L’intelligence artificielle (IA) étant encore relativement récente, ses conséquences économiques et financières restent à évaluer. Cela est d’autant plus vrai pour les politiques associées, pour lesquelles les recommandations ne peuvent être que provisoires. Toutefois, dans cette note, nous tentons d’aborder les deux aspects, d’abord en posant le cadre, puis en distinguant les aspects économiques et financiers.
Nous ne pensons pas que l’IA puisse déclencher un bouleversement de l’environnement économique ou financier. La présente étude veut aller à l’encontre de deux idées reçues. La première est celle du « cauchemar », où une grande partie de la population active pourrait être remplacée par des machines, ce qui entraînerait une hausse du chômage et des inégalités, ainsi que des crises financières de grande ampleur, les robots mettant librement en œuvre des algorithmes qui amplifieraient les mouvements du marché. La deuxième idée est celle du « conte de fées », où les robots remplaceraient les humains dans la plupart des tâches fastidieuses et physiquement épuisantes. Cela permettrait de réduire le temps de travail, à la fois quotidien et sur l’ensemble de la vie, en particulier pour les personnes les moins qualifiées, et de gérer les portefeuilles de manière totalement passive, en réduisant les risques mais pas les rendements.
Contrairement à ces idées qui relèvent largement de fictions, nous pensons que l’IA a principalement besoin d’un environnement favorable pour que son potentiel soit pleinement exploité. Ainsi, dans un monde régi avec les outils de l’IA, les politiques de concurrence devraient garantir que les rentes ne soient pas entièrement accaparées par quelques entreprises dominantes, tandis que l’environnement réglementaire ne devrait pas brider l’innovation. En outre, la réglementation du travail devrait permettre une flexibilité suffisante, tandis que l’éducation et la formation, la politique fiscale et la gestion des ressources humaines dans le secteur public devraient être adaptées. Il est en effet essentiel que le financement des entreprises innovantes soit abondant et alloué par les personnes et les institutions les plus compétentes, qui devraient également être individuellement responsables des décisions qu’elles prennent. Cela implique le développement du capital-risque et la création d’une Union des marchés de capitaux (UMC), complétée par une Union de l’épargne et de l’investissement (UEI). L’IA n’appelle pas d’instruments politiques spécifiques, que ce soit dans le domaine économique ou financier. L’IA est plutôt un indicateur des failles et des limites des politiques publiques actuelles et un outil pour y remédier en partie, à condition que soient mises en œuvre les réformes structurelles qui se font attendre depuis longtemps.
Qu’est-ce que l’IA ?
L’IA est un domaine de l’informatique qui fait référence à des systèmes informatiques effectuant des tâches associées à l’intelligence humaine. Le terme « intelligence artificielle » a été introduit pour la première fois par John McCarthy en 1956 lors d’une conférence au Dartmouth College pour décrire des « machines pensantes2 ». Toutefois, avant que des progrès majeurs ne soient réalisés, il aura fallu attendre les années 1990 et le développement du machine learning (apprentissage autonome) soutenu par un accès plus rapide à un grand nombre de données (plus il y a de données avec lesquelles un modèle est entraîné, plus il devient performant), et les années 2000 avec l’augmentation de la puissance des ordinateurs et de leur capacité de stockage. L’IA englobe un grand nombre de technologies et de domaines qui se développent rapidement3 :
– L’apprentissage autonome fait référence à des techniques (algorithmes et modèles statistiques) « conçues pour détecter des configurations dans les données et les utiliser à des fins de prédiction ou pour aider la prise de décisions4 ». Les systèmes d’apprentissage autonome peuvent apprendre et s’adapter sans suivre d’instructions explicites ;
– Le deep learning (apprentissage approfondi) utilise des réseaux neuronaux calqués sur le cerveau et composés de plusieurs couches qui peuvent saisir des relations de plus en plus complexes entre les données. Comme le souligne la BRI (Banque des règlements internationaux), « un avantage clé des modèles de deep learning est leur capacité à travailler avec des données non structurées5 » (mots, phrases, images…) ;
– La GenAI (IA générative) « désigne les IA capables de générer du contenu, y compris du texte, des images ou de la musique, à partir d’une commande en langage naturel6 » contenant des instructions en langage simple ou des exemples de ce que les utilisateurs attendent du modèle. La BRI précise que « les grands modèles de langage (LLM) sont un exemple majeur d’applications d’IA générative en raison de leur capacité à comprendre et à générer des réponses précises avec peu ou pas d’exemples préalables. Par conséquent, les LLM et l’IA générative ont permis à des personnes qui utilisent le langage ordinaire d’automatiser des tâches qui étaient auparavant effectuées par des modèles hautement spécialisés7 » ;
– Les agents d’intelligence artificielle (AI agents) constituent la prochaine frontière de l’IA. Les agents d’IA sont des systèmes d’IA qui deviennent de plus en plus autonomes. « Ils s’appuient sur des LLM avancés et sont dotés de capacités de planification, d’une mémoire à long terme et d’un accès à des outils externes tels que la capacité d’exécuter un code informatique, d’utiliser internet ou d’effectuer des transactions sur le marché8 ». Ce qui les distingue des agents de négociation autonomes déjà déployés, par exemple, dans le trading à haute fréquence, c’est qu’ils ont l’intelligence et les capacités des LLM de pointe, avec la capacité d’analyser de manière autonome les données, d’écrire du code pour créer d’autres agents, de les tester et de les mettre à jour comme ils le jugent approprié.
Comme le souligne le rapport Draghi9, l’Union européenne occupe une position faible dans le développement de l’IA et est à la traîne par rapport aux États-Unis et à la Chine10. Les applications d’IA sont construites sur une pile11 qui commence par le matériel spécialisé utilisé pour former et exécuter les modèles d’IA générative. La couche correspondant au matériel informatique de la pile est dominée par les processeurs graphiques (GPU) fournis par la société américaine Nvidia, qui propose également le logiciel pour leur utilisation. Au niveau suivant, on trouve les entreprises qui proposent des services de cloud (nuage informatique) qui sont essentiels au développement et au déploiement de l’IA. Cette couche est dominée par Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud Platform (les autres concurrents sont les clouds de Nvidia, d’IBM, d’Alibaba, etc.). Selon le rapport Draghi, ces trois opérateurs américains représentent plus de 65% du marché de l’Union européenne (UE), tandis que le plus grand opérateur de cloud de l’UE (Deutsche Telekom) ne représente que 2%. En ce qui concerne les données utilisées pour former les modèles, les cinq grandes entreprises technologiques américaines (Apple, Amazon, Google, Meta, Microsoft) sont des fournisseurs potentiels de données. Enfin, à propos des modèles d’IA générative, les principaux acteurs sont OpenAI (ChatGPT), Google DeepMind (Gemini), xAI (Grok), Anthropic (Claude), Meta (Meta-Llama), tous basés aux États-Unis. Au total, depuis 2017, 73% des modèles d’IA générative ont été développés aux États-Unis et 15% en Chine. Le rapport Draghi12 note que « les quelques entreprises qui construisent des modèles d’IA générative en Europe, notamment Aleph Alpha et Mistral, ont clairement besoin d’investissements importants pour devenir des alternatives compétitives aux acteurs américains ».
L’adoption croissante des techniques d’IA, notamment de ChatGPT par les ménages, les entreprises et l’industrie des services financiers, cette dernière étant plus avancée à cet égard que les entreprises non financières, est-elle correctement mesurée par les indicateurs macroéconomiques conventionnels tels que le PIB ? Selon le rapport du Groupe d’experts de haut niveau (High-Level Panel of Experts, HLPE) auprès du G713, « à l’instar du “paradoxe de la productivité” observé aux débuts de l’informatique, la contribution de l’IA à la productivité et à la croissance économique pourrait ne pas apparaître immédiatement dans le PIB » pour trois raisons principales :
– « L’IA crée de la valeur par des moyens non traditionnels tels que des améliorations de la qualité des biens ou services et des gains d’efficacité qui ne sont pas reconnus par les indicateurs conventionnels ou qui sont reconnus avec un long décalage » ;
– « La création de valeur peut également être invisible parce que le service offert est gratuit et ne donne lieu à aucune transaction monétaire et, par conséquent, n’est pas comptabilisé dans le PIB » ;
– Le développement de l’IA « entraîne l’émergence de nouvelles activités » et entreprises qui « ne s’intègrent pas parfaitement dans les cadres statistiques existants, ce qui complique davantage les efforts visant à mesurer son impact ».
Il serait donc utile de mettre au point d’autres méthodes de mesure pour compléter les techniques et mesures habituelles.
L’IA diffère-t-elle des autres innovations technologiques ?
L’IA est souvent considérée comme une technologie qui pourrait s’étendre à un usage général, comme l’électricité ou l’internet, c’est-à-dire une technologie qui deviendrait omniprésente, s’améliorerait avec le temps et génèrerait des effets d’entraînement susceptibles d’optimiser d’autres technologies. Toutefois, la BRI souligne deux différences entre l’IA et les technologies classiques à usage général14 :
– La courbe en J de l’IA est plus raide. « Le modèle d’adoption des technologies à usage général suit généralement une courbe en J, d’abord lente » – il a fallu des décennies pour que l’électricité ou le téléphone soient largement adoptés – « elle finit par s’accélérer ». L’IA est différente à cet égard, affichant une « vitesse d’adoption remarquable, reflétant une facilité d’utilisation et un coût négligeable pour les utilisateurs, d’où une utilisation répandue à un stade précoce par les ménages ainsi que par les entreprises dans toutes les industries » ;
– Contrairement aux technologies classiques à usage général, les capacités à long terme de l’IA générative sont très incertaines. Les « LLM actuels peuvent échouer à effectuer des tâches relevant d’un raisonnement logique élémentaire », ainsi qu’à mener un « raisonnement contrefactuel ». En outre, « les LLM souffrent également d’un problème d’hallucination : ils peuvent présenter une réponse factuellement incorrecte comme si elle était correcte, et même inventer des sources secondaires pour étayer leurs fausses affirmations ». La BRI souligne que « les hallucinations sont une caractéristique plutôt qu’un bug de ces modèles » car, comme le note le Conseil de stabilité financière15 (CSF), « leurs productions sont le fruit d’un processus stochastique » (c’est-à-dire d’une probabilité statistique) « plutôt que d’une compréhension profonde du texte sous-jacent ». La BRI pose une question encore ouverte : ces problèmes sont-ils dus à « des limites posées par la taille des ensembles de données d’entraînement et le nombre de paramètres du modèle ou reflètent-ils des limites fondamentales à la connaissance acquise par le seul biais du langage16 » ?
Dans l’ensemble, il semble que les arguments en faveur de l’IA en tant que technologie à usage général ne soient pas encore totalement fondés.
Risques climatiques
Le CSF note que « la consommation d’énergie liée à l’IA est actuellement estimée à environ 1% de la consommation mondiale d’énergie, devrait encore augmenter à l’avenir et pourrait avoir des effets sur la demande d’énergie ». En outre, « la formation, le développement et l’exécution de grands modèles et applications d’IA nécessitent de grandes quantités d’énergie fiable et compétitive ». Par conséquent, « la consommation accrue et durable d’énergie liée au fonctionnement de l’IA pourrait avoir une incidence sur les risques liés au changement climatique si elle ne provient pas de sources d’énergie propres ». Cependant, « des facteurs d’atténuation potentiels existent », tels que « les innovations en matière d’énergie propre axées sur les centres de données ainsi que le développement d’une structure d’entraînement des modèles plus efficaces sur le plan énergétique17 ».
Questions relatives à la protection des données
L’IA ayant besoin de données en grandes quantités pour obtenir des résultats fiables, les décideurs publics prennent [peu à peu] conscience de l’importance de la protection des données personnelles telles que l’identité, la localisation et les habitudes des individus. De plus, les systèmes d’IA peuvent être utilisés pour tromper et manipuler les individus, par exemple au moyen de « deepfakes » et de profilages psychologiques, ce qui donne lieu à des formes complexes et de plus en plus convaincantes de fraude et de désinformation. Les efforts visant à promouvoir la sécurité des données à caractère personnel sont de la plus haute importance, mais il peut être nécessaire de les mettre en balance avec d’autres types de considérations, telles que les préoccupations en matière de compétitivité. Filip et al.18 soulignent que le cadre réglementaire des États-Unis est généralement considéré comme plus favorable aux entreprises et plus orienté sur la réduction des obstacles bureaucratiques que celui de l’UE afin d’encourager l’innovation et l’investissement. Par exemple, les États-Unis ont un cadre de protection des données moins strict que le règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’UE.
Cela peut permettre aux entreprises américaines d’exercer leurs activités et d’investir plus facilement dans les nouvelles technologies.
Inquiétudes à propos de la concurrence
Les risques potentiels pour la concurrence dans l’offre d’IA générative comprennent, indépendamment d’un comportement anticoncurrentiel, des économies d’échelle ou de gamme et des effets de réseau qui pourraient « fournir des avantages au premier entrant et rendre plus difficile la concurrence des nouveaux entrants19 », compte tenu également de l’inertie du comportement des utilisateurs, conduisant à des marchés « basculant » irrévocablement en faveur de certaines entreprises. Le basculement, qui s’est produit dans le marché des plateformes numériques au début des années 2000, a commencé avec un premier entrant, puis a connu une entrée rapide et une concurrence féroce qui a entraîné des pertes importantes parmi les acteurs concernés. Finalement, les pertes sont devenues insoutenables et seul un petit nombre de plateformes ont survécu, sont devenues des acteurs dominants et ont commencé à gagner d’importantes rentes de monopole. Selon Korinek et Vipra20, qui analysent l’évolution de la structure et de la dynamique concurrentielle du marché en expansion rapide des LLM, il existe des similitudes avec le marché des plateformes numériques des années 2000, donc des raisons de s’inquiéter. Par exemple, si la dynamique concurrentielle est actuellement intense, le risque de basculement du marché est en fait élevé. La structure des coûts des LLM, comparée à celle des plateformes numériques, donne lieu à des économies d’échelle et de gamme d’une ampleur similaire. En outre, les coûts des modèles de dernière génération et leurs capacités augmentent beaucoup plus rapidement, de sorte que les exigences d’investissement croissantes pour les modèles de pointe impliquent que le nombre d’acteurs qu’un marché d’une taille donnée peut supporter se réduit rapidement. Toutefois, cette tendance au monopole naturel est atténuée par le fait que le marché de l’IA générative devrait également se développer. De nombreuses autorités de la concurrence ont lancé des initiatives concernant la concurrence dans le domaine de l’IA générative. Korinek et Vipra soulignent la complexité du défi des autorités dans une perspective à moyen terme : les efforts visant à promouvoir la concurrence devront être soigneusement équilibrés par rapport à d’autres considérations telles que la sécurité de l’IA. Par exemple, la publication de modèles d’IA en code source ouvert, qui est souhaitable d’un point de vue économique, peut nuire aux efforts visant à réglementer la sécurité de l’IA.
L’IA et la génération de nouvelles idées
Selon le CFIA, « l’IA pourrait automatiser la génération de nouvelles idées, ou du moins la faciliter. Elle nous aidera ainsi à générer de nouvelles inventions et à résoudre des problèmes complexes […] L’impact de l’IA sur la science et l’innovation est difficile à quantifier […] À tout le moins, l’IA facilitera le travail des chercheurs […] Près d’un article de recherche sur dix mentionne déjà l’utilisation de l’IA. […] L’IA ouvre un champ de possibilités difficilement imaginable. Ces effets conduisent à une augmentation permanente du taux de croissance de la productivité. L’ampleur de cet effet est cependant impossible à quantifier30 ».
L’IA et la croissance
Selon un processus analogue à celui de la « nouvelle économie », largement évoqué dans la littérature économique il y a plus de 30 ans31, les gains de productivité découlant du recours à l’IA devraient se traduire par une croissance plus élevée à long terme. À court et moyen termes, deux mises en garde s’imposent :
– L’IA doit bénéficier d’un environnement favorable. En particulier, les politiques de concurrence devraient garantir que les rentes ne soient pas entièrement accaparées par quelques entreprises dominantes, mais que l’innovation profite aux utilisateurs, soutenant ainsi la demande en technologie de l’IA et sa diffusion dans l’économie. En outre, l’environnement réglementaire ne doit pas étouffer l’innovation, le droit du travail doit être suffisamment flexible. De plus, l’éducation et la formation professionnelle devraient être repensées pour prendre en compte ces nouveaux outils et mieux répondre aux nouveaux besoins du monde du travail. Le financement des entreprises doit être abondant et alloué par les personnes et les institutions les plus compétentes en la matière, également individuellement responsables des décisions qu’elles prennent ;
– Les attentes des ménages pourraient jouer un rôle important. En particulier, comme le montre une étude réalisée par le personnel de la BRI, « si les ménages et les entreprises anticipent pleinement qu’ils seront plus riches à l’avenir, ils augmenteront la consommation au détriment de l’investissement, ce qui ralentira la croissance de la production32 ». Inversement, s’ils n’anticipent pas l’augmentation de la productivité due aux futurs développements de l’IA, celle-ci augmentera considérablement « la production, la consommation et l’investissement à court et à long terme33 ».
Emploi
L’une des craintes souvent exprimées à propos de l’IA est que les robots pourraient remplacer les humains, créant ainsi un chômage massif. Toutefois, cette crainte semble en grande partie infondée, comme le montrent des études tant au niveau désagrégé qu’au niveau agrégé.
Niveau désagrégé
La principale contribution des études au niveau fin est de mettre en lumière les hétérogénéités entre les secteurs, les entreprises, les professions, l’âge et le sexe :
– En utilisant des données pour les professions34 dans 16 pays européens sur la période 2011-2019, un document de la Banque centrale européenne35 (BCE) constate qu’en moyenne les parts d’emploi ont augmenté dans les professions plus exposées à l’IA, en particulier pour les professions avec une proportion relativement plus élevée de jeunes et de travailleurs qualifiés. En outre, les auteurs constatent que le lien entre l’évolution des parts d’emploi et le degré d’exposition à l’automatisation par l’IA est hétérogène d’un pays à l’autre. Cela pourrait s’expliquer à la fois par le rythme de diffusion des technologies et de l’éducation et par le niveau de réglementation du marché des produits (concurrence) et les lois de protection de l’emploi, en ce sens qu’une plus grande diffusion, une meilleure éducation et moins de rigidités dans l’économie favorisent l’impact positif de l’IA sur l’emploi ;
– De même, la CFIA rapporte les résultats d’une enquête menée annuellement par l’Insee sur les effets de l’adoption de l’IA par les entreprises en France. L’Insee constate que l’emploi total dans les entreprises qui ont adopté l’IA augmente davantage que dans les entreprises qui ne l’ont pas adoptée, alors que ces deux groupes suivaient une tendance antérieure similaire. L’enquête montre également que cette relation résulte principalement de la création de nouveaux emplois et qu’il n’y a pas d’effets différenciés sur les emplois occupés par les hommes par rapport à ceux occupés par les femmes. Toutefois, l’impact de l’IA n’est pas homogène selon les professions, le volume d’emplois dans les « professions intermédiaires administratives et commerciales36 » étant affecté négativement ;
– En effet, en utilisant une approche par tâche, une étude de l’Organisation internationale du travail37 (OIT) montre que la proportion des emplois à potentiel d’augmentation (13% au niveau mondial, et 13,4% dans les pays à revenu élevé), donc qui pourraient être enrichis par l’utilisation de l’IA, est beaucoup plus élevée que celle des emplois à potentiel d’automatisation (respectivement, 2,3% et 5,1%), qui pourraient être remplacés par l’utilisation de l’IA. Dans le cas de la France, Bergeaud38, cité par la CFIA, montre que, parmi les professions les plus exposées à l’IA et qui comportent le plus de tâches assez facilement automatisables, figurent les comptables, les télévendeurs et les secrétaires. Les emplois dans ces professions pourraient donc être remplacés par l’IA. À l’inverse, des professions telles que celles d’interprète, de journaliste, d’architecte, d’avocat, de graphiste ou de médecin, qui combinent une forte exposition à l’IA et une proportion élevée de tâches peu susceptibles d’être automatisées, semblent promises à d’importants changements, mais pourraient tirer parti de l’IA. Il existe également de nombreuses professions, telles que photographe, coiffeur, garde d’enfants, aide-ménagère, couvreur ou cuisinier, qui ne sont pas très exposées à l’IA ;
– L’un des principaux facteurs d’hétérogénéité de l’impact de l’IA sur l’emploi pourrait être l’âge. Dans cette optique, le rapport annuel 2024 de la BRI39 cite les résultats d’une étude récente menée en collaboration par la BRI avec Ant Group, dont les résultats concordent avec ceux des études précédentes CFIA40. Cette étude constate que « les gains de productivité sont immédiats et plus importants parmi le personnel moins expérimenté et junior41 ». La BRI en déduit que : « La “fracture numérique” pourrait s’élargir, les personnes n’ayant pas accès à la technologie ou ayant une faible culture numérique étant encore plus marginalisées. Les personnes âgées sont particulièrement exposées au risque d’exclusion42 ».
– Les disparités entre les effets de l’IA selon le sexe pourraient également être importantes. À cet égard, le HLPE note que si, par le passé, les hommes étaient plus vulnérables à l’automatisation, qui avait lieu principalement dans des secteurs tels que l’industrie manufacturière, les choses pourraient en aller différemment avec l’IA. En effet, les femmes ont tendance à effectuer des tâches dans le secteur des services, comme le travail de bureau et la vente au détail, qui pourraient être automatisées par l’IA. Dans ce sens, l’étude de l’OIT citée ci-dessus souligne que le pourcentage d’emplois susceptibles d’être automatisés est deux fois plus élevé pour les femmes (3,5% au niveau mondial et 8,5% dans les pays à revenu élevé) que pour les hommes (respectivement 1,6% et 3,9%). De manière plus spécifique, le HLPE souligne que les femmes sont sous-représentées dans l’industrie de l’IA, en particulier dans le codage, l’ingénierie et la programmation, et qu’elles ne représentent que 22% des professionnels de l’IA dans le monde, alors que cette industrie se développe très rapidement. Toutefois, en utilisant la même approche que dans le document de la BCE cité ci-dessus, les parts d’emploi des femmes ont, en moyenne, augmenté dans les professions les plus exposées à l’IA.
Par Françoise Drumetz et Christian Pfister (Fondapol)