L’Union européenne devrait dépenser près de 200 milliards d’euros en plus tous les ans pour que le budget militaire des Vingt-Sept atteigne 3 % de leur PIB. Comment trouver une telle somme ?
Les Européens trouveront-ils les moyens de se réarmer massivement ? Les Vingt-Sept devront dépenser bientôt au moins 3 % de leur PIB pour leurs budgets militaires, a prévenu dimanche Emmanuel Macron dans une interview au « Figaro ». Un seuil déjà évoqué par Mark Rutte, le secrétaire général de l’Otan, et qui apparaît de plus en plus comme un minimum, face à la menace de la Russie et au « lâchage » des Etats-Unis .
Or, les Vingt-Sept sont encore très loin de cet objectif. Seuls la Pologne, les pays Baltes et la Grèce l’ont atteint. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas sont tout juste à 2 %. L’Italie, la Belgique, l’Espagne ou le Portugal sont à moins de 1,5 % .
Les vingt pays de la zone euro devraient dépenser quelque 180 milliards d’euros de plus, tous les ans, pour atteindre la barre des 3 % du PIB, ont calculé les économistes de Morgan Stanley. L’essentiel – 125 milliards – devra venir des quatre plus grands Etats : Allemagne, France, Italie et Espagne. Les Vingt-Sept aborderont la question du financement de cet effort sans précédent lors d’un sommet à Bruxelles, jeudi.
« L’enjeu, c’est de renforcer nos capacités de défense pour les cinq, dix, quinze ans à venir, pour être aussi autonomes que possible vis-à-vis des Etats-Unis, décrypte Sylvie Matelly, directrice de l’institut Jacques-Delors. Nous sommes mieux préparés qu’en 2022, avant l’invasion de l’Ukraine, mais on est encore loin du compte. »
« Un énorme retard à rattraper »
« Il faut relativiser : les Européens au sens large dépensent déjà plus de 400 milliards par an pour leur défense, tempère Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan, spécialiste des questions de défense au European Council on Foreign Relations. Le problème, c’est qu’on a sous-investi pendant vingt-cinq ans, on a un énorme retard à rattraper. »
Parmi les pistes sur la table figure d’abord l’utilisation des fonds du plan de relance post-Covid qui n’ont pas encore été dépensés. Mais, dans l’hypothèse où cette solution était autorisée, elle ne permettrait de rassembler que des sommes minimes au regard de l’enjeu : 93 milliards d’euros, dont 17 milliards pour la France et 23 milliards pour l’Allemagne, selon Morgan Stanley.
Une deuxième solution consisterait à rediriger vers la défense les fonds de cohésion alloués au développement des régions européennes les moins favorisées, une piste avancée par Emmanuel Macron. « Mais cela risquerait de créer d’énormes tensions avec les régions concernées », estime Camille Grand. Cette enveloppe représente 340 milliards d’euros de fonds non encore dépensés, d’ici à 2027. « Cela pourrait être efficace pour certains petits pays, mais ce n’est pas une solution pour les quatre grands », estime Morgan Stanley : l’Allemagne ne pourrait y puiser que 14 milliards, la France 17 milliards.
Des pistes insuffisantes
Enfin les Vingt-Sept « pourraient emprunter via le Mécanisme européen de stabilité (MES) et la Banque européenne d’investissement (BEI) », explique Goldman Sachs dans une note publiée ce lundi. Le MES, également évoqué par le président de la République, a été créé en 2012 pour prévenir la propagation d’une crise financière au sein de la zone euro. Quant à la BEI, il faudrait élargir son mandat pour qu’elle puisse prêter pour des projets dans le secteur de la défense.
En résumé, toutes ces pistes paraissent insuffisantes face au mur d’investissement qui se profile. Il paraît « inévitable » que les Etats membres s’endettent pour dépenser plus, poursuit la note de Morgan Stanley. La Commission européenne a déjà ouvert la porte à un assouplissement des règles budgétaires pour la défense, mais il n’est pas encore décidé.
Grand emprunt européen
L’idée d’un grand emprunt européen qui aiderait les Vingt-Sept à financer leur effort est défendue par la France et d’autres Etats membres. « Cette option semble la seule permettant de sécuriser des taux bas pour des financements de long terme qui pourrait inclure les Etats membres qui ont des coûts d’emprunt élevés », note Goldman Sachs. « Elle permettrait d’obtenir de larges financements, rapidement et à des taux compétitifs », explique Camille Grand.
Elle se heurte pour l’instant à l’hostilité de nombreux pays. Or, il faudrait, pour un tel emprunt sur le modèle de celui du Covid, le feu vert de tous les Etats membres. D’où l’idée de le mettre en place uniquement pour les pays de l’UE qui le souhaitent, auxquels pourraient se joindre des Etats non membres tels le Royaume-Uni ou la Norvège. Avec un écueil, signale Juraj Majcin, spécialiste de la défense au European Policy Centre : celui de faire monter les prix des équipements si tous les Etats membres achètent chacun de leur côté. « Il faudrait idéalement faire au moins certains achats en commun », dit-il.
Par Vincent Collen (Les Echos)