mai 11, 2025
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IMMIGRATION : Comment font les Etats européens ?

La politique de l’immigration des pays européens a souvent capté l’attention de l’Afrique plus particulièrement. Dans une étude intitulée « Immigration : Comment font les Etats européens ? » qu’ils viennent de publier, sous la direction de Dominique Reynié, politologue français et Directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), des chercheurs ont disséqué cette problématique. Ils ont surtout parlé du cas de la France.

Immigration, la France a besoin d’une politique

Au XXIe siècle, le gouvernement de l’immigration devient l’une des principales dimensions de l’action étatique. Dans les pays d’émigration, les États vont devoir préserver leurs intérêts et veiller en particulier à ne pas être dramatiquement dévitalisés par une hémorragie de compétences et de talents. Dans les pays d’immigration, les États vont subir la pression permanente et croissante de milliers de migrants fuyant la misère ou la guerre, l’oppression ou un climat insupportable. Inévitablement, les pays européens seront la destination d’une part importante de ces flux. Sa liberté, sa richesse et son humanisme rendent l’Europe très attrayante. D’autant plus que sa position géographique offre diverses voies d’accès. Le fait que certaines d’entre elles soient périlleuses indique bien la détermination des migrants. Mais, accueillir des migrants en grand nombre finira inévitablement par déboucher sur une catastrophe si les États européens n’assument pas pleinement leur rôle souverain de défendre leur population et leurs intérêts. Ces États sont organisés selon le régime des démocraties électorales. Ils ne peuvent ignorer durablement les préférences collectives de leurs gouvernés sans courir le risque d’une réaction populiste brutale. Le gouvernement de l’immigration est impossible sans le consentement des populations accueillantes. Les États ne peuvent pas ignorer non plus les différences culturelles, souvent profondes, parfois radicales, qui séparent les migrants de la population du pays d’accueil. Ils courent sinon le risque de l’effondrement dans la division, le séparatisme, voire le retour de la guerre civile. Accueillir des migrants en grand nombre peut être compréhensible, compte tenu notamment du vieillissement démographique et des besoins de main-d’œuvre, mais cette nécessité n’empêchera pas l’échec de l’accueil et peut-être la ruine de l’État si l’immigration ne fait pas l’objet d’une politique dédiée, inspirée par la grande doctrine de la raison d’État et conduite selon ses principes.

Or, après avoir réalisé un tour d’Europe des politiques nationales d’immigration, au terme de cette étude, il est clair que la France n’a pas su se doter d’une vision stratégique en la matière. Les dispositifs juridiques, économiques et sociaux ont été multipliés sans qu’il soit possible d’en maîtriser les contours, les conséquences, et peut-être même sans les connaître. Selon Didier Leschi, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), il existe plus de cent cinquante motifs de titres de séjour alors qu’il serait possible de ramener ce nombre à quatre : le travail, les études, l’asile et l’immigration familiale 1 . Nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de dire précisément quels intérêts nous avons à l’immigration, quelles sont nos préférences, quels sont nos objectifs. Il est donc impossible de mesurer l’efficacité des décisions. Ainsi, pour les migrants pauvres, peu ou pas diplômés, issus des pays peu développés, la France est l’une des destinations les plus attractives. Cette générosité sans équivalent ne se justifie d’aucun point de vue d’État, que ce soit de nos obligations en matière d’asile ou de nos besoins de main-d’œuvre puisqu’il n’y a aucune sélection, a priori, des entrants.

 

En France, un candidat à l’asile peut être logé et recevoir 204 euros par mois au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) ou bien 426 euros par mois s’il n’est pas logé. Ce demandeur aura également accès au régime commun de l’assurance maladie. À titre indicatif, le revenu annuel net par habitant est de 475 dollars en Afghanistan, 1 999 dollars au Bangladesh et 417 dollars en République démocratique du Congo, qui sont trois des cinq principaux pays de provenance des demandeurs d’asile , mais aussi de 686 dollars au Mali, 2 687 dollars au Maroc, 2 760 dollars en Algérie ou encore 3 263 dollars en Tunisie – sans compter l’accès à notre système de santé qu’aucun de ces pays ne peut offrir au plus grand nombre de ses ressortissants. Selon nos informations et nos calculs, un demandeur d’asile sans hébergement perçoit 278 euros par mois dans les dix pays identifiés qui octroient des allocations pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas logés. Ce montant atteint 426 euros en France, le niveau le plus haut. Il est de 367 euros en Allemagne, sachant que certains pays européens ne fournissent pas d’allocation de ce type. 

L’attractivité de notre pays attire à nous des personnes qui ne parviendront pas à s’intégrer. Elle pousse des migrants à courir des risques considérables. Elle encourage les trafics organisés par la mafia des passeurs. Le paradoxe est que la générosité de notre accueil ne constitue pas ce que l’on pourrait appeler une offre, qui serait conçue dans le but de convaincre tel ou tel profil de migrant de nous rejoindre. Elle est plutôt le signe d’une absence d’offre. Cette générosité n’a pas été déterminée par des visées précises. De la même façon, le fait qu’il soit relativement facile, une fois parvenu sur le territoire national, y compris illégalement, d’y demeurer, n’est pas le fruit d’une stratégie, qui serait de type libéral. Elle découle de notre incapacité à réguler les flux, à sélectionner comme à expulser.

Excès d’humanitaire, déficit de politique

Les raisons se trouvent dans l’évolution de nos élites au cours des décennies 1980 et 1990. Elles ont vu une perspective se réclamant de « l’humanitaire », l’emporter au détriment d’une perspective que je qualifierai de « politique » en ce sens que la décision doit être justifiée du point de vue de la souveraineté populaire et de la souveraineté nationale, cette dernière pouvant inclure d’autant plus aisément la dimension européenne dans laquelle s’inscrit notre pays que la France peut aujourd’hui être considérée en matière d’asile et d’immigration comme l’État le plus permissif de l’Union européenne, ainsi que le montre notre étude ci-après. Il s’agirait donc pour nous de nous rapprocher des normes et des pratiques observables chez nos voisins. L’approche humanitaire est focalisée sur l’accueil. Elle est insensible à ses conséquences, en particulier sur la population du pays d’accueil. Elle se limite à la dimension compassionnelle et se place du point de vue des migrants. L’approche politique procède d’une dimension rationnelle, elle embrasse le point de vue de l’État et de la population du pays d’accueil, des intérêts qui leur sont propres et dont la sauvegarde et la promotion doivent nécessairement déterminer la nature des décisions. Au cours de ces décennies, la dimension internationaliste et compassionnelle s’est répandue au sein d’élites encore marquées par la vision socialiste ou chrétienne, parfois les deux. L’internationalisme compassionnel a été une aubaine pour une partie du monde associatif. Il fut encouragé par l’Église catholique et sa plus haute autorité 4. Il s’est diffusé au sein des partis de gouvernement, dans de larges pans du monde syndical, médiatique, de l’édition, de la culture, de l’université, en particulier dans les sciences sociales.

Désormais, la gauche française ne se croit plus capable d’assumer une politique rigoureuse de sélection et d’intégration des arrivants 5 . Elle s’est ralliée à la thèse de « l’accueil inconditionnel » du pape François.

Mais, cette orientation compassionnelle explique pourquoi la droite aussi a fini, au cours de ces mêmes décennies, par ne plus se réclamer du réalisme d’État, d’une communauté nationale, de sa culture ou du souci des classes populaires. Il faut voir dans ce nouveau contexte idéologique ce qui a favorisé l’émergence et la montée en puissance du lepénisme. La politique d’immigration a été peu ou prou laissée à l’abandon. Transformée en un enjeu humanitaire, elle est devenue un sujet politique impossible. Nous avons laissé dériver le débat de telle sorte qu’il n’est plus possible de dénoncer une gestion de l’immigration réduite à une « politique d’accueil » sans être soupçonné d’opinions extrémistes. Nous n’avons pas su faire de l’immigration un sujet de débat légitime. Comme ces prohibitions ne règlent jamais rien, le problème demeure et il préoccupe fortement la plupart des citoyens. Le thème a donc été laissé en monopole aux populistes, ce qui a multiplié rétroactivement les raisons de proscrire l’immigration de la discussion. Les enquêtes d’opinion ont beau nous redire, invariablement, l’inquiétude et le mécontentement du public, celui-ci ne reçoit en réponse que des réprimandes. Son incompréhension, sa colère ou son découragement s’exprime ensuite dans les urnes. Évidemment, l’absence de débat est propice aux approximations et aux amalgames, exposant particulièrement les Français issus de l’immigration. Souvent, malgré eux, ils subissent un communautarisme croissant qui s’applique à défaire l’intégration à laquelle œuvrent nombre de familles, des associations, les services publics, des entreprises et bien sûr l’école.

Promouvoir un débat ouvert, documenté et suivi

Concevoir une politique suppose de connaître les tenants et les aboutissants de l’enjeu et du problème. Il faut donc faire de l’immigration le sujet d’un débat public éclairé et récurrent, en ce qui concerne les opportunités que ce phénomène peut représenter comme en ce qui concerne les problèmes qu’il peut poser. La comparaison des politiques nationales en Europe nous a permis de constater une plus grande ignorance française des réalités sociales liées à l’immigration. Il est vain, et parfaitement inefficace, de dénoncer « les peurs irrationnelles », les « fantasmes » suscités par l’immigration, si l’on n’est pas en mesure de dire précisément ce qu’il en est. Mais s’il faut le dire, c’est à la condition de donner la parole et de faire droit aux réalités qui donnent prise à de telles craintes, les faire naître ou les conforter, auprès de ceux qui voient et vient, depuis des années, des changements progressifs mais profonds dont nous parlent assurément trop peu les partis politiques, les médias et les sciences sociales 6, compte tenu de la puissance de tels enjeux. La question des effets d’une recomposition ethnoculturelle des pays d’accueil se pose bel et bien 7. Commentant les résultats de l’enquête « Emploi » 8, la démographe Michèle Tribalat observe que, « en combinant les données de recensement et de l’enquête “Emploi”, on estime à 21,5% la proportion d’immigrés et de personnes nées en France d’au moins un parent immigré en 2020. Près d’un habitant sur dix serait d’origine africaine. L’immigration étrangère a joué un rôle majeur dans la dynamique démographique de ces dernières années. De 2014 à 2020, la population immigrée a augmenté de 134 000 par an en moyenne, quand celle des natifs ne gagnait que 80 000 personnes par an. Parmi ces derniers figurent les enfants d’immigrés. En 2020, 28,7% des nouveau-nés ont au moins un parent né en dehors de l’UE, soit 10 points de pourcentage de plus en vingt ans. Par ailleurs, les concentrations ethniques, autrefois cantonnées en Île-de-France, Paca et Rhône-Alpes, se sont étendues à d’autres régions. En 2017, si 80% des jeunes de moins de 18 ans sont d’origine étrangère à La Courneuve (contre 22% en 1968), c’est aussi le cas de 47% des jeunes à Orléans (contre 9,5% en 1968), et près de 37% des jeunes Orléanais sont d’origine africaine ou turque (contre 2% en 1968) »9. Qu’en est-il des effets de l’immigration sur la sécurité publique, l’école, la santé, le chômage, l’islamisme 10 ou le risque terroriste 11 ? Qu’en est-il de ses effets et de son évolution sur notre politique étrangère comme sur notre politique intérieure ? Dans certains cas, l’immigration peut favoriser l’intrusion de puissances étrangères dans la vie des États démocratiques. À titre d’exemple, citons la visite à Strasbourg, le 9 octobre 2022, du ministre turc des Affaires étrangères, Mevult Cavusoglu. Lors d’une réunion avec des représentants de la communauté turque de France, au Consulat de Turquie à Strasbourg, ce ministre s’est permis d’appeler la diaspora turque française à s’opposer aux Français d’origine arménienne : « La diaspora arménienne de France est contre la normalisation des relations de l’Arménie avec la Turquie et l’Azerbaïdjan » a-t-il affirmé, appelant les Turcs vivant en France à « lutter contre de telles manifestations ». Fin septembre, lors d’un voyage aux États-Unis, Mevlüt Cavusogluavait accusé les Américains d’origine arménienne d’être un obstacle à la paix.

Ainsi, sait-on quel est le bilan complet de l’immigration ? Existe-t-il un rapport annuel l’établissant ? Quel est le coût de l’aide médicale de l’État (AME), ouverte à ceux qui résident illégalement en France et qui offre un panier de soins très proche du régime commun, puisque seules les cures thermales et la procréation médicalement assistée (PMA) ne sont pas prises en charge ? Quel est le coût de la protection universelle maladie (PUMa, anciennement CMU) pour les candidats à l’asile ?

L’information est d’autant plus nécessaire que certains parmi les déboutés de l’asile – soit la plupart des demandeurs selon un rapport publié par la Cour des comptes en octobre 2015 et confirmé par l’INED en 2018 – devant quitter le territoire national ne le font pas, devenant alors des résidents illégaux dont une partie conserve pendant un temps le bénéfice de la PUMa. L’Institut national des études démographiques (INED), qui fait autorité, reconnaît lui-même ignorer partiellement la situation, comme si la réalité de notre population échappait peu à peu aux institutions chargées de la connaître, de la quantifier et de l’étudier : « Il convient de noter qu’il n’est pas possible de chiffrer avec précision le nombre de personnes déboutées qui restent en France. Comme tous les étrangers séjournant de manière irrégulière sur le territoire, ils sont comptabilisés soit au moment de l’exécution d’une mesure d’éloignement, soit au moment de l’admission au séjour régulier ».

Notre politique d’accueil est si généreuse que le site du ministère de l’Intérieur peut écrire, selon une formule soit maladroite soit malvenue tant elle ressemble à une publicité : « La France compte parmi les très rares pays européens qui disposent d’une procédure spécifique de délivrance de titres de séjour aux étrangers malades. » En réalité, la France est le seul pays à permettre une immigration pour soins dans des conditions aussi favorables. Le titre de séjour pour soins est attribué à un étranger dès lors que le soin ne lui est pas accessible dans son pays d’origine. Cela signifie que le critère n’est pas l’existence, dans le pays d’origine, d’une offre de soins appropriée à la pathologie mais la possibilité pour la personne d’accéder ou non à ces soins. Un étranger disposant dans son pays des soins répondant à sa pathologie mais se trouvant dans l’impossibilité d’y recourir pour des raisons économiques devient ainsi éligible à un permis de séjour pour soins en France. L’OFII écrit à propos du « coût de certain traitements innovants et brevetés et la recherche de l’accès à ces traitements », que « ces médicaments ne sont évidemment accessibles pour personne au monde dans un système où, même s’ils étaient disponibles, ils seraient à la charge du patient. La France est le seul pays à offrir ce type de soins gratuitement et sans restriction de plafond. Tel patient bénéficie d’un traitement à 70 000 euros le flacon, ou d’un traitement de 37 cures par un médicament à usage hospitalier (soit environ 422 000 euros uniquement le coût du médicament) et dont les doses vont encore être majorées ». La notoriété de notre accueil est si grande que l’on peut relever, dans le même document de l’OFII, la candidature de 17 citoyens américains, 11 canadiens ou encore de 2 japonais. Sait-on le coût des 30 000 titres de séjour pour soins accordés dans des conditions uniques au monde, avec une prise en charge souvent complète ?

D’une manière générale, ainsi que le rapporte l’INED en 2018, « l’analyse des titres de séjour délivrés aux demandeurs d’asile depuis 2000 révèle qu’une proportion importante du flux de demandeurs est finalement admise au séjour en France. Les réfugiés, apatrides ou bénéficiaires de la protection subsidiaire sont minoritaires parmi les admis au séjour, ce qui implique que la procédure de demande d’asile constitue une des voies de l’immigration professionnelle et familiale en France ». L’INED ajoute que « Ce type d’immigration a globalement des effets économiques positifs mais [que] cette voie est plus coûteuse pour les fonds publics ». On notera que la conclusion sur les effets économiques positifs est contredite par les données de l’OCDE. L’immigration en France échappe donc à une évaluation économique précise et récurrente. Lorsqu’il existe un bilan rigoureux, pays par pays, tel celui établi par l’OCDE, dont nous rappelons les conclusions dans les pages qui suivent, il ne fait cependant pas l’objet d’une véritable discussion publique. Lors des campagnes électorales, ces données statistiques ne sont plus prises en charge que par des candidatures populistes, ce qui suffit aux concurrents et commentateurs pour les réfuter.

L’immigration doit satisfaire notre intérêt d’État dans le cadre européen

Nous n’avons pas de politique d’immigration conçue depuis notre intérêt d’État, ni dans le cadre européen. Nos incohérences en témoignent. Depuis plus de quarante ans, il est incohérent de vouloir convaincre de la nécessité de l’immigration sans en préciser les conditions et le coût, ce qui revient à faire l’impasse sur les conséquences, à se désintéresser des effets sur nos systèmes sociaux, nos finances, nos services publics, notre démocratie, notre cohésion nationale. Il est incohérent de chercher à rétablir la confiance au sein de la société sans tenir compte de son lien avec l’immigration. D’importants travaux en sociologie et en économie ont montré qu’une immigration mal régulée altérait sérieusement la cohésion sociale lorsque le niveau de confiance interpersonnelle est faible, au point de recommander que le niveau d’immigration soit fonction de la confiance interpersonnelle dans la société d’accueil. Or, nous acceptons un haut niveau d’immigration dans une société où le niveau de confiance interpersonnelle ne cesse de baisser. Il est incohérent, et inutile, de s’en tenir à des objectifs aussi vagues et généraux que « la France a besoin d’immigrés », comme on le lit souvent, alors qu’il faudrait établir que nous avons besoin d’immigrés qualifiés et d’immigrés intégrés. Il est incohérent de mettre en place des politiques de lutte contre le « séparatisme » si l’État manifeste aussi peu d’attention pour les programmes d’intégration, s’il est incapable de contrôler les entrées sur le territoire national et s’il échoue à expulser ceux qui ne devraient pas s’y trouver. Depuis trente ans, il est incohérent de dénoncer la poussée populiste, de multiplier les appels au « barrage républicain », de stigmatiser une part, d’ailleurs croissante, des électeurs sans jamais répondre à leurs inquiétudes et à leurs attentes, sans même en admettre les raisons. Enfin, il est incohérent de vouloir déployer l’idée européenne sans doter l’Union européenne de véritables frontières alors que s’érodent toujours un peu plus les capacités des États membres à contrôler leur territoire et leur population. Nous avons besoin d’une vue d’ensemble et de long terme, nous avons besoin d’une doctrine, d’objectifs et d’une stratégie pour les atteindre. Nous espérons y contribuer par cette note de la Fondation pour l’innovation politique.

 

L’intégration

Selon les auteurs, la France a un programme d’intégration trop peu exigeant. Les étrangers, personnes étrangères nées à l’étranger, qui arrivent pour la première fois en France et souhaitent s’y installer durablement doivent signer un contrat d’intégration républicaine, d’une durée d’un an. L’étranger doit passer un entretien avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), au cours duquel plusieurs formations peuvent être prescrites. La formation linguistique vise un niveau dit de « découverte du français » (A1). Cette formation est obligatoire si le besoin est constaté. Une formation professionnelle peut être proposée, mais sans obligation. Une formation civique doit permettre à l’étranger de s’approprier les valeurs de la société française (portrait de la France, santé, emploi, parentalité et logement). Obligatoire, cette formation est cependant l’une des moins contraignantes d’Europe : elle ne dure que quatre jours. Le respect du contrat, nécessaire pour la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle, n’est conditionné qu’au suivi des formations obligatoires et ne comporte aucun test de niveau.

En Allemagne, le programme d’intégration est obligatoire si la personne étrangère ne parle pas ou peu l’allemand (700 heures de cours), programme à sa charge, soit 2,29 euros par heure et 1 603 euros au total, sauf s’il perçoit des aides sociales. Si les examens sont passés avec succès, la personne peut, sous certaines conditions, récupérer jusqu’à la moitié de la somme versée. Le programme comprend des cours de langue, avec un test de niveau A2 ou B1, ainsi que des cours d’éducation civique sur les valeurs du pays et les droits et devoirs du citoyen. La formation est conclue par un examen QCM intitulé « Vivre en Allemagne », pour lequel au moins quinze réponses correctes sur trente-trois sont nécessaires pour réussir. Une formation professionnelle peut également être proposée.

En Autriche, le programme d’intégration comprend deux modules. Le premier, sur deux ans, est obligatoire. Il vise une maîtrise de l’allemand (niveau A2) et la compréhension des valeurs fondamentales autrichiennes. La réussite de ce premier module est requise pour obtenir un deuxième titre de séjour. Le second module est plus exigeant et il est nécessaire pour obtenir un permis de séjour longue durée et la naturalisation.

Au Danemark, il revient aux municipalités de mettre en œuvre les politiques d’intégration, en prise avec les réalités locales. Pour les réfugiés et les immigrés issus du regroupement familial, un programme permet l’accès à un emploi par l’amélioration des compétences. Un programme s’étend sur une année, après quoi l’immigré doit être en situation d’emploi. Si l’objectif n’est pas atteint, la durée du programme peut être étendue à une période de cinq ans maximum. Le programme regroupe des cours de danois, qui ne peuvent dépasser une moyenne de quinze heures par semaine, et des offres de formation destinées à faciliter l’accès à un emploi.

En Finlande, les besoins d’un étranger en termes d’intégration sont évalués à son arrivée. Un programme individuel de trois ans est proposé, mais il est obligatoire pour toute personne au chômage, recevant une aide de l’État, ou pour les mineurs sans tuteur légal dans le pays. Le programme comprend des cours de finnois ou de suédois (objectif B1), l’acquisition de connaissances sociales et culturelles, et l’accès à la formation et à la vie professionnelle. La décision d’accorder une aide financière pour la durée du programme est du ressort de la municipalité.

Aux Pays-Bas, un programme d’intégration est obligatoire. Il faut passer un test à l’arrivée dans le pays. Le résultat détermine l’orientation vers l’une des trois voies d’apprentissage. L’« itinéraire B1 » vise l’accès à un niveau satisfaisant de néerlandais en trois ans, tout en ayant la possibilité de travailler. La « voie éducative » est destinée à apprendre le néerlandais (niveau B1) aux jeunes étudiants étrangers. Enfin, les arrivants qui n’ont pas les compétences pour accéder aux modules précédents suivent l’« itinéraire de l’autonomie » et reçoivent des cours de langue d’un niveau inférieur (A1). Si les tests ne sont pas réussis, l’étranger a trois ans pour les repasser, sous peine d’amende.

En Italie, il faut obtenir trente crédits (une mesure qui permet de valider un cours) pour obtenir un certificat d’intégration. L’étranger se voit attribuer seize crédits d’office, puis il doit suivre une formation civique de dix heures sous peine de perdre quinze crédits. Il a ensuite deux ans pour obtenir les quatorze crédits manquants, en suivant des cours d’italien (niveau A2), de culture civique, une formation professionnelle, etc. Des crédits peuvent être perdus en cas de violations de la loi. Au bout de deux ans, si le nombre de crédits est égal ou supérieur à trente, la personne reçoit un certificat ; si plus de quarante crédits sont validés, elle peut bénéficier de prix spéciaux (activités culturelles, formations…) ; si le nombre de crédits est nul, l’étranger perd son permis de séjour. Enfin, entre un et vingt-neuf crédits, le contrat peut être prolongé d’un an, à charge pour l’étranger d’atteindre trente crédits, sauf à perdre son permis de séjour.

La BulgarieChypre et la Hongrie ne proposent pas de programme d’intégration. Dans la pratique, cela rend très difficile l’accès au logement, aux soins de base et au marché du travail. Ce sont les pays les plus fermés à l’immigration.

Le regroupement familial

Le regroupement familial désigne la procédure par laquelle un étranger détenteur d’un titre de séjour peut demander à être rejoint par des membres de sa famille, la plupart du temps son conjoint et ses enfants. En France, le regroupement familial est l’une des premières sources d’immigration, devant l’immigration économique. Cependant, en 2022, pour la première fois, l’immigration étudiante est devenue la première cause d’immigration, devant l’immigration familiale.

En France, il n’existe pas d’âge minimum pour le regroupement des conjoints, ni pour le regroupant, ni pour le regroupé, contrairement à l’Autriche, à la Belgique, à la Lituanie et à Malte, où ils doivent avoir au moins 21 ans, ou 24 ans au Danemark.

Il n’existe pas toujours une condition de durée de résidence avant de demander un regroupement. En Espagne ou à Malte, le regroupant doit résider depuis au moins un an. En Irlande, il faut travailler depuis un an, sauf si le regroupant est de « catégorie A » (entrepreneurs, chercheurs, etc.). La France a institué un délai de dix-huit mois. Certains pays, comme Chypre, la Grèce et la Lituanie, sont plus fermes, en exigeant au minimum deux ans dans le pays. 

Pour les compétences linguistiques, l’Allemagne et l’Autriche exigent des regroupés un niveau élémentaire en allemand (niveau A1). La France ne conditionne pas le regroupement familial à la maîtrise du français, ni pour le résident, ni pour sa famille.

Pour accueillir sa famille, le demandeur doit justifier de revenus suffisants et stables. Mais le montant des ressources mensuelles requises varie fortement d’un État à l’autre. En France, pour une famille de deux ou trois personnes, le demandeur doit justifier d’un revenu correspondant à un Smic net mensuel, soit 1 353 euros au cours de l’année précédant la demande. Pour une famille de six personnes et plus, le montant demandé est 1 602 euros. En Autriche, le montant requis est de 1 752 euros pour un couple et de 171 euros par enfant supplémentaire (soit, pour une famille de six personnes, 2 436 euros par mois). En Finlande, le minimum requis est de 1 700 euros pour un couple, de 500 euros pour le premier enfant, suivi de 100 euros pour chaque enfant supplémentaire, soit 3 100 euros par mois pour une famille de six personnes.

Dans certains pays, une surface minimale du logement pour accueillir les regroupés est précisée. C’est le cas en France, où le logement doit être compris entre 22 et 28 mètres carrés pour deux personnes, selon la zone géographique où il est situé. Il faut ajouter 10 mètres carrés pour chaque personne supplémentaire et, au-delà de huit individus, 5 mètres carrés par personne. En Italie, la surface exigée est de 28 mètres carrés pour deux personnes, 42 mètres carrés pour trois, 56 mètres carrés pour quatre, puis 10 mètres carrés pour chaque personne supplémentaire. Une chambre individuelle doit faire au moins 9 mètres carrés. Un bail de six mois minimum à partir de la demande est également nécessaire. Le Danemark a établi deux conditions de superficie, dont l’une au moins doit être respectée : soit le nombre de personnes concernées ne peut pas dépasser le double du nombre de chambres, soit la superficie totale doit être d’au moins 20 mètres carrés par personne. À cela s’ajoute une condition de localisation : le logement ne doit pas être situé dans un « ghetto », une zone caractérisée par un taux de chômage élevé, un nombre supérieur à la moyenne de résidents condamnés pénalement et une proportion importante d’immigrés et de descendants d’immigrés venus de pays non occidentaux.

L’effet d’une condamnation pénale est parfois précisé. Aux Pays-Bas, le regroupé ne doit pas avoir commis de délit ou de crime. Il peut être indiqué que le conjoint et les enfants peuvent être exclus du regroupement familial si leur présence constitue une menace pour l’ordre public. C’est le cas en France ou en Finlande.

Afin de restreindre au maximum le regroupement familial, le Danemark a mis en place plusieurs conditions qui le distingue des autres pays européens. Le regroupé doit s’être rendu au moins une fois sur le territoire danois. Le regroupant doit satisfaire deux conditions financières : ne pas avoir touché d’aides de l’État pendant les trois années précédant la demande et disposer d’une caution de 14 800 euros, que la municipalité utilisera si le regroupé a besoin de prestations sociales. Depuis 2018, à eux deux les conjoints doivent remplir au moins quatre de ces six conditions : pour le regroupant, réussir un test de langue en danois de niveau avancé, avoir travaillé cinq ans au Danemark ou avoir fait six années d’études au Danemark ; pour le regroupé, réussir un test de langue témoignant d’une connaissance de l’anglais ou du danois, avoir travaillé trois ans sur les cinq dernières années ou avoir accompli une année d’études supérieures.

 L’obtention de la nationalité par naturalisation

La naturalisation est un mode d’acquisition de la nationalité. Elle n’est pas automatique. Elle se fait par décision de l’autorité publique et elle est accordée sous certaines conditions. Ces conditions définissent un ensemble de contraintes dont la rigueur varie selon les pays. Au sein de l’Union européenne, la France est l’un des pays où l’acquisition de la nationalité est la plus facile. 

Le premier critère est la durée de résidence dans le pays dont on veut obtenir la nationalité. Cette durée minimale est de dix ans en AutricheEspagneLituaniePologneSlovénie et Italie, de neuf ans au Danemark, de huit ans en CroatieEstonieHongrieRoumanieSlovaquie et Allemagne, de sept ans à Chypre et en Grèce. En Allemagne, il est question de réduire cette durée à cinq ans, soit la même durée qu’en France.

La naturalisation est ensuite conditionnée à la maîtrise d’un niveau de langue. À l’image de la quasi-totalité des autres pays de l’Union européenne, la France requiert un niveau B1, soit la capacité d’être autonome dans la plupart des situations de la vie quotidienne. Le Danemark se montre plus exigeant en requérant un niveau de langue permettant de « communiquer spontanément et aisément avec un locuteur natif » (B2).

La compréhension et l’approbation des valeurs du pays peuvent être contrôlées par des tests. En Allemagne, la vérification se fait par un QCM de trente-trois questions, auquel il faut apporter au moins dix-sept bonnes réponses, portant sur la vie, la société, les règles et les lois, ainsi que des questions spécifiques à propos de sa région de résidence. En Espagne, il existe aussi un QCM portant principalement sur des questions constitutionnelles et socioculturelles. Au Danemark, c’est un test de connaissance sur l’histoire et la société danoises, centré sur la culture civique et la vie quotidienne. En France, il n’y a pas de test, seul un entretien est nécessaire pour démontrer l’adhésion aux valeurs du pays. Notons que ce critère d’adhésion est affecté par d’autres dimensions de la politique migratoire, telles que la durée de résidence minimale requise. Ainsi, l’Italie fait partie des pays qui n’exigent pas de test de citoyenneté, mais la durée de résidence légale et ininterrompue avant de pouvoir demander la nationalité est la plus longue.

Il est presque toujours demandé aux candidats, au moment de leur demande, d’être capables de subvenir à leurs besoins et de ne pas dépendre d’aides de l’État. Cette contrainte est renforcée en Autriche, il faut apporter la preuve d’une autonomie financière d’au moins trois ans au cours des six dernières années. Au Danemark, le candidat doit avoir occupé un emploi à temps plein pendant au moins trois ans et demi sur les quatre dernières années et ne pas avoir perçu d’aides de l’État dans les deux dernières années.

L’effet d’une condamnation pénale sur l’accès à la nationalité affecte les chances d’obtenir la nationalité. En dehors de raisons exceptionnelles, telles que l’atteinte aux intérêts de l’État, qui rendent la naturalisation impossible, en France on ne peut pas accéder à la nationalité si l’on a été condamné à une peine de prison ferme de six mois ou plus. Le seuil allemand est plus sévère (trois mois avec sursis suffisent) et l’accès à la nationalité est définitivement fermé en cas de condamnation pour actes antisémites, racistes ou xénophobes. Au Danemark, toute peine de prison, y compris avec sursis, interdit à vie l’accès à la nationalité.

La politique d’accueil

Les auteurs de l’étude estiment que sur l’accès aux soins. A ce niveau, « la France est le pays le plus généreux du monde », indiquent-ils.

a) PUMa pour les demandeurs d’asile, AME ou PUMa pour les étrangers en situation irrégulière

La directive européenne de 2013 sur la protection internationale reconnaît le droit de toute personne à jouir du meilleur état de santé physique et mentale, ainsi que l’accès à des soins d’urgence. Cependant, les droits en matière de santé relèvent des législations nationales. En France, les étrangers demandeurs d’asile ont accès aux soins par la protection universelle maladie (PUMa), soit le régime commun. Les étrangers en situation irrégulière n’ont pas accès à la PUMa mais à l’aide médicale de l’État (AME). Selon les termes de l’Assurance maladie, l’AME « est destinée à permettre l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière au regard de la réglementation française sur le séjour en France ». Une condition de séjour ininterrompu d’au moins trois mois sur le territoire a été introduite fin 2019, sauf pour les mineurs. Il faut noter, toujours selon les termes de l’Assurance maladie, que « l’AME est attribuée sans conditions aux enfants mineurs dont les parents sont en situation irrégulière, même lorsque ces derniers n’en bénéficient pas encore ou dépassent le plafond de ressources pour en bénéficier ». Un demandeur d’asile n’est donc pas affilié à l’AME mais à la PUMa, aussi longtemps que sa demande n’a pas été rejetée. Or, dans la mesure où la plupart des demandes d’asile sont refusées et compte tenu du fait que les déboutés demeurent sur le territoire national, il s’ensuit qu’ils deviennent des étrangers en situation irrégulière… mais conservant le bénéfice de la PUMa.

Pour les étrangers en situation irrégulière, l’AME permet de bénéficier de soins médicaux et hospitaliers sans frais. Seules sont requises une condition de résidence sur le territoire français depuis au moins trois mois et une condition de revenu mensuel, qui doit être inférieur à 767 euros. L’AME donne accès à un panier de soins quasiment équivalent à celui des nationaux, puisque seules les cures thermales et la PMA ne sont pas accessibles. En 2022, l’AME a compté 398 480 bénéficiaires, pour un coût de 1,079 milliard d’euros. Par rapport à 2018, cela représente une augmentation de 25 % du nombre de bénéficiaires (318 106 bénéficiaires en 2018) et de 17 % du coût de l’AME (965 millions en 2018).

Par comparaison, on voit que, dans l’ensemble des pays européens, en dehors de l’aide d’urgence, lorsque la vie de la personne est en danger, un sans-papiers ne peut prétendre à la gratuité des soins et un étranger demandeur d’asile accède à un système de soins d’une qualité inférieure à celle des nationaux. En Allemagne et en Italie, les migrants irréguliers présents sur le sol ne peuvent pas avoir accès à la gratuité des soins, sauf en cas d’urgence.

Notons que les étrangers en situation irrégulière qui ne bénéficient pas de l’AME, parce qu’ils sont en France depuis moins de trois mois ou parce que leur admission a été refusée, bénéficient cependant du dispositif de soins urgents et vitaux (DSUV) qui prend en charge à l’hôpital les soins dont l’absence aurait des conséquences graves ou fatales.

b) Les titres de séjour pour soins : une exception française déraisonnable

Selon le site du ministère de l’Intérieur, « la France compte parmi les très rares pays européens qui disposent d’une procédure spécifique de délivrance de titres de séjour aux étrangers malades ». En réalité, la France est le seul pays à permettre une immigration pour soins d’une telle qualité et dans des conditions aussi favorables pour les migrants. En effet, le titre de séjour pour soins est attribué à un étranger dès lors que le soin n’est pas accessible pour lui dans son pays d’origine. Cela signifie que le critère n’est pas l’existence, dans le pays d’origine, d’une offre de soins appropriée à la pathologie mais la possibilité pour la personne d’accéder à ces soins. Un étranger disposant dans son pays de soins répondant à sa pathologie mais se trouvant dans l’impossibilité d’y accéder pour des raisons économiques devient éligible à un permis de séjour en France pour soins. On compte, en France, plus de 30 000 bénéficiaires d’un permis de séjour pour soins.

Pour obtenir la « carte de séjour pour soins », correspondant au droit de séjour d’un étranger sur le territoire français pour une raison médicale, le dossier médical du demandeur doit passer par l’OFII et le collège médical, qui donne son avis au préfet, le décisionnaire final. Un étranger résidant en France depuis au moins un an peut bénéficier d’une carte de séjour temporaire pour raisons de santé. Sa durée peut aller jusqu’à quatre ans. Il faut remplir deux critères : un état de santé nécessitant une prise en charge sous peine de conséquences graves et ne pas pouvoir bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Cette carte inclut l’accès au bénéfice des greffes d’organes. Les frais sont intégralement pris en charge par l’assurance médicale française.

Nous n’avons pas réussi à trouver le nombre exact de titres de séjour accordés pour des raisons de santé, les rapports de l’OFII se limitant à présenter le nombre de « premiers titres de séjour pour soins délivrés à des étrangers majeurs en métropole », un chiffre qui n’inclut pas les personnes transitant par les départements d’outre-mer, en particulier Mayotte et la Guyane, ni les mineurs ni les titres de séjour renouvelés. Enfin, dans la mesure où l’obtention d’un permis de séjour pour soins dépend d’une durée minimale de résidence d’un an sur le territoire français, on peut imaginer que les 30 000 bénéficiaires ne sont qu’une partie d’un nombre de candidats plus grand, venus en France dans la perspective, et sans doute l’espoir, d’obtenir un tel permis. En d’autres termes, l’existence d’une telle possibilité est une incitation à immigrer en France avec pour but d’y obtenir des soins que l’on ne peut s’offrir dans son pays d’origine pour des raisons économiques et sociales.

Typologie des avis de demandes de titres de séjour pour des raisons de santé (2020)

La nationalité des demandeurs de titres de séjour pour des raisons de santé (2020-2021)

La législation pour les mineurs

Le traitement des migrants diffère selon leur âge. Les mineurs non accompagnés bénéficient d’aides supplémentaires au titre de la protection de l’enfance. En 2020, 40 000 personnes se sont présentées comme mineurs non accompagnés en France. La moitié environ est intégrée au dispositif de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Le coût moyen de la prise en charge d’un mineur non accompagné au titre de l’ASE est estimé à 50 000 euros par an, couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation. Dans le cas d’un individu se déclarant mineur mais sans document d’identité permettant de le prouver, les autorités judiciaires peuvent recourir à un examen radiologique osseux. Les conclusions doivent préciser la marge d’erreur, dont le doute profite à l’intéressé. Or, en France, cet examen ne peut être réalisé sans l’accord de l’intéressé qui échappe ainsi aux conséquences du fait d’être majeur. En Finlande, si l’examen osseux (mais aussi dentaire) ne peut pas être effectué sans l’accord de l’individu, son refus sans raison valable amène à le considérer comme adulte.

Nombre de mineurs étrangers entrés clandestinement dans les Alpes-Maritimes (2014-2022)

L’allocation des demandeurs d’asile (ADA)

Les conditions pour les demandeurs d’asile en attente de leur réponse diffèrent également. En France, le montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) est de 204 euros par mois si le demandeur est placé en centre d’hébergement. Si le demandeur ne peut y être placé (ce qui représente, selon l’OFII, « au maximum 30 % des demandeurs d’asile » 28), il perçoit 426 euros par mois. Il s’agit du montant le plus élevé en Europe. Dans la même situation (non logé), un demandeur d’asile reçoit mensuellement 367 euros en Allemagne, 365 euros en Autriche, 348 euros en Finlande ou 201 euros en Suède. En moyenne, un demandeur d’asile sans hébergement perçoit 278 euros par mois dans les dix pays identifiés qui octroient des allocations pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas logés.

Les obligations de quitter le territoire : un échec français

En France, en cas de rejet de la demande de titre de séjour, ou de séjour irrégulier sur le territoire, le préfet peut délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui doit être effective sous un délai de trente jours, mais de quarante-huit heures si la personne est considérée comme une menace. À l’issue du délai imposé, l’étranger peut être placé en centre de rétention. Dans les faits, ces centres sont saturés.

Les OQTF entre 2015 et 2021 : une augmentation des expulsions ordonnées mais un effondrement des expulsions réalisées

Si la France est le pays qui prononce le plus d’obligations de quitter le territoire (OQT), son taux de réalisation est l’un des plus faibles. En moyenne, sur la période 2015-2021, la France a réalisé 12% de ses OQT, contre 43% pour l’ensemble de l’Union européenne.

Contribution budgétaire nette des personnes nées à l’étranger et nées dans le pays (en % du PIB, moyenne de la période 2006-2018)

Externaliser la gestion de l’immigration, une idée européenne ?

La liste des pays d’origine dits « sûrs »

La notion de « pays d’origine sûr » est utilisée dans le domaine du droit de l’asile par vingt États membres de l’Union européenne, dont la France. L’admission d’un étranger candidat à l’asile peut être refusée si sa nationalité est celle d’un pays considéré comme sûr. Chaque État membre définit sa liste de « pays d’origine sûr ». Certains y inscrivent de nombreux pays dans le but de restreindre les entrées au titre de l’asile. C’est par exemple le cas de Malte qui y a placé l’Égypte et le Bangladesh en 2020, l’île subissant alors un brusque afflux de migrants issus de ces pays. Le concept de « pays d’origine sûr » peut également être appliqué au pays par lequel les migrants ont effectué leur entrée dans l’Union européenne. Ainsi, en juin 2021, la Grèce a désigné la Turquie comme pays « tiers sûr », incluant donc les demandeurs d’asile venant de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh et de Somalie, soit les nationalités de la plupart des demandeurs d’asile en Grèce. Les demandes déposées en Grèce par ces nationalités peuvent donc être jugées irrecevables si le demandeur est passé auparavant par la Turquie. C’est pourquoi les autorités françaises dont favorables à une harmonisation européenne de la liste des pays devant être considérés comme sûrs.

Les accords avec des pays tiers se développent

Depuis la crise migratoire de 2015, l’Union européenne et ses États membres ont promu des accords avec des pays tiers afin de mieux contrôler les flux migratoires. Dans cette perspective, l’Union européenne a signé un accord avec la Turquie en 2016. Contre l’engagement d’Ankara de contrôler le passage des migrants, l’Union européenne lui allouait en échange 6 milliards d’euros. Un mémorandum d’entente en matière d’immigration a également été signé par l’Italie avec les autorités libyennes en 2017, renouvelé en 2020 et en 2023. Parallèlement, l’Union européenne et l’Espagne ont signé un accord de coopération avec le Maroc en 2019, entré en vigueur en 2022. Cette forme de coopération entre l’Espagne et les pays d’origine et de transit a permis de réduire de 25% les entrées irrégulières sur le sol espagnol.

L’inadaptation du droit européen conduit à le contourner ou implique de le réformer

a) La tentation du contournement : le système d’asile en Hongrie

En Hongrie, en mai 2020 le gouvernement a mis en place un nouveau système d’asile. Tous les demandeurs doivent désormais déposer leur candidature à l’ambassade hongroise à Belgrade ou à Kiev. Le choix de ces capitales tient au fait que la Serbie et l’Ukraine sont des pays frontaliers de la Hongrie et des pays non membres de l’Union européenne. Lorsqu’un permis l’autorisant à déposer une demande d’asile lui est délivré, le demandeur doit se rendre en Hongrie, sous trente jours, pour formaliser sa demande. Il est ensuite placé dans un centre de rétention. Notons que, depuis l’attaque de leur pays par la Russie, les Ukrainiens peuvent passer la frontière sur présentation d’un simple document.

b) La naissance d’une stratégie européenne d’externalisation :  l’Italie et le Danemark

En Italie, la coalition de centre-droit propose la création de « hotspots » dans les pays extra-européens. Ces centres seraient gérés par l’Union européenne et auraient la charge d’évaluer les demandes d’asile à la place des États membres. Seuls les demandeurs auxquels serait accordée une protection internationale auraient la possibilité d’entrer sur le sol européen. Au Danemark, la gestion de l’asile pourrait être confiée au Rwanda et la délocalisation des prisonniers étrangers au Kosovo. Rappelons qu’en 1992 le Danemark a négocié des « options de retrait » (op-out) au droit européen lui permettant de ne pas appliquer les règlements et directives de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures, auxquelles sont soumises les politiques de migration et d’asile. Le Danemark peut donc décider du sort des ressortissants d’un pays tiers selon ses propres règles. Le 3 juin 2021, sous le gouvernement social-démocrate de Mette Frederiksen, le Danemark a adopté une politique d’externalisation du traitement des visas. Le texte prévoit que les demandeurs d’asiles soient envoyés dans un centre d’accueil situé dans un pays extra-européen, le Rwanda, où ils devraient rester une fois le statut de réfugié obtenu. Pour l’heure, le Danemark a suspendu son projet, afin de trouver une solution commune avec l’Union européenne. Enfin, le 27 avril 2022, le Danemark a également signé un accord avec le Kosovo lui permettant, selon le verbe utilisé, de « louer » 300 places de prisons pour y incarcérer les étrangers emprisonnés au Danemark qui devaient être expulsés après leur peine. En contrepartie, Copenhague versera annuellement 15 millions d’euros au Kosovo.

 

Ce que font les autres que la France pourrait faire

Assurer un accès à l’information :

Instituer une audition annuelle du gouvernement par l’Assemblée nationale et le Sénat sur la politique d’immigration, précédée de la remise d’un rapport aux parlementaires. Emmanuel Macron avait formulé ce souhait le 25 avril 2019 : « Je souhaite que nous puissions instaurer chaque année, au Parlement, un débat sur la politique migratoire. »
À l’exemple du Danemark et de la Suède, création d’un ministère de l’Immigration et de l’Intégration chargé de conduire la politique d’immigration fixée par le Gouvernement. Pour rappel, initialement un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire avait été créé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, par décret du 18 mai 2007 (gouvernement Fillon). Ce ministère avait été dirigé du 18 mai 2007 au 15 janvier 2009 par Brice Hortefeux puis par Éric Besson jusqu’au 13 novembre 2010. Il avait ensuite été supprimé.
À l’exemple du Danemark, de la Grèce et des Pays-Bas, publication d’un rapport annuel statistique enrichi de ce que nous préférons nommer les statistiques complètes (et non « statistiques ethniques ») permettant de mieux connaître et de mieux étudier le profil sociologique des immigrés, de suivre leur intégration et leur parcours, leur présence dans les données statistiques concernant la santé, le logement, l’emploi, l’école ainsi que la criminalité.

Mineurs isolés :

À l’exemple de la Finlande, en cas de doute sur l’âge d’un étranger se déclarant mineur isolé, tout refus de sa part sans raison valable d’un test osseux pour déterminer son âge conduira à le considérer et à le traiter comme un adulte.

Intégration :

À l’exemple de l’Autriche, passage d’un test de français pour évaluer le niveau de langue de l’étranger au début de sa formation. Une formation d’une durée totale de deux ans adaptée à son résultat lui sera proposée afin qu’il atteigne le niveau A2.
À l’exemple de l’Autriche, de l’Allemagne et du Danemark, examen final obligatoire sur le niveau de langue. Sa réussite conditionnera l’obtention d’un nouveau permis de séjour. Un an de cours supplémentaire sera proposé en cas d’échec à l’examen.
À l’exemple de l’Allemagne, un volume de 100 heures sera consacré à la formation civique (contre quatre jours en France aujourd’hui).
À l’exemple de l’Autriche et de l’Italie, la formation doit être sanctionnée par un examen. La réussite à l’examen conditionnera l’obtention d’un nouveau permis de séjour
À l’exemple de l’Italie, des « pass culture » seront offerts en cas de très bons résultats aux tests de langue et lors de la formation civique.
À l’exemple de la Suède, une formation favorisant l’insertion professionnelle sera obligatoire pour les étrangers dont la formation reçue est inférieure au niveau du lycée à leur arrivée en France. A l’exemple du Danemark, les étrangers devront trouver un emploi dans l’année qui suit leur arrivée sur le sol français. Le cas échéant, ils devront accepter parmi les emplois qui leur seront proposés, celui qui se rapprochera le plus de leurs compétences, sous peine de devoir quitter le territoire. Cela suppose donc non seulement la capacité d’ordonner des OQTF mais aussi de les faire exécuter.
À l’exemple des Pays-Bas, en cas de non-respect du contrat d’intégration républicaine, des amendes ou des obligations supplémentaires, comme des heures de cours, seront imposées, ou à l’exemple de l’Italie, le fait de ne pas obtenir le nombre de crédit requis par le programme d’intégration entraîne la révocation ou le non-renouvellement de la carte de séjour.

Naturalisation :

Porter à 9 ans le nombre d’années de résidence nécessaires pour accéder à la naturalisation (5 ans en France actuellement, contre 8 ans en Allemagne, qui envisage de passer à 5 ans, 9 ans au Danemark, 10 ans en Autriche, en Espagne, en Italie, en Lituanie, en Pologne ou en Slovénie).
Fermer l’accès à la naturalisation pour tout candidat qui aura été condamné à une peine de 3 mois avec sursis ou plus, à l’exemple de l’Allemagne (contre une peine de prison ferme de 6 mois et plus aujourd’hui en France). Au Danemark, l’obtention de la nationalité est impossible pour toute personne ayant été condamnée à de la prison ferme ou avec sursis ; les infractions plus légères entraînent une augmentation du temps nécessaire pour accéder à la nationalité. En Allemagne, l’obtention de la nationalité est impossible pour toute personne ayant été condamnée pour acte antisémite, raciste ou xénophobe.
À l’exemple du Danemark et de la Finlande, nécessité d’être à jour de ses cotisations, taxes, amendes, pensions alimentaires…

Soins, santé :

À l’exemple de l’Allemagne et de l’Italie, en dehors des cas d’urgences, mettre fin à la gratuité des soins pour les migrants irréguliers, sauf pour les mineurs et les femmes enceintes.
La France est le seul pays à délivrer des permis de séjour pour soins. Il serait pertinent de modifier la loi :

Texte actuel : « le ressortissant étranger bénéficie d’une carte de séjour temporaire pour soins si : son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié » (loi n° 2016-274 du 7 mars 2016) ;

Texte proposé : « le ressortissant étranger bénéficie d’une carte de séjour temporaire pour soins si : son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; et si l’offre de soins n’existe pas dans le pays dont il est originaire ».

 Regroupement familial :

À l’exemple de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Finlande, le regroupement familial ne doit être possible que si le ménage est autosuffisant, c’est-à-dire s’il n’a pas besoin des aides d’État.
À l’exemple de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark, il faut ajouter d’un critère de langue (A1) pour les regroupés.
À l’exemple des Pays-Bas, il faut exiger des regroupés un casier judiciaire vierge.

Source : Fondapol

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