du personnel d’uneagence de voyages en 2022. Ils ont été inculpés de 11 chefs d’accusation de complot en vue de commettre une fraude et de 10 chefs d’accusation pour avoir escroqué une femme etsept hommes en septembre 2022. Alors que l’agence devoyages prétendait mener des activités légitimes, elle tirait ses principaux revenus de la facilitation de l’obtention de faux documents de voyage et de programmes derecrutement frauduleux aux migrants.

Importer des voitures, principalement d’occasion, en provenance d’Europe et d’autres parties du monde pour les revendre localement est une autre activité commerciale principale des passeurs de migrants, en particulier enSierra Leone. Ce type de commerce est lucratif car les loissur la vente de voitures sont laxistes, ce qui facilite lacréation de sociétés de négoce de voitures non autorisées.

Selon des entretiens accordés en Sierra Leone, la création d’organisations confessionnelles ou caritatives est un autre moyen pour les passeurs de blanchir leur argent. Les établissements religieux ne sont guère surveillés en raison de leur nature sensible et de leur grande popularité. L’utilisation d’organisations confessionnelles ou caritatives permet aux passeurs de migrants et à d’autres groupes criminels d’ouvrir des comptes bancaires, qui sontassez peu contrôlés et sur lesquels il est difficiled’enquêter car l’argent est probablement déposé par desfidèles de divers horizons.

Législation criminalisant le trafic de migrants et lesinfractions connexes de blanchiment d’argent

La Sierra Leone et le Sénégal ont considérablement amélioré leurs politiques de lutte contre le trafic illicite demigrants, ciblant à la fois les passeurs et leurs revenus. Legraphique 5 donne un aperçu des lois contre le trafic demigrants en vigueur dans les deux pays.

La Sierra Leone a adopté la Loi contre la traite des êtreshumains et le trafic illicite de migrants en juillet 2022, pourcombler un vide juridique de longue date sur ledit trafic.Avant cette date, les infractions liées à ce trafic étaient mises en avant en cas d’exploitation et pouvaient faire l’objet de poursuites pour traite des êtres humains dans le cadre de laloi de 2005 y afférente.

Citons en exemple une affaire contre deux frères accusés de traite d’êtres humains en 2019, dans laquelle la HauteCour de Sierra Leone a finalement décidé en 2022d’acquitter les accusés faute de preuves d’exploitation.Toutefois, dans sa décision, cette instance a affirmécatégoriquement que si un tel cas se présentait de nosjours, un verdict de culpabilité pourrait être prononcé pourtrafic d’êtres humains en vertu de la loi de 2022 envigueur.

Le Sénégal a aussi promulgué une loi contre la traite des personnes en 2005. Bien qu’elle porte essentiellement sur la traite des êtres humains, l’interdiction du trafic de migrants y est mentionné. Dans l’ensemble de l’Afrique,l’usage est de recourir aux lois contre la traite pourcriminaliser le trafic de migrants, mais cela peut aboutir àla confusion entre ces deux délits. La disposition duSénégal prévoyant une peine d’emprisonnement et une amende pour les infractions liées au trafic de migrants pourrait avoir un effet dissuasif considérable. Les rapports révèlent, cependant, que les tribunaux préfèrent généralement infliger une amende assortie d’une peineavec sursis (ou une courte peine d’emprisonnement) àcause de la     surpopulation carcérale.

Malgré les progrès réalisés dans l’élaboration de politiques de prévention du trafic illicite de migrants, les délits correspondants font rarement l’objet d’enquêtes en relation avec des infractions sous-jacentes au blanchimentd’argent.

Les recherches menées en Sierra Leone et au Sénégal indiquent que l’approche consistant à « suivre l’argent » impliquant la confiscation et le recouvrement des avoirs n’est pas considérée comme un objectif politique lors des enquêtes sur les délits de trafic illicite de migrants. Cette approche joue un rôle décisif comme outil de dissuasion en empêchant les passeurs et leurs bénéficiaires de tirer profit des produits de la criminalité. Les responsables desforces de l’ordre ont souligné que, faute de bien connaîtrel’ampleur des produits générés par le trafic de migrants, les délits y afférents sont sous-estimés sur le plan institutionnel comparativement à d’autres formes de criminalité organisée. Même si les formes de contraintes sont similaires en Sierra Leone et au Sénégal, les principaux défis que chaque pays doit relever sont mis enévidence dans les sections suivantes.

Difficultés liées aux enquêtes menées au Sénégal

Les données sur les derniers cas de blanchiment d’argentsont difficiles à obtenir car elles sont souvent considérées comme confidentielles. Le rapport de la CENTIF du Sénégalmontre qu’il n’y a pas eu d’enquêtes sur le blanchimentd’argent liées au trafic de migrants en 2020. La plupart des cas de blanchiment d’argent faisant l’objet d’enquêtes au Sénégal sont des affaires de haut vol en lien avec d’autresformes de criminalité, telles que le trafic de drogue, lesinfractions fiscales et la corruption.

Quelques cas ont cependant été très médiatisés, comme en2019 avec une affaire de trafic de migrants au Sénégal,impliquant des collaborateurs au Maroc. Des accusations deblanchiment d’argent auraient été lancées contre lespersonnes impliquées dans des opérations de passagesclandestins.

En général, la nature consensuelle de la migration fait queles migrants ne sont disposés à collaborer avec les forces del’ordre que lorsqu’ils sont exploités. Dans un cas datant de2019, par exemple, les familles de deux migrants n’ont pas contacté les services de police jusqu’à ce que les migrants soient retenus en otage au Maroc pour ne pas avoir payé lesfrais de passage.

Les répondants de la CENTIF au Sénégal ont remarqué qu’en raison des transactions en espèces, il est difficiled’enquêter de manière indépendante sur les produits dutrafic de migrants en l’absence d’un rapport effectif sur un délit potentiel69. Ils ont par ailleurs noté que les sommes d’argent déposées par les passeurs sont souvent inférieuresaux seuils de déclaration, et que les sociétés informelles detransfert de fonds et les systèmes hawala ne signalent pasles activités suspectes.

En outre, les bureaucraties institutionnelles limitent et retardent souvent la coopération entre la CRF et lesagences de la lutte contre la migration, les conséquencesétant un travail cloisonné et l’incapacité à obtenir des informations pertinentes auprès des différents organismes publics. Le Sénégal a modifié la loi de 2004 sur laLBC/FT en 2018. La nouvelle loi requiert l’échanged’informations entre les autorités chargées des enquêtes,les autorités fiscales et douanières, les services derenseignements et la CENTIF. Pourtant, il devientnécessaire de renforcer les synergies entre la CENTIF et le CNLTP, ainsi qu’avec la société civile, pour une bonnecompréhension du modus operandi des passeurs et deleurs flux financiers.

Les recherches ont démontré que la CRF de SierraLeone et la CENTIF du Sénégal manquent de fonds etde personnel, et leurs capacités à mener des enquêtes indépendantes sur le blanchiment d’argent sontrestreintes. Cette situation a des répercussions importantes non seulement sur le succès des actions enjustice pour des affaires de blanchiment d’argent, maisaussi sur la capacité à enquêter et à dissuader lesfonctionnaires corrompus de saper les enquêtes.

De plus, le Sénégal ne dispose pas d’un registre des propriétaires effectifs comprenant des informations surles biens saisis, gelés ou confisqués. L’exécution desconfiscations est, par conséquent, restreinte et la gestiondes avoirs illicites saisis n’est pas rigoureuse. L’absenced’un tel registre a favorisé la corruption, puisque que lesdélinquants et les groupes clandestins soudoient lesfonctionnaires pour obtenir la restitution de leurs bienssaisis et confisqués. En juillet 2021, le Sénégal a mis enplace un Office National de Recouvrement des AvoirsCriminels (ONRAC) pour améliorer la confiscation desproduits illicites.

Malgré les efforts accrus du Sénégal pour lutter contre leblanchiment d’argent, le pays s’est retrouvé pendant trois ans d’affilée sur la liste grise du GAFI des pays qui ne respectent pas les normes internationales contre leblanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.Le constat du GAFI est que le Sénégal n’a pas respecté lesdélais de mise en œuvre de ses plans d’action, tels que ladétermination de la propriété effective, le renforcement de la surveillance, des sanctions à l’égard des entités non conformes et la confiscation des produits

Coopération régionale et internationale

Aucun pays ne peut à lui seul relever le défi du trafic illicite de migrants et de ses FFI du fait de la naturetransfrontalière de ce délit. Il est clair que les approches tendant à « suivre l’argent » dans la lutte contre le trafic de migrants requièrent la mise en place d’une coopération multi-agences et la réalisation d’enquêtesparallèles après l’arrestation d’un passeur.

La Sierra Leone a conclu un protocole d’accord avec ses voisins, la Guinée et le Libéria, sur la coordination de la lutte contre la traite et le trafic illicite de migrants. Ce protocole comprend l’échange d’informations sur lesroutes migratoires et les transactions financières desréseaux de passeurs. En dépit de quelques progrès, lemanque d’application des lois et la porosité des frontières poussent effectivement les passeurs à continuer d’utiliserla Guinée et le Libéria comme points de transit.

En raison de l’augmentation du recrutement vers leMoyen-Orient, le gouvernement de la Sierra Leone a également signé des protocoles d’accord avec le Koweïtet le Liban sur le recrutement sécurisé de travailleurs. Legouvernement a collaboré avec l’OIM et des organisations de la société civile pour rapatrier lesmigrants bloqués au Sénégal, au Niger, en Libye et danstout le Moyen-Orient.

Le Sénégal et la Sierra Leone ont coopéré efficacement avec la CEDEAO, le GIABA et le GAFI pour faire desévaluations mutuelles et des évaluations de suivipertinentes en vue d’améliorer les politiques deblanchiment de capitaux et leur mise en œuvre. Ces deuxpays font également partie du Forum des CRF du GIABA, qui encourage la coopération entre ses membres. Toutefois, le rapport annuel 2020 de laCENTIF du Sénégal fait état de la baisse des demandesd’informations sur le blanchiment d’argent et de laquantité d’informations provenant de pays d’Afrique del’Ouest comparativement au nombre élevé de demandeset à la quantité d’informations venant d’Europe.

Le nombre restreint de demandes et la quantité limitéed’informations provenant des pays d’Afrique de l’Ouest,malgré leur interconnexion, mettent en évidence la faiblesse des capacités des CRF en ce qui concerne le renforcementdes enquêtes sur le blanchiment d’argent dans la région.Selon le rapport 2020, cependant, la CRF du Sénégal estproactive dans l’envoi de demandes d’informations auxpays européens et ouest-africains.

La Sierra Leone et le Sénégal sont par ailleurs membresdu Groupe Egmont, qui compte environ 164 CRF de pays qui se sont engagés à transmettre en temps opportun des flux d’informations interétatiques afin de lutter contre leblanchiment d’argent. Dans ce cadre, le Sénégal acoopéré avec les autorités brésiliennes en 2022 pourarrêter un ressortissant sénégalais impliqué dans le traficde migrants transatlantique à partir du Sénégal vers la Bolivie et le Brésil. L’enquête était en cours depuis 2020, et des informations ont été échangées avec Interpol et lesautorités brésiliennes.

Néanmoins, faute d’un accord d’extradition entre les deux pays l’enquête a rencontré un obstacle. Il a fallu patienter environ 18 mois pour obtenir l’accord nécessaire à l’arrestation de l’accusé. Ainsi, les CRF doiventimpérativement établir des mécanismes de coopération transfrontalière afin de renforcer les capacités d’enquête.Alors que les CRF de la CEDEAO peuvent coopérer envertu des Conventions de la Communauté sur l’extradition et l’entraide judiciaire en matière pénale, la coopération avec les États extérieurs à la région est difficile en l’absenced’un protocole d’accord en place.

 

Part Ndubuisi Christian Ani et Jennifer Shahid

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