juin 6, 2025
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L’« AFFAIRE DES 49 SOLDATS » : Première traduction d’un discours anti-français

Lova Rinel, une chercheuse associée, Fondation pour la recherche stratégique a produit un rapport intitulé « L’« affaire des 49 soldats » : première traduction d’un discours anti-français ». Dans ledit document, elle souligne que depuis plusieurs mois, les articles et publications foisonnent autour de ces mots-clés : Wagner – Russie – Afrique – Poutine – France – ingérence. Pourtant, en filigrane, c’est bien le sentiment anti-français qui suscite une attention particulière. Dans une publication de l’Institut Montaigne, le point central porte sur le déroulement récent d’événements révélant ce sentiment en Afrique de l’Ouest. Il est cependant moins question de sentiment anti-français que de discours antifrançais, ce qui relève d’une réflexion plus complexe. D’autres aspects ont été évoqués par l’auteur.

Victimiser le Mali pour mieux accuser la France  

Le piège serait pourtant de lire cette affaire à l’aune de ce qui nous est donné à voir, à savoir une crise africaine où le calme froid du président Alassane Ouattara, les déclarations peu amicales du Mali et les mouvements difficilement lisibles du nouveau gouvernement burkinabé (suite à la démission forcée du putschiste, le lieutenant-colonel Damiba, le 2 octobre 2022, par un jeune capitaine de 34 ans, Ibrahim Traoré) reconfigurent une dynamique sur une zone dont le tempo a été pendant plus de dix ans celui des assauts terroristes. Notons que cette reconfiguration n’est en rien la marque d’une victoire franche sur l’Etat islamique, mais plutôt un calcul bien anticipé de Wagner. Ce dernier agit en roue libre, n’ayant pour seul mandat qu’une obligation de résultat sur une trajectoire idéologique définie par Moscou. Prigojine a choisi son nouveau récit : recréer de manière artificielle et fallacieuse le climat des indépendances. Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères du Mali, serait donc le Fidel Castro du continent africain, Bamako – La Mecque de ce nouveau vent révolutionnaire, comme l’a été Alger durant les indépendances (1960-1970) ; et Assimi Goïta serait le nouveau Thomas Sankara, distribuant les points entre bons et mauvais Africains ; la main de Wagner n’étant jamais très loin. Tout cela en voulant faire croire grossièrement que le monde d’avant, celui où l’URSS jouait des blocs, est à nouveau de mise, comme du temps du Mouvement des Non-Alignés. C’est le scénario que Wagner tente de dérouler, mais précisons par ailleurs que la partie malienne y met du zèle, sans grande manipulation donc.

Renverser les chefs d’Etat trahissant la cause africaine et dont les têtes sont mises à prix par les relais de Wagner se posant en activistes panafricanistes (voir infra) est la mission ultime.

Déchiffrons. La Côte d’Ivoire, qui commet le crime de lèse-majesté d’accueillir la base française de Port Bouët, à un kilomètre d’Abidjan, est la traîtresse toute trouvée, et la France, la cible finale. Pour autant, le Sénégal et le Niger sont également visés. Il s’agit, et c’est intentionnel, des pays du « giron français », dont les démocraties se situent, certes, à des niveaux différents de stabilisation, mais qui globalement souffrent d’une gouvernance dans laquelle l’alternance se fait par coups d’Etat (Mali, Burkina Faso) ou, pour les pays disposant d’une gouvernance plus saine (Côte d’Ivoire), où l’on annonce des prolongations de mandat.

En d’autres termes, les pays d’Afrique de l’Ouest sont en situation de « rodage démocratique ». Les institutions sont encore fragiles et toute perturbation peut entraîner des crises démocratiques de longue durée, ouvrant des opportunités d’ingérence par des pays ou des entités malveillants. Dans la zone, les cas du Mali et du Burkina Faso en sont de parfaits exemples.

Comprenons. La proximité avec Wagner et la Russie protège les Etats aux dérives autocratiques telles que celles que l’on peut déjà constater au Mali. Autrement dit, Wagner soutient officiellement les Etats prônant l’autoritarisme, et la Russie s’en félicite. En creux, l’attraction mutuelle apparente entre les Maliens et les Russes est le reflet d’un échec de l’Occident. En effet, les décennies de coopération en faveur de l’établissement de systèmes démocratiques n’ont permis d’apporter ni le développement promis, ni la garantie des libertés, ni la sécurité attendue. La population, et particulièrement la jeunesse, mettent cela sur le compte d’une accointance entre les gouvernants, qu’elles décrivent comme corrompus, et la France, l’Occident, le système des Nations unies. Peu importe que cela soit réel ou vérifié ou non, dès lors que les membres de la communauté internationale représentant la démocratie continuent à recevoir les dirigeants contestés et à discuter avec eux sans évoquer la contestation du peuple malien, la question d’une forme de soutien (a minima) ou de complicité (a maxima) est posée. La Russie devient l’incarnation d’une réponse exprimant le rejet des solutions apportées par la France, qui symbolise l’Occident d’une part, mais aussi, d’autre part, la figure emblématique d’une solution attendue par la population.

Autrement dit, le bilan est catastrophique pour l’aide au développement : pauvreté, corruption, misère, c’est le résultat des coopérations avec les démocraties, avec la France, voilà ce que l’on retient dans plusieurs pays du continent. Ce narratif est par ailleurs diffusé allègrement par la Russie et la Chine. Au-delà même de Wagner, il existe donc un terreau favorable à ce message. C’est un point très important si nous voulons comprendre le glissement vers les discours antifrançais. Les tenants de la démocratie ont échoué, la France en paye le prix.

Prigojine et Wagner : mise en place d’une stratégie de story telling  

Ce n’est probablement qu’un début. En effet, on apprend par une communication de Sergueï Markov, ex-membre de la Douma et proche de Vladimir Poutine, via Telegram, que non seulement la Russie serait derrière le coup d’État au Burkina mais que de surcroît, un autre « ralliement » pourrait survenir dans un futur proche. Bien que les propos de l’ancien élu ne constituent en rien une parole officielle, ils viennent en écho de ceux d’Evgueni Prigojine en posant l’idée que si la main russe n’est pas confirmée, celle de Wagner est plausible.

La ligne est donnée, Wagner, qui se présente comme le soutien d’une cause panafricaniste libératrice, soutient le régime putschiste du Burkina Faso : « Tous ces soi-disant coups d’Etat sont dus au fait que l’Occident essaie de gouverner les Etats et de supprimer leurs priorités nationales, d’imposer des valeurs étrangères aux Africains, parfois en se moquant clairement d’eux », déclare Prigojine dans un commentaire publié sur le réseau social russe VK par sa société Concord. Il poursuit : « Il n’est pas surprenant que de nombreux Etats africains cherchent à se libérer. Cela se produit parce que l’Occident essaie de maintenir la population de ces pays dans un état semi-animal ». On retrouve ici les jalons de ce désormais bien connu narratif posant Wagner et la Russie comme compagnons du chemin vers l’indépendance de pays traités comme des animaux par l’Occident. Puis d’abonder en faveur du régime putschiste en estimant qu’un « nouveau mouvement de libération » se déroule actuellement en Afrique, ainsi qu’une « nouvelle ère de décolonisation ». Il faut donc comprendre le message suivant : « ce n’est pas un putsch, c’est une révolution, le Peuple est de notre côté, les Occidentaux contre nous, contre le Peuple ».  

Il s’agit d’une évolution de posture notable de la part d’Evgueni Prigojine car depuis l’arrivée de Wagner en Afrique en 2018, Moscou, tout comme Wagner du reste, ont toujours été très discrets ou ont nié toute implication dans des événements politiques en Afrique. Pourquoi un tel changement ? Wagner profite d’analyses politiques décrivant la milice comme disposant d’une force et d’un pouvoir importants, en réalité très discutables. En effet, les différentes sources sur place sont assez claires : ni la Russie, ni Wagner n’ont participé au putsch burkinabé. En d’autres termes, il ne faut pas tomber dans le piège d’alimenter le mythe selon lequel Wagner aurait une force de frappe telle qu’il serait capable de renverser des gouvernements par la voie militaire, chose qui à l’heure actuelle n’est pas possible.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la stratégie de Prigojine consiste à imposer ce mythe de la milice qui contrôlerait toute l’Afrique francophone – sans le dire mais en laissant croire, par des interventions sur les réseaux sociaux ou les médias, qu’il a une main décisive. C’est une méthode peu coûteuse et efficace pour maintenir l’image de Wagner l’omnipotente. Cela lui permet de se valoriser auprès de la diplomatie et de l’institution militaire russes mais également auprès des Occidentaux. Pour Prigojine, apparaître comme l’ennemi à abattre, comme une menace pour la France est une promotion, qui pourrait, sur le moyen terme, lui servir en politique intérieure. Être présenté comme l’homme fort qui fait trembler l’Occident est un narratif qui lui est favorable et peut être essentiel pour sa propre légende.

De plus, on retrouve dans la dialectique de Prigojine les éléments de langage des influenceurs francophones radicaux : l’obsession raciale. Traduisons. On ne peut comprendre la notion de francophobie radicale sans intégrer dans la définition de ce courant idéologique le maintien d’une rhétorique racialisante, où la question raciale anime les interactions internationales. Evgueni Prigojine en joue. Concrètement, il est question, dans cette idéologie, de faire comprendre que non seulement la relation de la France avec ses anciennes colonies se réalisera toujours dans un rapport de supériorité entre l’ancienne puissance coloniale et ses indigènes, mais qu’en outre, peu importent les évolutions historiques et géopolitiques, l’idée de la supériorité du Blanc sur le Noir sera toujours de mise. A cela s’ajoute une réalité de lutte des classes qui reprend l’idée précédemment évoquée, au travers de laquelle les pays d’Afrique anciennement colonisés doivent rester en situation de développement économique inférieur à celui de la France. Dans ce cadre, les liens avec la Russie incarnent un front anti-système colonial qui renoue avec celui des années 1960. Evgueni Prigojine et Assimi Goïta manient avec dextérité les éléments de langage de la convergence des luttes dont ils poussent le sens au plus profond, renvoyant ainsi un autre message aux populations occidentales et évidemment françaises : « France dégage ». C’est un slogan que l’on a retrouvé en Afrique de l’Ouest, notamment lors des manifestations devant l’ambassade de France au Burkina Faso en octobre dernier. Mais c’est aussi le nom d’un mouvement politique au Sénégal (FRAPP/France dégage) né en 2017 pour lutter contre le franc CFA et la présence française dans les conseils d’administration des banques centrales des pays membres de la zone CFA. Cette formule perdure et se retrouve également au Mali aujourd’hui, où elle vise à appeler à une rupture avec la France.

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’appréciation politique que l’on peut faire de Wagner est que Prigojine commence à préparer son story telling en Afrique. Il gagne en crédibilité quand les tenants de l’autorité russe en perdent chaque jour que dure le conflit en Ukraine. Prigojine, a contrario, espère gagner en épaisseur politique à chaque drapeau russe brandi sur le continent africain. Un point nous semble néanmoins important à relever dans la mécanique Russie/ Wagner. La communication, notamment sur les réseaux sociaux, est clairement tenue par Wagner, le Département d’Etat l’a relevé dès novembre dernier, énumérant même les noms des influenceurs rémunérés. Sur le terrain, pourtant, le duo Wagner/Russie est plus discret et continue d’interroger quant à leur complicité ou concurrence. Lors de son déplacement au Mali, aucune apparition publique de Sergueï Lavrov aux côtés d’Evgueni Prigojine n’a été recensée, et nos différentes sources sur place confirment qu’aucune rencontre entre les deux personnalités n’a eu lieu.

Le climat délétère entre la France et le Mali, directement lié à un accroissement de l’insécurité régionale, qui a renforcé les discours dénigrant la France, permet à Assimi Goïta d’asseoir sa politique internationale en ce sens. Depuis son arrivée à la tête de la junte au Mali en août 2020, ce dernier multiplie les propos contre la France. Simple opportunisme ou réflexion idéologique calculée ? En réalité, Assimi Goïta assume une seule position : le francophobisme politique.

Assimi Goïta, le poing levé contre la France  

L’« affaire des 49 soldats » est la porte d’entrée en géopolitique d’Assimi Goïta, en tenue du panafricaniste justicier, un rôle vacant en Afrique depuis la mort de Nelson Mandela. Assimi Goïta, avec l’appui de Wagner, va endosser le rôle de l’allié de la Russie contre la France. Telle est la mise en scène proposée – un point important à comprendre pour décrypter la suite.  

Relevons dans un premier temps les accusations assez graves qu’Assimi Goïta et son gouvernement, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, prononcent contre la Côte d’Ivoire. L’idée est la suivante : Alassane Ouattara mènerait une politique hostile aux intérêts du Mali, ce sur demande de la France, qui pilote, selon lui, sa politique dans la région. Dans une interview sur VOA Afrique le 26 septembre 2022, Abdoulaye Diop déclare que les conditions de négociation de la libération des 46 soldats vont dépendre « des garanties de la Côte d’Ivoire à cesser d’être une base arrière pour déstabiliser notre pays (Mali) »21. Sur cette charge repose tout un narratif selon lequel la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara serait au service de la France, ce qui justifierait l’accusation portée contre les 49 soldats. Dans la même interview, le ministre enchaîne et affirme que la CEDEAO prononce des avis favorables à la Côte d’Ivoire (sous-entendu : « défavorables pour le Mali ») en terminant sur le fait que le départ de son pays du G5 Sahel est lié à un contentieux avec la France, qui s’organiserait pour prendre des décisions contre le Mali. Pour comprendre le propos, il est important de rappeler que la CEDEAO a sanctionné durement le Mali lors de son coup d’Etat en août 2020 : fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Communauté et le Mali, suspension de toute aide financière et des transactions commerciales (à l’exception des produits de première nécessité) et gel des avoirs du Mali dans les banques centrales et commerciales de la CEDEAO22. Le Mali est persuadé que c’est la Côte d’Ivoire qui a ordonné ces sanctions23.

Selon le mythe qui alimente la francophobie radicale du Mali, la France aurait pour objectif de maintenir ce pays dans la misère et d’appauvrir sa population pour qu’il ne puisse devenir réellement indépendant. De plus, la France refuserait de renoncer aux ressources naturelles maliennes, sur lesquelles elle a la mainmise et sans lesquelles elle ne serait pas une puissance. Enfin, le risque serait trop grand, pour Paris, de voir le Mali la dépasser. « Un pays d’Afrique supérieur économiquement à la France ? Impensable ! » : ce narratif fait écho à un autre mythe, à savoir « l’Afrique aux Africains ». En effet, l’idée persiste que le continent géré par « les Africains » serait la garantie de la prospérité, et l’obstacle à la réussite serait la France. Il n’est pas exclu qu’Assimi Goïta en soit lui-même sincèrement convaincu par ailleurs. Pour autant, le rôle du chef de la junte est de montrer le chemin de la délivrance, en maîtrisant les traîtres, en l’espèce Alassane Ouattara.

Notons par ailleurs deux points : le 12 janvier 2022, la Chine et la Russie rejettent le texte porté par la France aux Nations unies visant à soutenir les sanctions contre le Mali24 ; le 18 mars 2022, lors d’une conférence de presse sur BFM TV, le président Emmanuel Macron, au lendemain des suspensions de RFI et France 24 au Mali par la junte, annonce appuyer les sanctions contre le Mali par la CEDEAO25. La lecture de cet enchaînement diplomatique par la junte, mais aussi sur les réseaux sociaux et dans la population malienne, a été catastrophique pour la France, car elle justifie l’idée que le président Emmanuel Macron met la pression pour tuer le Mali, et ceux qui n’acceptent pas cela sont la Russie et la Chine. Ce sera leur interprétation qui se propagera. Nous sommes alors à plus d’un mois de l’invasion russe en Ukraine. Ainsi, le 2 mars 2022, lorsque la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à mettre fin aux hostilités russes à l’encontre de l’Ukraine est soumise au vote, le Mali s’abstient, comme 35 autre pays. Mais cela amène une première incohérence de principe : ne pas soutenir un Etat victime d’une annexion territoriale par la force militaire. Le message du Mali (et peut être des autres pays d’Afrique) est clair : la ligne n’est pas le principe de souveraineté ou d’intégrité du territoire, mais la défiance envers l’Occident.

Poursuivons sur l’« affaire ». La grâce est signée, mais l’idée persiste que la Côte d’Ivoire est hostile au Mali alors que celui-ci se positionne en résistance à l’impérialisme. Cette confrontation bilatérale renvoie à un narratif plus mythologique correspondant à des biais culturels très importants sur le continent qui échappent à la lecture occidentale.

Traduction : la sagesse l’emporte sur l’immaturité et le péché d’hubris. Le face-à-face Etat contre Etat sans appui extérieur a fait ressortir la sagesse et la pureté de la quête du Mali, la Côte d’Ivoire a plié. Une mise en scène par un communiqué de presse évoquant la préoccupation d’Assimi Goïta quant à la « préservation des relations fraternelles et séculaires avec les pays de la région, en particulier celles entre le Mali et la Côte d’Ivoire » confirme cette posture. La Côte d’Ivoire serait un pays perdu et perverti par la France. Au final, le Mali aurait pour rôle de ramener vers l’autodétermination les brebis égarées d’Afrique, corrompues par le colonialisme, corrompues par la France. Assimi Goïta est un sage qui n’a rien à envier à son aîné Alassane Ouattara. Sur le plan diplomatique africain, c’est à interpréter comme une insulte pour la Côte d’Ivoire. Il est fondamental de le comprendre, or aujourd’hui, cela n’est pas compris

La visite du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le 8 février, vient affirmer la posture d’assimilateur de Goïta, et renvoie l’idée de deux alliés épris de liberté luttant contre les puissances coloniales. La communication de Lavrov décrit une amitié « contre les terroristes et leurs sponsors étrangers » et évoque sur le tarmac « la défense de la justice sur la scène internationale, agressivement foulée aux pieds ». L’idée étant que la Russie de Vladimir Poutine est le soutien d’une puissance naissante ainsi que s’affirme le Mali. Etrangement, A. Goïta pose en grand chef d’Etat cherchant la reconnaissance de son ami russe en tant qu’allié stratégique puissant. Le protocole lors de cette rencontre multiplie les messages amicaux suggérant un besoin de réciprocité à venir. A ce stade notons que la Russie n’a strictement pas répondu à ce traitement d’égal à égal si fortement porté par le Mali.

Des éléments de propagande diffusés par la junte sur la chaîne nationale malienne, l’ORTM, pour les 62 ans d’indépendance (22 septembre 2022) méritent que l’on s’y attarde. La vidéo fait passer des messages assez explicites qui sont en résonance avec le narratif que nous avons présenté plus haut : « Le monde entier a su maintenant que la crise malienne était victime dun complot, une haine qui dépassait les bornes ». La vidéo montre à ce moment-là les images des représentants du Mali aux Nations unies et l’ambassadeur de France en gros plan. Le « complot » fait ici référence aux sanctions contre le Mali décidées par la CEDEAO ; la France et la Côte d’Ivoire, par truchement, en sont clairement les cibles : « Comme on le dit souvent, un clou qui dépasse rappelle le marteau. C’est pour dire que la bataille n’est pas que militaire, mais elle est civile, politique et diplomatique. En somme un sursaut national comme au Vietnam ».

La référence au Vietnam augure, ou plutôt présente, l’ambition d’Assimi Goïta se positionnant dans une guerre longue de résistance face à l’impérialisme, impliquant toute la population. Cela pose également le peuple malien comme partie prenante, faisant ainsi le jeu du narratif du peuple contre le complot (français). Cette référence fait écho aux différents raids menés avec Wagner au nom de la lutte contre le terrorisme, avec des victimes civiles, parfois des enfants, raids décriés par la MINUSMA et les Nations unies31, qui n’ont pas manqué de faire part de leur inquiétude quant à la présence d’éléments russes. Il n’est donc pas à exclure que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la junte multiplie ses raids ; le nombre de victimes civiles augmente. La propagande semble vouloir préparer les esprits.

« Le patriotisme doit vibrer dans le cœur de tous les Maliens, pour que le pays garde sa souveraineté et emprunte aussi rapidement que possible la voie du développement durable. Chaque Malien où qu’il se trouve doit cultiver le sens du patriotisme, se dévouer au Grand Mali en taisant les querelles, que tous les Maliens de l’intérieur et de l’extérieur se retrouvent pour parler un seul langage, celui de la paix, pour permettre aux FAMas de mener à bien leur combat ». Tout porte à croire que cette partie de la vidéo vise à soutenir l’idée qu’il faut maintenir Assimi Goïta au pouvoir tant que la mission des FAMas – mettre fin à la menace terroriste – ne sera pas réalisée. Le chef de la junte est actuellement en pleine préparation d’élections, non sans difficultés, et il y a de fortes chances pour qu’il soit candidat, alors même que la charte promulguée par les militaires le 1er octobre 2020 sur les modalités de la transition confirme bien l’interdiction pour le chef de prétendre participer aux élections présidentielles qu’il prépare. En résumé, la vidéo de propagande appelle la population à soutenir les forces armées ; la junte doit se maintenir au pouvoir avec à sa tête Assimi Goïta, qui lutte au quotidien contre le complot français qu’il dit avoir réussi à déjouer. Il peut compter désormais sur son partenariat avec la Russie, avec laquelle la relation semble privilégiée. Le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a parlé à plusieurs reprises d’un « axe Bamako-Moscou ». Rappelons quelques gestes concrets posés par le Mali pour représenter cet axe : la suspension définitive des chaînes RFI et France 24; les expulsions des ambassadeurs de France, du représentant de la CEDEAO et des fonctionnaires de la MINUSMA. Si le positionnement politique est clairement anti-français, rien ne montre, dans ces différents éléments, l’existence réelle d’un axe Bamako-Moscou, sauf à considérer qu’il ne s’exprime que dans le rejet de la France…

Et il semble qu’il y ait une asymétrie avec la partie russe. Arrivé à la tête du Mali en août 2020, Assimi Goïta n’a à ce stade jamais rencontré le président Vladimir Poutine. Il s’est cependant entretenu par téléphone avec lui par deux fois, après deux ans de transition, le 10 août et le 4 octobre 2022. La dernière conversation a été largement présentée par la presse malienne comme un signe de reconnaissance par la Russie qu’Assimi Goïta serait un partenaire privilégié ; ce qui est absolument faux. Nous notons que le communiqué du Kremlin sur le dernier échange téléphonique précise bien que celui-ci a eu lieu à la demande de la « partie malienne » – ce qui en langage diplomatique ne signale pas un lien particulier, au contraire. D’autant que l’on peut supposer que ce qui se passe en Afrique relève moins des préoccupations de l’Etat russe que de celles de Wagner, qui, encore une fois, joue sa propre partition. Certes, l’évocation d’un partenariat, notamment militaire, est à nouveau affirmée, mais il n’est aucunement présenté comme un partenariat privilégié. Du reste, aujourd’hui, c’est l’Afrique du Sud qui semble être considérée par la Russie comme un allié42, avec notamment la mise en place en 2019 d’exercices navals conjoints avec la Chine du côté du canal du Mozambique (une nouvelle édition en a été organisée en février 202343). Sans oublier l‘Algérie, qui aurait dû faire en novembre dernier son premier exercice conjoint terrestre avec la Russie (Bouclier du désert), reporté sur pression américaine (selon nos sources44). Cela aurait été une première de cette ampleur (200 soldats algériens, et autant de Russes) sur la frontière avec le Maroc, avec lequel les relations sont tendues. Précisons cependant que l’Algérie a été invitée à participer aux exercices stratégiques russes Vostok-2022, marquant une proximité militaire plus concrète et solide que celle entre le Mali et la Russie. Par ailleurs, l’envoi de 300 000 tonnes d’engrais a été annoncé il y a plus de quatre mois, mais à ce jour, aucune source au Mali ne confirme l’arrivée ou même l’expédition desdits engrais. Enfin, Assimi Goïta est invité au deuxième sommet Russie-Afrique qui se tiendra à Saint-Pétersbourg en 2023 – mais parmi tant d’autres, sans égard protocolaire particulier.

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