novembre 21, 2025
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Interview avec Charfadine Galmaye Salimi, journaliste tchadien à «TchadOne » : «Le Tchad changera ! »

Charfadine Galmaye Salimi est l’un des journalistes tchadiens qui font la fierté de leur pays. Analyste politique et lanceur d’alerte, Charfadine demeure aujourd’hui l’un des principaux artisans du renouveau critique contre le système de prédation, d’impunité et de corruption qui gangrène l’État tchadien depuis des décennies. Avec DakarTimes, il a accepté de se prononcer sur la situation politique, sociale, sécuritaire de son pays. Entretien…

DAKARTIMES : Hier, le régime d’Idriss Deby, aujourd’hui, le fils Mahamat Idriss Deby, rien n’a changé pour l’homme politique que vous êtes et le prix à payer est bien lourd pour votre engagement politique : exil, menaces, insultes, et, récemment, la déchéance de nationalité par décret de Mahamat Idriss Deby sans compter la prison pour certains. C’est dur d’être un opposant sous le régime des Deby ?

Charfadine Galmaye Salimi : Être opposant sous les Déby n’est pas seulement difficile, c’est presque une sentence. Sous Idriss Déby père comme sous Mahamat Kaka, l’État a été transformé en appareil de dissuasion politique où tout esprit critique est perçu comme une menace. La répression est devenue un mode de gouvernance.

Mon exil, les menaces permanentes, les campagnes de diffamation, les tentatives d’assassinat, et récemment la déchéance de nationalité prononcée illégalement contre moi et mon camarade Makaila Nguebla, ne sont que les symptômes d’un pouvoir qui refuse l’existence même d’un contradicteur. Ce régime s’est construit sur l’idée que toute voix indépendante doit être neutralisée. Certains de mes camarades sont en prison, d’autres ont été réduits au silence.

Mais payer ce prix n’est pas un sacrifice inutile : c’est le rappel que la liberté politique a un coût, et que nous assumons ce coût pour que nos enfants n’aient plus à le payer. Et paradoxalement, cette violence du système renforce notre détermination, car elle montre à quel point le changement est devenu vital pour l’avenir du pays.

DAKARTIMES : Dans cette vie difficile et pleine de sacrifices, sur quelles valeurs et principes vous appuyez-vous pour guider votre action politique au quotidien ?

Charfadine Galmaye Salimi : Je m’appuie sur trois fondements simples : la justice, la vérité et la dignité humaine.

Le Tchad a tellement été abîmé par le mensonge d’État, la manipulation ethnique et la confiscation des richesses que seule une politique fondée sur des principes peut restaurer la confiance. Je refuse l’idée qu’un pays doit être gouverné par la peur, par le sang ou par le clanisme. Mes valeurs ne viennent pas d’une idéologie abstraite mais d’une expérience concrète : celle des familles écrasées par l’injustice, des jeunes sacrifiés par le chômage et de tout un peuple privé de ses richesses. C’est cela qui oriente mes positions, mes enquêtes et mes combats.

Ces valeurs m’obligent à garder le cap, même lorsque le coût personnel est élevé. Elles me rappellent que la politique n’a de sens que si elle élève la condition humaine et protège les plus vulnérables.

DAKARTIMES : Le régime de Mahamat Idriss Deby se singularise aujourd’hui par la neutralisation des hommes politiques d’envergure qui le dérangent comme Succès Masra par exemple, par une précarité sociale, une grave insécurité, des détournements massifs. On a l’impression que le Tchad sombre lentement…

Charfadine Galmaye Salimi : Le Tchad ne sombre pas, il est en train d’être méthodiquement démoli. La neutralisation des figures politiques comme Succès Masra, la précarité extrême, l’insécurité qui progresse, les détournements à grande échelle : rien de tout cela n’est accidentel. Le régime actuel a choisi un modèle fondé sur l’impunité et la rente. La corruption est devenue le moteur de l’État. Quand un pays fonctionne ainsi, ce n’est pas seulement l’économie qui s’effondre ; c’est le tissu social, la confiance et l’idée même de citoyenneté. Et lorsque la pauvreté devient un outil politique et que la peur remplace la loi, la société se fragilise jusqu’à la rupture. Nous sommes précisément à ce moment charnière où continuer sur cette voie, c’est accepter la faillite totale de la nation.

DAKARTIMES : Leader engagé dans l’opposition tchadienne, êtes-vous soucieux des conséquences de la crise soudanaise sur le Tchad ?

Charfadine Galmaye Salimi : Oui, profondément. Le Soudan est notre voisin direct et son effondrement produit des ondes de choc. Mais ce qui m’inquiète le plus, ce n’est pas la crise elle-même : c’est l’instrumentalisation que le régime tchadien en fait.

Le pouvoir utilise la guerre au Soudan comme prétexte pour renforcer son appareil sécuritaire, détourner des ressources et justifier des opérations opaques à la frontière. Les populations du Ouaddaï, du Batha et du BET en payent déjà le prix : déplacements de populations, trafics, insécurité diffuse. Le Tchad ne peut pas être un spectateur passif — encore moins un acteur partisan — d’un conflit aussi explosif. Si nous ne restons pas neutres et responsables, nous risquons d’importer un conflit régional sur notre propre territoire, avec des conséquences incalculables.

DAKARTIMES : Malgré la table ronde de Doha et le Dialogue National Inclusif et Souverain, la paix n’est toujours pas au rendez-vous. Que faudrait-il faire pour construire la paix et réconcilier les Tchadiens ?

Charfadine Galmaye Salimi : Parce que ces processus n’étaient pas faits pour construire la paix : ils étaient faits pour reconduire le pouvoir. On ne construit pas la réconciliation en excluant les acteurs clés, en manipulant les règles et en transformant un dialogue national en mise en scène.

Pour réconcilier les Tchadiens, il faut trois choses :

  • une justice indépendante, y compris pour les crimes d’État ;
  • un partage réel du pouvoir, pas une redistribution entre les mêmes clans ;
  • une armée républicaine, dépolitisée et professionnelle.

Sans cela, tous les dialogues resteront des rituels sans portée. Une paix durable ne peut naître que d’un processus sincère, transparent et inclusif, pas d’une opération politique destinée à maquiller la continuité d’un régime.

DAKARTIMES : Dans vos médias, vous avez dénoncé l’exportation de l’or et de l’antimoine de Miski au Tibesti, sans que ces ressources ne soient versées au Trésor public. Pouvez-vous revenir sur cette question ?

Charfadine Galmaye Salimi : Ce que j’ai révélé sur l’or et l’antimoine de Miski n’est que la partie visible d’un pillage systémique. Le Tibesti est devenu une zone de non-droit organisée, où des généraux, des entreprises-écrans et des réseaux étrangers siphonnent les richesses du pays.

La SONEMIC (Société Nationale d’Exploitation Minière et de Contrôle — l’entreprise publique censée superviser et contrôler l’exploitation minière du pays) est transformée en boîte noire, les exportations vers la Chine, la Turquie ou les Émirats sont maquillées, et le Trésor public ne voit passer ni les devises ni les volumes réels. C’est un scandale d’État, mais aussi un scandale national : les populations du Tibesti vivent dans la misère alors que leur sous-sol finance la fortune de quelques individus.

Ce pillage, en plus d’appauvrir le pays, alimente l’instabilité et renforce les groupes qui prospèrent dans l’illégalité. Il prive également le Tchad de ressources essentielles qui pourraient transformer l’économie nationale.

DAKARTIMES : Après le départ de l’armée française, le Tchad semble se rapprocher de la Russie, de la Turquie et des Émirats Arabes Unis. Comment voyez-vous ce changement ?

Charfadine Galmaye Salimi :  Ce n’est pas un repositionnement stratégique, c’est une fuite en avant. Le pouvoir cherche des partenaires qui ne posent aucune question sur la gouvernance, les droits humains ou l’État de droit. La diplomatie du Tchad s’est transformée en diplomatie de survie du régime.

La Russie, la Turquie ou les Émirats ont leurs propres intérêts : géopolitiques, militaires, miniers. Le problème n’est pas de diversifier nos alliances — c’est même nécessaire — mais de le faire sur une base souveraine, transparente et dans l’intérêt du peuple.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et ce type de relations asymétriques expose le Tchad à une dépendance dangereuse, où notre souveraineté est négociée en échange d’un soutien politique au régime.

DAKARTIMES : Face aux exactions au Soudan, certains évoquent de possibles poursuites internationales. Mahamat Kaka pourrait-il être poursuivi pour crimes de guerre ?

Charfadine Galmaye Salimi : Oui, si une enquête indépendante établit sa responsabilité. Les liens étroits entre Mahamat Kaka et certains belligérants au Soudan sont connus, documentés et visibles depuis des années. Les crimes commis partout au Soudan ne font plus débat, ils sont largement rapportés par les organisations internationales, et la Cour pénale internationale a déjà ouvert une enquête sur ces exactions.

De plus, un groupe de travail des Nations unies a officiellement établi la responsabilité du Tchad dans la violation de l’embargo sur les armes, ce qui place le pays — et donc ses dirigeants — dans une zone d’exposition juridique sérieuse.

Si la justice internationale ne peut plus ignorer les acteurs directement impliqués, elle ne pourra pas non plus ignorer ceux qui les ont soutenus, approvisionnés ou accompagnés politiquement. Nul n’est au-dessus du droit international, pas même un président.

DAKARTIMES : Malgré l’unité de façade, l’armée tchadienne semble minée par la corruption et les rivalités internes. Kaka pourrait-il être victime d’une trahison ?

Charfadine Galmaye Salimi : Tout tyran finit un jour trahi par ceux qu’il croit contrôler. Le système Déby est miné de l’intérieur : rivalités entre généraux, jalousies de clans, batailles pour les ressources. L’armée, loin d’être un bloc homogène, est un ensemble de factions qui ne tiennent que parce que la rente circule.

Le jour où cette rente se tarira, ou où un déséquilibre interne se produira, la trahison ne viendra pas des opposants, mais elle viendra de l’intérieur. C’est la nature même des systèmes fondés sur la loyauté achetée et non sur la légitimité. Et plus le régime se fragilise, plus les appétits et les ambitions internes s’aiguisent.

DAKARTIMES : Le leader politique que vous êtes contribue à informer juste et vrai. Quel est le Tchad dont vous rêvez ?

Charfadine Galmaye Salimi : Je rêve d’un Tchad profondément transformé, où les institutions fonctionnent réellement pour le citoyen et non pour une minorité accapareuse. Un Tchad où l’État devient un outil de justice et d’égalité des chances, et non une machine à reproduire les privilèges et les injustices.

Je veux un pays où l’on peut naître dans n’importe quelle région, appartenir à n’importe quelle communauté, et avoir exactement les mêmes droits, les mêmes perspectives, la même dignité. Un pays qui rompt avec la logique du clan et place enfin la compétence et l’intégrité au sommet de l’État. Le Tchad dont je rêve est un Tchad qui ne fait plus fuir ses enfants, un Tchad où la jeunesse a confiance en l’avenir et où la richesse nationale est investie dans l’éducation, la santé, l’innovation et l’économie réelle. Un Tchad qui retrouve sa place en Afrique comme nation stable, ambitieuse et respectée.

DAKARTIMES : Si vous ne pouviez laisser qu’un seul message d’engagement à la nation tchadienne aujourd’hui, quel serait-il ?

Charfadine Galmaye Salimi : N’ayez plus peur. Aucun régime, aussi violent soit-il, ne peut tenir face à un peuple qui se relève. Notre force collective est plus grande que la puissance de leurs armes, de leurs manœuvres et de leurs intimidations. Le Tchad changera le jour où chaque citoyen décidera qu’il mérite mieux — mieux que la peur, mieux que la misère, mieux que l’injustice. Le courage d’un peuple commence toujours par un mot simple : assez. Et ce mot, une fois prononcé par une nation entière, devient irrésistible.

Propos recueillis par Mamadou Mouth BANE

 

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